Intervention de Pierre André

Réunion du 7 novembre 2006 à 9h45
Quartiers en difficulté — Débat sur les travaux d'une mission d'information commune

Photo de Pierre AndréPierre André, rapporteur de la mission d'information :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pendant ces dix mois, la mission commune d'information a travaillé dans un climat républicain, empreint de dignité et de responsabilité. Je tiens tout d'abord à en remercier son président, M. Alex Türk, ainsi que l'ensemble de mes collègues membres de la mission

Monsieur Türk, la feuille de route que vous nous aviez confiée était très claire. Il s'agissait de réaliser un travail sur plusieurs mois pour dresser le bilan le plus objectif possible des politiques qui ont été menées en faveur des quartiers en difficulté depuis une quinzaine d'années et de formuler les propositions qui semblaient intéressantes pour notre pays.

Il n'était pas question de constituer une quelconque commission d'enquête sur les événements qui se sont déroulés au cours de l'automne dernier, pas plus que de distribuer des bons points ou des mauvais points à tel ou tel gouvernement ou à tel ou tel ministre. Bien au contraire !

Nous avons sillonné une partie de la France, entendu plus de soixante personnes et rencontré des responsables dans l'Europe entière, de Barcelone à Londres, de l'Allemagne aux Pays-Bas, pour voir si notre politique en la matière était en retard et si nos partenaires européens avaient de meilleures solutions. Non, ils ne font pas mieux que nous ! Nos collègues des autres grandes villes européennes ont dit qu'ils pouvaient eux aussi, du jour au lendemain, être confrontés, dans les mêmes conditions, aux mêmes événements que ceux que nous avons connus l'automne dernier.

À l'issue de nos travaux, nous faisons aujourd'hui soixante-dix propositions qui concernent le logement, l'école, l'emploi, la cohésion sociale, la sécurité, les crédits et la gouvernance de la politique de la ville.

Nous avons eu pour souci, toutes tendances politiques confondues, de ne pas tomber dans le spectaculaire ou de proposer des solutions miracles. Si de telles solutions existaient, nous le saurions certainement déjà. Nous avons donc voulu apporter des réponses concrètes et réalistes.

Le consensus qui s'est dégagé au sein de la mission d'information constitue un signal fort adressé aux habitants des quartiers en difficulté et aux acteurs qui, tous les jours, se battent sur le terrain pour que la vie y soit meilleure.

J'en viens à présent au constat et aux propositions de la mission d'information.

Le constat général, nous le connaissons tous : une certaine dégradation de la situation économique et des politiques de peuplement menées depuis trente ans dans certains quartiers qui ont abouti à la constitution de ghettos urbains où se concentrent aujourd'hui toutes les difficultés. Je rappelle que le taux de chômage y est le double de la moyenne nationale.

Face à cette situation, nous avons estimé qu'un nouveau pacte de solidarité en faveur des quartiers devait se nouer autour de quatre axes prioritaires.

Le premier axe de ce pacte, le plus urgent, concerne la jeunesse.

Les quartiers en difficulté comptent, aujourd'hui, une proportion de jeunes très supérieure au reste du territoire. C'est donc, d'une certaine façon, l'avenir de notre pays qui s'y joue. Or la déscolarisation et le chômage touchent davantage les jeunes de ces quartiers puisque 36 % des jeunes âgés de quinze à vingt-cinq ans sont au chômage. C'est pourquoi notre première priorité doit être de faire en sorte que 100 % de ces jeunes soient occupés à travers un emploi, une formation, un service civil ou un contrat aidé. Aucun jeune ne doit rester au bord du chemin.

Pour ce faire, il faut les réconcilier avec le système scolaire, dont ils se sentent bien souvent rejetés. La mission d'information estime donc urgent d'améliorer l'offre scolaire dans les quartiers, notamment en plafonnant la taille des établissements, en rémunérant mieux les enseignants et en recrutant également de nouveaux intervenants pour encadrer les études, comme les retraités, les mères de famille ou les étudiants, afin d'aider ceux que nous appelons « les orphelins de seize heures trente ».

La mission estime indispensable de renforcer les liens entre l'école et les entreprises. Dans cet objectif, elle propose notamment de développer les programmes de parrainage avec les entreprises, de mettre en place dès le collège des modules de sensibilisation aux exigences de la vie professionnelle et d'organiser des stages en entreprises pour les enseignants et les personnels d'orientation.

