Séance en hémicycle du 24 juin 2010 à 15h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Guy Fischer.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi sur le recours collectif, présentée par Mme Nicole Bricq et plusieurs de ses collègues (proposition n° 277, rapport n° 532).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous vous présentons aujourd’hui traite d’un sujet bien identifié : elle vise à introduire dans notre droit un mécanisme de recours collectif, afin de répondre aux préjudices de masse dont on compte de nombreuses victimes. Or ces victimes ne peuvent actuellement recourir à un dispositif efficace pour faire valoir leur droit à réparation.

La médiation – je sais que vous y êtes attaché, monsieur le secrétaire d’État, car j’ai lu le compte rendu des assises de la consommation qui se sont tenues à l’automne dernier – a une utilité certaine pour résoudre de petits litiges, mais elle suppose une démarche volontaire, acceptée par les deux parties et l’exécution de l’accord qui pourrait intervenir entre les parties est laissée à la liberté de chacune d’elles.

L’action en représentation conjointe, introduite en 1992 dans notre droit, s’est révélée lourde et compliquée ; elle a finalement été très peu utilisée.

Or la consommation de masse, les nouvelles techniques de communication, le développement du crédit, la complexité des contrats sont autant d’éléments qui modifient en profondeur l’exécution de ces contrats au détriment du consommateur.

Mais ces litiges ne se limitent au périmètre de la consommation : c’est ainsi que l’on a vu, dans la période récente, des actionnaires lésés, notamment dans l’affaire Vivendi, contraints d’aller plaider aux États-Unis, pays qui dispose depuis longtemps d’une procédure dont le nom est souvent repris en France en version originale, à tort du reste, je veux parler des class actions.

J’ai remarqué que ce terme était très souvent utilisé par ceux-là mêmes qui sont les plus hostiles à l’introduction d’une procédure collective en droit français. Ils motivent leur hostilité en s’appuyant sur des cas extrêmes et de pratiques mercantiles que le modèle procédural français, dans lequel notre proposition de loi s’inscrit, tient à distance, comme l’ont très bien démontré nos collègues Laurent Béteille et Richard Yung dans le rapport d’information qu’ils ont remis au nom du groupe de travail de la commission des lois sur l’action de groupe.

Au demeurant, d’autres pays de l’Union européenne ont développé ce droit de recours collectif : l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la Suède, plus récemment la Pologne et, bientôt peut-être, la Hongrie les rejoindra-t-elle. La Commission européenne, nous le savons tous, travaille sur cette question. Faudra-t-il donc attendre, monsieur le secrétaire d’État, qu’elle présente un projet de directive ou de règlement, aboutissant à l’un de ces compromis politiques dont les institutions européennes ont le secret et qui pourrait se révéler défavorable à notre tradition ?

Nous ne voulons pas nous voir imposer un modèle qui ne serait pas le nôtre. Au contraire, nous voulons que notre pays développe son propre dispositif et, surtout, nous voulons rendre effectif le droit à réparation, répondant en cela, me semble-t-il, à notre volonté commune.

Ce matin, votre collègue secrétaire d’État à la justice, M. Jean-Marie Bockel, s’est déclaré favorable à l’introduction de ce nouveau droit, mais a demandé que l’on n’agisse pas avec précipitation !

M. Pierre Fauchon s’esclaffe.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Je citerai une seule référence : en 1983, la commission sur le règlement des litiges de la consommation rendait un rapport détaillé visant à instaurer une action de groupe dans le droit de la consommation. Le projet fut repris, en 1985, dans les propositions élaborées par la commission de refonte du droit de la consommation, présidée par M. Calais-Auloy, mais ces travaux ont immédiatement suscité l’ire du CNPF, ancêtre du MEDEF, qui publia un contre-rapport. Depuis, aucune des velléités législatives n’a abouti.

Seule Mme Véronique Neiertz, secrétaire d’État à la consommation dans le gouvernement de Mme Cresson, a pu inscrire dans notre droit l’action en représentation conjointe ; dans leur rapport d’information, nos collègues Laurent Béteille et Richard Yung, auquel je me référerai souvent, ont en quelque sorte décortiqué les raisons de l’échec de cette nouvelle procédure, comme nous l’avions fait nous-mêmes en déposant cette proposition de loi en 2006 ; nous avons dû la redéposer parce qu’elle était devenue caduque.

Nous voulons donc reprendre le flambeau tenu par Mme Neiertz – je l’ai personnellement bien connue, puisque j’ai siégé à ses côtés à l’Assemblée nationale –, afin de remédier à l’inertie des gouvernements qui se sont succédé depuis 2005, date à laquelle M. Jacques Chirac, alors Président de la République, avait annoncé cette réforme lors de la présentation de ses vœux.

Il nous paraît donc urgent de modifier notre droit car, faute de possibilité d’agir efficacement, les frustrations se développent, et nous savons que la multiplication des litiges est un reflet assez pertinent de l’état d’une société. Cette carence engendre des comportements de défiance vis-à-vis de l’action publique envisagée globalement, qui sapent toute notre organisation institutionnelle et minent la démocratie.

En cas de condamnation de pratiques anticoncurrentielles, est-il normal que les victimes ne soient pas indemnisées ? Non ! Tel a pourtant été le cas à la suite de la décision du 14 octobre 2004 du Conseil de la concurrence, devenu depuis Autorité de la concurrence, à l’encontre des sociétés opératrices de téléphonie mobile. Tel a encore été le cas avec la décision du 20 décembre 2007, dans laquelle le Conseil de la concurrence reconnaît que les principales victimes de l’entente sur le prix de vente entre fabricants de jouets et distributeurs sont les consommateurs. Du reste, cette dernière affaire est pendante devant la Cour de cassation.

Cette carence est d’autant plus grave que l’on voit se multiplier les plaintes des victimes au pénal, procédure peu onéreuse, mais qui intervient toujours dans un cadre individuel. Je citerai deux cas d’actualité à l’appui de mon propos.

Ainsi, les fondateurs de l’Association française d’épargne et de retraite, l’AFER, ont été condamnés pour abus de confiance, mais la question de l’indemnisation des épargnants lésés est pendante. L’association qui les représente ne peut agir en justice, faute de reconnaissance du droit à réparation collective ; elle tiendra son assemblée générale le 29 juin et cherche à regrouper les victimes.

Le second cas, très douloureux, m’a été signalé par notre collègue Samia Ghali, sénatrice des Bouches-du-Rhône : il s’agit de femmes victimes d’implants mammaires défectueux fabriqués par une société établie dans les Bouches-du-Rhône, qui se regroupent dans une association désignée par le sigle PPP, afin d’envisager comment elles pourront obtenir réparation. Le nombre des victimes potentielles de ces prothèses défaillantes s’élèverait à 30 000, rien qu’en France. Or la société susceptible d’être condamnée exporte dans le monde entier : les Françaises ne représenteraient potentiellement que 13 % du total des victimes dans le monde !

L’une d’elles, particulièrement atteinte, qui a appelé sur Internet au regroupement de toutes les victimes potentielles, a reçu à ce jour 1 440 réponses ; par ailleurs, 517 plaintes ont été déposées auprès du procureur de la République de Marseille. Le dossier est au parquet et nous attendons avec intérêt la suite de la procédure. Il est toutefois évident que, faute d’une possibilité de recours collectif, même si la société devait être condamnée, toutes les victimes n’obtiendront pas réparation dans le cadre de ces procédures.

Il nous faut donc introduire dans notre procédure civile une action qui permette de mutualiser les moyens tout en étant d’un coût abordable, quand les actions individuelles sont, elles, trop onéreuses. Tel est donc l’objet de notre proposition de loi que je vais très rapidement vous présenter.

Je m’y suis reprise à deux fois pour lire le rapport de M. Béteille, parce que l’une de ses affirmations m’a étonnée. J’avais lu très attentivement le rapport d’information déjà mentionné qu’il avait rédigé avec notre collègue Richard Yung, membre du groupe socialiste. Je me suis d’ailleurs rendue à la conférence de presse organisée pour la présentation de ce rapport et j’ai pris connaissance des articles qui lui ont été consacrés – je tiens d’ailleurs à remercier nos collègues de ce travail, car il fait avancer le débat, et il en a bien besoin !

Reste que, monsieur le rapporteur, dans l’une des têtes de chapitre de votre rapport législatif, vous estimez que notre proposition de loi est « éloignée des recommandations du groupe de travail sur l’action de groupe ». On peut raconter ce que l’on veut, faire des chicanes et user de procédures, mais nous avons toujours affirmé, et par écrit et par oral, que notre proposition était amendable et que nous voulions surtout avancer.

