Intervention de Odette Herviaux

Réunion du 7 novembre 2006 à 16h00
Application de la loi d'orientation agricole — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Odette HerviauxOdette Herviaux :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à souligner, après d'autres orateurs, que la demande de M. Gérard César de dresser le bilan de l'application de la loi d'orientation agricole adoptée le 5 janvier 2006 me semble très pertinente, en particulier en ce moment, même si je ne partage pas pour autant l'enthousiasme de notre collègue sur l'appréciation de ce premier bilan.

Le débat sur les questions agricoles est en effet opportun à l'heure où les collectivités négocient avec l'État les futurs contrats de projets, qui voient les lignes spécifiques aux questions agricoles réduites parfois de 35 %, sans parler des anciens contrats de plan qui n'ont pas tous tenu leurs engagements financiers du fait de gels budgétaires.

Ce débat est opportun aussi à l'heure où la partie régionale des crédits du Fonds européen agricole pour le développement rural, le FEADER, est encore en discussion, à l'heure où les agriculteurs français découvrent les premières notifications de leurs DPU, les droits à paiement unique, avec les inégalités et les conséquences que nous connaissons, à l'heure enfin où chacun a présent à l'esprit les prochaines élections au sein des chambres d'agriculture.

Il est temps, en effet, de faire le point sur la loi d'orientation agricole, qui avait fait naître des espoirs certains dans un monde agricole déstabilisé par le manque de perspectives sur les plans mondial, européen et national.

Mes collègues du groupe socialiste et moi-même ne partageons pas la vision libérale de ce texte - nous l'avions dit à l'époque, nous le répétons aujourd'hui - qui tend à installer, voire à abandonner, l'agriculture dans la seule logique du marché. Face à votre souhait de transformer les exploitations agricoles en entreprises industrielles, il convient de réaffirmer que la France agricole et rurale est riche de sa diversité et que toutes les formes d'agriculture à dimension humaine, compétitive, diversifiée et respectueuse de l'environnement sont à préserver au sein de nos territoires ruraux, si différents dans leur géographie, leur histoire et parfois même dans leurs ambitions.

Lorsque l'on fait le recensement des textes d'application pris par le gouvernement actuel, on peut en avoir une vision soit très optimiste, comme c'est le cas de certains d'entre vous, soit, au contraire, plus critique, comme les membres du groupe socialiste.

Parmi les mesures réglementaires déjà prises par le Gouvernement, figure un décret relatif aux modalités de déclaration du fonds agricole, publié en août 2006, qui n'était pas prévu par la loi.

Monsieur le ministre, lors de la discussion du projet de loi d'orientation agricole, nous vous avions alerté sur le besoin de clarifier les rôles dans les opérations de transfert de bail. Nous vous avions alors dit que la précipitation n'était jamais bonne conseillère.

Ce décret répond-il aux questions que nous vous posions à l'époque ? Comment ce fonds sera-t-il construit, géré et défini ? Quelle sera la place du candidat à la reprise ? Aura-t-il son mot à dire ou devra-t-il, au final, nécessairement suivre l'avis du bailleur de crainte de voir le bail se terminer ? J'espère que la date de publication du décret au Journal officiel, le 4 août, est de bon augure dans ce domaine.

Par ailleurs, les DPU seront-ils intégrés dans la valorisation d'un fonds agricole et, dans l'affirmative, jusqu'à quand ?

Permettez-moi de m'arrêter un instant, comme l'a fait M. Repentin tout à l'heure, sur la question que pose le décret, paru au début du mois de juillet, relatif à l'évaluation par l'AFSSA des produits phytopharmaceutiques, matières fertilisantes et supports de culture.

Ce décret prévoit que seront désormais interdites toute publicité commerciale et toute recommandation pour les produits phytopharmaceutiques contenant une ou plusieurs substances actives destinées au traitement de végétaux si ces produits ne bénéficient pas d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation de distribution pour expérimentation.

Ces dispositions posent un réel problème pour des produits naturels traditionnels et des pratiques qui, jusqu'à présent, étaient considérées comme particulièrement respectueuses de l'environnement.

Monsieur le ministre, vous avez dû, je présume, recevoir un très grand nombre de courriers d'alerte de la part de nombreux parlementaires, tant l'émoi suscité par ces décrets a été grand non seulement dans le petit monde du jardinage écologique, mais également dans le milieu agricole et rural soucieux des bonnes pratiques environnementales.

Nous sommes bien loin, là, d'une vision écologique et économe du travail de la terre. Comment peut-on à la fois prôner la limitation de l'utilisation de produits fongicides et d'engrais pour lutter contre la pollution des sols et des eaux et interdire la promotion des produits naturels et quasiment gratuits ? Mais n'est-ce pas précisément là le noeud du problème ?

