Intervention de Alain Milon

Réunion du 22 juin 2005 à 15h00
Réforme de l'adoption — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Alain MilonAlain Milon, rapporteur :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en dépit des lois successives qui, depuis trente ans, ont organisé le droit de l'adoption, le système français laisse encore dans une attente dramatiquement longue et humainement difficile des parents sans enfants et des enfants sans parents.

Aujourd'hui, près de 25 000 foyers attendent d'adopter un enfant et ce chiffre augmente régulièrement des 8 000 agréments supplémentaires accordés chaque année. Face à cette demande, 5 000 adoptions seulement ont eu lieu en 2004, qui ont concerné, dans 80 % des cas, des enfants de nationalité étrangère.

L'origine géographique de ces enfants a d'ailleurs beaucoup varié ces dernières années. Elle se répartit désormais de manière presque égale entre l'Amérique du Sud, l'Afrique, l'Europe et l'Asie, alors que ce dernier continent représentait près de la moitié des adoptions il y a encore six ans. Les enfants adoptés en France proviennent de soixante-dix-sept pays différents, au premier plan desquels figurent Haïti, la Chine, la Russie, l'Ethiopie, le Vietnam et la Colombie.

Dans le même temps, plusieurs pays ont été exclus de l'adoption internationale, notamment le Cambodge et la Roumanie, en raison du comportement de certaines familles prêtes à tout pour pouvoir adopter et de celui de quelques orphelinats plus guidés par des intérêts mercantiles que par celui des enfants.

Parallèlement, le nombre d'adoptions d'enfants français ne cesse de diminuer : il ne s'établit plus désormais qu'à un millier environ.

Face à ces constats, l'amélioration de l'organisation « à la française » des procédures d'adoption devient une impérieuse nécessité. C'est l'objet de la proposition de loi soumise à notre examen, qui tend à réformer ces procédures sur trois points.

Le premier axe de réforme porte sur les procédures d'agrément, qui sont gérées au niveau départemental. Or cette gestion entraîne des inégalités de traitement entre les candidats car les critères varient considérablement d'un département à l'autre.

De même, le contenu et la forme de l'agrément peuvent être différents ; ils peuvent, notamment, être plus ou moins précis. Certains départements, par exemple, ne fournissent pas de renseignements relatifs au projet d'adoption des candidats ; cette lacune peut susciter l'incompréhension des pays d'origine des enfants et desservir le demandeur.

Le Conseil supérieur de l'adoption a souligné ces difficultés, et la proposition de loi reprend, sur ce sujet, l'essentiel de ses propositions.

Ainsi, l'agrément sera désormais délivré par un arrêté dont la forme et le contenu seront définis par décret afin que les départements produisent un document unique plus lisible. Il sera accordé ou refusé dans un délai de neuf mois à compter de la confirmation de la demande et non plus à partir de la date de la demande elle-même, ce qui permettra d'instruire correctement les dossiers des candidats réellement motivés.

L'agrément sera désormais accompagné obligatoirement d'une notice précisant le projet d'adoption des futurs parents, qui sera révisable à tout moment en fonction de l'évolution de leur situation. Cette notice permettra de donner un caractère plus concret à l'agrément, qui est trop souvent perçu comme un « permis d'adopter ».

Enfin, les conseils généraux proposeront systématiquement aux candidats d'assister, s'ils le souhaitent, à des réunions d'information durant la période d'agrément. Je regrette, à titre personnel, que ces réunions n'aient pas été rendues obligatoires, car la procédure d'agrément se résume trop souvent à une évaluation alors que le temps qui y est consacré devrait être utilisé par les postulants pour avancer dans leur démarche et mûrir leur réflexion sur l'adoption, voire pour y renoncer.

Le deuxième axe de réforme porte sur le renforcement de l'aide aux candidats à l'adoption internationale.