Nous ne revendiquons aucun droit d’auteur ; le rapport d’information va dans le même sens que notre proposition de loi et il est d’autant plus utile qu’il éclaircit bien le sujet avec la précision coutumière à la commission des lois. Encore une fois, mes chers collègues, je vous en remercie très solennellement !

J’en arrive à la présentation des articles de notre proposition de loi.

L’article 1er instaure la procédure de recours collectif, menée en représentation par une association agréée. Vous nous reprochez ce point, monsieur le rapporteur, mais nous avons choisi cette formule pour tenter de canaliser la procédure. Peut-être n’est-ce pas la bonne entrée ! Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien compris que vous étiez favorable à cette modalité, mais vous posez tellement de conditions que la procédure ne fonctionnera pas, à court terme.

Vous posez notamment une condition très délicate, car vous exigez une restructuration préalable du milieu associatif, supposant une diminution du nombre d’associations, qui sont dix-huit à l’heure actuelle. Je me doute bien qu’une telle opération, menée avec toutes les précautions nécessaires, ne se fera pas en six mois. Ces délais font que l’action de groupe ne sera pas applicable, à court et même à moyen terme.

Sur cette question de la représentation, je suis ouverte à toutes les propositions. Du reste, les avocats que nous avons rencontrés à l’occasion de l’élaboration de notre proposition de loi se sont préoccupés du sujet : pourquoi avoir recours à un filtre dans ces actions de groupe et pourquoi ne pas simplement s’adresser à eux ? À l’époque, nous n’avons pas souhaité retenir cette dernière solution.

L’article 2 tend à autoriser la sollicitation publique des mandats.

L’article 3 traite du champ d’application du recours collectif.

Monsieur le rapporteur, vous reprochez également à ces mesures d’être trop vagues et trop larges. Mais les propositions formulées dans le rapport d’information que vous avez élaboré avec mon collègue Richard Yung nous conviennent parfaitement !

Vous prévoyez d’ouvrir l’action de groupe au droit de la consommation, au droit de la concurrence, au droit financier et au droit boursier. Cette précision est plus qu’utile, elle est nécessaire ! Comme nous l’avons toujours dit, nous sommes favorables à ce périmètre.

Évidemment, le sujet est sensible, car tout le monde s’inquiète que le dispositif aboutisse à des pratiques foisonnantes et incontrôlées. Je précise que, dans notre proposition de loi, nous avions pris la précaution de renvoyer la fixation précise de ce champ d’application par secteur à un décret en conseil des ministres. Sur un sujet comme celui-ci, on ne peut effectivement pas avancer à la légère et une véritable concertation est nécessaire.

L’article 5 instaure une procédure déclinée en deux temps : le juge vérifie d’abord la réalité du préjudice de masse, puis il évalue ce préjudice.

Le rapport d’information évoque également une procédure en deux temps qui, même si elle est plus détaillée que la nôtre, n’en est pas pour autant « éloignée », monsieur le rapporteur. Si la rédaction diffère, l’esprit est bien le même ! Étant précisé que le groupe socialiste ne bénéficie pas du recours aux talentueux administrateurs de la commission des lois – c’est d’ailleurs parfaitement normal –, je reconnais donc toute l’utilité du travail effectué par celle-ci.

L’article 6 autorise les associations agréées à recourir au démarchage et l’article 7 prévoit la mise en œuvre du mécanisme selon lequel l’action en réparation n’est ouverte qu’aux victimes ayant expressément manifesté le souhait d’être parties à l’instance. Cette procédure dite de l’opt in, en bon français

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Mes chers collègues, vous pouvez constater que nous sommes vraiment raisonnables : nous préférons un pas, même modeste, vers un nouveau droit plutôt que le statu quo.

Je crois que nous partageons ce sens de la mesure avec MM. Laurent Béteille et Richard Yung. Notre proposition de loi est examinée après la remise de leur rapport d’information et, pour nous, il ne fait pas de doute que leurs recommandations sont proches des nôtres.

Notre conclusion est donc logiquement que la possibilité de l’ouverture de ce droit au recours collectif est arrivée à maturité.

Je sais bien, monsieur le secrétaire d’État, que la politique et la logique ne cheminent pas toujours de conserve. Mais il me semble – je m’adresse ici à mes collègues de la majorité – que cette maturité autorise une initiative parlementaire, en l’occurrence propice à une avancée du droit.

Certes, le Gouvernement ne semble pas très favorable à cette orientation. Mme Christine Lagarde s’y est récemment déclarée opposée, mais, s’agissant d’un écho paru dans la presse, je ne prête pas une attention démesurée à ces propos.

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

C’est sage !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Quant à vous, monsieur le secrétaire d’État, que je remercie d’être présent au banc du Gouvernement, vous affichez une position favorable. Il en va de même de M. Jean-Marie Bockel, qui estime néanmoins qu’il ne faut pas se presser…

S’agissant de l’hostilité des organisations patronales – c’est tout de même le nœud gordien dans l’affaire –, elle devrait s’atténuer avec les conclusions du rapport qui a été remis à la Direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne en 2008 et dont le rapport d’information de nos collègues Laurent Béteille et Richard Yung fait état.

Cette étude de droit comparé, menée dans treize pays de l’Union européenne, avait pour objet de vérifier si l’introduction du droit au recours collectif comportait un risque pour les entreprises, notamment d’atteinte à leur compétitivité. Elle aboutit à la conclusion que ce risque est très mince.

On peut donc s’autoriser à penser que le débat est venu à maturité et que le Sénat peut choisir d’aller de l’avant.

Ayant lu le rapport de M. Laurent Béteille, j’ai bien compris que la majorité ne veut pas le faire aujourd’hui. C’est regrettable ! Mais je veux croire qu’à l’occasion de l’examen d’une future proposition de loi, déposée cette fois-ci par un groupe majoritaire, nous pourrons faire en sorte de débattre conjointement de ce texte et de celui que nous défendons aujourd’hui. Nous avons toujours indiqué, et je le répète solennellement, que notre proposition de loi était amendable.

Ainsi, notre travail conjoint pourrait être confié, sans trop de risque, à la navette parlementaire et le Sénat – je pense que c’est à lui de le faire – porterait à son actif cette véritable conquête démocratique.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Béteille

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en présentant la proposition de loi du groupe socialiste sur le recours collectif, notre collègue Nicole Bricq vient d’exposer les raisons pour lesquelles il était désormais nécessaire d’introduire une procédure d’action de groupe dans notre droit.

Il faut saluer la constance de notre collègue dans ce domaine, ainsi que celle de son groupe, puisqu’une première proposition de loi, presque identique à celle que nous examinons aujourd’hui, avait déjà été déposée au début de l’année 2006.

L’objectif est ici d’apporter une réponse effective aux petits litiges répétitifs de consommation qui demeurent sans réparation, car les montants en jeu, trop faibles, n’incitent pas à engager une action individuelle devant les tribunaux.

Qui, en effet, n’a pas été confronté, dans sa vie quotidienne, à un petit litige de quelques euros avec un professionnel, après des relances infructueuses de son service consommateurs ? Pour autant, pourquoi engager une procédure longue et coûteuse devant les tribunaux pour seulement quelques euros ou quelques dizaines d’euros ?

J’ai la conviction que l’action de groupe, en mutualisant les frais de procédure, apporte une vraie réponse à ce problème. Non seulement elle permet la réparation de préjudices avérés, mais elle incite également, par son existence, à l’abandon des comportements à l’origine de tels préjudices.

Il n’est pas de bonne justice que des préjudices, même de faible montant, ne puissent trouver réparation.

Une telle situation atténue de façon injustifiée la responsabilité des professionnels fautifs, impose des coûts indus aux consommateurs et, plus profondément, porte atteinte à la confiance dans les relations commerciales, qui est le principe même d’une économie de marché fonctionnant correctement.

Notre regretté collègue Alain Peyrefitte n’écrivait-il pas, dans son essai intitulé La Société de confiance, que « le ressort du développement réside en définitive dans la confiance accordée à l’initiative personnelle, à la liberté exploratrice et inventive – à une liberté qui connaît ses contreparties, ses devoirs, ses limites, bref sa responsabilité, c’est-à-dire sa capacité à répondre d’elle-même » ?

À sa mesure, l’action de groupe peut contribuer à restaurer la confiance dans notre système économique et dans nos entreprises, souvent sujets de défiance aujourd’hui, en redonnant sa place au principe de responsabilité.

