Intervention de Thierry Repentin

Réunion du 7 novembre 2006 à 16h00
Politique de sécurité menée depuis 2002 — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Thierry RepentinThierry Repentin :

Monsieur le ministre délégué, j'avoue que le ton que vous avez adopté à l'égard de la représentation nationale nous incite à répondre comme vous le faites en général : assez vertement et en lâchant les freins !

Monsieur le ministre délégué, le gouvernement auquel vous appartenez n'a eu de cesse, notamment par la voix de son ministre de l'intérieur, de fustiger l'angélisme de la prévention, de railler toute tentative d'analyse et d'explication des phénomènes de violence, de prôner la sanction indifférenciée, remplissant encore, et encore plus, nos prisons.

Au gré de textes législatifs à répétition - trois en trois ans, un record sur le sujet et un triste aveu d'activisme et d'impuissance -, la liste des délits n'a cessé de s'allonger, stigmatisant dans un même amalgame la détention de cannabis, le vol à la roulotte et le stationnement dans une cage d'escalier !

Autant de manquements à la loi soumis à ce que vous appelez la « tolérance zéro », manquements qui n'ont pourtant de commun que la suspicion qu'ils font porter sur les Français de moins de vingt-cinq ans pour peu qu'ils résident dans des quartiers d'habitat social !

Le « tous racailles » serait-il une revanche au « tous pourris » dont sont parfois accusés les politiques ? On n'ose y croire ! Notre responsabilité est bien, au contraire, d'apporter une réponse digne et efficace aux difficultés rencontrées dans les quartiers. Et, pour cela, il convient d'asseoir l'action publique en matière de tranquillité sur ses deux piliers, pour nous d'égale importance, prévention et sécurité.

J'évoquerai pour commencer la prévention, plus généralement les actions d'accompagnement social.

N'en déplaise au locataire de la place Beauvau, les phénomènes de violence sont en effet les conséquences de l'échec d'autres politiques : échec des politiques économiques, avec le chômage massif, la précarité, les discriminations à l'embauche, l'abandon du soutien associatif ; échec des politiques sociales, avec l'exclusion, les assignations à résidence, l'absence de mixité ; échec des politiques éducatives, avec le saupoudrage des moyens dans les ZEP, où les postes vacants sont de plus en plus nombreux.

« La police ne peut donc seule régler le problème des quartiers difficiles et la première forme de prévention est de créer les conditions d'une insertion réussie dans la société. » Cette assertion n'est pas défendue par une gauche irresponsable et angélique. Elle est in extenso tirée du rapport signé par M. Pierre André au nom de la mission d'information commune présidée par M. Alex Türk sur le bilan et les perspectives d'avenir des politiques conduites envers les quartiers en difficulté depuis une quinzaine d'années.

Les élus locaux le répètent, nos collègues le confirment : le quasi-abandon de toute politique de prévention et de médiation sociale a fait des ravages : « Un rééquilibrage paraît indispensable, de même qu'une relance des partenariats avec tous les acteurs de la prévention ». Au premier rang de ces acteurs : les associations.

Ainsi, « les quartiers qui n'ont recensé aucun incident sont ceux où le tissu associatif et social a pu être préservé ». Celui-ci s'adossait à deux dispositifs essentiels à sa vitalité : les emplois-jeunes et les contrats de ville.

Or le gouvernement auquel vous appartenez a brutalement mis fin à l'expérience des emplois-jeunes en 2002.

C'est ainsi que les agents locaux de médiation sociale, les ALMS, qui exerçaient leur activité pour près de la moitié d'entre eux en ZUS, au nombre de 4 000 à la fin 2003, sont à peine plus de 1 300 aujourd'hui.

Pourtant leur utilité avait été éprouvée, à tel point, d'ailleurs, que, à la suite des violences de novembre 2005, le comité interministériel des villes a décidé le 9 mars dernier de recruter 5 000 nouveaux médiateurs sociaux ! Quatre ans de perdus ! Il mobilise pour cela deux nouveaux contrats aidés : les contrats d'accompagnement dans l'emploi et les contrats d'avenir, créés après qu'eurent été supprimés ceux qui existaient antérieurement : emplois-jeunes, CEC, ou contrats emploi consolidés, et autres CES, contrats emploi solidarité...

La mission d'information commune elle-même, dans son rapport, « déplore cette politique de stop and go qui fragilise la crédibilité du dispositif ».

Que de temps perdu, que de déstabilisation des maillages associatifs locaux ! Que de coups portés aux réseaux d'acteurs que sont les mairies, les centres sociaux, les services départementaux, investis tout au long de l'année pour un meilleur vivre-ensemble dans les banlieues !

Quant aux contrats de ville, ils ont vu leur enveloppe considérablement réduite en 2005, mettant les collectivités territoriales face à ce dilemme : constater le recul des actions associatives dans les quartiers ou compenser le désengagement financier de l'État. Certaines n'ont même pas eu à choisir, la faiblesse de leurs budgets les a contraintes à assister, impuissantes, à la suppression de plusieurs fiches actions de leur contrat de ville, faute de moyens.

Le sursaut de la fin de l'année dernière, avec l'annonce de crédits supplémentaires pour les associations, n'est qu'un symptôme supplémentaire de l'inconséquence de l'action d'un gouvernement qui crée les conditions du désastre et, une fois celui-ci constaté, se félicite de prendre des mesures correctrices !

