Intervention de Raymonde Le Texier

Réunion du 7 novembre 2006 à 9h45
Quartiers en difficulté — Débat sur les travaux d'une mission d'information commune

Photo de Raymonde Le TexierRaymonde Le Texier :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après plusieurs mois d'auditions, de déplacements, de rencontres et d'échanges, le constat de cette mission d'information commune peut se résumer en ces termes : les quartiers difficiles sont devenus des ghettos urbains, dans lesquels vivent ceux qui n'ont pas les moyens d'aller ailleurs. La ségrégation spatiale devient exclusion sociale, et l'accumulation des difficultés interdit aux habitants de se projeter dans l'avenir.

Un an après les émeutes de 2005, la situation n'a pas évolué. La mixité sociale reste un mythe, les habitants sont désabusés et de plus en plus désespérés. Non seulement ils souffrent de l'accroissement des inégalités, et sont les principales cibles des violences qu'elles soulèvent, mais ils sont en plus victimes de la stigmatisation que cette violence récurrente engendre dans la société.

On n'a jamais autant parlé d'égalité des chances ; pourtant la machine à exclure tourne à plein régime. C'est parce que ces habitants en sont bien conscients que, régulièrement, leurs quartiers explosent. En effet, aujourd'hui comme hier, la violence se nourrit du désespoir.

Comment arrêter de fabriquer de la pauvreté ? Voilà la seule question qui mérite d'être posée, mais elle n'est toujours pas au coeur de l'action politique.

Les jeunes de nos banlieues désirent ce que souhaitent tous les jeunes : acquérir un logement, trouver un travail, à terme fonder une famille. Ils veulent les mêmes chances de réussite, quels que soient leur quartier ou leur origine.

Le travail effectué par la mission d'information commune est-il en mesure de changer réellement les choses ? Nous le souhaitons tous ardemment, j'en suis convaincue, mais il est permis d'en douter. En effet, il ne semble pas que le Gouvernement soit résolu à déployer sur le terrain les moyens nécessaires : un catalogue de préconisations ne fait pas une politique, et les bonnes intentions affichées ne se traduisent pas en priorités d'action.

Plus qu'un catalogue de propositions, c'est un véritable pacte républicain qu'il est temps de promouvoir. L'État doit réinvestir massivement dans les quartiers ; s'il lui faut une feuille de route, qu'il se fie à l'expérience des élus de banlieue !

Tous les parlementaires de la mission d'information commune considèrent qu'il faut des moyens spécifiques en Seine-Saint-Denis. La situation n'est pas nouvelle : les élus tirent la sonnette d'alarme depuis des années. Pourquoi avoir attendu pour agir ? Depuis combien de temps le maire de Clichy-sous-Bois demande-t-il un commissariat, une CAF, une ANPE ? Parler de la République dans les quartiers, c'est d'abord la faire exister au quotidien.

Tous les élus auditionnés, quelle que soit leur couleur politique, regrettent la suppression de l'îlotage et réclament le retour d'une police de proximité, qui crée un autre rapport police-habitants, et permet un rappel quotidien à la loi. Qu'attendons-nous pour réintégrer les îlotiers dans des locaux qui existent toujours, mais qui sont vides ?

Que de temps perdu à cause d'un ministre, tout-puissant, qui, débarquant dans ses fonctions, choisit de défaire ce qui a été mis en place avant lui, sans prendre le temps de réfléchir ou d'écouter les acteurs de terrain !

En matière de logement, je citerai deux chiffres du rapport, qui sont emblématiques de la situation.

« En région parisienne, 5 % des communes détiennent 75 % du parc social. » Ainsi, à Sarcelles ou à Villiers-le-Bel, le parc immobilier est constitué à 60 % de logements sociaux ; celui de Neuilly-sur-Seine, au contraire, en compte moins de 3 %. Là encore, est-il besoin de philosopher sans cesse ? Combien de temps faudra-t-il attendre pour que la loi soit appliquée ? Comment éviter la multiplication des ghettos, si l'on ne se montre pas coercitif en la matière ?

« On estime aujourd'hui à 600 000 le nombre de logements situés dans des copropriétés en difficulté. » Le rapport de la mission d'information commune fait état de diverses mesures, souvent pertinentes, pour leur venir en aide. Il faut savoir que, si ces familles deviennent propriétaires alors qu'elles n'ont pas les moyens de faire face aux charges d'entretien de leur copropriété, c'est que, paradoxalement, leurs revenus sont trop bas pour accéder à la location dans le parc social. L'inadéquation entre les revenus des habitants et les conditions d'accès au logement social est, en effet, de plus en plus forte.

La montée de l'échec scolaire dans les banlieues constitue un autre facteur d'inquiétude, alors que l'éducation est la base de toute intégration réussie. La description d'expériences menées dans des quartiers pauvres aux États-Unis ou en Grande-Bretagne montre que le fait de baisser les effectifs des classes à quinze élèves et d'y adjoindre plusieurs encadrants - notamment un qui est chargé d'assurer le lien entre l'école et les parents - a des répercussions très positives sur la réussite scolaire des enfants, comme sur leur comportement à l'école et hors de l'école. Ne peut-on s'inspirer de ces études pour renouveler notre approche de l'éducation en zone urbaine sensible ?

Il est aujourd'hui temps de réinvestir ce lieu privilégié qu'est l'école dans les ZEP. Cela concerne autant la baisse des effectifs pour mieux apprendre que l'augmentation de l'encadrement adulte pour apprendre à être.

Que dire encore des discriminations que subissent les habitants des quartiers ! À compétences égales, il est extrêmement difficile de trouver un travail ou un logement, quand on n'a ni le bon nom, ni la bonne couleur, ni la bonne adresse. Or les discriminations de tous ordres sont insupportables. Ce sont des injustices quotidiennes, qui détruisent l'estime de soi et ne peuvent à terme que provoquer l'agressivité, voire susciter la haine.

Il est plus que temps d'agir. C'est là où s'accumulent toutes les inégalités que doivent se concentrer les actions les plus volontaristes. Il faut donner plus de capital public à ceux qui n'ont pas de capital privé.

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