L’inscription de cette proposition de loi offre ainsi au Sénat l’occasion d’un débat en séance publique sur l’action de groupe, alors que le groupe de travail créé sur ce sujet en octobre 2009 par la commission des lois, dont nous étions, avec Richard Yung, les corapporteurs, a rendu ses conclusions le 26 mai dernier.

À cet égard, je tiens à souligner la convergence qui se dégage désormais sur la question de l’action de groupe. Chacun s’accorde en effet à reconnaître que son introduction dans notre droit est nécessaire, en vue de parachever la protection des consommateurs. Je sais que Richard Yung partage ce constat.

Il faut également rappeler que, depuis quelques années, tout concourt à avancer sur cette question : les travaux d’expert, les rapports officiels, mais aussi les initiatives législatives de tous horizons dans les deux assemblées, sans oublier le texte présenté à la fin de l’année 2006 par le ministre de l’économie et des finances de l’époque, Thierry Breton. Pour sa part, la commission des lois du Sénat avait organisé, au début de l’année 2006, une journée d’auditions publiques sur le sujet.

Aujourd’hui, toutes les réflexions ont été menées, et largement menées, comme l’ont illustré les travaux de notre groupe de travail. Il est donc temps d’agir, me semble-t-il.

Je commencerai par rappeler brièvement les raisons qui doivent conduire à introduire dans notre droit une action de groupe. Je parle ici – c’est un point essentiel – d’une action de groupe qui serait authentiquement « à la française », c’est-à-dire respectueuse des principes procéduraux de notre droit civil et des règles déontologiques de la profession d’avocat, afin de se prémunir efficacement contre toute évolution à l’américaine. En effet, nous avons tous à l’esprit les dérives spectaculaires des class actions d’outre-Atlantique, qui sont le principal frein à l’introduction de l’action de groupe dans notre droit.

Nous avons constaté que les dispositions existantes dans le code de la consommation ne permettent pas de réparer les préjudices individuels des consommateurs de faible montant : les actions dans l’intérêt collectif des consommateurs n’ont pas vocation à réparer les préjudices individuels, tandis que l’action en représentation conjointe, que nous évoquions précédemment, est loin d’avoir rencontré le succès escompté. Cinq actions, seulement, ont été menées depuis sa création, en 1992, et aucune n’a abouti.

Ainsi, le débat sur l’action de groupe est arrivé aujourd’hui à maturité, avec l’appui, certes, des associations de consommateurs, mais également, comme Richard Yung et moi-même avons pu le constater au cours de nos auditions, des magistrats, avocats ou universitaires.

Le Gouvernement lui-même, monsieur le secrétaire d’État, ne m’apparaît pas fermé sur cette question, même s’il pose des préalables que l’on peut comprendre : développement de la médiation, réorganisation du mouvement consumériste, avancée des projets européens et sortie de la crise.

J’en veux pour preuve les déclarations que M. Luc Chatel, votre prédécesseur au portefeuille de la consommation, a faites à plusieurs reprises, y compris lors des débats parlementaires, ainsi que les propos que vous avez vous-même tenus à l’occasion des assises de la consommation, en octobre 2009. Nous pourrions ajouter à cette liste les toutes récentes déclarations de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice.

Les craintes des représentants des entreprises, qui s’inquiètent des coûts supplémentaires que pourrait faire peser l’action de groupe sur la compétitivité des entreprises, fondées sur l’observation des dérives du système américain, doivent pouvoir être apaisées si l’on met en place, comme je l’ai indiqué, une procédure d’action de groupe « à la française », respectueuse des principes de notre droit et conçue précisément pour empêcher de telles dérives.

Il s’agit, avant toute autre préoccupation, de refuser le principe dit de l’opt out – principe dont la constitutionnalité est d’ailleurs plus que douteuse - selon lequel toute victime potentielle doit être intégrée au groupe en vue de son indemnisation, même à son insu.

Enfin, le contexte européen et international nous invite également à agir.

Plusieurs projets d’action collective sont en gestation au sein de la Commission européenne et, même s’ils évoluent actuellement lentement, notamment en raison du renouvellement récent de la Commission, qui semble vouloir joindre ces initiatives, la France aurait plus de poids dans les futures négociations européennes sur le sujet si elle se dotait de son propre dispositif.

Par ailleurs, il faut en être conscient, le risque de délocalisation des contentieux des affaires devient réel, ainsi que l’illustre, aux États-Unis, la class action lancée par des actionnaires de Vivendi, à laquelle des actionnaires français ont été admis à se joindre. Se doter d’une procédure nationale d’action de groupe réduirait, pour nos entreprises, le risque de subir des class actions devant des tribunaux étrangers, en particulier américains, très volontaires dans ce domaine.

Sur ces bases, quel dispositif le groupe de travail a-t-il envisagé ?

Avec Richard Yung, nous avons retenu différents principes.

Premièrement, nous proposons, dans un premier temps, d’ouvrir le champ de l’action de groupe tout en la limitant à certains types de dommages.

Le champ de la consommation constitue, par excellence, le domaine de l’action de groupe. Pourraient s’y ajouter le droit de la concurrence, pour les pratiques qui lèsent des consommateurs, ainsi que certaines infractions au droit financier et au droit boursier.

En dehors des nécessités de l’action de groupe, nous en appelons à l’application des principes généraux du droit de la responsabilité civile. Compte tenu de sa finalité, l’action de groupe viserait les seuls litiges contractuels imputables à un professionnel ayant causé un préjudice exclusivement matériel à une personne physique et relevant du juge judiciaire. Toutefois, pour des raisons d’équité et de commodité pratique, il n’apparaît pas pertinent de plafonner le montant des préjudices pouvant faire l’objet d’une action de groupe.

J’ajoute, au sujet du plafond, que la mutualisation des frais de justice qu’offre l’action de groupe est susceptible de profiter non seulement au consommateur mais aussi à l’entreprise, qui peut se défendre lors d’un seul et même procès, là où de nombreuses procédures auraient pu être engagées. C’est particulièrement vrai lorsque le litige répétitif porte sur des sommes excédant les quelques euros dont je parlais tout à l’heure.

Il faut savoir qu’aux Pays-Bas, ce sont les entreprises elles-mêmes, à travers le « MEDEF » néerlandais, si vous me permettez ce qualificatif, qui ont appelé à la création d’une action de groupe, pour éviter justement d’avoir à exposer les frais de multiples procès, un seul étant suffisant lorsque les préjudices sont les mêmes.

Deuxièmement, pour éviter la multiplication d’actions abusives et, au contraire, appuyer celles qui sont légitimes, les associations de consommateurs, aujourd’hui un acteur incontournable, doivent exercer un rôle de filtre des actions de groupe, en détenant le monopole de leur introduction devant quelques tribunaux de grande instance spécialement désignés pour traiter ces contentieux de masse.

Pour exercer cette compétence, les associations devraient justifier d’un agrément renforcé, de façon que les pouvoirs publics, et également les consommateurs, soient assurés de leur compétence et de leur représentativité. En cas de pluralité d’associations engagées sur une même action, l’une d’entre elles pourrait jouer le rôle de chef de file.

Troisièmement, il conviendrait d’instituer une procédure en deux phases : une déclaration de responsabilité suivie, après publicité et constitution du groupe, d’une décision sur l’indemnisation des victimes qui se seraient jointes à l’action.

La première phase consisterait, après vérification de la recevabilité de l’action permettant d’écarter les requêtes abusives, en un jugement sur le principe de la responsabilité de l’entreprise, sur la base de cas exemplaires présentés par l’association, sans nécessité bien sûr d’avoir recours au mandat de plusieurs consommateurs. Cette procédure serait donc simple et peu coûteuse pour l’association, qui ne serait plus confrontée à la gestion d’une masse de dossiers, comme c’est le cas dans l’action en représentation conjointe.

Ce jugement serait susceptible des voies normales de recours. Une fois passé en force de chose jugée, il ferait l’objet de mesures de publicité appropriées décidées par le juge, à la charge du professionnel reconnu responsable, afin de le faire connaître aux victimes potentielles et de constituer le groupe avec celles qui le souhaitent, sur la base d’une adhésion volontaire. C’est le système dit de « l’opt in ».

La seconde phase serait celle de l’indemnisation, soit dans le cadre d’une médiation entre l’association et le professionnel se concluant par une homologation par le juge, soit par la détermination par le juge du montant de l’indemnité revenant à chaque consommateur, soit enfin par la définition par le juge d’un schéma d’indemnisation à appliquer à chaque cas individuel. La réparation pourrait être effectuée en nature, si toutefois l’objet du litige s’y prête.

