Intervention de Bernard Seillier

Réunion du 22 juin 2005 à 15h00
Réforme de l'adoption — Article 3

Photo de Bernard SeillierBernard Seillier :

Cet amendement se présente comme un amendement de repli par rapport aux deux qui viennent d'être exposés.

Je voudrais, ici, me faire l'avocat de l'éminente dignité des pauvres et des gens en situation d'exclusion, et plaider également pour tous les efforts consentis depuis des années par de nombreux gouvernements en faveur de la cohésion sociale et de la lutte contre l'exclusion et la pauvreté. En effet, en matière de cohésion sociale, on ne peut attendre des résultats favorables et positifs si l'on ne défend pas la cohésion familiale.

C'est bien le coeur du sujet car si, jusqu'à présent, l'examen de ce texte a été abordé, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, sans qu'aient été auditionnées ni les personnes concernées ni les associations qui agissent auprès d'elles, il faudra bien prendre en considération cette situation, très rapidement introduite dans le code civil sous cette formule, il est vrai un peu lapidaire, de « personnes en situation de grande détresse ».

Quelle est la réalité de ces familles ? Elles se trouvent confrontées dans leur vie quotidienne à un combat avec des travailleurs sociaux. Elles vivent l'intervention administrative et judiciaire avec un fort sentiment d'injustice et la peur du placement. En effet, le placement, parce qu'il rappelle des mauvais souvenirs, parce qu'il met fin au projet familial, seule richesse des plus pauvres, parce qu'il crée un décalage entre les parents et leurs enfants, notamment dans leurs conditions de vie, difficile ensuite à combler, demeure pour les familles ce que l'on doit à tout prix éviter.

Comme le disait une mère, après un long temps de placement, on ne se connaît plus, on doit apprendre à connaître ses propres enfants. Quand on a les enfants en fin de semaine, on est attentif à les gâter, ce qui ne favorise pas la mise en place de limites. On peut d'ailleurs observer que le terme « violence » est régulièrement employé par les familles - violence de l'intervention sociale, de l'intervention éducative et de l'intervention du juge - comme en écho d'ailleurs à l'usage du même terme par les professionnels.

Dans ce contexte, quelle place réserve-t-on aux parents d'enfants placés ? Comment peut se traduire en actes la volonté des professionnels de prendre en compte les compétences parentales et de favoriser la « bientraitance » ?

Le placement, devenu le barycentre du travail social et éducatif, signant l'échec d'une intervention sociale ou éducative, influe sur la liberté de parole des familles auxquelles l'accès aux écrits des professionnels est souvent interdit, pour des raisons autant pratiques que juridiques. Comment, dans ces conditions, peut-on parler de contractualisation de l'action sociale et éducative ?

La peur du placement des enfants diminue la liberté de parole des familles et favorise le déni. L'aide sociale à l'enfance, malgré la réalité, est toujours perçue comme une institution « rapteuse » d'enfants.

De fait, on constate que se mettent en place des logiques qu'il est très difficile de briser.

Les familles les plus en difficulté ont parfois une histoire douloureuse par rapport à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, la DDASS, et ont construit une représentation de l'aide sociale à l'enfance. Elles ont peu de réseaux de solidarité, ce qui explique qu'elles fuient les services sociaux, se réfugiant dans la solitude et le refus de l'intervention de tout travailleur social. Elles s'installent dans une sorte de « spirale de l'enfermement »

Les travailleurs sociaux considèrent alors qu'il n'existe plus de collaboration possible avec une famille qui leur échappe physiquement ou qui dénie souvent l'existence de ce qui lui est reproché dans son attitude vis-à-vis de son enfant. L'anxiété des professionnels, qui se sentent souvent très seuls, se développe. Un signalement est rédigé pour le parquet et le juge, saisi du dossier, en l'absence de toute possibilité d'intervention en milieu ouvert, est amené à placer les enfants.

A cela, il faut ajouter des pratiques qui ne favorisent pas le dialogue : je pense, par exemple, au fait que, très fréquemment, le juge des enfants reçoive les travailleurs sociaux ou les éducateurs pendant un long moment, immédiatement avant l'audience avec la famille, comme s'il existait une connivence entre eux qui s'opposerait à une écoute attentive et sans a priori des familles les plus en difficulté.

Dès lors, pour les parents, tout est joué d'avance. Ils affirment : « Le juge ne nous a pas écoutés et nous a fait taire ; on ne peut pas discuter avec ce juge-là. Dès que l'on dit quelque chose, il monte d'un ton ». Un avocat a même parlé de « guet-apens » du placement.

L'incompréhension, qui se double d'un sentiment d'impuissance et d'humiliation, peut se traduire par des réactions violentes : un bureau renversé, des portes qui claquent. Une mère déclare : « Je n'ai pas écouté le reste et je suis partie en claquant la porte. Cela m'a soulagée ! ». Une autre attitude consiste, au contraire, « à faire la biche », selon l'expression utilisée par une mère de famille qui a expliqué qu'elle avait « trop peur de se mettre à dos les éducateurs » et que son mari lui avait dit de se taire. Elle a ajouté : « On a peur que les paroles se retournent contre nous ! ».

Les juges des enfants, pour leur part, déclarent que peu de parents s'opposent aux mesures proposées.

La question des droits de visite et d'hébergement est emblématique des difficultés que rencontrent les familles. Ces droits sont rarement fixés avec précision dans le contrat d'accueil provisoire ou dans les décisions d'assistance éducative.

