Intervention de Nicole Bricq

Réunion du 24 juin 2010 à 15h00
Recours collectif — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Nicole BricqNicole Bricq :

Je citerai une seule référence : en 1983, la commission sur le règlement des litiges de la consommation rendait un rapport détaillé visant à instaurer une action de groupe dans le droit de la consommation. Le projet fut repris, en 1985, dans les propositions élaborées par la commission de refonte du droit de la consommation, présidée par M. Calais-Auloy, mais ces travaux ont immédiatement suscité l’ire du CNPF, ancêtre du MEDEF, qui publia un contre-rapport. Depuis, aucune des velléités législatives n’a abouti.

Seule Mme Véronique Neiertz, secrétaire d’État à la consommation dans le gouvernement de Mme Cresson, a pu inscrire dans notre droit l’action en représentation conjointe ; dans leur rapport d’information, nos collègues Laurent Béteille et Richard Yung, auquel je me référerai souvent, ont en quelque sorte décortiqué les raisons de l’échec de cette nouvelle procédure, comme nous l’avions fait nous-mêmes en déposant cette proposition de loi en 2006 ; nous avons dû la redéposer parce qu’elle était devenue caduque.

Nous voulons donc reprendre le flambeau tenu par Mme Neiertz – je l’ai personnellement bien connue, puisque j’ai siégé à ses côtés à l’Assemblée nationale –, afin de remédier à l’inertie des gouvernements qui se sont succédé depuis 2005, date à laquelle M. Jacques Chirac, alors Président de la République, avait annoncé cette réforme lors de la présentation de ses vœux.

Il nous paraît donc urgent de modifier notre droit car, faute de possibilité d’agir efficacement, les frustrations se développent, et nous savons que la multiplication des litiges est un reflet assez pertinent de l’état d’une société. Cette carence engendre des comportements de défiance vis-à-vis de l’action publique envisagée globalement, qui sapent toute notre organisation institutionnelle et minent la démocratie.

En cas de condamnation de pratiques anticoncurrentielles, est-il normal que les victimes ne soient pas indemnisées ? Non ! Tel a pourtant été le cas à la suite de la décision du 14 octobre 2004 du Conseil de la concurrence, devenu depuis Autorité de la concurrence, à l’encontre des sociétés opératrices de téléphonie mobile. Tel a encore été le cas avec la décision du 20 décembre 2007, dans laquelle le Conseil de la concurrence reconnaît que les principales victimes de l’entente sur le prix de vente entre fabricants de jouets et distributeurs sont les consommateurs. Du reste, cette dernière affaire est pendante devant la Cour de cassation.

Cette carence est d’autant plus grave que l’on voit se multiplier les plaintes des victimes au pénal, procédure peu onéreuse, mais qui intervient toujours dans un cadre individuel. Je citerai deux cas d’actualité à l’appui de mon propos.

Ainsi, les fondateurs de l’Association française d’épargne et de retraite, l’AFER, ont été condamnés pour abus de confiance, mais la question de l’indemnisation des épargnants lésés est pendante. L’association qui les représente ne peut agir en justice, faute de reconnaissance du droit à réparation collective ; elle tiendra son assemblée générale le 29 juin et cherche à regrouper les victimes.

Le second cas, très douloureux, m’a été signalé par notre collègue Samia Ghali, sénatrice des Bouches-du-Rhône : il s’agit de femmes victimes d’implants mammaires défectueux fabriqués par une société établie dans les Bouches-du-Rhône, qui se regroupent dans une association désignée par le sigle PPP, afin d’envisager comment elles pourront obtenir réparation. Le nombre des victimes potentielles de ces prothèses défaillantes s’élèverait à 30 000, rien qu’en France. Or la société susceptible d’être condamnée exporte dans le monde entier : les Françaises ne représenteraient potentiellement que 13 % du total des victimes dans le monde !

L’une d’elles, particulièrement atteinte, qui a appelé sur Internet au regroupement de toutes les victimes potentielles, a reçu à ce jour 1 440 réponses ; par ailleurs, 517 plaintes ont été déposées auprès du procureur de la République de Marseille. Le dossier est au parquet et nous attendons avec intérêt la suite de la procédure. Il est toutefois évident que, faute d’une possibilité de recours collectif, même si la société devait être condamnée, toutes les victimes n’obtiendront pas réparation dans le cadre de ces procédures.

Il nous faut donc introduire dans notre procédure civile une action qui permette de mutualiser les moyens tout en étant d’un coût abordable, quand les actions individuelles sont, elles, trop onéreuses. Tel est donc l’objet de notre proposition de loi que je vais très rapidement vous présenter.

