Intervention de Gérard Le Cam

Réunion du 7 novembre 2006 à 23h00
Transfert des ports maritimes aux groupements de collectivités — Adoption des conclusions du rapport d'une commission

Photo de Gérard Le CamGérard Le Cam :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui tend à faciliter le transfert des ports maritimes aux groupements de collectivités.

Il semblerait, en effet, que certaines collectivités locales qui avaient fait acte de candidature ne souhaitent plus se lancer seules dans l'aventure. Or, les délais de candidature étant échus, le législateur doit intervenir pour que le transfert des ports non autonomes relevant de l'État puisse se faire au profit d'un groupement de collectivités territoriales. À cette fin, il est proposé de modifier l'article 30 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

Le dépôt de ce texte, justifié selon M. le rapporteur par la nécessité « de permettre la plus large participation des collectivités à la gestion et au développement des ports de leur territoire », montre les limites de la décentralisation appliquée à des structures stratégiques comme les ports.

Bien sûr, on peut imaginer que l'association de collectivités territoriales permettra l'existence de contrepoids décisionnels et une plus grande cohérence dans les politiques menées. En tout état de cause, cela constitue un maigre garde-fou au regard des dangers de la décentralisation sur l'activité nationale des ports maritimes.

En 2004, le législateur a organisé le désengagement de l'État de sa politique maritime portuaire sans pour autant parvenir à renforcer les liens des ports avec leurs territoires et, notamment, leurs hinterlands.

En effet, la loi de décentralisation se résume à un transfert de charges vers les collectivités, ce qui ne manquera pas d'entraîner un déséquilibre entre les régions riches et les régions pauvres.

Le fait que les régions soient les principales bénéficiaires du transfert des ports d'intérêt national est un moindre mal au regard de la cohérence des politiques à mener. D'ailleurs, je tiens à saluer la volonté claire et explicite de certaines régions de développer l'activité portuaire dans les meilleures conditions possibles. Ainsi, la région Bretagne a réalisé un audit sur son territoire.

Hélas ! la volonté ne suffit pas et les régions ne disposent souvent ni de la pratique nécessaire ni des moyens de gestion suffisants. De plus, les collectivités territoriales n'ont généralement pas conscience de l'état des ports, en termes d'infrastructure et de patrimoine, du fait de l'abandon, il ne faut pas le cacher, d'une réelle politique portuaire au niveau national depuis de très nombreuses années.

Dès lors, si nous comprenons les motivations des auteurs de la proposition de loi, nous restons par ailleurs fermement opposés au processus défini à l'article 30 de la loi du 13 août 2004. Ce processus, notons-le dès à présent, n'est en rien comparable à celui qui a été mis en oeuvre en 1984 : la gestion des plus grands ports restait alors confiée à l'État et les textes n'opéraient pas de scission de service ni de transfert d'agents.

Selon nous, la politique maritime portuaire nécessite une maîtrise publique au regard des enjeux des différentes activités, des impératifs de sécurité et des investissements à réaliser. Or, en organisant le transfert des ports d'intérêt national, le Gouvernement a entendu accélérer les évolutions statutaires des personnels, la libéralisation des services portuaires et le morcellement des activités. En effet, ce sont les missions exercées au sein des ports d'intérêt national qui sont transférables, ainsi que le domaine portuaire, le matériel et les bâtiments.

Même si le transfert aux régions est finalement un moindre mal, il ne nous protège pas contre les risques d'éclatement de l'activité des ports selon le domaine concerné, qu'il s'agisse de la pêche, du commerce ou du tourisme. Le danger de morcellement des activités portuaires nationales entre ports autonomes et ports d'intérêt national est bien réel. Comment garantir, dans ce contexte, une politique maritime française ?

Au lieu de privilégier les coopérations intelligentes, le choix a été fait de mettre en concurrence les différentes collectivités. L'autorité portuaire devrait, au contraire, être clairement identifiée et unifiée. Le seul exemple des oppositions entre Calais et Boulogne-sur-Mer, réglées récemment par l'intervention de l'État, montre à lui seul les risques de zizanie auxquels nous expose l'application de la loi de 2004.

De plus, un très grand flou entoure les conditions du transfert des ports d'intérêt national. A l'heure actuelle, ces derniers sont des entreprises publiques qui exercent des missions de service public, les délégations d'exploitation s'étant faites au profit des chambres de commerce et d'industrie, les CCI.

L'avenir des concessions et des structures de gestion des ports dépendra de la volonté politique des collectivités territoriales concernées. Or, sur ce point, nous ne nous faisons pas trop d'illusions...

Prenons à titre d'exemple le port de Bayonne, qui a généré en 2005 un trafic de marchandises de près de 4 millions de tonnes - maïs, hydrocarbures, produits chimiques, engrais, bois et produits sidérurgiques. Il est exploité par la CCI de Bayonne, dont la principale concession arrivera à échéance fin 2007. Un appel à la concurrence est d'ores et déjà prévu, ce qui n'est pourtant nullement obligatoire. Interrogé sur cette question, M. Alain Rousset, président de l'Association des régions de France et de la région Aquitaine, a reconnu l'utilité d'une telle procédure dans la mesure où, selon lui, le port « est un outil économique avec une logique de rentabilité » !