Au-delà de l'aspect juridique et du souci de souplesse, que l'on peut comprendre, il n'empêche qu'une telle omission laisse aux équipes éducatives des établissement et services un pouvoir considérable sur la famille.

Deux exemples, pris dans deux départements différents, sont éclairants :

Pour rendre une visite d'une heure à leurs enfants placés dans un établissement, les parents sont parfois absents de leur domicile durant cinq heures en raison des horaires d'autobus et des changements à effectuer. Il leur arrive d'être en retard, ce qui leur est reproché.

Une maman, démunie de tout moyen matériel et en situation irrégulière, ne pouvait plus rendre visite à ses enfants placés dans un lieu accessible uniquement par le train, car elle craignait d'être interpellée, n'ayant pas de titre de transport.

De ces deux situations - le retard de la famille et l'absence de la mère auprès de ses enfants - les équipes éducatives tirent des conclusions quant à la qualité de l'attachement des parents à leurs enfants. Une mère de famille se lamentait : « On croit que je ne m'intéresse pas à mes enfants ! ». Une autorité dans le domaine de la lutte contre l'exclusion déclarait que, dans certains cas, elle avait le sentiment d'être en face de familles non pas « démissionnaires », mais « démissionnées ».

A l'inverse, un établissement organise les visites de la façon la plus souple possible, en fonction de la décision du magistrat. Si la vie des enfants, et de leurs camarades, ne s'en trouve pas perturbée inconsidérément, les parents sont autorisés à leur rendre visite sans rendez-vous. Une mère peut s'y rendre tous les soirs et baigner son fils ; une famille peut y déjeuner avec son enfant quand elle le souhaite et sans prévenir ; des pères et des mères participent à des groupes de vie du foyer et prennent part à la préparation des repas.

J'ajoute un dernier exemple positif : M. et Mme B. ont quatre enfants, dont les trois garçons aînés sont placés à l'aide sociale à l'enfance, la plus jeune, Sabrina, âgée de quatre ans, vivant avec eux. Ils ont beaucoup de mal à maintenir des liens réguliers avec leurs enfants placés. En effet, voir ses enfants dans une salle, une heure par mois, est décourageant.

L'occasion leur a été donnée de passer plusieurs week-ends à l'espace de vie créé par une association.

C'est là qu'intervient sur le terrain, à côté des travailleurs sociaux, un autre acteur sur lequel se fondent les plus grands espoirs dans la lutte contre l'exclusion et la pauvreté : je veux parler de la vie associative et des initiatives prises par les associations en coopération avec les institutions administratives et professionnelles.

Cette association a permis à M. et Mme B. de reconquérir auprès de leurs fils une place de parents plus concrète en termes de prise en charge et à la jeune soeur de se retrouver au sein de la fratrie. Aujourd'hui, les droits de visite aux garçons ont été étendus et les travailleurs sociaux envisagent des visites avec sortie au domicile familial. Dans le même temps, la famille a été relogée et un projet de vacances pour cet été, dans une maison de vacances familiale, se met en place.

Après avoir vécu au jour le jour, les parents parviennent aujourd'hui à construire des projets d'avenir, à se fixer des objectifs et à se mobiliser pour atteindre leur but. Ils ont senti qu'ils étaient soutenus, dans leur projet, par un certain nombre de partenaires.

Sur cette question de la difficulté du maintien des liens entre les parents et les enfants placés, je veux citer l'exemple suivant : des parents doivent dépenser cinquante euros pour se rendre à la pouponnière où leur enfant est placé. Lorsque ce dernier fait encore la sieste lorsqu'ils arrivent à l'établissement, les heures de visite étant strictes, ils ne le voient que très peu de temps. Alors, ils se découragent et n'y vont plus aussi régulièrement. Ensuite, ils se voient accusés de se désintéresser de leur enfant.

Il est difficile pour la plupart des parents d'aller voir leurs enfants qui sont placés. Ces parents souffrent du regard négatif qui est porté sur eux. Le moment où ils doivent quitter leurs enfants est toujours dur : les enfants pleurent, et les parents sont, là encore, découragés.

Face à ces difficultés, je tiens à insister sur l'importance de la présence du tissu associatif et de son action dans la lutte contre l'exclusion et pour la cohésion sociale

Les exemples que je viens de donner sont récents et illustrent des situations concrètes et actuelles.

Je vous ai par ailleurs cité des extraits du rapport publié, en juin 2000, par M. Naves, inspecteur général des affaires sociales, et M. Cathala, inspecteur des services judiciaires. Permettez-moi de souligner que je n'ai trouvé aucune mention de cette publication importante sur le placement des enfants et des adolescents dans les rapports et études de l'Assemblée nationale ou du Sénat sur cette question.

Je ne formule aucun reproche à cet égard, dans la mesure où notre débat devait se cantonner strictement aux modalités d'adoption. Cependant, la suppression d'un membre de phrase qui couvre le champ énorme des familles en situation de détresse ne peut être traitée aussi facilement.

C'est pourquoi je propose, par cet amendement, d'en faire mention et de rappeler l'accompagnement des professionnels et des institutions compétentes, prévu aux articles L. 221-1 et 375 du code civil. Il s'agit de permettre à ces associations et aux pouvoirs publics de prendre leurs responsabilités pour que les situations soient tranchées en connaissance de cause

A la réalité douloureuse des familles qui demandent des adoptions, s'ajoute celle, très douloureuse, des familles qui vivent dans la grande misère et qui se comptent par millions en France aujourd'hui, hélas !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion