Intervention de Jacques Mahéas

Réunion du 7 novembre 2006 à 9h45
Quartiers en difficulté — Débat sur les travaux d'une mission d'information commune

Photo de Jacques MahéasJacques Mahéas :

En réalité, les postes non pourvus dans ce département s'élèvent à 500. Même mon collègue sénateur-maire des Pavillons-sous-Bois déplore des sous-effectifs dans le commissariat de sa commune. À Neuilly-sur-Marne, il manque au moins une vingtaine de policiers.

Madame la ministre, mes chers collègues, en quoi la situation des quartiers en difficulté s'est-elle concrètement améliorée depuis un an ?

Au contraire, nous ne pouvons que constater l'échec de la politique du Gouvernement dans ce domaine, à en juger par les nouveaux épisodes de violence auxquels nous avons assisté ces jours derniers : agressions contre les forces de l'ordre, « caillassages » et incendies de voitures et de bus. Rien n'a été plus terrible, un an après les émeutes, d'avoir de nouveau à déplorer de tels incidents, dans des villes, comme la mienne, où les élus et les agents municipaux se sont tous mobilisés.

Au demeurant, l'élément déclencheur, ce fut l'arrivée soudaine, vers vingt-trois heures, d'un hélicoptère, qui n'a rien trouvé de mieux que de braquer ses projecteurs sur nos cités ! Aussitôt après cette provocation évidente, les jeunes ont voulu se venger et ont malheureusement commis des actes criminels, que nous condamnons fermement, car rien ne doit entraver la paix civile et l'ordre républicain.

Pourtant, ce serait faire outrage à ces quartiers que de les cantonner à une misère qui ne trouverait d'exutoire que dans la violence. J'étais présent lors de la remise des « cahiers de doléances » par le collectif ACLEFEU, qui a été créé à Clichy-sous-Bois en réaction aux événements de l'an passé. Cet acronyme signifie « Association, collectif, liberté, égalité, fraternité, ensemble, unis ».

L'inscription de notre devise républicaine au coeur de ce nom traduit bien un espoir que nous ne devons pas décevoir. Le collectif s'est rendu dans 120 villes et a recueilli 20 000 constats. Une telle démarche constructive a été l'occasion d'un dialogue qu'il nous faut absolument poursuivre, même si nous ne sommes pas d'accord avec toutes les propositions que formule ACLEFEU.

Toutes ces personnes méritent mieux que des promesses non tenues et une énième loi sécuritaire, à l'image du texte relatif à la prévention de la délinquance que nous avons examiné en première lecture en septembre dernier et dont tout porte à croire qu'il sera encore « durci » par l'adoption d'amendements supplémentaires.

En ce sens, la création de la mission sur les quartiers en difficulté avait un grand intérêt, chercher à dépasser les événements récents pour dresser un bilan des politiques menées et pour envisager l'avenir. Nous avons ainsi procédé à de nombreuses auditions et effectué des visites de terrain.

Ce travail important a donné lieu à un rapport imposant, contenant 72 propositions. À l'origine, il n'y en avait que 63, mais mes collègues et moi-même, socialistes et apparentés, nous nous sommes élevés contre certaines d'entre elles, d'inspiration trop libérale. Nous avons ainsi rejeté ce qui relevait d'une vision « utilitaire » de l'école. Nous avons également refusé ce qui nous semblait trop stigmatisant, à l'instar de cette proposition aberrante de créer un secrétariat d'État à la Seine-Saint-Denis ! Nous n'avons pu faire valoir toutes nos positions. C'est pourquoi nous nous sommes abstenus lors du vote du rapport, même si nous nous félicitons des avancées obtenues.

Pour notre part, il nous paraissait également essentiel de faire inscrire parmi ces propositions la lutte contre la violence scolaire, dont la recrudescence est très inquiétante. Nous avons donc fait préciser dans le rapport que le développement des structures d'accueil de la petite enfance doit se faire « en coordination avec les écoles maternelles ». Cependant, nous envisageons d'aller plus loin, en créant un véritable service public de la petite enfance.

