Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà plus de cinq ans, notre pays se dotait d’une loi dont l’ambition, selon les propres termes du Président de la République d’alors, Jacques Chirac, était de réunir « les conditions pour que les personnes handicapées puissent vivre leur vie et la réussir ».
Aujourd’hui, si la situation a quelque peu évolué, notamment grâce à l’implication régulière et continue des associations de personnes handicapées et de leurs familles, ainsi que de l’immense majorité des départements, le chantier est loin d’être achevé.
Alors que, tous, nous placions nos espoirs dans la loi du 11 février 2005, notre société n’a pas changé de regard sur le handicap et sur les personnes qui le vivent. Un important travail d’information, de formation professionnelle et citoyenne, de sensibilisation reste à faire. Cela exige la mobilisation de tous les acteurs publics pour que l’action menée par le secteur associatif soit valorisé, qu’enfin les personnes handicapées soient reconnues dans l’intégralité de leurs droits, que nous fassions en sorte qu’elles trouvent leur place dans la société.
Nous aurions d’ailleurs tous à y gagner. Pour reprendre les propos du président de la Fédération des associations pour adultes et jeunes handicapés que j’ai déjà cités lors du débat sur l’application de la loi de 2005 sur le handicap, « chaque fois que l’on améliore les choses pour les personnes en situation de handicap, cela sert à toute la société ». Chaque fois que l’on intègre une rampe d’accès dans un bâtiment, on facilite non seulement la vie des personnes handicapées, mais aussi celle de la mère ou du père de famille qui sort ses enfants en poussette, ou celle de la personne âgée qui peine à monter les marches.
En pensant dès la phase de construction à l’accessibilité pour tous, on prépare notre pays aux mutations sociologiques qui se profilent.
À cet égard, monsieur le rapporteur, nous ne pouvons qu’être opposés à l’article 14 bis qui a été inséré, sur votre initiative, dans le texte de la commission par voie d’amendement. Il s’agit ni plus ni moins, pour reprendre la formule utilisée par la Fédération nationale des accidentés du travail et handicapés, la FNATH, et l’Association des paralysés de France, l’APF, d’« un chèque en blanc pour les promoteurs et les lobbies ».
Pour vous dire franchement mon sentiment, j’ai l’impression que cette disposition est le fruit d’un compromis entre les obligations imposées par la loi et l’action des différents groupes de pression. Pour autant, ce n’est guère acceptable, car les personnes handicapées qui ne parviennent pas à se loger ou à gravir les marches d’un escalier ne font pas de compromis avec leur handicap. Cela l’est même d’autant moins que cela ajoute des situations de surhandicap que nous pouvons limiter par nos décisions.
Monsieur le rapporteur, le groupe CRC-SPG a déposé un amendement de suppression de cette disposition, qui, je l’espère, trouvera votre assentiment et recueillera la majorité des voix. À défaut, si cet article était maintenu en l’état, nous n’aurions pas d’autre choix que de voter contre l’ensemble de cette proposition de loi. Je le regretterais d’autant plus que nous étions prêts à soutenir certaines dispositions de ce texte. Je pense en particulier à celles qui concernent les maisons départementales des personnes handicapées.
Nous partageons votre souci de pérenniser, au titre Ier, le statut des MDPH. Le choix que vous avez retenu nous semble le meilleur. La structure actuelle permet l’association de la pluralité des acteurs, ce qui est incontestablement un gage de qualité. Par ailleurs, elle permet, du moins en théorie, de garantir la dimension nationale de la politique du handicap.
À ce titre, je tiens à exprimer notre opposition à la tentation que certains pourraient avoir d’intégrer les MDPH dans les services des conseils généraux. Le fait que les départements suppléent trop souvent l’État, particulièrement sur le plan financier, ne doit pas servir d’argument en ce sens.
Nous ne devons pas partir du constat d’une anomalie pour adopter des mesures qui auraient pour effet de décentraliser complètement la politique du handicap et de rompre avec le principe de la solidarité nationale. Toutefois, il faudra bien que les financements des MDPH soient assurés de manière pérenne. Actuellement, c’est loin d’être le cas, car la compensation financière promise par l’État en 2005 au titre des emplois mis à disposition par ses directions départementales n’a pas toujours été assurée.
Selon une enquête réalisée par l’Association des directeurs des maisons départementales des personnes handicapées, la dette cumulée de l’État à l’égard de l’ensemble des MDPH s’élèverait à 34 millions d’euros. Certains établissements ont introduit des recours contre l’État. Cette judiciarisation de notre système de solidarité n’est pas souhaitable et l’État devrait prendre les mesures nécessaires pour s’appliquer à lui-même les lois qu’il décide.
L’État doit éviter que ne se multiplient les contentieux, à l’image de celui qu’a entamé le département de Saône-et-Loire et qu’il a gagné, obligeant l’État à créer et à abonder le Fonds de protection de l’enfance.
Les départements qui connaissent des situations financières intenables ne peuvent supporter seuls l’absence de financements de l’État, et ce d’autant plus que le Gouvernement et la majorité ont décidé de tarir les ressources des conseils généraux et que Nicolas Sarkozy comme François Fillon affirment vouloir appliquer aux collectivités locales la politique de rigueur menée à l’échelon national.
Comment les départements à propos desquels le président du Sénat lui-même déclare qu’ils se trouvent en situation de faillite feront-ils demain pour continuer à payer toutes les prestations sociales individualisées – allocation personnalisée d’autonomie, prestation de compensation du handicap, revenu de solidarité active – qui tendent à s’accroître ?
Je conclurai en évoquant un sujet qui nous préoccupe particulièrement, mais que n’aborde malheureusement pas cette proposition de loi, celui de la scolarisation des enfants handicapés.
Nous avons pris acte de la signature par cinq associations nationales d’un accord relatif à la reprise, par leurs soins, des auxiliaires de vie scolaire. La précédente convention avait été dénoncée par l’ensemble des signataires, face au double constat de l’impossibilité de déboucher sur une définition du métier d’auxiliaire de vie scolaire et d’apporter une réponse satisfaisante à la question du financement, particulièrement pour ce qui relève des temps extrascolaire et périscolaire.
Cette situation ne peut nous satisfaire, car elle est beaucoup trop précaire. Elle repose sur la capacité des associations et sur le respect par l’État des engagements financiers qu’il a pris à leur égard. Cette situation de substitution du secteur associatif à l’État souligne une nouvelle fois la « déresponsabilité » des pouvoirs publics.
Les associations, y compris celles qui en sont les signataires, ont fait savoir qu’elles regrettaient la précipitation dans laquelle la nouvelle convention avait été conclue. Cette situation n’a permis ni de solliciter le Conseil national consultatif des personnes handicapées et le Comité national de l’organisation sanitaire et sociale ni de s’assurer des garanties sur le financement.
Nous estimons qu’une solution nationale, permettant d’associer pleinement le ministère de l’éducation nationale et d’autres, comme le ministère du travail, de la solidarité et de la fonction publique, est possible. Nous avions même cru que le report de l’examen de la proposition de loi avait précisément pour objectif d’intégrer cette question capitale. Hélas ! tel ne fut pas le cas.
Pour toutes ces raisons, malgré le soutien que nous apporterons à certaines mesures, nous serons contraints de voter contre ce texte, en raison des lacunes que je viens de mentionner et, surtout, du renforcement des dérogations relatives à l’accessibilité dans le bâti neuf. §