Intervention de Alex Türk

Réunion du 7 novembre 2006 à 9h45
Quartiers en difficulté — Débat sur les travaux d'une mission d'information commune

Photo de Alex TürkAlex Türk, président de la mission d'information :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, en tant que président de la mission d'information commune sur les quartiers en difficulté, je vous proposerai un mode d'emploi du rapport qu'elle a publié, puis M. le rapporteur traitera le fond des questions.

Je veux donc vous faire part de l'état d'esprit des membres de cette mission tout au long de leurs neuf mois de travaux.

Tout d'abord, à la lecture du rapport, vous pouvez constater que la mission a fourni un travail très important et riche de propositions, qu'elle a entendu de très nombreuses personnes et qu'elle a effectué plusieurs déplacements tant à l'étranger qu'en France, que ce soit en métropole ou dans les territoires d'outre-mer. Ces déplacements nous ont permis à chaque fois de faire des comparaisons et de relancer notre mécanique de questionnement.

Ensuite, j'indiquerai que, s'il y a eu quelques abstentions, aucun vote hostile n'est intervenu lors de l'adoption de ce rapport. Je souligne ce point parce que, bien souvent, certains rapports, encensés à leur sortie, sont mis aux oubliettes de l'histoire parlementaire.

Il importe qu'un tel rapport serve de référence à tous les débats qui se dérouleront au cours des prochains mois, ou alors ce serait à désespérer de notre démocratie parlementaire !

Sur ce sujet, il nous faut éviter certaines chausse-trappes, et détruire certains mythes, qui se transforment parfois en rumeurs.

Premièrement, il n'existe pas une cause unique aux problèmes que nous avons essayé d'analyser. Moi-même, au tout début des travaux de la mission, je ne vous cache pas que je n'ai eu de cesse de demander au rapporteur d'en rechercher la causalité essentielle. Or, je me suis rendu compte qu'il existait un faisceau de motifs. Même si cela dérange nos esprits cartésiens, il faut tenir compte de cette réalité.

S'il n'y a pas une seule cause, il n'y a pas non plus une seule solution. Je tiens à le dire à l'intention des charlatans et des apprentis magiciens qui prétendent qu'il faudrait mettre en place telle mesure pour que, instantanément, tout aille bien dans les banlieues. Si c'était vrai, les personnes compétentes au sein de la mission d'information commune et dans cette enceinte nous l'auraient dit ! En réalité, il faut essayer de mettre en harmonie plusieurs solutions pour traiter ces problèmes.

Deuxièmement, il convient de repousser certaines tentations médiatiques et politiciennes, ce qui n'est pas toujours simple. À cet égard, je prendrai l'exemple de la police, dont la presse parle beaucoup.

Évidemment, il est plus excitant de dire que l'on est passé de telle solution à telle autre, puis à telle autre. Hier soir, j'ai relu longuement et dans le détail le rapport de la mission d'information. Le rapporteur explique que, dans un premier temps, le ministère de l'intérieur a choisi de relancer l'action judiciaire, puis, dans un second temps, il a mis en place des référents. Il faut mettre l'accent sur cette seconde étape et en accélérer le processus, car il faut aller encore plus loin. En la matière, je soutiens totalement la position du rapporteur.

Plutôt que d'engager des polémiques stériles sur un tel sujet, on aurait d'ailleurs beaucoup à gagner en ayant une sémantique plus adaptée aux circonstances. En fait, l'objectif final est que la police arrête les délinquants et fasse, en même temps, un travail de prévention dans les quartiers.

Troisièmement, il convient d'isoler certains paradoxes pour les intégrer dans notre réflexion. J'en évoquerai notamment deux.

Le premier paradoxe concerne le maire. J'ai exercé des responsabilités municipales, mais je ne suis pas maire, ce qui m'a permis d'avoir un certain recul par rapport à mes collègues qui sont, pour la plupart, plus impliqués. Le rôle du maire en la matière est insupportable, car son champ de compétences est limité sur le plan juridique, mais on veut lui faire porter toutes les responsabilités. Il faut donc vraiment traiter cette question de manière approfondie, car le maire est dans une position délicate.

Le deuxième paradoxe concerne les jeunes. Chaque fois que nous sommes allés à leur rencontre, nous avons tous été frappés de constater que ces jeunes manifestaient leur attachement au quartier et exprimaient en même temps un sentiment de relégation. On imagine le déchirement du jeune qui a le sentiment de ne pas être heureux dans son quartier, qui a la tentation d'en partir, mais qui souhaite aussi y rester. Aucune mesure ne sera efficace et juste si elle ne tient pas compte de cet état psychologique.

Enfin, le dernier problème que chacun ressent fortement a trait à la gestion du temps ; c'est la grande difficulté à laquelle nous sommes confrontés.

Ces derniers jours, on m'a apostrophé pour me dire que rien n'avait changé en un an. Mais si, les choses ont changé ! Ne tombons pas dans ce travers et soyons réalistes. Ce n'est pas, hélas ! en un an que nous allons transformer la situation dans ces quartiers ; ayons tous le courage et l'honnêteté de le dire. Nous le savons, la situation s'est fortement dégradée depuis quelques années dans ces quartiers, où vit bien souvent une société duale. Il est urgent de réagir.

Or, le temps de la réponse est lent, qu'il s'agisse des délais de procédure et d'investissement pour les programmes de rénovation urbaine. Chacun comprend bien que ces réalisations posent des problèmes techniques. C'est également vrai dans d'autres domaines, compte tenu de l'inertie naturelle de l'esprit humain.

Même si nous proposons des réponses techniques dans les deux domaines qui me préoccupent beaucoup, à savoir l'éducation et l'emploi, il va falloir faire une véritable révolution dans les esprits pour aborder de front la question des relations entre l'entreprise et le secteur éducatif. On peut d'ailleurs dire la même chose au sein même du secteur éducatif et de l'entreprise.

Au point où nous en sommes aujourd'hui, rien ne serait plus dangereux que de corriger successivement la trajectoire suivie ou de rompre la continuité des actions entreprises. Cela pourrait susciter au mieux l'incompréhension et, au pire, le découragement.

Mes chers collègues, pour éviter les ruptures, toutes les forces de notre pays doivent agir de manière conjointe, convergente et continue.

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