Nous sommes également satisfaits par la réforme envisagée de la dotation de solidarité urbaine, la DSU : à notre sens, elle devrait se traduire par une véritable péréquation des communes les plus riches vers celles dont le potentiel financier est le plus faible. Nous avons ainsi souhaité que des crédits supplémentaires financent le traitement préventif des copropriétés dégradées et la lutte contre l'habitat indigne.

Nous ne pouvons qu'approuver M. le rapporteur quand il en appelle, dans son rapport, à une application stricte de la mixité sociale dans la construction de logements sociaux, reconnaissant ainsi le bien-fondé de l'article 55 de la loi SRU, pourtant fort malmené par la majorité qui a encore cherché à en détourner le principe lors des récents débats sur le projet de loi portant engagement national pour le logement.

Et que dire de la mise en oeuvre de la loi dans une commune comme Neuilly-sur-Seine, contre-exemple absolu de mixité sociale ! En effet, dans cette commune, le taux de logements sociaux, l'un des plus bas de France, plafonne à 2, 6 %, ce qui est très éloigné de l'objectif des 20 %.

Conscients de la situation d'enclavement de certains quartiers, nous nous réjouissons que l'on fasse de nouveau appel à l'État pour financer des projets de transports en commun desservant les zones urbaines sensibles, contrairement à l'orientation prise par le ministre des transports à partir du moment où M. Raffarin est devenu Premier ministre.

Enfin, comment ne pas se féliciter de ce que la police de proximité, plébiscitée par les élus, redevienne une priorité, n'en déplaise à l'actuel ministre de l'intérieur, qui avait mis fin à cette action dès 2003, après une visite musclée aux policiers de Toulouse, auxquels il avait assené qu'ils n'étaient pas des travailleurs sociaux ?

Sur le terrain, la validité de ce choix est quasi unanimement démenti, car les élus, comme la population, savent bien qu'une politique de sécurité reposant sur le travail de proximité et la prévention est absolument nécessaire, à condition de lui laisser le temps de porter ses fruits. Dans ma ville, grâce à cette police de proximité, à la fin 2002, le dialogue était établi entre les jeunes et les policiers. Aujourd'hui, en revanche, nous assistons à des « caillassages » systématiques à l'encontre des forces de police. Cherchez l'erreur !

Au-delà de ces motifs de satisfaction, nous estimons que d'autres propositions que nous avions faites mériteraient d'être retenues.

Ainsi, selon nous, l'éducation doit être une priorité absolue, ce qui nous conduit à penser que la scolarisation devrait être obligatoire dès l'âge de trois ans dans les zones d'éducation prioritaire et qu'il faudrait accueillir les enfants dans les écoles dès l'âge de deux ans.

À cet égard, je souhaite balayer l'idée reçue selon laquelle l'éducation coûte plus cher dans les ZEP qu'ailleurs. Ce n'est pas exact ! Au contraire, l'éducation dans les ZEP coûte moins cher, ne serait-ce que parce que les enseignants y sont plus jeunes et reçoivent une rémunération inférieure en moyenne de 30 % par rapport aux autres secteurs scolaires.

Nous proposons d'ailleurs de remettre à plat tout le système des ZEP, en renforçant les moyens financiers, en diminuant le nombre d'élèves par classe, en formant spécialement les enseignants, en leur offrant des perspectives d'évolution de carrière, ce qui est prévu partiellement dans le rapport, et en leur donnant, grâce à l'aménagement des locaux, les moyens de rester plus longtemps dans les établissements.

Nous souhaitons également prendre en compte la mixité sociale dans les dotations accordées aux écoles privées sous contrat et supprimer la participation financière des communes pour les élèves scolarisés dans un établissement privé situé hors de la commune de résidence.

En outre, il faudrait implanter des classes préparatoires aux grandes écoles dans les établissements sensibles.

Pour que la solidarité urbaine soit effective, établissons une réforme ambitieuse des dotations de l'État et de la fiscalité locale, permettant aux communes pauvres de bénéficier de mesures d'urgence et d'une péréquation financière importante.

