Peut-être !
Les rédacteurs du rapport interministériel cité précédemment soulignaient déjà le grand « bazar » des OAA : sur une quarantaine d'OAA, quatre totalisaient 50 % des adoptions et douze seulement réalisaient plus de trente adoptions annuelles, mais, surtout, seul un tiers satisfait aux conditions d'habilitation du décret du 18 avril 2002 !
De surcroît, l'absence de contrôle facilite l'opacité du système. Vu l'abondance des dossiers, la taille souvent modeste des organisations et, bien souvent, leurs origines confessionnelles, la sélection des candidats se fait selon des critères restrictifs et souvent discutables dans un Etat laïque.
Si les OAA appartenaient au domaine privé et étaient indépendants financièrement, cela pourrait être acceptable ; mais ils sont tous subventionnés par l'Etat et bénéficient ainsi, souvent, des avantages liés à la détention d'un agrément sans se plier aux obligations qui en découlent : des droits, donc, mais peu de respect des devoirs !
Ces éléments expliquent pourquoi, en France, à la différence des autres pays « adoptants », 70 % à 75 % des parents choisissent d'engager des démarches individuelles.
Cette proposition de loi - nous ne pouvons que le constater - tend à légaliser les dérives et les incohérences actuelles. Elle met sur le même plan des organisations efficaces, rigoureuses et soucieuses du respect de leurs obligations et celles qui n'apportent pas des garanties suffisantes pour être considérées comme des partenaires fiables.
Pourquoi ne pas avoir saisi l'opportunité de ce texte pour mettre en place une stratégie visant à mieux contrôler ce secteur et à encourager son efficacité et sa professionnalisation ?
Cela aurait mérité - chacun en conviendra - que l'on prenne le temps de chercher ensemble une réponse plus adaptée. Je pense, d'ailleurs, que nos interrogations sont largement partagées au sein de la commission des affaires sociales.
En effet, alors que le texte a déjà été débattu à l'Assemblée nationale, les imprécisions et les dérives qu'il porte en germe sont telles que M. le rapporteur a voulu limiter les dégâts en proposant, en commission, un amendement visant à clarifier la composition de l'AFA et à ne donner aux OAA qu'un rôle consultatif, amendement que nous soutiendrons, bien entendu.
La précipitation avec laquelle ce texte nous a été présenté n'a pas non plus permis d'aborder la question du financement de l'Agence française pour l'adoption. Sachant que le manque de moyens a eu raison de la MAI, le flou entourant les ressources de l'AFA autorise toutes les craintes. Quel sera l'apport financier de l'Etat ? Quelle sera la part des conseils généraux ? Cette part sera-t-elle modulée en fonction de leurs ressources et de leur situation ? Y aura-t-il participation financière des candidats à l'adoption ? Des prestations pourront-elles leur être facturées ?
Cette absence de précision en matière financière suscite la suspicion : le choix de faire de l'AFA un groupement d'intérêt public ne permettra-t-il pas à l'Etat, à terme, de se défausser sur les conseils généraux du poids du financement de l'Agence ? Les conseils généraux n'ont d'ailleurs guère été associés à cette démarche. Ils devront pourtant assumer ces dépenses, alors qu'ils ont déjà peine à faire face aux transferts de charges et de personnels que l'Etat ne cesse d'effectuer. Or, en la circonstance, il s'agit non pas de transferts résultant de la décentralisation, mais bien de missions nouvelles. Des ressources nouvelles devront donc être trouvées.
Ces questions n'ont malheureusement pas été abordées, et nul ne sait encore précisément évaluer le poids des dépenses liées à ces nouvelles responsabilités. Reconnaissons-le, les problèmes que nous soulevons ne sont pas anodins. Y répondre par décret risque, à terme, de faire l'effet d'une déflagration. La naissance de cette nouvelle Agence ne se présente pas sous les auspices les plus favorables.
La suppression, dans l'article 3, de l'exception liée à l'état de « grande détresse des parents biologiques » est un autre exemple de confusion entre vitesse et précipitation. Nous en avons déjà beaucoup parlé. A priori, on pourrait penser que l'intérêt, pour les enfants en situation de délaissement, est que leur soit trouvée au plus vite une famille adoptive. Cette question, évoquée en commission, a soulevé des problèmes fondamentaux, qui n'ont été qu'effleurés : filiation, origine, identité, peut-être aussi mythe de la famille idéale. Cette question vaudrait à tout le moins la peine que l'on s'y arrête longuement et que l'on sollicite peut-être le point de vue, par exemple, des services de l'aide sociale à l'enfance et des magistrats concernés.
Dans le même ordre d'idée, il aurait été souhaitable que l'on s'interroge sur le temps qui s'écoule entre le moment où le constat de délaissement de l'enfant est transmis par les services sociaux et celui où le magistrat prononce la déclaration judiciaire d'abandon. Un an, deux ans, trois ans sont parfois nécessaires. Ces années s'ajoutent à la première année, au minimum, de placement de l'enfant. Ces délais, on le comprend bien, rendent plus douloureuse et difficile la transition entre la famille d'accueil et la famille adoptante. Monsieur le ministre, un code de bonne conduite semble souhaitable.
Enfin, j'évoquerai quelques-unes des omissions non négligeables de cette proposition de loi.
Rien n'est plus inégalitaire dans son fonctionnement que l'adoption internationale. Le coût de ce type d'adoption, cela a été dit, varie entre 20 000 et 30 000 euros. Il exclut d'emblée nombre de familles.
La plupart des pays demandent également que l'adoptant passe du temps dans le pays d'origine de l'enfant, ce qui est très bien. Pourtant, il n'est pas aisé de partir un mois, au minimum, et d'assumer une absence d'une telle durée vis-à-vis de son employeur, ainsi que les frais de voyage et d'hébergement.
Certes, le congé d'adoption est de droit, mais, contrairement au congé de maternité, il n'est pas rémunéré. C'est une injustice flagrante pour les parents adoptifs et une discrimination inacceptable que n'ont pas à subir les parents biologiques. Une telle différenciation est d'autant plus injustifiable que, quelle que soit l'origine de l'enfant, celui-ci participera, une fois adulte, au financement de la solidarité nationale. Pour quelle raison n'en bénéficierait-il pas au commencement de sa vie ?
Ces questions et ces restrictions ont suscité des débats lors de la réunion de la commission des affaires sociales. Mais, alors même que les problèmes évoqués ont trouvé des échos chez les parlementaires présents, comme chez tous les professionnels du secteur et les parents adoptants, les discussions ont été abrégées et les échanges tronqués, faute de temps. Faute de temps toujours, aucune audition n'a pu être réalisée par la commission, ce qui a empêché une appréciation plus fine et plus objective des besoins et des solutions.
Jouer les chambres d'enregistrement et voter un texte a minima, c'est, dans le meilleur des cas, nous le savons tous, laisser au Gouvernement le soin de régler par décret un certain nombre des problèmes que nous avons énumérés et qui, vous en conviendrez, sont loin d'être accessoires.
En contrevenant au principe de séparation des pouvoirs, une telle substitution est néfaste à la bonne santé de notre démocratie représentative et, par ricochet, débouche souvent sur la promulgation de textes boiteux qui ne résolvent rien, mais promettent beaucoup.
Or, nous légiférons sur le droit de l'enfant à avoir une famille, nous légiférons pour faciliter aux parents le parcours du long chemin, semé d'obstacles sans cesse renouvelés, jusqu'à la rencontre avec l'enfant. Personne ici n'a envie de traiter ces questions à la légère. Laissons du temps au temps. Ce texte vaut la peine que nous retournions travailler en commission !