Quatrièmement, il faudrait s’appuyer sur les dispositifs existants pour limiter les coûts de la procédure et financer les actions de groupe.

Le dispositif conçu par le groupe de travail ne nécessite pas la mise en place de mécanismes supplémentaires de financement des associations, de type « fonds de soutien aux actions de groupe ». Il n’y aurait pas pour les associations de frais particuliers de gestion des dossiers, cette tâche revenant in fine aux greffes concernés, ni de frais de publicité. La réalité du travail fourni par l’association et son conseil serait prise en compte au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les deux phases de la procédure.

Le groupe de travail exclut toute modification des règles déontologiques s’appliquant aux avocats, de même que toute dérogation dans le cadre des actions de groupe, tant sur la rémunération, qui n’a pas à être proportionnelle au résultat obtenu, que sur le principe du démarchage, qu’il faut, me semble-t-il, éviter à tout prix.

Cinquièmement, il conviendrait également, dans les domaines où intervient une autorité de régulation, d’articuler la procédure d’action de groupe avec les décisions de cette autorité.

Dans le domaine de la concurrence comme dans le domaine boursier, le juge saisi d’une action de groupe doit tenir compte des prérogatives de l’Autorité de la concurrence ou de l’Autorité des marchés financiers. Dans ces conditions, soit l’autorité est reçue à l’action civile comme amicus curiae lorsqu’elle n’a pas elle-même été saisie des faits, soit le juge sursoit à statuer lorsque l’autorité est appelée à rendre une décision sur lesdits faits.

Pour illustrer cette configuration, je reprendrai l’exemple, qui a fait grand bruit à l’époque, de la condamnation, en 2005, des opérateurs de téléphonie mobile par l’Autorité de la concurrence à une amende collective de 534 millions d’euros pour pratiques anticoncurrentielles. Les consommateurs lésés n’ont pas été indemnisés individuellement, alors qu’il aurait été préférable selon moi d’infliger une amende moins sévère aux opérateurs et d’affecter le reste de la somme à l’indemnisation des clients, laquelle pouvait, dans le domaine de la téléphonie, se faire en nature, par exemple, sous la forme de minutes de communication offertes.

Mme Nicole Bricq acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Béteille

Cet exemple plaide pour que l’action de groupe s’étende au domaine de la concurrence, mais en s’appuyant sur l’expertise de l’Autorité de la concurrence. Il en est de même pour l’Autorité des marchés financiers, à l’encontre de certains délits portant atteinte aux intérêts des investisseurs.

Au regard de ces recommandations, qui ont depuis été saluées pour leur justesse, comment apprécier la proposition défendue par notre collègue Nicole Bricq ?

Cette proposition de loi, rédigée bien avant l’achèvement des travaux du groupe de travail de la commission, ne pouvait, évidemment, en reprendre les recommandations.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Béteille

Mais, plus encore, elle n’est pas compatible avec ces recommandations.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Béteille

C’est la réalité, malheureusement ! Bien que nous ayons les mêmes objectifs, ma chère collègue, certains points de la proposition de loi nécessiteraient d’être complètement repris.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Béteille

Tout d’abord, le recours collectif tel qu’il est conçu ici – encore que le texte ne soit pas toujours très clair sur ce point -, concerne tout litige entre un consommateur et un professionnel, ce qui est potentiellement très vaste, d’autant que le domaine d’application n’est pas défini, pas plus que le type de dommage. Aucun caractère expérimental, avec clause de rendez-vous, n’est prévu, à la différence de ce que nous proposons.

Ensuite, le recours collectif est initié par une association agréée, certes locale, mais sur la base de mandats sollicités auprès des consommateurs par voie de publicité : la logique du mandat propre à l’action en représentation conjointe, pourtant cause de l’échec de cette procédure, avec sa lourdeur et ses responsabilités, est donc conservée. En outre, cette publicité organisée pour la collecte des mandats peut porter atteinte à l’image de l’entreprise, alors même qu’aucune décision sur sa responsabilité n’a été rendue.

Cette collecte des mandats est également prévue par voie de démarchage par des avocats, ce qui remet en cause la déontologie de la profession.

Une fois la responsabilité du professionnel reconnue par le juge, après un éventuel recours qui n’apporte pas les meilleures garanties en termes de droits de la défense, la publicité destinée à informer les victimes potentielles pour leur permettre de se joindre au groupe est à la charge de l’association, ce que nous avons précisément voulu éviter. Le démarchage par avocat est encore prévu à ce stade, ce qui représente autant de coûts supplémentaires imposés à l’association.

Enfin, les modalités d’indemnisation après la constitution du groupe ne sont pas très cohérentes : le juge fixe le montant des dommages et intérêts dus à chaque victime, alors que le groupe n’est pas encore constitué, à charge ensuite pour l’association qui reçoit du professionnel la globalité des dommages et intérêts de les répartir entre les consommateurs, dans un délai fixé à trois ans. On pourrait dire que la procédure, après avoir commencé par un opt in, s’achève sur un opt out !

Le problème du financement du recours collectif n’est donc pas clairement résolu, mais l’exposé des motifs de la proposition de loi évoque les honoraires au résultat pour les avocats, ce qui est à rapprocher, là aussi, de la pratique américaine, avec tout ce que l’on peut en penser.

À mon sens, une procédure d’action de groupe véritablement à la française doit respecter deux impératifs, tout en demeurant prudente : d’une part, mettre en place une voie de droit efficace pour le traitement des petits litiges ; d’autre part, préserver la compétitivité de nos entreprises, a fortiori dans le contexte actuel de crise économique.

Or, force est de le constater, l’impératif de mise en place d’un accès à une voie de droit efficace n’est pas pleinement respecté, en raison notamment de la logique du mandat et de la mise à la charge des associations de dépenses supplémentaires. L’impératif de préservation de la compétitivité des entreprises n’est pas mieux respecté : absence de définition précise du litige, champ trop large, publicité portant atteinte à la réputation, insuffisance des voies de recours, modification des pratiques de la profession d’avocat…

Compte tenu de ces divergences, et alors même qu’elle est aujourd’hui favorable à l’action de groupe, la commission, je le dis très clairement, n’a pas pu émettre un avis favorable sur les dispositions de cette proposition de loi.

Sur un sujet aussi sensible pour nos entreprises, nous avons, mes chers collègues, besoin d’un certain temps pour concevoir un texte, en poursuivant avec toutes les parties intéressées, ainsi qu’avec les administrations compétentes, le dialogue initié par le groupe de travail. Les délais qui nous ont été imposés par l’inscription de cette proposition de loi à l’ordre du jour ne nous ont pas permis de réaliser ce travail, loin de là.

J’affirme néanmoins à cette tribune que je souhaite présenter un texte sur la base de nos conclusions communes, conjointement avec Richard Yung s’il le désire, afin de rouvrir cette discussion.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Fort bien ! Quand le texte sera-t-il déposé ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Béteille

Sur cette question, comme sur d’autres, d’ailleurs, dont la commission des lois a à connaître, il nous appartient de nous inscrire dans la démarche vertueuse qui conduit d’un travail d’information approfondi et reconnu – ce fut le cas pour notre groupe de travail – à une initiative législative pertinente et de qualité. Je sais que cette méthode tient particulièrement à cœur au président de notre commission des lois, notre collègue Jean-Jacques Hyest, qui nous a encouragés dans ce sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Béteille

Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des lois ne peut qu’inviter le Sénat à ne pas adopter les articles de cette proposition de loi.

Ce rejet traduit le refus non pas de l’action de groupe, mais d’un dispositif qui reste à adapter. Je prends cependant l’engagement devant vous que, le moment venu, nous déposerons un texte et nous demanderons son inscription à l’ordre du jour de notre assemblée.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, cher Jean-Jacques Hyest, monsieur le rapporteur, cher Laurent Béteille, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui prévoit d’introduire dans notre droit un mécanisme de recours collectif. Elle s’inscrit dans des réflexions sur les dispositifs d’action de groupe qui, vous le savez, ont donné lieu ces derniers mois, et même ces dernières années, à de nombreux travaux, au niveau national comme au niveau européen. Certains sont de très grande qualité, et je tiens tout particulièrement à saluer ici le rapport que viennent de produire Laurent Béteille et Richard Yung sur « l’action de groupe à la française ».

