Nous sommes attachés au respect et au développement des droits et nous sommes donc favorables à tout mécanisme pouvant contribuer à les renforcer. C’est la raison pour laquelle nous ne rejetons pas d’emblée le principe de la création dans la Constitution d’un Défenseur des droits.
Néanmoins, le flou qui entoure cette création nous inquiète, et je voudrais faire part de nos craintes.
Nous avons entendu le « défenseur du peuple » espagnol. Il a été créé dans une situation historique particulière, celle de l’après-franquisme, et ses attributions correspondent à peu près à celles de notre Médiateur de la République. Surtout, l’Espagne est un pays fédéral et chaque région a son propre défenseur des droits. Le défenseur du peuple ne connaît donc pas, tant s’en faut, de l’ensemble des saisines qui pourraient incomber au Défenseur des droits français. Quant aux autres ombudsmen existant en Europe, on les trouve dans de petits pays.
Nous innovons donc, en quelque sorte, sans avoir bien analysé toutes les implications de la création de cette nouvelle autorité, du point de vue de son fonctionnement, de ses moyens, de son champ de compétence, etc.
La première question à se poser, à mon avis, est la suivante : de quels droits parlons-nous ?
À nos yeux, il doit s’agir des droits fondamentaux, des « droits de l’homme » au sens du préambule de la Constitution, dans toutes leurs dimensions – y compris donc, outre les droits civiques et politiques, les droits de nature économique, sociale et culturelle. Le Défenseur des droits pourrait s’assurer de leur effectivité, de leur opposabilité concrète. L’ombudsman espagnol ne nous a-t-il pas indiqué qu’il était souvent saisi de réclamations relatives au droit à la santé, par exemple ?
Ce n’est pas ce que prévoit l’article 31 du projet de loi constitutionnelle, qui d’ailleurs ne prévoit pas grand-chose, renvoyant à la loi organique, sauf sur deux points.
Le premier concerne la nomination du Défenseur des droits : les modalités prévues à l’article 13 de la Constitution ne garantiront pas – nous l’avons dit précédemment – une réelle indépendance.
Le second point touche à son champ général de compétence, qui n’est pas évident : il est limité a priori aux services publics, limitation que la commission des lois propose justement de supprimer pour que le secteur privé reste soumis à un contrôle, comme c’est le cas aujourd’hui avec la HALDE ou la CNDS.
Rien n’est dit d’un droit d’auto-saisine, dont bénéficie la HALDE, ni d’un éventuel pouvoir d’injonction. Rien non plus sur ses attributions, sauf dans l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle : outre celles du Médiateur, « pourraient être reprises dans un premier temps » celles du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, au terme du mandat de celui qui vient d’être nommé, et celles de la CNDS. Devraient donc suivre, on peut le supposer, la HALDE, la CNIL et peut-être la Défenseure des enfants…
Or ces organismes ont chacun leurs spécificités : domaine d’intervention précis, conditions de saisine précises, composition précise. Par exemple, aujourd’hui, la HALDE comprend des représentants des associations. Qu’en serait-il avec un défenseur unique des droits ? On ne voit pas bien comment préserver ces spécificités en rassemblant les attributions de ces autorités au profit d’une seule personne.
La commission des lois a rappelé la spécificité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et la nécessité de conserver son autonomie.