Instaurons également un « pacte de solidarité urbaine » pour les agglomérations les plus défavorisées, comprenant des objectifs chiffrés et concentrant les moyens de l'État comme des collectivités.

Enfin, élaborons un plan d'urgence pour la Seine-Saint-Denis en dotant ce département de moyens financiers à la mesure des difficultés qu'il peut rencontrer.

Comme je l'ai déjà dit à propos du rétablissement de la police de proximité, il convient de mener une politique de sécurité où la prévention retrouverait toute sa place.

Afin de lever les doutes qui pèsent sur les chiffres de la délinquance, il est grand temps de supprimer les mains courantes et de simplifier le dépôt de plainte.

Vous vous gargarisez de l'amélioration des chiffres de la délinquance. Malheureusement, l'Office national de la délinquance, dont je suis membre, dit exactement le contraire. Selon une enquête de victimisation, 500 000 cas ont été classés en main courante, c'est-à-dire non comptabilisés, alors qu'ils auraient dû faire l'objet d'un dépôt de plainte.

Il n'y a donc pas de diminution de la délinquance - que j'aurais évidemment applaudie des deux mains - mais, hélas, une augmentation de ce phénomène.

Il faudrait aussi établir un plan gouvernemental ambitieux de prévention précoce de la violence, comprenant notamment des cellules de veille éducative, assurant l'application réelle des mesures éducatives et des sanctions prononcées à l'encontre de mineurs, ainsi que la promotion des alternatives à la prison - développement de centres d'éducation, de chantiers d'apprentissage et d'insertion pour éviter la récidive - et des sanctions par le travail d'intérêt général. En effet, ce dispositif n'existe plus dans nos communes, contrairement à ce que l'on observait il y a une dizaine d'années.

Dans le même temps serait instauré un plan de lutte contre les violences conjugales et familiales, et pour la protection de l'enfance et de l'adolescence en danger.

Améliorer la situation des quartiers en difficulté passe également par la reconnaissance d'un droit au logement. Nous proposons de réaliser 120 000 logements sociaux par an, intégrés dans les villes, et non situés en dehors, comme dans la situation actuelle où, bizarrement, trop de logements demeurent vacants.

Dans l'esprit du respect du principe de mixité sociale, réaffirmé dans le rapport, il faut absolument accroître les sanctions contre les communes qui ne respectent pas le taux de 20 % de logements sociaux. Nous prévoyons aussi de contraindre les programmes immobiliers privés à consacrer un quart de leurs opérations à la production de logements sociaux sur les territoires qui en manquent.

Par ailleurs, une véritable politique d'accession à la propriété doit être relancée.

Pour lutter contre le chômage qui frappe durement ces quartiers, nous devons nous fixer comme objectif l'offre d'emplois de qualité pour tous, et particulièrement pour les jeunes. Cela passe par un programme d'entrée dans la vie active et par la relance des emplois jeunes, dont le rôle était indispensable dans bien des associations et établissements scolaires, mais aussi par le maintien ou la création de services publics de qualité et le soutien actif de l'économie sociale et solidaire, notamment par le biais des entreprises d'insertion.

Actuellement, à Neuilly-sur-Marne, une entreprise d'insertion spécialisée dans la restauration attend toujours la subvention d'État de 90 000 euros qu'elle devait recevoir au titre de l'année 2006. De telles pratiques ne laissent pas d'étonner. Pour ma part, je suis tout à fait favorable à la délivrance et au maintien de ces subventions pendant trois ans, comme le propose M. le rapporteur.

Enfin, il importe de renforcer la cohésion sociale, en augmentant notablement l'aide aux associations et en confortant de façon particulière la position des mouvements associatifs sportifs, culturels et d'éducation populaire dans les instances de concertation et de décision.

Nous proposons ainsi la création de 500 « maisons de la citoyenneté » avec l'aide de l'État, notamment à partir du réseau des centres sociaux et socioculturels, afin de développer les initiatives collectives et individuelles, en commençant par les quartiers en difficulté.

Or que se passe-t-il actuellement ? Ce gouvernement, hélas, plombe les quartiers !

Pardonnez-moi, madame la ministre, de citer encore le cas de ma ville.

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