Je vous le dis tout net : je suis favorable à l’instauration, à terme, d’une telle action de groupe à la française. Je l’ai dit et je le répète, et c’est évidemment bien mieux que de dire l’inverse !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

M. Pierre Fauchon. Et même beaucoup mieux : c’est inespéré !

Nouveaux sourires.

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

Ces réflexions correspondent au souci légitime, auquel je suis bien évidemment sensible, en tant que secrétaire d’État chargé de la consommation, de protéger le consommateur et de l’indemniser, le cas échéant, en cas de litige de masse.

Certes, plusieurs procédures permettent déjà d’assurer une réparation des dommages commis par une même personne et affectant une pluralité de consommateurs. Il s’agit notamment de l’action civile dans l’intérêt collectif des consommateurs, qui peut être intentée par une association agréée.

Ces associations agrées peuvent également agir pour obtenir la cessation d’agissements illicites ou pour faire supprimer des clauses abusives.

L’action en représentation conjointe permet enfin à un groupe de consommateurs de donner mandat à une association de consommateurs pour exercer l’action en justice, même si cette procédure est peu pratiquée.

Comme l’a rappelé Mme Bricq, j’ai déjà eu l’occasion, lors des assises de la consommation, en octobre dernier, étant donné, premièrement, que les litiges nés des conditions de formation et d’exécution des contrats de consommation peuvent concerner un très grand nombre de consommateurs et, deuxièmement, que les consommateurs renoncent parfois à toute action individuelle sur le terrain judiciaire eu égard à la faiblesse des montants sur lesquels portent un grand nombre de litiges de consommation, il apparaît nécessaire de développer ou de mettre en place des mécanismes complémentaires assurant le traitement effectif de ces litiges. C’est indiscutable, et personne ne le conteste.

En effet, le recours individuel en justice du consommateur ou le recours d’une association de consommateurs en son nom sont des solutions qui existent, je viens de l’indiquer, mais qui se révèlent insuffisantes lorsque les contrats sont très complexes – c’est le cas souvent avec les nouvelles technologies, comme la téléphonie mobile, Internet ou les cartes de crédit – et lorsque les litiges concernent un très grand nombre de consommateurs.

Eu égard au faible montant d’indemnisation possible, les consommateurs renoncent parfois à toute action individuelle en justice. Or, compte tenu de l’ampleur des pratiques en cause et de la multiplicité du nombre de victimes, la somme totale des préjudices individuels peut être considérable.

Il y a donc bien une demande insatisfaite de droit en raison de la lourdeur et du coût des procédures judiciaires traditionnelles. Je le dis très clairement, les droits des consommateurs doivent être garantis, notamment le plus important d’entre eux, comme l’a très bien rappelé M. le rapporteur, le droit à réparation en cas de préjudice causé par le comportement fautif du professionnel.

Le Gouvernement est donc parfaitement conscient que le droit actuel ne couvre pas la totalité des besoins de recours des consommateurs et il est convaincu de la nécessité de développer ou de mettre en place des mécanismes complémentaires de règlement des litiges de consommation.

Mais j’ai une autre conviction : les préalables à la création de l’action de groupe ne sont pas aujourd'hui levés.

Le Gouvernement n’est pas favorable à l’introduction, dans notre droit, aujourd’hui, d’une action de groupe et il n’est donc pas favorable à l’adoption de cette proposition de loi, je le dis avec regret mais fort d’une certitude.

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. D’une part, la voie extrajudiciaire de traitement des litiges de masse, notamment la médiation, vous l’avez rappelé, madame Bricq, me semble plus opportune et doit être renforcée dans un premier temps.

Mme Nicole Bricq s’exclame.

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

(Mme Odette Terrade s’exclame à son tour.) Elle vise au même but que les actions judiciaires collectives

On en doute sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

Intrinsèquement d’abord, la médiation constitue un bon dispositif de traitement extrajudiciaire des litiges de masse de consommation. §, …

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

… mais elle présente l’avantage de permettre de résoudre, sans procédure judiciaire lourde et sans les frais d’une action judiciaire, des litiges du même ordre.

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

Ainsi, les intérêts individuels des consommateurs peuvent être pris en charge collectivement par le médiateur, qui définit une réponse commune lorsque ceux-ci sont victimes de pratiques illicites ou abusives du fait d’un même professionnel.

Le développement effectif de la médiation – je vous rends attentifs à cela, mesdames, messieurs les sénateurs – n’est donc pas contradictoire avec la mise en place de l’action de groupe, mais ce développement en est un préalable. Bien employée, la médiation est susceptible de rendre exceptionnelle la nécessité d’une action judiciaire. C’est le but du Gouvernement.

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

Sur ce point, il me semble que la réflexion entamée par le groupe de travail devrait être poursuivie. L’action de groupe trouvera d’autant plus vite sa place qu’elle concernera des litiges prioritaires et sera coordonnée aux modes de résolution extrajudiciaires de conflits consuméristes.

J’avais pris l’engagement en octobre dernier de renforcer la médiation en France, puisque c’était pour moi l’un des préalables à l’introduction d’une action de groupe à la française. Ce chantier a marqué de réels progrès.

Ce n’est pas un enterrement de première classe, comme certains pourraient le laisser entendre.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

C’est en effet un enterrement de deuxième classe !

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

C’est pour moi un préalable et je me suis mis en situation de le lever prochainement.

Je rappelle que la transposition de la directive 2008/52/CE sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale doit être menée à terme avant mai 2011 – c’est demain ! – ce qui confère au développement de la médiation un caractère prioritaire. En effet, il faudra bien transposer et, si l’on veut aller vite, il faut poursuivre cette installation de la médiation au cœur de notre économie.

Le Conseil d’État a été saisi en mai dernier en vue d’examiner les conséquences de la transposition en droit interne de cette directive sur les dispositifs juridiques existants. Il doit rendre ses conclusions à la fin du mois de juillet.

À la suite de l’adoption du projet de loi portant réforme du crédit à la consommation, j’avais souhaité qu’il soit créé, au sein de l’Institut national de la consommation, une commission de la médiation. Tel est désormais le cas.

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

Cette commission est chargée d’émettre des avis et de proposer des mesures pour évaluer, améliorer et diffuser les pratiques de médiation non judiciaires en matière de consommation. Je m’engage à ce que le décret fixant son fonctionnement et son organisation soit publié d’ici à la fin du mois de septembre.

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

Avec cette nouvelle commission, nous nous dotons d’un outil important pour développer et assurer la qualité de la médiation dans les litiges de consommation.

Je réunirai à l’automne prochain cette commission de la médiation afin de faire le point des démarches entreprises par les représentants des entreprises pour encourager le développement de la médiation dans des secteurs prioritaires.

Vous l’avez compris, nous nous attachons à aller vite sur la médiation pour lever l’un des préalables posés à l’introduction de l’action de groupe à la française.

Cependant, je l’avais indiqué également lors des assises, d’autres préalables sont à lever avant l’introduction dans notre droit d’une procédure d’action de groupe.

Premier préalable : la conjoncture économique – nul ne peut le nier – induit un sentiment de fragilisation de nos entreprises, et sans doute plus que cela. Je le redis, pour installer dans notre droit une action de groupe à la française, il faut bénéficier d’une conjoncture économique plus favorable…

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

… pour ne pas ajouter à cette fragilité une incertitude supplémentaire pour nos entreprises.

Debut de section - PermalienPhoto de Odette Terrade

Le coup du bout du tunnel, on nous l’a déjà fait !

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

Dans cette situation, il faut donner et rétablir un certain nombre de priorités, notamment la priorité au développement économique.

Personne ne peut nier ici que la situation économique est aujourd’hui particulièrement difficile pour les petites et moyennes entreprises. Le calendrier n’est donc pas optimal et nos entreprises n’ont vraiment pas besoin d’une incertitude supplémentaire.

Deuxième préalable : le mouvement consumériste – associations et institutions de soutien aux associations – doit mieux se structurer pour ne pas déclencher de manière désordonnée des actions de groupe, ce qui finirait par se retourner contre les consommateurs, et les associations doivent disposer de la logistique nécessaire pour une bonne gestion de ces actions.

Or, aujourd'hui, les associations de consommateurs agrées sont au nombre de dix-sept. Il faut donc recentrer l’agrément pour ester en justice au titre de cette action de groupe sur quelques associations à définir.

Troisième préalable, qui me semble très important : le dispositif national doit être en cohérence avec les projets européens, et nous avons sur ce point une légère divergence avec M. le rapporteur.