La multitude d'acteurs qui interviennent dans l'adoption internationale aide moins les candidats qu'elle ne les handicape. Entre le Conseil supérieur de l'adoption, l'Autorité centrale pour l'adoption internationale, la Mission de l'adoption internationale et la cinquantaine d'organismes autorisés, qui sont eux-mêmes très exigeants dans la sélection des dossiers, il leur est parfois difficile de savoir à qui s'adresser. En conséquence, nombreux sont ceux qui choisissent d'engager des démarches individuelles alors même qu'elles sont de moins en moins bien accueillies par les pays d'origine ; en Chine et en Ethiopie elles sont même interdites et elles sont très difficiles en Russie et en Bulgarie. Le nombre de pays qui modifient leur législation dans ce sens va croissant afin de mieux protéger les adoptants comme les adoptés.

Pour rassurer les Etats étrangers sur la qualité du système français d'adoption internationale et aider les familles dont le dossier n'a pas été retenu par un organisme agréé, la proposition de loi prévoit la création de l'Agence française de l'adoption internationale, l'AFA. Cette nouvelle structure sera chargée d'informer et de conseiller les familles sur l'adoption internationale, de les aider à constituer leur dossier via son correspondant départemental, d'organiser le dialogue avec les pays étrangers, en particulier ceux qui sont fermés aux démarches individuelles, et de créer des relais locaux pour assister les familles sur place.

L'AFA n'a pas vocation à supprimer les démarches individuelles, elle vise à en réduire le nombre en offrant un service supplémentaire aux adoptants parallèlement à ceux que proposent les organismes autorisés pour l'adoption, les OAA. Elle constituera donc une troisième voie pour l'adoption internationale.

La commission des affaires sociales s'est montrée très favorable à la création de l'AFA. Elle a toutefois souhaité, monsieur le ministre, que soit précisé le rôle consultatif des associations de parents adoptifs et des OAA au sein de son conseil d'administration.

Elle a, par ailleurs, approuvé le fait de doubler le montant de la prime à l'adoption qui sera versée aux familles à l'arrivée de l'enfant et qui devrait ainsi passer de 812 euros à 1 624 euros en 2005. Nous avions d'ailleurs déjà adopté cette disposition dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005, mais le Conseil constitutionnel l'avait censurée pour des raisons techniques.

Cette aide supplémentaire ne couvrira, bien sûr, qu'une faible partie des frais engagés pour une adoption internationale, qui atteignent entre 8 000 et 17 000 euros, mais elle constituera un « coup de pouce » bienvenu pour les familles.

La commission a jugé très utile de prévoir un suivi renforcé des enfants après leur arrivée en France, jusqu'au prononcé de l'adoption plénière ou jusqu'à la transcription du jugement étranger, et même au-delà si l'adoptant le demande, notamment s'il s'y est engagé envers l'État d'origine de l'enfant.

Avec l'enfant, c'est toute la famille qui sera mieux soutenue dans les premières années suivant l'adoption, et tous ceux qui ont vécu ces instants savent combien il est nécessaire d'être aidé et écouté.

Le troisième axe de réforme, à nos yeux essentiel, porte sur le développement de l'adoption nationale.

Comme je vous le disais, en 2001, seuls 1 150 des 2 882 pupilles de l'État ont fait l'objet d'un placement en vue d'adoption, ce qui signifie que plus de 1 700 enfants n'ont pas trouvé de parents, en raison de leur état de santé, de leur appartenance à une fratrie et surtout de leur âge. Par comparaison, rappelons que 5 000 adoptions nationales sont réalisées chaque année au Royaume-Uni, soit le nombre annuel total d'adoptions en France.

Comment expliquer cet écart ? D'abord, la majorité des candidats se tournent vers l'adoption internationale, qui leur garantit souvent de se voir confier un enfant plus jeune. Mais ensuite et surtout, l'adoption des enfants français se heurte au faible nombre de pupilles adoptables. Le problème est régulièrement soulevé par les associations de parents adoptifs : des enfants, pourtant délaissés par leurs parents biologiques et placés sous la protection de l'aide sociale à l'enfance, ne peuvent être adoptés parce qu'ils n'ont pas été légalement abandonnés selon la procédure judiciaire d'abandon figurant à l'article 350 du code civil.

Les services sociaux privilégient en effet, parfois jusqu'à l'absurde, les statuts qui maintiennent un lien entre le mineur et ses parents biologiques. On le constate parfaitement dans le nombre croissant des mises sous tutelle, qui sont passées de 2 730 en 1999 à près de 4 000 en 2003.

