Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la question de notre collègue Jean-Claude Peyronnet portant sur le bilan de la politique de sécurité menée depuis 2002 est bien évidemment à regarder à la lumière des récents événements qui se sont produits dans une partie du pays, un an après ce que l'on appelle communément la « crise des banlieues » de novembre 2005.
Les délits commis à l'occasion de ces événements, si dramatiques, si condamnables soient-ils, viennent, une fois de plus, confirmer l'échec de la politique du ministre de l'intérieur et du Gouvernement tout entier tant sur le plan sécuritaire, certes, que sur le plan économique et social.
Force est de constater que cette politique, aussi libérale que répressive, a conduit le pays dans une impasse, et ce en moins de cinq ans.
Comment expliquez-vous en effet, monsieur le ministre délégué, vous qui représentez dans cet hémicycle un ministre d'État une fois de plus absent, que l'on en soit arrivé à la situation que l'on connaît aujourd'hui, alors que vous êtes aux commandes du pays depuis plus de quatre ans ; alors que vous avez toutes les cartes en main ; alors que l'on ne compte plus le nombre de lois modifiant notre dispositif pénal que ce gouvernement a fait voter par sa majorité parlementaire au nom de la lutte contre l'insécurité ; alors que Nicolas Sarkozy a occupé au sein du Gouvernement tour à tour les postes de ministre de l'intérieur et de ministre des finances, quand il ne s'est pas pris pour le ministre de la justice ?
Qu'en est-il aujourd'hui, alors que Nicolas Sarkozy a eu toute latitude depuis 2002 pour légiférer, pour adresser des circulaires aux préfets, pour dicter sa politique aux forces de l'ordre et ainsi de suite ? C'est l'échec !
Alors, pourquoi un échec si manifeste ?
Serait-ce à cause des magistrats, boucs émissaires tout trouvés, jugés trop laxistes et donc responsables, selon Nicolas Sarkozy, de la situation actuelle, singulièrement en ce qui concerne le traitement de la délinquance des mineurs ? Non ! D'ailleurs, un récent rapport a salué le travail de ces juges. De plus, il faut savoir que le taux de réponse pénale dans les affaires où sont impliqués des mineurs est supérieur au taux de réponse pénale dans les affaires où sont impliqués des majeurs, ces taux étant respectivement de 85 % et de 77 % en 2005.
Serait-ce alors à cause de l'ordonnance de 1945, qui organiserait l'impunité des mineurs ? Non ! D'ailleurs, la justice des mineurs prend un tour de plus en plus répressif. Les sanctions sont de plus en plus lourdes ; le nombre de mineurs en prison est en hausse.
Le principal défaut de cette ordonnance, qui offre au juge un large éventail de mesures, est le manque cruel de moyens humains et matériels qui empêche sa bonne application, essentiellement pour ce qui concerne sa partie éducative. C'est en raison de cette carence de moyens que ce texte est très partiellement appliqué, ce qui fait dire à ses détracteurs que l'ordonnance est inefficace et que, par conséquent, il convient de la réformer.
Or, rapprocher le droit pénal des mineurs de celui des majeurs, comme le veut la droite, n'est qu'un pis-aller, une solution simpliste et démagogique censée rassurer l'opinion publique.
Serait-ce enfin à cause des politiques menées avant l'actuel ministre d'État ? Non ! Ce raisonnement serait trop facile et très réducteur.
Les raisons, multiples, de cet échec sont ailleurs.
Loin de répondre aux inquiétudes, légitimes, de nos concitoyens en matière de sécurité - d'ailleurs, est-ce vraiment l'objectif du ministre de l'intérieur ? Permettez-moi d'en douter ! - la politique pénale qu'il mène, axée essentiellement sur la répression, se révèle pour ce qu'elle est, à savoir injuste et inefficace.
Les choix incohérents du ministre d'État en matière de sécurité, tels que la suppression de la police de proximité, le déploiement de CRS dans les quartiers jugés sensibles, n'ont pas fait reculer les violences, loin s'en faut.
En revanche, ils ont conduit à une stigmatisation de la population, à un véritable harcèlement des jeunes des quartiers populaires, soumis à d'incessants contrôles d'identité, voire à des humiliations.
Or, on le sait, la seule répression ne peut pas tout régler.
Vous aurez beau démultiplier les réformes pénales, augmenter autant que vous le voudrez le quantum des peines, accroître le nombre de places en prison, rien n'y fera, si la répression, qui est nécessaire, ne s'accompagne pas d'une politique globale de prévention, d'une politique économique et sociale digne de ce nom.
Je le dis haut et fort pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté quant à mes propos : je condamne avec la plus grande fermeté tout acte violent - en cet instant, comment ne pas penser à cette jeune Marseillaise encore entre la vie et la mort ? - comme je condamne tout incendie et toute destruction de biens, publics et privés, d'autant que les premières victimes de ces actes sont les populations qui sont déjà les plus défavorisées, les plus précarisées, celles qui subissent de plein fouet les injustices de la « mal vie » et les effets de votre politique libérale, monsieur le ministre délégué.
En effet, ainsi que vous l'aurez constaté, les émeutes se font très rares à Neuilly-sur-Seine ou, d'ailleurs, à Nice !
Les auteurs de ces actes doivent être punis. C'est une évidence. Cependant, à chaque infraction commise, il faut une réponse - mesure éducative, réparation, sanction - permettant de donner des repères à des jeunes qui n'en ont plus, ni au sein de la cellule familiale, ni à l'école.
Pour qu'elle soit comprise et efficace, la sanction doit être individualisée, en opposition au traitement global qu'est l'enfermement, lequel doit demeurer autant que faire se peut l'ultime recours. La sanction, qui doit être proportionnée à la gravité de l'acte, devrait toujours prendre place au sein du triptyque « prévention, dissuasion, sanction-réparation ».
Ce n'est évidemment pas la voie choisie par le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, qui privilégie la « surveillance » et la « punition », comme si elles allaient permettre à la France de se mettre à l'abri des flambées de violence qui l'assaillent.
La répression ne permet de prévenir ni le passage à l'acte délictuel, ni la récidive.
En réalité, la crise des banlieues permet au ministre de l'intérieur de justifier sa politique sécuritaire et de susciter le rappel à l'ordre. Dans ce climat de pré-campagne électorale, lui-même, le Gouvernement et la majorité parlementaire, aimeraient imposer leur thème favori, celui de l'hystérie sécuritaire, comme en 2002. Cependant, cette stratégie de la tension est très dangereuse, je l'ai déjà dit.
La droite porte une grande responsabilité dans la violence de ces derniers jours en répondant à la violence par la violence et la provocation ; surtout, elle n'a rien fait, ni, depuis 2002, pour les jeunes, les quartiers et les populations qui y vivent, ni, a fortiori, depuis novembre 2005, pour apporter des solutions aux problèmes de ces quartiers.
La motivation sociale des auteurs des émeutes de novembre 2005 ne peut plus être niée, non plus que le fait que l'on avait affaire non pas à des voyous tous connus des services de police, mais à des primo-délinquants. L'effusion de violence de l'automne 2005 a bel et bien traduit une crise profonde qui trouve son essence dans des mesures toujours plus inégalitaires faisant le jeu du libéralisme et dans l'abandon des politiques publiques volontaires.
Malgré les efforts du ministre de l'intérieur pour l'occulter, le débat sur la question sociale, sur le chômage de masse et l'inégalité d'accès des jeunes des quartiers populaires au marché du travail, s'est imposé à l'issue de la crise de l'an dernier, débat qui a mis en lumière l'exigence de changements radicaux au profit d'une politique de cohésion, d'intégration et de solidarité en faveur des hommes et des territoires, là où le Gouvernement n'a su qu'apporter une réponse policière à de lourds problèmes sociaux.
Alors que l'on était en droit d'attendre des réponses permettant une politique porteuse de justice sociale et de respect mutuel, ce gouvernement a répondu dans un premier temps par la répression, puis par l'extension des zones franches, le retour du travail des enfants, avec l'apprentissage à quatorze ans, et le fameux CPE.
Un an après les violences urbaines de 2005, force est d'admettre que les inquiétudes, les questions, les colères, sont toujours là. Les problèmes qui ont conduit à cette situation de crise demeurent : le chômage, la précarité, la dégradation de l'habitat, la ghettoïsation, l'éclatement des ZEP, la réduction des subventions accordées aux associations de terrain, la fermeture des services publics de proximité, l'étranglement financier des collectivités en raison de transferts de charges non compensés par l'État, les discriminations, et ma liste n'est pas exhaustive.
Aucune réponse sociale n'a été apportée au profond malaise qui s'est exprimé alors. Au contraire, l'UMP et le MEDEF en ont même profité pour poursuivre leur politique injuste au mépris de la population, tout en accroissant le climat sécuritaire et en aggravant les communautarismes.
Que sont devenues les promesses faites à l'époque par M. de Villepin ? Où est passé son « plan d'urgence pour l'emploi » ? Quid des propositions avancées par le président du conseil général de Seine-Saint-Denis le 15 novembre 2005, en pleine crise des banlieues, pour répondre à l'urgence sociale et aller vers plus de justice et de dignité ?
On le voit, rien de significatif n'a été fait depuis l'an dernier. Si, pardon ! Nous avons eu la loi CESEDA, modifiant le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance et celui qui instaure, entre autres, la privatisation de GDF : autant de textes qui nous offrent un florilège de certitudes libérales, d'atteintes aux libertés et d'attaques contre le service public !