J’avais pris l’engagement, lors des assises de la consommation, d’instituer une reconnaissance spécifique pour les associations agrées les plus représentatives. J’ai tenu cet engagement et j’ai contresigné ce matin le décret mettant en place ce « super agrément ».

Les associations concernées pourront solliciter cet agrément spécifique dans les prochains mois. Si les actions de groupe doivent être créées - et quand elles le seront -, il me paraît légitime qu’elles soient réservées aux associations les plus représentatives.

Vous le voyez, nous nous mettons peu à peu en ordre de marche pour pouvoir sérieusement et sereinement installer ces actions de groupe à la française.

J’en reviens au dispositif national et sa compatibilité avec les projets européens.

Comme cela a été rappelé, les institutions communautaires se sont, en effet, emparées du sujet depuis plusieurs années. Elles ont ainsi publié un Livre vert sur les recours collectifs pour les consommateurs.

Les initiatives de la Commission européenne, un temps ralenties, ont repris. La Commission travaille à l’élaboration d’une proposition commune qui serait susceptible d’être présentée à l’automne.

L’automne, c’est proche, mesdames, messieurs les sénateurs. Il est donc plus sage, me semble-t-il, de ne pas se mettre en décalage avec cette démarche et, au contraire, de s’appuyer sur ces nouvelles réflexions qui seront publiées à la rentrée.

Enfin, je souhaite à mon tour, et après l’avis de la commission, donner l’avis du Gouvernement sur le plan technique car, à notre sens, les auteurs de cette proposition de loi effectuent des choix juridiques et procéduraux tout à fait contestables.

Outre les préalables, qui, je le disais précédemment, ne sont pas levés, les dispositions de la présente proposition de loi ne répondent pas à toutes les exigences de sécurité juridique.

D’abord, le champ et la qualité à agir sont peu clairs et ne sont pas assez délimités, M. le rapporteur l’a déjà relevé.

Plutôt que de concerner tous les préjudices, qu’ils soient matériels, corporels ou moraux, il me semble indispensable de réserver l’action de groupe aux préjudices matériels. Les dommages corporels et les questions de santé doivent être, à mon sens, exclus du champ de l’action de groupe : il s’agit de domaines où existent déjà des dispositifs d’assurance ou des fonds d’indemnisation et où le montant souvent élevé des préjudices peut justifier des actions individuelles devant le juge. Pourquoi s’encombrer avec une action supplémentaire ?

Par ailleurs, le champ des matières concernées par cette procédure largement dérogatoire mérite également d’être limité aux seules matières pour lesquelles elle peut être nécessaire, c’est-à-dire les litiges d’un faible montant entre professionnels et consommateurs.

Cette procédure n’a pas vocation à se substituer au droit commun dans les cas où le demandeur aurait de toute façon agi en justice. Cela pose la question du plafond pour agir, qu’il est manifestement nécessaire de fixer.

S’agissant de la qualité à agir, elle n’est pas définie assez strictement dans votre texte, madame Bricq. L’action de groupe devrait être réservée aux seules associations de consommateurs bénéficiant de l’agrément spécifique et représentatives sur le plan national : cela permettra d’éviter les abus dans l’usage de cette action.

En outre, la procédure retenue par la proposition de loi n’est pas celle qui aurait nos préférences en cas d’introduction d’une action de groupe.

Il serait préférable de privilégier l’introduction d’une phase préalable obligatoire de tentative de règlement amiable – on voit bien la logique de la construction –, mais aussi une spécialisation des juridictions pour ces recours particuliers.

Enfin, les étapes de la procédure devraient être précisément fixées, ce qui n’est pas le cas, par exemple sur les conditions de sollicitation des mandats – M. le rapporteur l’a rappelé – ou sur les délais.

Vous le voyez, la cohérence de l’action du Gouvernement est claire.

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

Nous posons peu à peu les pierres qui permettront à terme de couronner l’édifice en faveur des consommateurs, en l’occurrence par l’action de groupe, mais, auparavant, il nous faut généraliser la médiation, avoir une conjoncture économique plus sereine et nous assurer des intentions des instances communautaires.

Pour toutes ces raisons, et quelques autres encore, le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Denis Detcheverry

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de nos collègues socialistes prévoit l’introduction en droit français d’une action collective au bénéfice des consommateurs, plus communément appelée « class action » ou « action de groupe ».

Cette procédure, susceptible de recouvrir des réalités très différentes, correspond à une action de procédure civile permettant à un ou plusieurs requérants d’exercer, au nom d’une catégorie de personnes, une action en justice. Elle permet une mutualisation des moyens et une économie de coûts procéduraux qui lui confèrent, dans certains cas, l’attractivité que les actions individuelles n’ont pas.

Cette idée de l’action de groupe, c’est un peu l’Arlésienne de la procédure française : on l’attend depuis des années, mais on ne la voit toujours pas venir ! Il est vrai qu’elle pose un épineux dilemme dont il conviendra de sortir un jour ou l’autre : d’une part, la crainte des dérives de l’action de groupe et de leur effet négatif sur l’économie ; d’autre part, la volonté d’apporter au consommateur victime la réparation à laquelle il a droit et dont il est de fait privé, sans mettre en danger les activités de nos entreprises.

Il convient de rappeler que d’autres États, et non des moindres, l’ont déjà intégrée dans leur législation. C’est le cas, en Europe, de l’Allemagne, de l’Angleterre, de l’Italie, des Pays-Bas, du Portugal et de la Suède. Les États-Unis et le Canada l’ont également mis en place depuis bien longtemps.

Au sein de l’Union européenne, l’action de groupe est une innovation récente, voire, parfois, expérimentale. Selon les cas, le champ de cette procédure peut être restreint ou peut s’étendre à l’ensemble des actions civiles. Si certains États européens ont choisi de conférer une compétence générale aux tribunaux ordinaires, d’autres ont limité le jugement des actions de groupe à quelques juridictions. Les conditions de recevabilité des demandes sont, dans tous les États, encadrées de façon stricte : l’Allemagne et l’Angleterre, par exemple, ont institué un système spécifique d’« action modèle », qui permet aussi d’éviter la multiplication des recours dans des affaires portant sur des objets analogues.

Enfin, il convient d’insister sur le fait que les mécanismes d’action collective mis en place dans ces législations européennes n’ont pas entraîné de faillites significatives ou d’effets notables sur la vie des affaires.

L’exemple américain ne saurait constituer en l’occurrence un modèle à suivre. Si l’action de groupe, du fait de son ancienneté, est reconnue comme partie intégrante du système juridique américain, elle fait l’objet de nombreuses critiques, du point de vue tant de la procédure que de certaines dérives découlant de son usage.

Sur le plan procédural, elle est difficilement transposable dans notre droit du fait de profondes différences entre nos systèmes juridiques. En outre, le coût de ces actions est également jugé exorbitant et leur croissance aurait des effets directs sur l’économie américaine, notamment en termes de faillites d’entreprises. Enfin, le système de rémunération des avocats américains - un pourcentage sur les indemnités obtenues - profiterait plus aux avocats qu’aux victimes et, dans ce cas, l’action de groupe serait source de conflits d’intérêt.

Forte de l’expérience étrangère, mais convaincue aussi de la nécessité de protéger davantage les consommateurs, la commission des lois de notre assemblée a mis sur pied un groupe de travail dont les conclusions ont été récemment publiées.

Tout en soulignant la particularité de l’action de groupe, ces conclusions dénoncent l’immobilisme de notre droit et de notre système judiciaire, qui n’offrent actuellement aucun mécanisme satisfaisant pour assurer, par la mutualisation des coûts de procédure, la juste réparation des dommages à laquelle ont droit les consommateurs.

Il est donc nécessaire d’instituer une procédure d’action de groupe à la française, encadrée par les principes de la procédure civile française et les règles déontologiques de la profession d’avocat. Outre une protection effective accrue des consommateurs, cette procédure nouvelle permettrait de prendre en compte les évolutions tant européennes qu’internationales en matière d’action collective.

L’absence d’action de groupe en droit français empêche trop souvent la réparation des préjudices de faible montant subis par les consommateurs dans les actes de la vie quotidienne. L’action individuelle demeure trop coûteuse, en raison des frais d’avocat occasionnés par une procédure judiciaire, au regard du montant attendu des dommages et intérêts. En mutualisant le coût de l’action entre tous les consommateurs lésés dans le cadre d’un préjudice de masse, l’action de groupe remédierait au découragement à agir.