Or il nous paraît juste, lorsque ces enfants sont en situation d'abandon manifeste de la part de leurs parents, que soit prononcée une décision judiciaire d'abandon afin de leur permettre d'accéder, le plus tôt possible, au statut plus protecteur de pupille de l'État et de leur offrir l'espoir d'une autre vie.

Le texte vise donc à assouplir les critères auxquels se réfère le juge pour accepter ou pour refuser la demande de déclaration d'abandon d'un mineur accueilli par un particulier ou par les services de l'aide sociale à l'enfance.

Jusqu'à présent, l'état de grande détresse des parents pouvait faire obstacle à cette déclaration. Désormais, le juge s'en tiendra aux seuls critères affectifs et objectifs de la notion de désintéressement prolongé de l'enfant.

L'objectif est d'inciter les juges, mais surtout les services sociaux qui présentent les demandes, à utiliser cette procédure pour offrir un avenir à des enfants délaissés.

Je ne vous cacherai pas, mes chers collègues, que cette disposition a fait l'objet d'un long débat au sein de la commission. C'est pourquoi je souhaite rappeler solennellement qu'il ne s'agit absolument pas de « profiter » du manque de moyens matériels des parents, voire de leur indigence, pour « accroître le nombre des enfants adoptables ».

La détresse matérielle des parents appelle une aide circonstanciée, appropriée, elle explique que des parents soient contraints de se séparer momentanément de leurs enfants pour assurer leur santé, voire leur survie. Elle ne peut pas expliquer la solitude affective dans laquelle se trouvent certains enfants bien longtemps après que leurs parents ont été obligés de se séparer d'eux.

Il appartient à la collectivité de soutenir ces parents qui entendent maintenir les liens familiaux mais qui en sont empêchés par une incapacité financière due au chômage, à la précarité. La misère, la certitude que les enfants sont placés, donc qu'ils ne manquent de rien, peuvent annihiler les capacités psychologiques et masquer les sentiments cachés pour ne pas exhiber la réalité du quotidien. Il appartient aux services sociaux de soutenir la parentalité possible.

Mais appartient-il à la collectivité de soutenir une parentalité inexistante lorsque pendant un an, voire beaucoup plus longtemps en réalité, rien de ce qui peut ressembler à un maintien des liens familiaux ne se fait plus jour ?

Grandir sans famille, grandir sans statut protecteur, n'est pas une fatalité, même quand l'adoption n'est pas la meilleure solution pour certains enfants. Encore faut-il savoir évaluer chaque situation depuis l'intérêt individuel de chaque enfant, s'assurer que l'adoption est envisagée, entre autres solutions, avant qu'il apparaisse vraiment que ce n'est pas la réponse à la solitude ou à l'isolement de cet enfant-là.

Au-delà de cette proposition de loi, je souhaite, monsieur le ministre, évoquer l'impossibilité d'adopter des enfants algériens ou marocains lorsqu'ils ne sont pas nés en France et le problème de l'ouverture de l'adoption aux couples liés par un pacte civil de solidarité.

Je sais que le Conseil supérieur de l'adoption et les organisations de parents mènent à ce sujet une réflexion approfondie ; je souhaite que ces réflexions aboutissent rapidement à une proposition de loi que je soutiendrai de toute ma conviction tant il est vrai que notre devoir est de donner des parents à un enfant.

Il serait opportun que cette question de l'interdiction de l'adoption pour des enfants au seul motif de leur lieu de naissance soit revue très rapidement. De la même façon, une réflexion me semble devoir être menée sur la protection de l'enfant qui, dans notre pays, est un peu délaissée par rapport à celle de la famille.

Pour conclure, je souhaite, au nom de la commission des affaires sociales, souligner la qualité de cette initiative parlementaire. Nous attendons une mise en oeuvre rapide de ces dispositions, dans l'intérêt des milliers d'enfants abandonnés en France et à l'étranger et dans celui des nombreuses familles qui attendent pendant trop longtemps de se voir confier un enfant.

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