Intervention de Robert Badinter

Réunion du 24 juin 2008 à 16h00
Modernisation des institutions de la ve république — Article additionnel avant l'article 25

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Cet amendement tend à mettre le droit en accord avec le fait.

Le Conseil constitutionnel, né voilà cinquante ans, a beaucoup changé depuis. En particulier depuis la réforme de 1974 prévoyant la saisine par les parlementaires, l’institution n’a plus rien à voir avec celle qui avait été conçue en 1958, qui n’avait guère rendu plus d’une dizaine de décisions en douze ans.

Aujourd’hui, le Conseil constitutionnel est une institution juridictionnelle dont les décisions s’imposent à toutes les autorités de l’État, notamment aux autorités judiciaires. J’ai ici le recueil de ses grandes décisions, et encore celui-ci ne date-t-il que de 2000 ! §Il existe une jurisprudence du Conseil constitutionnel, une doctrine sur les arrêts du Conseil constitutionnel, des commentaires sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celui-ci est donc à l’origine de tout un corpus juridique.

Pourquoi, dès lors, conserver une dénomination « déceptive » ? C’est un paradoxe de notre pays, où, dit-on, la raison trouve volontiers son foyer – je n’en suis d'ailleurs pas toujours sûr. À cet égard, croyez-moi, il n’est guère raisonnable de dénommer « conseil » une institution qui rend des décisions juridictionnelles et qui, de surcroît, n’a le droit de donner des conseils ni au Gouvernement ni au Parlement ! C’est ce qui avait été répondu à M. Chaban-Delmas lorsqu’il avait sollicité, en son temps, le Conseil constitutionnel. Le rôle de conseil incombe au Conseil d’État.

Je comprends que le Conseil d’État, mi-conseil, mi-juge, conserve la dénomination de « conseil », mais celle-ci n’a véritablement pas lieu d’être pour le Conseil constitutionnel.

Au moment où nous allons mettre à la disposition des citoyens, via l’exception d’inconstitutionnalité, la possibilité de faire respecter les droits fondamentaux par le Conseil constitutionnel, cette dénomination n’a tout simplement pas de sens !

En tant que président du Conseil constitutionnel, j’ai eu l’occasion de me rendre dans de nombreux pays et de recevoir plusieurs délégations étrangères. J’ai en effet été conduit à donner des conseils à des pays accédant à la démocratie et qui voulaient créer une juridiction constitutionnelle. Mes interlocuteurs me demandaient régulièrement si notre juridiction délivrait des conseils. Je répondais invariablement : « Non, nous rendons des décisions juridictionnelles ». Dès lors, me demandait-on, pourquoi ne nommez-vous pas votre instance « cour constitutionnelle » ?

En effet, il n’y a pas une instance de contrôle de constitutionnalité en Europe – pas seulement au sein de l’Union européenne, mais parmi la totalité des États membres du Conseil de l’Europe – qui porte une autre dénomination que celle de Cour constitutionnelle ou de Tribunal constitutionnel.

Je demande simplement de reconnaître que, cinquante ans après sa création, il vaut mieux dire les choses telles qu’elles sont aujourd’hui. Par conséquent, notre haute juridiction doit porter sa véritable dénomination, celle de Cour constitutionnelle.

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