En réalité, le consommateur se limite plutôt à une tentative de règlement amiable avec le professionnel concerné, sans envisager d’aller plus loin et d’entamer une action judiciaire. Un grand nombre de préjudices de faible montant sont ainsi susceptibles de demeurer, en pratique, sans aucune réparation, tandis que la responsabilité des professionnels concernés ne peut être concrètement engagée. Cette situation ne peut plus durer, nous sommes tous d’accord sur ce point-là.

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui, tout en tenant compte des travaux déjà effectués par la commission des lois, tend à bousculer l’immobilisme juridique actuel en transformant l’action en représentation conjointe, qui avait été créée et définie par la loi du 18 janvier 1992, en action de groupe au service exclusif des consommateurs.

Aujourd’hui, l’action en représentation conjointe est la seule action que les associations de consommateurs peuvent exercer en vue d’obtenir la réparation de préjudices individuels : c’est elle qui, dans notre droit, se rapproche le plus de l’action de groupe stricto sensu. Elle n’a cependant connu que de trop rares applications du fait du nombre limité d’appels aux victimes et de l’absence de voies efficaces de collecte des mandats pour agir en justice, mandats qui ne peuvent être sollicités que par voie de presse.

La proposition de loi confirme l’enjeu des recours collectifs dans l’évolution de notre droit en visant à lutter contre les pratiques illicites de certaines entreprises. La question qui se pose est donc non pas celle de son intérêt, mais bien celle de son efficacité.

La majorité du groupe du RDSE estime que le texte proposé ouvre une brèche innovante, respectueuse de la tradition juridique française comme de la compétitivité des entreprises françaises, et qu’il est susceptible de répondre à l’exigence de renforcement de la protection des consommateurs. La plupart des consommateurs choisissant de ne pas se défendre judiciairement compte tenu des coûts et de la complexité de la procédure, la proposition de loi favorise l’investissement des citoyens dans l’action publique, dont l’efficacité et la crédibilité seraient ainsi renouvelées.

Debut de section - PermalienPhoto de Denis Detcheverry

M. Denis Detcheverry. Le manque de temps, d’expertise et d’argent dissuade souvent les victimes d’intenter individuellement une action en réparation du préjudice subi contre l’auteur du dommage. Promouvoir l’idée selon laquelle l’action collective est plus efficace que l’action isolée pourrait parfaitement restaurer l’intérêt des citoyens face à la toute-puissance des conglomérats industriels, financiers, et commerciaux.

Applaudissements sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Odette Terrade

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui sur ce que l’on appelle « l’action de groupe » et la proposition de loi sur le « recours collectif » présentée par nos collègues socialistes appellent dans un premier temps un certain nombre d’observations formelles.

Voilà un certain temps, pour ne pas dire un temps certain, que la question de la transposition en droit français de la procédure de recours collectif est posée. Nicole Bricq vient d’indiquer que cela faisait au moins vingt ans ; nous pouvons faire confiance à sa mémoire, car, dans l’autre assemblée, notre collègue a rapporté notamment sur les questions de consommation et de services financiers…

Très ancienne demande des associations de consommateurs, annoncée par le président Jacques Chirac dès 2005, l’institution de la procédure de « class action » à la française a été réaffirmée comme une solution pertinente en 2008 par Luc Chatel, lors de la discussion de la loi de modernisation de l’économie, la loi LME. Vous-même, monsieur le secrétaire d’État, nous avez souvent dit ici la même chose.

Plusieurs rapports commandés par le Gouvernement ont mis en évidence cette même nécessité d’introduire dans notre droit une procédure d’action collective.

À plusieurs reprises, ici même, dans notre assemblée, à l’occasion de la discussion de projets de loi les plus divers, cette procédure de recours collectif a été évoquée… et toujours repoussée !

Aujourd’hui, force est de constater que, au terme de la présente législature, rien ne semble avoir durablement avancé sur le sujet.

Un groupe de travail de la commission des lois a bien rendu un rapport recommandant que, sous certaines formes – ce ne sont pas tout à fait celles de la proposition de loi, on s’en doute, eu égard à la simple observation du rapport des forces politiques au sein de notre assemblée –, le recours collectif trouve sa place dans notre législation.

Toutefois, que lit-on dans le compte rendu des travaux de la commission des lois ?

Je cite le rapporteur, Laurent Béteille : « Il était matériellement impossible d'élaborer dans ces délais un texte inspiré de notre groupe de travail. J'ai entendu en audition la Chancellerie et Bercy. La première est assez positive, quoique prudente ; elle a émis des suggestions et l'on peut faire quelque chose qui tienne la route : il est possible d'aboutir assez vite à une proposition de loi. »

Quant au président de la commission, Jean-Jacques Hyest, il s’exprime ainsi : « Nous demanderons alors l'inscription au nom de la commission, de manière à avoir le temps d'examiner tous les aspects de la proposition de loi, comme nous l'avons fait sur un autre sujet complexe pour le numérique avec la proposition Escoffier-Détraigne. »

Si je résume, la proposition de loi de nos collègues socialistes n’est pas au point ; elle l’est d’ailleurs si peu que la commission des lois, quoique vigilante, recommande de ne pas la voter – ce qui fournit une nouvelle illustration, ô combien remarquable, de ce que sont les droits de l’opposition après la révision constitutionnelle –, et s’en remet donc à la sagesse du Gouvernement pour écrire un projet de loi. À défaut, la commission se sentira dans l’obligation – quand ? on ne sait pas ! – de rédiger elle-même un texte sur le sujet en s’appuyant sur les conclusions du rapport du groupe de travail qu’elle a mis en place.

Mes chers collègues, de qui se moque-t-on ? À quoi sert donc le droit d’amendement si même la commission des lois se refuse à apporter toute correction qu’elle jugerait utile à un texte soumis par l’un des groupes politiques de notre assemblée ? D’autant que, la procédure accélérée n’étant pas enclenchée sur une telle proposition de loi, le temps peut utilement servir à faire évoluer les choses dans le bon sens !

Pourquoi ne décide-t-on pas, en adoptant cette proposition de loi, de faire enfin le premier pas sur la longue route du recours collectif, qui n’a que trop attendu ?

Comprenez, chers collègues de la majorité, que nous ne comprenions pas !

Sur le fond, la réalité est encore bien plus crue, en tout cas de notre point de vue. Ces arguties formelles et ces promesses solennelles ne visent en effet qu’à une seule chose : masquer le fait que certains milieux ne voient pas d’un bon œil l’introduction de l’action de groupe dans notre droit. Comme le dit simplement le rapporteur, le « MEDEF freine » et le Gouvernement attend que l’Europe avance…

L’action de groupe à la française sera-t-elle, comme l’Arlésienne, la belle que l’on attend toujours et qui ne vient jamais ?

Pour le coup, voyez-vous, la compétitivité des entreprises a bon dos !

La vérité, c’est que le Gouvernement comme le MEDEF appellent « réformes » ce qui n’est que la traduction législative de leurs orientations, ne cherchent qu’à aboutir à un système où l’action de groupe sera comme un fleuret moucheté et, surtout, essaient d’estomper la responsabilité éventuelle des entreprises par allégement du volet pénal du droit des sociétés !

Nous ne pouvons accepter de telles orientations, et nous aurions mille fois préféré discuter, quitte à l’amender, la présente proposition de loi. Monsieur le secrétaire d’État, il ne suffit plus de constater les convergences et de louer les rapports de très grande qualité, il est urgent de passer aux actes !

Dans cette attente, nous ne suivrons pas les conclusions de la commission des lois.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le thème que nous abordons aujourd’hui nous intéresse vivement.

Au-delà de la question de l’introduction du recours collectif, la protection des consommateurs a en effet toujours été au cœur de nos préoccupations, et ceux qui savent que j’ai présidé l’Institut national de la consommation – bien peu d’ailleurs, de 1978 à 1982 seulement – se doutent que c’est pour moi une question tout à fait importante : à cette époque-là déjà, j’avais milité pour que ce recours soit créé.

J’ai donc dès le début soutenu notre commission des lois quand elle a pris l’initiative de mettre en place un groupe de travail chargé d’étudier l’opportunité et les conditions de l’introduction du recours collectif en droit français.

J’en profite pour saluer ici l’excellent travail réalisé par nos non moins excellents collègues Laurent Béteille et Richard Yung : il marque un premier pas, important et constructif.

