Toutefois, si l'on en est à devoir mesurer et vérifier l'application des lois, c'est que ces dernières deviennent instables et complexes, comme l'a regretté le Conseil d'État dans son rapport annuel. Son constat peut-être résumé par cette phrase : malgré la détermination politique affichée par les circulaires successives des Premiers ministres appelant, depuis trois décennies, à l'évaluation rigoureuse des réformes législatives et à un effort de sobriété, et malgré les observations sans cesse réitérées du Conseil d'État, les trente dernières années se caractérisent par une accélération du rythme normatif, sous le regard désabusé du citoyen.
S'appuyant sur une analyse rigoureuse, le Conseil d'État veut nous alerter sur les dérives de la loi et les conséquences sur le législateur, à la fois « contraint, submergé et contourné ». L'élimination des dérives telles que la gesticulation médiatique est donc un impératif, que les conseillers d'État qualifient d'obligation de résultat, sous peine de paralysie des institutions et de la société.
L'application des cent cinq articles de la loi d'orientation agricole est donc à considérer à l'aune de ce rapport.
Je continue de penser que, dans la période d'incertitude dans laquelle nous sommes plongés, l'orientation censée être donnée pour vingt ans est décevante, parce qu'elle ne trace pas de grandes perspectives. Néanmoins, la loi est la loi et elle doit être appliquée. Aussi, j'insisterai sur quatre points.
Premièrement, les droits à paiement unique, les DPU, sont considérés aujourd'hui par ceux qui les détiennent non plus comme un support de compensation économique, mais comme un élément patrimonial à monnayer. Cela pose le problème de la marchandisation des aides publiques, même si l'on nous présente comme une garantie absolue le fait que les prélèvements effectués sur les transferts de droits seront plus faibles lorsque ces droits seront cédés avec le foncier.
En outre, on peut être propriétaire du foncier sans l'être des DPU, ou être propriétaire des DPU sans l'être du foncier. C'est toute l'ambiguïté de l'agriculture de demain. La création du fonds agricole contribue à ces difficultés en puissance en permettant le découplage de la valeur de l'entreprise et celle du foncier.
Par ailleurs, les SAFER ne sont pas pleinement satisfaites par la loi d'orientation agricole dans la mesure où elles ne peuvent ni acquérir ni gérer directement les DPU.
La mise en place en 2006 des droits à paiement unique pose le problème du devenir du droit de préemption dont disposent aujourd'hui les SAFER sur les terres agricoles et les éléments d'exploitation qui leur sont attachés.
Lors des débats, nous vous avions alerté, monsieur le ministre, sur ce problème très particulier et nous avions pu faire adopter un amendement tendant à ce que le droit de préemption des SAFER ne soit pas contourné en cas de vente globale du foncier et des DPU. Mais cette disposition n'est pas entrée en vigueur faute de publication du décret prévu à l'article 38. Quand sera-t-il publié, monsieur le ministre ?
Le deuxième point que je souhaite aborder concerne les circuits commerciaux courts et les niches locales.
La France ne peut pas nourrir le monde ! Dans un marché global où prévalent les principes libéraux les plus radicaux, la « ferme France » cherche à être hypercompétitive sur un marché soumis à une âpre concurrence.
Mais nos concitoyens s'en rendent compte chaque jour davantage, la recherche de productivité et la concurrence ont entraîné des pratiques qui nuisent à la qualité et qui peuvent porter atteinte à l'environnement. Il faut donc prendre garde à ne pas handicaper les productions de niches à grande valeur ajoutée, qui correspondent souvent à un terroir et à des savoir-faire ancestraux qui peuvent être remis au goût du jour avec ingéniosité. Il faut oeuvrer pour leur pérennité ou leur reconversion. Pour ce faire, l'aide de l'État est indispensable. Les groupements d'éleveurs, par exemple, sont aujourd'hui fortement menacés.
Le titre IV de la loi prévoit des dispositions en faveur de la qualité des produits, de l'environnement, de l'agriculture de montagne. Monsieur le ministre, où en est leur application et comment comptez-vous valoriser ces « niches » ?
Le troisième point que j'évoquerai est relatif à la démographie agricole.
Au terme de la période 2007-2013, notre pays comptera 50 % d'agriculteurs en moins. Le bail cessible n'est pas la réponse universelle à cette hémorragie, loin de là ! Comment limiter la spéculation foncière ? Comment préserver le foncier agricole ? Comment favoriser la pluriactivité et l'exploitation en société, améliorer les conditions de travail des conjoints et des salariés agricoles ? Comment inciter davantage à l'installation et comment, enfin, préserver le revenu agricole ?
Je prendrai l'exemple de la viticulture, qui, certes, représente une part importante de l'activité de mon département, mais occupe aussi une place non négligeable en France. Le Gouvernement propose l'arrachage de pieds de vigne. Comme la distillation de crise, cette mesure ponctuelle ne peut satisfaire la filière et il convient d'y recourir avec parcimonie. Comment comptez-vous l'appliquer, monsieur le ministre ?
Il faut un plan d'envergure pour assurer l'avenir du vignoble et pour répondre à la demande du marché. S'agissant de la promotion, des relations avec la grande distribution, ou encore de l'exportation, beaucoup de pistes restent à explorer. Mais l'aménagement du territoire aussi est en jeu : que vont devenir nos terroirs viticoles du pays gaillacois, du Languedoc et du Bordelais lorsque les ceps seront arrachés ?
Le quatrième point que je souhaite évoquer brièvement concerne l'application de la loi d'orientation agricole au regard de la mission d'expertise de la ruralité en Europe, qui a rendu son rapport voilà quelques jours.
Le lien entre l'agriculture et la ruralité demeure une réalité incontestable en Europe.
En Autriche, par exemple, les agriculteurs peuvent produire l'huile végétale nécessaire à la diversification énergétique, qui est en vente directe dans toutes les pompes à essence : l'agriculture est au service de la société.
En France, où en sommes-nous ? Nous ne pouvons pas continuer à nous positionner en observateurs de ce qui se passe ailleurs, notamment en matière d'énergies renouvelables.