En revanche, les inégalités à l'origine de la colère sont toujours là, et, surtout, elles s'aggravent d'année en année. J'en veux pour preuve l'enquête menée par le président de l'Observatoire des inégalités. Les petites phrases, les effets d'annonce et les provocations sont également toujours présents, sans parler des descentes de police dans les cités qui se font sous les feux des projecteurs.
Pour résumer, le bilan de la politique de sécurité menée depuis 2002 par la droite est assez éloquent : on assiste à des flambées de violence comme le pays en a rarement connu. Le malaise et le mécontentement grandissent dans la population, singulièrement celle des quartiers dits sensibles, et surtout chez les jeunes, même si l'on ne souscrit pas à la forme que prend leur colère.
Mais comment pourrait-il en être autrement ? Peut-on sincèrement penser que l'aggravation de la précarité, la privatisation de pans entiers de la vie sociale, économique et culturelle, le racisme et les humiliations permanentes, n'auraient aucune conséquence sur toute une génération ?
Le mécontentement gagne aussi les forces de l'ordre, en sous-effectif chronique dans les zones dites sensibles, malgré ce que vous nous avez dit ce matin, monsieur le ministre délégué, ces forces de police qui se font agresser sur le terrain et paient ainsi, d'une certaine manière, le prix des propos tenus par leur ministre de tutelle.
Il faut arrêter la surenchère sécuritaire, qui est contre-productive et dangereuse pour tout le monde.
Il faudrait un grand débat public sur l'utilisation démocratique des forces de police : quelle police pour quel usage ?
Si le maintien de l'ordre est nécessaire, en revanche, telle ne peut être l'unique voie à suivre en matière de sécurité. Le recours aux BAC, aux CRS et aux GIR ne suffira pas à tout régler. Il faut rétablir une police de proximité en y apportant certaines adaptations tirées de l'expérience passée. Chacun ici doit se rappeler tout l'intérêt du travail de l'îlotage. Il faut renouer le dialogue entre les policiers et la population et mettre à nouveau en place un travail de discussion avec les associations de locataires, les associations sportives et culturelles. Il faut contribuer à apaiser les tensions, à retisser le lien social.
Nous avons besoin d'une police républicaine, respectée et formée.
Pour cela, il faut arrêter d'affecter dans les quartiers les plus difficiles les jeunes fonctionnaires tout juste sortis de l'école de police et fidéliser ceux qui, par leur expérience de terrain, ont acquis une bonne connaissance des quartiers les plus difficiles ; il faut revoir la répartition des effectifs de police sur le territoire, qui est inchangée depuis cinquante ans, arrêter la culture du chiffre, cette politique du rendement axée sur la seule répression, dangereuse pour tous et qui fait peser sur les forces de l'ordre une forte pression hiérarchique.
Le ministre de l'intérieur ne va pas s'en tirer, cette fois-ci, en érigeant en vérités avérées des cas particuliers souvent horribles, ou grâce à ses pirouettes habituelles, lui qui n'hésite pas à énumérer les chiffres qui font l'éloge d'une politique sécuritaire, à annoncer des mesures législatives destinées à durcir encore le dispositif pénal français ou encore à proposer d'amender le texte sur la prévention de la délinquance, le tout sous couvert du sempiternel leitmotiv qui lui est cher - « je dis tout haut ce que d'autres pensent tout bas » - et qui tourne, selon la version, soit à la fanfaronnade, soit au populisme le plus primaire et, donc, le plus dangereux.
À chaque incident dans le pays, la réponse est un article du code pénal ou du code de procédure pénale.
Or, ce n'est pas de cela qu'ont besoin nos concitoyens. Le sujet est trop sérieux, la situation trop grave, pour que l'on puisse se laisser aller à des querelles stériles sur les chiffres de la délinquance, chiffres que chacun interprète d'ailleurs à sa façon, ou à des discours d'autosatisfaction en pleine campagne électorale.
Ce que nous attendons cette fois-ci de la part du Gouvernement, ce sont des annonces concrètes en termes de logement, de santé, d'amélioration de l'habitat, de services publics de proximité en milieu urbain comme en milieu rural, d'éducation, de loisirs, de lutte contre les discriminations, de police de proximité, bref, tout ce qui est susceptible de reconstituer le lien social, afin que le « vivre ensemble » soit plus que des mots.
À mon sens, le tissu social ne pourra se reconstituer qu'au prix de réformes radicales et d'une véritable ambition sociale, mais cela suppose bien évidemment l'octroi des moyens financiers adéquats et, surtout, une réelle volonté politique.
Tel est le prix à payer pour enrayer la spirale de la violence et de l'insécurité engendrée par le fonctionnement même de notre société.
Hélas, à regarder le projet de budget de la France pour 2007, actuellement examiné à l'Assemblée nationale, force est de constater que telle n'est pas la priorité de ce gouvernement, qui se préoccupe davantage d'éponger la dette publique et de supprimer des postes de fonctionnaires que d'apporter des réponses ambitieuses et à la hauteur des besoins qui s'expriment.