Intervention de Jean-Claude Peyronnet

Réunion du 7 novembre 2006 à 9h45
Politique de sécurité menée depuis 2002 — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jean-Claude PeyronnetJean-Claude Peyronnet :

M. le ministre de l'intérieur a une lourde responsabilité personnelle, pleine et entière, dans ce qu'il faut bien appeler sa déroute.

C'est un échec d'une extrême gravité pour la société française et il sera très difficile et très long de rattraper l'accumulation de ses erreurs. C'est ce que je vais essayer de démontrer.

La tâche du ministre d'État, je le reconnais, n'était pas facile.

Comme ses prédécesseurs depuis vingt-cinq ans, il est confronté à une évolution qui a vu disparaître un certain nombre de repères, garants de la paix civile.

Les jeunes ne sont plus encadrés comme ils ont pu l'être dans ma jeunesse et même probablement dans la sienne. La progression de l'individualisme rend de plus en plus difficile la vie des associations conviviales, éducatives ou même sportives. L'évolution des moeurs, les difficultés économiques des familles aggravées par la multiplication des divorces et des situations de monoparentalité, ont tendance à libérer trop tôt les jeunes des interdits imposés naguère par leurs parents, lesquels, surtout s'ils sont au chômage, ne peuvent plus prétendre prêcher par l'exemple les vertus de l'effort et du travail.

Les activités périscolaires ne sont plus guère assurées par les maîtres, et encore moins par les associations paroissiales. Mais d'autres enseignements culturels ou religieux peuvent diffuser, avec grand succès, un message de rupture.

Dans ce cas, la révolte naturelle des adolescents contre leurs parents rencontre la perte d'identité : les parents venus d'ailleurs ont tout fait pour s'intégrer dans la société française, même si celle-ci ne faisait guère d'efforts dans leur direction. Les jeunes, en contestant l'autorité parentale, ce qui est fréquent à un certain âge, se trouvent en contestation avec le modèle social dans lequel leurs parents voulaient se fondre.

Tout cela ne serait pas grave si nous vivions dans une société de plein-emploi, mais, dans une cité qui compte 25 % ou 40 % de chômeurs, l'inactivité nourrit la révolte.

L'urbanisme des années soixante a concentré les nouveaux arrivants en les rejetant à la périphérie des grandes villes et, dans ces concentrations d'immeubles et de populations, rien n'était prévu, rien n'était imaginé, sinon le repos chez soi après une journée de travail.

Mais il n'y a plus de travail et rien à faire ou à voir dans la rue ou le square. C'est sûrement là une des causes de la difficulté d'être des jeunes des quartiers.

Cependant, l'ambivalence est totale puisque ce type d'urbanisme, désormais critiqué et condamné par tous, a malgré tout entraîné chez les jeunes un sentiment d'appartenance à un territoire auquel ils s'accrochent, qui est le leur et qu'ils défendent.

Décidément, la France des villages et des quartiers, avec son instituteur respecté et son prêtre, qui connaissait tous les habitants, même ceux qui ne fréquentaient pas son église, son policier ou son gendarme, connu et craint de tous, cette France-là relève d'un monde que nous avons définitivement perdu.

Et la nouveauté de ces dix dernières années est que cette ghettoïsation ne veut plus dire isolement. La rapidité de l'information, par la radio, par Internet, par le téléphone portable surtout, ouvre les territoires sur le monde et leur apprend quasi en direct ce qui se passe à l'autre bout de la planète, mais aussi dans le quartier voisin ou dans la rue proche, ce qui peut prendre valeur d'émulation, d'exemple et, quelquefois, de mauvais exemple.

Cette situation est connue, bien identifiée, et elle constitue, par conséquent, la difficulté de la tâche du ministre de l'intérieur. Ses prédécesseurs l'ont tous abordée avec prudence et humilité. La différence avec eux est que M. Sarkozy l'a fait avec une certaine brutalité et quelquefois même avec arrogance, voulant corriger les dérives dans la précipitation par la certitude de résultats rapides. C'est, bien sûr, le contraire qu'il fallait faire et c'est la cause profonde de son échec.

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