Intervention de Rachida Dati

Réunion du 24 juin 2008 à 22h00
Modernisation des institutions de la ve république — Article 28

Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice :

Je ferai une présentation globale de l’article en présentant ce sous-amendement qui tend à modifier l’amendement de la commission des lois. Puis je répondrai point par point aux amendements et sous-amendements qui ont été présentés.

Dans la révision de la Constitution, la question du Conseil supérieur de la magistrature est essentielle. Sur un plan plus global, nous entendons répondre au problème d’éloignement des Français de leur justice. C’est notamment le sens de la réforme qui vient d’être adoptée par le conseil d'administration de l’École nationale de la magistrature. Nous nous sommes inspirés du très intéressant rapport de MM. Fauchon et Gautier, qui a d’ailleurs été repris au moment du débat de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau. Ce sont des éléments importants de cette réforme de la justice.

Le débat sur la présidence du CSM, sur sa composition et sur ses missions ne date pas d’aujourd'hui. Il est récurrent et s’est nourri de propositions qui n’ont jamais abouti.

La proposition du Gouvernement, qui tient compte de ce qu’exprime le débat parlementaire, devrait, à mon sens, trouver un consensus : dans une situation insatisfaisante, elle constitue une avancée et s’appuie sur des idées non partisanes. C’est le cas du rapport du Sénat que je viens de mentionner. Dénué de toute connotation politique, son seul objectif était de faire évoluer la justice.

Au préalable, je souhaite rappeler le rôle du CSM.

L’article 65 de la Constitution prévoit que le Conseil supérieur de la magistrature exerce une double compétence : pour la nomination des magistrats et pour les poursuites disciplinaires. C’est dire que les décisions du CSM sont déterminantes dans la carrière des magistrats et, donc, dans la justice qui est rendue au quotidien, au nom du peuple français, je le rappelle.

Concrètement, le CSM propose au Président de la République la nomination des Premiers présidents de cour d’appel, des présidents de tribunaux de grande instance et des magistrats du siège de la Cour de cassation. Il émet un avis sur les propositions de la chancellerie pour les autres nominations des magistrats du siège et pour les nominations au parquet. La seule exception concerne les nominations des procureurs généraux, qui sont de la responsabilité du Président de la République puisqu’ils sont nommés en conseil des ministres.

Pour les magistrats du siège, la position du CSM lie le garde des sceaux. Pour les magistrats du parquet, le garde des sceaux est tout à fait libre de suivre ou non l’avis du Conseil supérieur de la magistrature.

Comme vous le disiez tout à l’heure, monsieur Fauchon, il est vrai que le CSM examine et prépare les dossiers bien en amont avec l’administration du ministère de la justice. J’ai souhaité, depuis ma nomination, voir tous les dossiers avec l’administration pour ne pas être liée par l’avis de l’administration.

Nous avons aussi fait évoluer, en pratique, le fonctionnement de l’administration des services judiciaires et du CSM. L’une des origines de ce changement de pratique, c’est la création, en août 2007, d’une sous-direction des ressources humaines au ministère de la justice, chose inédite. Il était en effet assez frappant que toute une carrière de magistrat puisse se dérouler sans que celui-ci ait jamais été reçu au ministère de la justice. À ce jour, près de 500 magistrats se sont vu proposer des évolutions de carrière : on leur a conseillé tel poste ou, au contraire, on les a dissuadés d’occuper tel autre dans l’attente d’une formation complémentaire. D’ici à la fin de l’année, 800 magistrats seront reçus par cette sous-direction des ressources humaines. Par souci de parallélisme, j’ai procédé à l’identique pour les greffiers.

Dans les faits, s’agissant des « passer outre », qui ont fait l’objet d’un débat devant l’Assemblée nationale, sur les six dernières années, il y a eu 2 623 nominations au parquet. On relève seulement 1 % de « passer outre » : à peine vingt-sept nominations n’étaient pas conformes à l’avis du CSM. Donc, c’est extrêmement peu.