Je pourrais encore développer ici le rôle de l'école dans la prévention des violences, cette école qui doit donner des perspectives d'avenir aux enfants et adolescents, cette école dont l'un des rôles est d'assurer les jeunes qu'ils ont toute leur place dans la société.

Là encore, le rapport de nos collègues André et Türk est sans ambiguïté : « Le facteur majeur de l'entrée dans la délinquance est l'échec scolaire avant la sixième, qui implique un risque trois à quatre fois supérieur d'être impliqué dans des délits ».

Mais, là encore, dans les quartiers défavorisés, la République ne s'est pas donné, ces dernières années, les moyens de ses ambitions : les effectifs restent trop élevés ; la carte scolaire est massivement contournée ; les enseignants sont souvent de jeunes professionnels qui n'ont pas choisi leur affectation et manquent d'expérience ; leur travail est insuffisamment valorisé ; de nombreux postes d'enseignement spécialisé et de santé scolaire sont vacants.

Bref, l'égalité des chances n'est plus qu'un souvenir !

Si la prévention et l'accompagnement social sont donc indispensables, la politique de sécurité proprement dite l'est tout autant.

L'action de la police est, à ce titre, essentielle et doit prendre des formes variées, adaptées au territoire d'intervention. Le rapport de la mission d'information commune est sur ce point d'une grande clarté et contredit complètement ce que vous nous avez dit ce matin.

Tout d'abord, on y rappelle que « la police de proximité a été plébiscitée par les maires » : 82 % des édiles interrogés par la mission ont qualifié de « bon » ou de « très bon » le bilan de la police de proximité, en raison notamment de sa « meilleure présence sur le terrain » et de son « rôle éducatif non négligeable auprès des jeunes ». Alors, soit vous êtes un incompris, soit vous n'êtes pas écouté !

Pourtant, dès octobre 2002, malgré ce bilan, la police de proximité, qui sécurise au quotidien et alimente en informations la police judiciaire, n'est plus considérée comme prioritaire : alors que les deux vont de pair, elle est supplantée par la seule action judiciaire.

Les brigades anticriminalité et les CRS sont alors déployées dans les quartiers difficiles sans pour autant que la hausse des violences aux personnes soit enrayée : elle était de 7, 5 % en 2005, le taux étant de plus 8, 5 % dans les transports publics, chiffres publiés dans le rapport du Sénat.

Les effectifs en charge de la police de proximité sont, depuis 2002, redéployés vers d'autres services qui deviennent prioritaires aux yeux du ministre, notamment la lutte contre l'immigration, ce dont la police de l'air et des frontières, la PAF, et la DST profitent.

De même, la création d'une police des transports affaiblit la présence policière sur la voie publique et, faute de budget pour le paiement d'heures supplémentaires, des agents de police sont priés de récupérer leurs heures à domicile. Ainsi, dans le commissariat de police que je connais le mieux, celui de ma ville, 10 % de la totalité des effectifs sont assignés à leur domicile, et donc inemployables, sur une période allant de six mois à deux ans !

Pis, « le changement des modes d'intervention de la police s'est traduit par une dégradation des relations entre la police et la population [...], les habitants déclarant craindre des violences ou de l'irrespect ».

La relation de confiance est rompue et le déploiement de forces n'a eu qu'un effet contreproductif.

La mission commune d'information, que l'on ne peut accuser de complaisance, dresse ainsi le tableau des tensions entre police et habitants : augmentation constante des procédures pour outrages ; propension croissante des policiers à se constituer partie civile montrant une personnalisation des conflits ; multiplication des saisines de la commission de déontologie ; contrôles d'identité à répétition - jusqu'à plusieurs fois par jour - vécus comme autant d'humiliations...

Pour faire face au déficit d'encadrement des fonctionnaires de police, il faudrait une meilleure valorisation des rémunérations et des carrières.

Pour atténuer la défiance entre policiers et habitants, il faudrait apprendre aux gardiens de la paix à mieux connaître les jeunes qu'ils côtoient dans les quartiers et les former à la lutte contre les discriminations.

Pour une action au plus près des réalités du terrain d'intervention, il faut réactiver une véritable police de proximité.

Voilà autant de propositions, non pas de la gauche - elles ne sauraient trouver grâce à vos yeux -, mais de la mission commune d'information.

Le regain de tension actuel traduit les manquements de votre gouvernement, qui, au-delà des affichages sécuritaires, n'a su ni prendre la mesure de la désespérance des banlieues ni en déterminer les causes avec justesse. Le rapport de la mission commune d'information en témoigne, les élus que nous sommes le répètent depuis des mois : l'heure est au bilan et au changement de cap.

Nous vous demandons non pas de vous renier, mais simplement d'entendre les appels des élus sur le terrain et des populations, qui n'ont pas choisi leur lieu de vie. Ne serait-ce que parce qu'elles sont assignées à certains territoires, elles méritent plus que d'autres la solidarité nationale pour elles et leurs familles. C'est en tout cas notre conception, et c'est elle qui nous guidera dans la détermination des politiques nationales, sous votre gouvernement comme sous celui qui, je n'en doute pas, lui succédera quand nos concitoyens pourront s'exprimer.

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