On peut comprendre l'importance de ne pas tout laisser faire et, surtout, de ne pas laisser faire n'importe comment, mais reconnaissez que nous sommes dans une situation singulière, dans laquelle le contrevenant est passible de deux ans de prison et de 75 000 euros d'amende ! Y avait-il réellement urgence à publier ce décret en l'état ?

Monsieur le ministre, il convient de légiférer rapidement sur les biocarburants, qu'il s'agisse de l'utilisation, comme carburant agricole, d'huile végétale pure ou des modalités de production, de commercialisation et d'utilisation de l'huile végétale.

Il y a en effet urgence tant la question des énergies est devenue, pour les agriculteurs, une donnée nouvelle, intéressante pour l'avenir, mais aussi pleine d'incertitudes. Il convient néanmoins de s'interroger sur le fond et de se demander si l'agriculteur peut réellement y trouver son compte.

Certains voient dans les biocarburants un avenir réel pour l'agriculture française. Comme nous l'avions indiqué lors de la discussion du projet de loi d'orientation agricole, il y aura toujours ailleurs, je le crains, des modèles et des pratiques culturales à moindre coût, donc plus rentables. Ne laissons pas croire aux agriculteurs que l'avenir réside uniquement dans les carburants verts. Ne retombons pas dans les travers du passé. L'énergie fait partie intégrante des questions économiques concernant les exploitations et l'agriculture en général.

Si nous pouvons dire « oui » à des filières courtes afin de promouvoir l'autonomie énergétique des exploitations - déjà, aujourd'hui, des projets locaux existent, des récoltes ont été faites et des presses à huile ont commencé à tourner -, nous devons cependant rester prudents et dire « non » à des contrats sans garantie entre les agriculteurs et des multinationales qui prôneraient des pratiques culturales dont le bilan écologique positif n'a toujours pas été démontré et qui favoriseraient une intégration dissimulée.

Il faut donc légiférer pour encadrer les modalités de production, de commercialisation et d'utilisation des huiles végétales. C'est devenu d'autant plus urgent que certains pôles d'excellence ruraux labellisés ont déjà préparé des projets dans ce sens et attendent de pouvoir les mettre en oeuvre.

Enfin, et ce sera mon dernier point, je tiens à évoquer l'article 38 de la loi d'orientation agricole, qui a complété le premier alinéa de L. 143-1 du code rural relatif au droit de préemption des SAFER.

La mise en place du cadre juridique de la réforme de la PAC risque de mettre à mal la politique d'amélioration des structures et le rôle des SAFER, dont la mission de service public a été prévue par le code rural depuis 1960. Il est donc urgent de préciser leur rôle, qui est indispensable pour la politique d'installation des jeunes et pour la modernisation des exploitations.

Comme on peut le constater depuis quelque temps, si les SAFER ne peuvent préempter les DPU avec les terres qu'elles acquièrent, elles ne pourront plus réaliser les restructurations de terres qui leur permettent soit d'aider à l'installation de nouveaux agriculteurs, soit de conforter les exploitations. Elles ne pourront pas non plus à l'avenir compenser les pertes de terrains avec DPU dans le cadre d'acquisitions pour des réalisations liées à des politiques publiques.

Par ailleurs, monsieur le ministre, envisagez-vous d'effectuer des prélèvements à chaque changement d'exploitant pendant les phases de stockage temporaire, au risque de casser la logique d'aménagement des structures ?

En outre, la question complexe de perte de DPU des terres en stock de 2000 à 2002 au profit de la réserve départementale a semble-t-il amené certaines SAFER à engager des poursuites juridiques.

Pourquoi pénaliser cet opérateur foncier différent des autres, qui a su montrer, dans l'exercice de sa mission de service public, son rôle structurant, au moment même où la loi relative au développement des territoires ruraux et la loi d'orientation agricole ont prévu d'étendre leurs interventions auprès des territoires et des collectivités ?

Reconnues comme « exploitantes » aux termes de la définition européenne de l'exploitant agricole, les SAFER méritent non seulement qu'on leur donne les moyens d'appliquer les politiques d'installation de nouveaux agriculteurs et de modernisation des exploitations, mais aussi que l'on mette tout en oeuvre pour que leurs activités ne se déroulent pas, à l'avenir, d'une manière trop complexe ou avec moins d'efficacité, moins de qualité auprès d'attributaires prioritaires. Cela aurait pour effet de permettre à certains de leurs détracteurs d'être encore plus critiques.

Nous avions déposé nombre d'amendements sur ce sujet lors de la discussion du projet de loi d'orientation agricole. Seul l'un d'entre eux a été adopté. Il tendait à éviter que la conclusion de baux cessibles ne donne lieu à la signature de baux de complaisance n'ayant pour objectif que de contourner le droit de préemption des SAFER.

Je crains que, avec le système des DPU, ces risques de contournement du droit de préemption ne dépassent largement, hélas ! la seule signature de baux cessibles.

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