Il est vrai aussi que, depuis à peu près un an, j’ai eu à « passer outre » sur très peu de dossiers. De quoi s’agit-il ? Un « passer outre » ne signifie pas que le garde des sceaux souhaite nommer quelqu’un pour des raisons autres que le professionnalisme. Souvent, le critère qui l’emporte dans le cadre des propositions du CSM est l’ancienneté. « Passer outre », c’est aussi privilégier la compétence, l’engagement, le dévouement sur l’ancienneté pour donner une chance à un jeune procureur de diriger une juridiction. Donc, les « passer outre » sont souvent fondés sur des critères professionnels, quelle que soit, d’ailleurs, la couleur politique du Gouvernement.

Pourtant, la situation actuelle du CSM n’est pas satisfaisante. Chacun s’accorde à le dire, le fonctionnement du CSM soulève deux critiques.

D’abord, aux termes de la Constitution, la présidence du CSM est exercée par le Président de la République ou par le garde des sceaux. Jusqu’à présent, cela faisait peser un soupçon d’intervention de l’exécutif.

Ensuite, dans les deux formations qui examinent la carrière des magistrats – la formation du siège et la formation du parquet – les magistrats élus par leurs pairs sont majoritaires. La critique de corporatisme ou d’immobilisme alimente de plus en plus la méfiance entre les Français et leur justice.

C'est pourquoi le Gouvernement vous propose, dans le projet de loi constitutionnelle, trois grandes modifications par rapport à la situation actuelle.

Première modification, il vous propose que les formations du CSM soient présidées par les deux plus hauts magistrats de France. Loin de manifester de la défiance à l’égard des magistrats, il s’agit, bien au contraire, de renforcer la confiance que nous avons en eux en confiant la présidence des formations aux deux plus hauts d’entre eux.

Monsieur Fauchon, selon vous, le Premier président, qui présiderait la formation siège, et le procureur général, qui présiderait la formation parquet, ne pourront pas assurer cette présidence. Vous avez fait allusion au nombre de jours de séance ; c’est beaucoup moins que ce que vous avez dit. Ce que nous visons, c’est une stabilité et une vraie « jurisprudence » des nominations. Ces deux hauts magistrats connaissent le corps et le fonctionnement de l’institution. Avec une présidence tournante, un problème de stabilité risque de se poser. Et un non-magistrat peut être lié par les avis des autres, car il ne connaît pas l’institution

En outre, on peut imaginer qu’une présidence tournante est propice aux négociations. Ainsi, après avoir levé les suspicions d’intervention politique, on les rétablirait avec une présidence tournante, occupée par des personnes qui ne sont pas nécessairement averties du fonctionnement de l’institution judiciaire. C'est la raison pour laquelle nous tenons à ce que le Premier président puisse présider la formation siège et le procureur général la formation parquet.

Deuxième modification, le Gouvernement vous propose d’ouvrir la composition du CSM en faisant siéger huit personnalités extérieures aux côtés des sept magistrats de l’ordre judiciaire. Il est vrai que les magistrats seront minoritaires dans la composition du CSM. Cela permettra de donner un peu plus de transparence dans le processus de nomination des magistrats.

Troisième modification, le Gouvernement vous suggère que la nomination des procureurs généraux soit soumise, comme toutes les autres nominations, à l’avis du CSM.

Ces propositions constituent de réelles avancées puisqu’elles prennent en compte les réflexions et les projets élaborés par le passé. Personne ne peut donc les taxer de partisanes.

La nomination à la tête des formations du CSM des deux plus hauts magistrats est également une garantie d’indépendance pour les magistrats : le Premier président de la Cour de cassation et le procureur général, qui n’est pas sous l’autorité du garde des sceaux. C’est une avancée sur laquelle nous devrions tous être d’accord.

Le Premier président de la Cour de cassation et le procureur général près ladite cour sont, par nature, des magistrats dont l’autorité est indiscutée : ils n’occupent pas ces fonctions par hasard ! Même si on n’est pas forcément d’accord sur leur parcours, leur autorité et leurs compétences sont généralement indiscutables.

Ces magistrats, qui occupent les fonctions les plus élevées de l’ordre judiciaire, connaissent parfaitement le fonctionnement et les besoins des juridictions. Ils sont totalement indépendants. Leur présidence est une véritable garantie pour les magistrats qui seront proposés ou pour ceux qui seront nommés, s’agissant du siège, par exemple.