Enfin, la mission propose la création d'un « compte mobilité emploi » pour permettre aux jeunes de ces quartiers en difficulté de postuler à des emplois sur l'ensemble du territoire national.

Le deuxième axe de ce pacte concerne le renforcement de la présence de l'État et des services publics dans les quartiers.

Les membres de la mission ont constaté, tout au long de leur étude, que, dans les quartiers les plus sensibles, la présence de l'État ne peut pas se limiter à celle des forces de l'ordre. Il faut que l'ensemble des services de l'État soient à nouveau présents dans ces quartiers.

Les maires des communes de France de plus de 10 000 habitants, consultés par écrit, mais aussi des responsables des associations, ont fait part de leur souhait d'avoir en face d'eux des référents policiers qui les écoutent, afin qu'une sécurité plus grande règne dans ces quartiers.

Je n'hésite pas à évoquer la présence de la police de proximité, à propos de laquelle un faux débat s'instaure. Car on donne l'impression de condamner un Premier ministre par rapport à un autre. Or, l'enjeu n'est pas là. Nous enfermer dans un tel raisonnement nous conduirait à coup sûr une nouvelle fois droit dans le mur.

Nous ne voulons pas une police de proximité telle que nous l'avons connue entre 1999 et 2002, période au cours de laquelle la délinquance, dans les quartiers difficiles, a enregistré une hausse de 14, 5 %, alors que, depuis quatre ans, elle baisse d'environ 8 %. Nous voulons une police qui vienne en complément de la police actuellement en place avec des moyens d'investigation efficaces.

En lisant la presse, ce matin, j'ai eu l'impression que s'engageait une nouvelle guerre des polices, que le Sénat ouvrirait les hostilités. Il n'en est rien.

Quelles propositions faisons-nous ?

Il faut réactiver la police de proximité, assurer des rémunérations et des perspectives de carrière valorisantes pour les policiers et les gendarmes intervenant dans les zones urbaines sensibles, développer une véritable coordination entre la police municipale et la police nationale, rappeler au parquet son rôle de direction de l'action de la police, ouvrir le service volontaire citoyen de la police nationale aux résidents étrangers, améliorer la formation des gardiens de la paix en prévoyant des modules ciblés sur la jeunesse et sur la lutte contre les discriminations, généraliser la pratique des référents policiers, prévue pour les établissements scolaires, les syndics de copropriété, les offices d'HLM ou les assistances sociales, améliorer la transparence des données en matière d'effectifs et de forces de l'ordre, généraliser la création de cellules de veille auprès des comités locaux de prévoyance de la délinquance dans les zones urbaines sensibles, publier le décret relatif à l'étude préalable de sécurité prévu par la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995 et développer des équipes de prévention spécialisées.

Telles sont nos propositions en matière de sécurité. Nous n'avons déclaré la guerre à personne. Notre unique volonté est de voir la population de ces quartiers vivre en sécurité, comme elle en a le droit.

Nous souhaitons qu'un signal fort soit adressé aux agents publics de ces quartiers afin que les professionnels les plus expérimentés - nous songeons, en particulier, aux enseignants et aux policiers - soient affectés dans ces zones.

Il n'est pas normal que ce soient les policiers et les professeurs les plus jeunes qui soient envoyés auprès de populations qu'ils ne connaissent pas et qu'ils cherchent ensuite à quitter au plus vite.

C'est pourquoi nous proposons que soit très fortement majorée l'indemnité de résidence des fonctionnaires affectés dans ces quartiers et que soient améliorées leurs perspectives de carrière.

Enfin, la présence de services publics de qualité est indissociable d'un maillage associatif dense, libéré de toutes les contraintes qui pèsent sur lui, en particulier de la chasse aux subventions.

À cet égard, madame la ministre, la création de l'Agence pour la cohésion sociale et l'égalité sociale, faisant suite aux anciennes procédures des contrats de ville, garantira aux associations la pérennité de leurs subventions pluriannuelles. C'est un progrès.

Le troisième axe de ce pacte, qui s'inscrit dans une ambition à plus long terme, est la redéfinition d'un projet urbain cohérent pour casser les ghettos.