Or le fait de confier les concessions à des opérateurs privés, intéressés par la seule rentabilité, ne manquera pas de se faire au détriment de la qualité du service portuaire et des impératifs de sécurité. L'activité maritime portuaire comprend, en effet, un certain nombre de risques liés, entre autres, à la dangerosité des navires ou des marchandises transportées, qu'elles soient toxiques ou explosives. Il est donc impératif qu'un contrôle de l'application des normes de sécurité soit réalisé.

A ce titre, nous nous réjouissons que les capitaineries et les personnels officiels des ports restent dans le champ de compétence de l'État. Mais lorsque l'on sait que celui-ci, désireux de se « recentrer sur sa mission régalienne », a d'ores et déjà scindé en deux l'autorité portuaire, on peut s'interroger sur la pérennité d'une telle situation !

L'ordonnance n° 2005-898 du 2 août 2005 portant actualisation et adaptation des livres III et IV du code des ports maritimes a en effet introduit la notion d'« autorité investie du pouvoir de police portuaire » pour désigner le représentant de l'État responsable des opérations de police sensibles, à côté de la traditionnelle « autorité portuaire » qui désigne, elle, le représentant de la personne morale chargée de l'administration du port. L'« autorité portuaire », qui reste responsable des opérations de police courantes, n'est plus soumise à la tutelle de l'État. Or, étant donné que les missions de police nécessitent une présence continue des personnels, cette séparation fonctionnelle, totalement artificielle, aboutit en réalité à doubler le nombre d'agents.

Cette aberration ne constitue sans doute qu'une étape, car, à moyen terme, la démarche de l'État est claire : elle consiste à se désengager des activités qui relèvent de la puissance publique même.

On ne serait donc pas étonné si, dans un futur proche, la mise à disposition des personnels officiels des ports servait de prétexte pour justifier leur prise en charge financière par les collectivités territoriales. Et vous savez bien ce que cela impliquerait : la suppression des personnels, le non- renouvellement des postes. La décentralisation va donc entraîner une diminution des moyens alloués aux services de l'État, notamment dans le domaine de la police portuaire, de la signalisation, des accès et du respect de la réglementation internationale.

S'agissant de la question, fondamentale, de l'avenir des personnels transférés - fort complexe au demeurant, en raison de la diversité des métiers et des statuts : il en existe près de 600 différents ! -, des incertitudes règnent notamment sur le statut d'environ deux cents ouvriers des parcs et ateliers. Le problème du mode de représentation des personnels transférés n'a pas davantage été réglé. De plus, certains textes relatifs au régime indemnitaire et au maintien des rémunérations n'ont pas été publiés. Ces personnels devront-ils, à l'instar des personnels TOS - techniciens, ouvriers et de services - de l'éducation nationale, attendre que le transfert soit réalisé pour être fixé sur leur sort ?

Se pose également la question du transfert aux régions des écoles nationales de la marine marchande, bien que ce sujet semble pour l'instant en suspens.

Monsieur le ministre, lors de votre visite à Saint-Malo, le 15 juin 2006, vous avaient été posées un certain nombre de questions relatives à ce problème. Il serait intéressant que vous nous éclairiez sur les réponses qu'a notamment apportées la direction générale du personnel et de l'administration de votre ministère, saisie sur ce sujet.

Le syndicat national des professeurs techniques de l'enseignement maritime des écoles nationales de la marine marchande demandait ainsi des précisions sur la manière dont la décentralisation allait affecter le statut de ces écoles nationales et celui des professeurs techniques eux-mêmes -temps de travail, conditions de recrutement -, ainsi que sur l'intégration des professeurs d'éducation physique et sportive des lycées au ministère de l'éducation nationale, la prise en compte des années de navigation des anciens officiers de la marine marchande dans la perspective d'un reclassement dans le corps des professeurs techniques et, enfin, la possibilité de cumuler une retraite d'officier avec un salaire de professeur technique.

Sur toutes ces questions, les personnels attendent des réponses, monsieur le ministre !

La loi du 13 août 2004 a imposé aux collectivités territoriales de prendre en charge des structures, certes stratégiques pour notre économie, mais également fragilisées par un manque chronique d'investissement depuis des décennies. Le transfert des ports non autonomes aux collectivités les oblige également à gérer ces questions difficiles que sont les évolutions statutaires et le morcellement des activités portuaires, lui-même directement induit par la loi.

La décentralisation telle que le Gouvernement l'a conçue porte en elle le germe de la libéralisation totale des services portuaires, avec tous les dangers que cela implique, notamment en termes de suppression des personnels et de non-respect des normes de sécurité.

Pour toutes ces raisons, et par cohérence avec nos positions antérieures, nous ne voterons pas cette proposition de loi, tout en respectant le choix des collectivités locales concernées qui, bien évidemment, se déterminent librement.

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