L’ouverture du CSM, quant à elle, répond à une attente du Parlement. Déjà proposée en son temps par Élisabeth Guigou, elle a été un engagement des deux principaux candidats à la Présidence de la République en 2007 et elle figure parmi les propositions du comité Balladur.

Le projet de loi constitutionnelle présenté en 1998 par Elisabeth Guigou prévoyait un CSM de vingt-deux membres, y compris le président, dont dix magistrats de l’ordre judiciaire. Les magistrats étaient donc déjà en minorité dans le projet proposé par les socialistes.

Le projet, voté par votre Haute Assemblée, prévoyait finalement quatorze membres, dont six magistrats. Le projet que nous examinons aujourd'hui prévoit quinze membres, dont sept magistrats.

Quels qu’ils soient, ces projets ont un point commun : le CSM est davantage ouvert, ce qui correspond à un besoin exprimé depuis de nombreuses années ; les magistrats ne sont pas majoritaires. Je vous renvoie à la commission sur l’affaire d’Outreau : la recommandation avait abouti à la parité, mais tous les débats avaient porté sur l’éventualité que les magistrats deviennent minoritaires.

Les magistrats ne sont pas majoritaires au sein de la formation qui débat ou décide de leur nomination. Cette ouverture est nécessaire parce que la justice, rendue au nom du peuple français, n’est pas l’affaire des seuls professionnels.

Ce nouvel équilibre entre magistrats et non-magistrats ne singularisera pas la France. On nous a dit que nous serions le seul pays européen où les magistrats seraient minoritaires. Ce n’est pas exact ! Dans de nombreux pays d’Europe, les magistrats élus par leurs pairs ne sont pas majoritaires au sein de l’instance qui propose les évolutions de carrière : je pense au Royaume-Uni, à la Belgique, à la Suède, au Danemark, au Portugal, ainsi qu’à certains Länder en Allemagne ; dans la Sarre, par exemple, la commission est uniquement composée de parlementaires.

Dans d’autres pays où ils sont majoritaires – par exemple, le Luxembourg et la Pologne –, l’instance n’a qu’un rôle consultatif. Aux Pays-Bas, il existe un collège de procureurs généraux ; l’organisation est vraiment très différente de celle que nous avons en France.

Enfin, autre avancée, le rôle du CSM sera renforcé, puisque la formation du parquet émettra désormais un avis sur la nomination des procureurs généraux. On devra donc s’expliquer quand on passera outre certains avis. Ce n’était pas le cas jusqu’à présent.

Ce cadre général me paraît pouvoir faire l’objet d’un consensus. La commission des lois a formulé des propositions ; nous en débattrons. La position du Gouvernement n’est pas figée ; elle a déjà évolué à l’Assemblée nationale. Comme pour les autres sujets, notre souhait est que les deux chambres parviennent à un accord.

La première évolution concerne la formation plénière. Cette formation ne figure pas dans la Constitution actuelle mais, de fait, elle existe dans la pratique. Les députés ont souhaité qu’elle soit mentionnée dans le texte. Le Gouvernement s’est associé à ce souhait qui relayait une demande des organisations de magistrats. La formation plénière sera un symbole de l’unité du corps et la renforcera ; je réponds là à ceux qui ont exprimé des craintes à cet égard

L’amendement du président Jean-Jacques Hyest, au nom de la commission des lois, reprend cette idée.

La deuxième évolution a trait aux huit membres du CSM qui ne sont pas magistrats. Je rappelle que ces membres siégeront aux côtés des sept magistrats de l’ordre judiciaire.

Le projet de loi constitutionnelle initial proposait six personnalités qualifiées, désignées à raison de deux par le Président de la République, deux par le Président de l’Assemblée nationale et deux par le Président du Sénat, un conseiller d’État, désigné par l’assemblée générale du Conseil d’État, et un avocat, désigné par le Conseil national des barreaux.

Le texte adopté en première lecture par l’Assemblée nationale a maintenu le nombre global de huit non-magistrats, mais a modifié les autorités de désignation. Il prévoit ainsi cinq personnalités qualifiées, désignées chacune par le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat, le président du Conseil économique et social et le Défenseur des droits des citoyens, un conseiller d’État, un avocat, un professeur d’université.

La commission des lois souhaite revenir à la version initiale du Gouvernement. Je ne peux donc y être opposée

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