Tous les acteurs s'accordent à dire que la création de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine a suscité sur le terrain une immense mobilisation et le grand espoir que la physionomie et les fonctionnabilités de ces quartiers s'améliorent enfin. C'est pourquoi la mission souhaite que les crédits de cette agence, qui s'élèvent à 30 milliards d'euros, ce qui représente un effort sans précédent, soient sanctuarisés, car elle devra faire face, dans les années à venir, à des besoins de financement très importants.

La mission désire qu'un travail de mémoire sur le patrimoine soit fait lors des destructions des immeubles, que les personnes qui perdent leur logement puissent se reloger dans les meilleures conditions possible, qu'un effort soit fait sur les loyers.

Il faut engager une réflexion, au cours des mois et des semaines à venir, sur des mesures nouvelles destinées à enrayer la dégradation des copropriétés concentrant des populations exclues du logement social, souvent parmi les plus pauvres, victimes des marchands de sommeil.

La rénovation urbaine ne doit pas se limiter à la démolition de logements. Elle doit être l'occasion d'accroître la mixité sociale et la mixité des fonctions urbaines, notamment en favorisant le développement économique des quartiers concernés.

À cette fin, la mission propose de créer des pôles de développement économique dans les quartiers en lançant des appels à projets bénéficiant de fonds publics et de fonds privés.

La réussite des zones franches urbaines, que le Gouvernement a bien voulu relancer, avec la création de plus de 60 000 emplois, montre qu'aucune fatalité ne s'oppose à la création d'entreprises ou d'emplois dans les zones les plus en difficulté.

S'agissant de la mixité sociale, des travaux récents ont démontré l'existence d'une faible mobilité résidentielle, qui accroît la ghettoïsation. Ce sont les personnes les plus fragiles qui arrivent dans ces quartiers et y restent alors que les autres poursuivent des trajectoires résidentielles vers d'autres quartiers.

C'est pourquoi la mission estime indispensable de permettre aux habitants d'effectuer des parcours résidentiels ascendants au sein des quartiers.

Une politique ambitieuse d'accession sociale à la propriété doit être mise en oeuvre. Elle pourrait passer, notamment, par des exonérations de droits de mutation ou par une majoration des prêts à taux zéro.

En outre, il est important de pouvoir, à l'occasion des opérations de rénovation urbaine, reconstruire des logements sociaux en dehors des quartiers qui en concentrent déjà le plus.

C'est pourquoi la mission insiste fortement sur le respect par les communes de leurs obligations en matière de construction de logements sociaux.

Enfin, toujours dans un souci de mixité sociale, elle propose de favoriser le retour des classes moyennes dans les quartiers par des incitations fiscales, à l'image de ce qui a été mis en place dans certains pays européens, notamment aux Pays-Bas.

Le dernier axe de ce pacte concerne l'invention d'une nouvelle gouvernance. Des observateurs ont dénoncé, au moment des émeutes, la « faillite de la politique de la ville » et ont évoqué les milliards investis depuis vingt ans, qui seraient partis en fumée.

Une telle analyse, qui est fausse, néglige deux faits très importants.

D'une part, cette politique, si elle a permis indéniablement de limiter les effets négatifs des processus de ségrégation, n'a jamais eu pour vocation de lutter contre les racines profondes du mal, faute de moyens.

D'autre part, alors que les autres politiques, celles de l'emploi, du logement, de l'éducation, auraient dû se concentrer prioritairement sur ces quartiers, nous avons constaté que, bien souvent, les crédits de la politique de la ville se substituaient à ceux des autres ministères. Or, c'est là l'inverse de l'objectif que l'on cherche à atteindre.

C'est pourquoi il faut impérativement inventer les outils qui permettront cette nouvelle gouvernance de la politique de la ville : à l'avenir, toutes les politiques mises en oeuvre devront inclure, en faveur de ces quartiers, un effort particulier et permanent, qui ne soit plus limité aux seules périodes de crise. Pour cela, nous proposons plusieurs mesures.

Nous souhaitons, tout d'abord, confier la responsabilité des quartiers en difficulté à un ministre d'État, qui serait ainsi compétent pour l'aménagement du territoire, la ville et le logement. Madame la ministre, quelle belle promotion s'offre à vous !

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