Je m’y suis reprise à deux fois pour lire le rapport de M. Béteille, parce que l’une de ses affirmations m’a étonnée. J’avais lu très attentivement le rapport d’information déjà mentionné qu’il avait rédigé avec notre collègue Richard Yung, membre du groupe socialiste. Je me suis d’ailleurs rendue à la conférence de presse organisée pour la présentation de ce rapport et j’ai pris connaissance des articles qui lui ont été consacrés – je tiens d’ailleurs à remercier nos collègues de ce travail, car il fait avancer le débat, et il en a bien besoin !

Reste que, monsieur le rapporteur, dans l’une des têtes de chapitre de votre rapport législatif, vous estimez que notre proposition de loi est « éloignée des recommandations du groupe de travail sur l’action de groupe ». On peut raconter ce que l’on veut, faire des chicanes et user de procédures, mais nous avons toujours affirmé, et par écrit et par oral, que notre proposition était amendable et que nous voulions surtout avancer.

Nous ne revendiquons aucun droit d’auteur ; le rapport d’information va dans le même sens que notre proposition de loi et il est d’autant plus utile qu’il éclaircit bien le sujet avec la précision coutumière à la commission des lois. Encore une fois, mes chers collègues, je vous en remercie très solennellement !

J’en arrive à la présentation des articles de notre proposition de loi.

L’article 1er instaure la procédure de recours collectif, menée en représentation par une association agréée. Vous nous reprochez ce point, monsieur le rapporteur, mais nous avons choisi cette formule pour tenter de canaliser la procédure. Peut-être n’est-ce pas la bonne entrée ! Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien compris que vous étiez favorable à cette modalité, mais vous posez tellement de conditions que la procédure ne fonctionnera pas, à court terme.

Vous posez notamment une condition très délicate, car vous exigez une restructuration préalable du milieu associatif, supposant une diminution du nombre d’associations, qui sont dix-huit à l’heure actuelle. Je me doute bien qu’une telle opération, menée avec toutes les précautions nécessaires, ne se fera pas en six mois. Ces délais font que l’action de groupe ne sera pas applicable, à court et même à moyen terme.

Sur cette question de la représentation, je suis ouverte à toutes les propositions. Du reste, les avocats que nous avons rencontrés à l’occasion de l’élaboration de notre proposition de loi se sont préoccupés du sujet : pourquoi avoir recours à un filtre dans ces actions de groupe et pourquoi ne pas simplement s’adresser à eux ? À l’époque, nous n’avons pas souhaité retenir cette dernière solution.

L’article 2 tend à autoriser la sollicitation publique des mandats.

L’article 3 traite du champ d’application du recours collectif.

Monsieur le rapporteur, vous reprochez également à ces mesures d’être trop vagues et trop larges. Mais les propositions formulées dans le rapport d’information que vous avez élaboré avec mon collègue Richard Yung nous conviennent parfaitement !

Vous prévoyez d’ouvrir l’action de groupe au droit de la consommation, au droit de la concurrence, au droit financier et au droit boursier. Cette précision est plus qu’utile, elle est nécessaire ! Comme nous l’avons toujours dit, nous sommes favorables à ce périmètre.

Évidemment, le sujet est sensible, car tout le monde s’inquiète que le dispositif aboutisse à des pratiques foisonnantes et incontrôlées. Je précise que, dans notre proposition de loi, nous avions pris la précaution de renvoyer la fixation précise de ce champ d’application par secteur à un décret en conseil des ministres. Sur un sujet comme celui-ci, on ne peut effectivement pas avancer à la légère et une véritable concertation est nécessaire.

L’article 5 instaure une procédure déclinée en deux temps : le juge vérifie d’abord la réalité du préjudice de masse, puis il évalue ce préjudice.

Le rapport d’information évoque également une procédure en deux temps qui, même si elle est plus détaillée que la nôtre, n’en est pas pour autant « éloignée », monsieur le rapporteur. Si la rédaction diffère, l’esprit est bien le même ! Étant précisé que le groupe socialiste ne bénéficie pas du recours aux talentueux administrateurs de la commission des lois – c’est d’ailleurs parfaitement normal –, je reconnais donc toute l’utilité du travail effectué par celle-ci.

L’article 6 autorise les associations agréées à recourir au démarchage et l’article 7 prévoit la mise en œuvre du mécanisme selon lequel l’action en réparation n’est ouverte qu’aux victimes ayant expressément manifesté le souhait d’être parties à l’instance. Cette procédure dite de l’opt in, en bon français

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