Ce travail est d’autant plus constructif qu’il fait le point de l’ensemble des questions posées et ne se contente pas d’en rester au niveau des généralités. Il propose pour chacune d’elles une réponse, exposée tout à l’heure par M. Béteille, qui à tout le moins est crédible et paraît raisonnable, et ce à travers vingt-sept recommandations.

Il y a donc là un excellent travail, d’autant plus excellent qu’il est présenté par un binôme composé de deux sénateurs appartenant l’un à la majorité, l’autre, hélas ! à l’opposition. Mais enfin, il faut de tout pour faire un monde !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

M. le président. Monsieur Fauchon, je vous en prie !

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

La liberté de parole me permet de dire « hélas ! », monsieur le président ! Et j’ai ajouté : « il faut de tout pour faire un monde ! »

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

L’opposition d’aujourd’hui est la majorité de demain…

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

Je partage l’opinion de M. le secrétaire d’État sur la possibilité de mettre en œuvre, dans ces hypothèses, les procédures de médiation. L’idée est judicieuse.

Je suis de ceux qui croient beaucoup à la médiation et je constate, semestre après semestre, le développement de cette nouvelle approche des procédures. Je trouve qu’elle présente beaucoup d’avantages et que nous sommes effectivement dans un domaine où il faut la favoriser le plus possible.

L’action de groupe peut jouer un rôle vertueux de régulateur, en particulier lorsque des produits comportent naturellement de ces petites malfaçons qui créent pour les utilisateurs des dommages sans doute limités mais, comme on dit communément, extrêmement embêtants, et c’est la situation la plus courante dans le domaine des biens de consommation.

Si un bien de consommation présente un gros défaut, il disparaît assez rapidement du marché. Le problème des biens de consommation, ce sont les petits défauts, qui n’apparaissent pas à tous les coups, que l’on supporte mais dont on souffre, non sans susciter parfois un mécontentement certain !

Je dois dire que l’hostilité du MEDEF à l’action de groupe est tristement significative de l’état des réflexions de cet organisme professionnel. Paradoxalement, cela met en évidence, me semble-t-il, la nécessité de mettre en place une telle procédure dans notre droit, car elle conduira à un changement d’esprit et de comportement de la part des entreprises.

Je vous en donnerai un seul exemple. Lorsque j’étais directeur de l’Institut national de la consommation, nous avons décelé une anomalie sur les moteurs diesel d’un des grands constructeurs d’automobiles - nous ne pouvons pas, en principe, citer de marques en séance publique, mais enfin, elles sont peu nombreuses en l’occurrence… Ces moteurs rendaient l’âme au bout de cinquante mille kilomètres, alors qu’un diesel dure habituellement beaucoup plus longtemps que les autres moteurs.

Nous avons dénoncé la situation à René Monory, alors ministre. Convoqué au cabinet du ministre, je me suis trouvé en tête-à-tête avec le directeur de l’entreprise en question, qui m’a alors dit : « Rendez-vous compte, c’est fou. Nous en avons vendu cinquante à des chauffeurs de taxi de Tunis et vous allez bloquer notre marché ».

Je lui ai répondu : « Monsieur, c’est vous qui êtes fou ! Lorsque les chauffeurs de taxi de Tunis s’apercevront que leurs moteurs ne vont pas au-delà de cinquante mille kilomètres, votre marque sera rayée de leurs acquisitions, et pas pendant un an ou deux, mais pour des années et des années. C’est en réalité vous qui avez une très mauvaise appréciation de vos propres intérêts ».

Et, s’il vous plaît, que l’on renonce à soutenir que l’action de groupe constitue un handicap pour l’activité économique. N’en abusez pas non plus, monsieur le secrétaire d’État, même si vous avez autour de vous des gens qui vous demandent de le dire, car c’est là une idée fausse.

M. le secrétaire d’État s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

C’est une idée fausse ! Voyez l’économie américaine, voyez l’économie allemande ! Ce sont les économies les plus vigoureuses. Or, les actions de groupe sont connues dans l’un et l’autre pays. On dit même qu’elles sont tout à fait excessives en Amérique. Or, apparemment, la production américaine se porte plutôt mieux que la nôtre ! Je ne vois donc pas le rapport.

De telles allégations sont artificieuses et ne correspondent pas au véritable intérêt de notre économie, qui ne peut survivre dans la mondialisation que par la meilleure performance et par l’excellence de ses produits. Ce n’est pas en faisant des produits médiocres que nous entrerons en concurrence avec ce qui se fait en Extrême-Orient ou en Amérique du Sud. C’est là une erreur qu’il ne faut pas entretenir.

Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

Rappelons, en outre, que cette action devrait permettre, précisément dans le contexte de la mondialisation, de lutter contre les produits « bas de gamme », peu performants et quelquefois dangereux pour le consommateur, en valorisant, à l’inverse, les produits fiables et de bonne qualité. Il n’y a pas d’autre avenir pour notre production à coûts relativement élevés que de jouer la carte de la qualité. Il n’y a pas d’autre solution, il faut en prendre conscience !

J’avoue que, sur ce point, monsieur le secrétaire d’État, - je me permets de vous le dire avec toute la considération et l’amitié que j’ai pour vous - les craintes que vous exprimez ne me paraissent pas fondées sur un réel danger.

Enfin, d’un point de vue plus général, il serait bien évidemment souhaitable que l’action de groupe fasse l’objet d’une législation communautaire.

Comme nous ne parviendrons jamais à cela à vingt-sept, je me permets de vous suggérer de recourir, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, à la formule de la coopération renforcée.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Cela ne sera pas possible à seize non plus…

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

Vous le savez peut-être, je suis de ceux qui plaident depuis un an ou deux, dans différentes publications, pour que l’on se rende enfin compte que l’Europe à vingt-sept ne fait rien, et que l’Europe ne fait des choses qu’à quelques-uns.

Alors, il ne faut pas hésiter, même à quelques-uns, parce que l’on peut en attendre une exemplarité qui entraînera les autres.

En fin de compte, même si la démarche des rapporteurs du groupe de travail de la commission des lois reste prudente, l’essentiel est de commencer en mettant quelque chose en place. Ainsi, la traduction des recommandations issues du rapport sous forme d’une proposition de loi, suivie de son inscription à l’ordre du jour du Sénat, constituerait un très bon signal politique. Je remercie M. Béteille de l’engagement pris sur ce point à l’instant.

Pour l’heure, la proposition de loi du groupe socialiste inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée s’éloigne des choix du groupe de travail. Sans revenir sur l’analyse qui en a été faite, il faudrait, me semble-t-il, la revoir très sérieusement.

Je crois qu’il est logique, comme la commission le propose, d’attendre qu’une proposition de loi soit déposée sur la base des travaux du groupe, en intégrant éventuellement les éléments utilisables de la proposition de loi de nos amis socialistes.

Je soutiendrai, nous soutiendrons la position défendue par la majorité de la commission des lois, qui est de procéder dans les prochains mois – je l’ai bien noté, monsieur le rapporteur - à l’élaboration d’une proposition de loi cohérente et opérante, sur la base de ces recommandations.

Je demande seulement que le processus se déroule rapidement.

Aussi, non sans regret, madame Bricq, mon groupe ne soutiendra pas la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui. Mais ce n’est que reculer pour mieux sauter !

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Fauchon

M. Pierre Fauchon. Qu’on se le dise, monsieur le secrétaire d’État, non seulement dans votre maison, mais aussi place Vendôme, où l’on nous amuse, où l’on a le culot de nous amuser, devrais-je dire si j’osais, en s’inquiétant d’une prétendue précipitation, argument qui serait, lui aussi, très artificieux s’il était sérieusement invoqué, ce que je ne veux pas croire !

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « la politique de l’autruche est terminée. Je vais m’engager sur ce dossier. Nous allons y arriver, nous sommes près du but » !

Je ne suis pas l’auteur de ces propos, contrairement à ce que vous avez pu penser. Nous les devons à autre secrétaire d’État du Gouvernement !

Nous avons ainsi aujourd’hui deux secrétaires d’État favorables : vous-même, monsieur le secrétaire d’État, qui venez de le redire devant nous, et l’un de vos collègues, même si celui-ci s’est drapé dans les plis d’une grande prudence…

Quant à la commission des lois, elle a été unanime à adopter le rapport Béteille-Yung, unanime, mes chers collègues ! Nous avons également une position favorable de quatre groupes politiques sur cinq - pour l’instant, mais ce sera peut-être l’unanimité par la suite.

Je ne vois vraiment pas ce qui nous retient d’avancer !

Que de temps perdu depuis 2005, quand le Président de la République de l’époque, Jacques Chirac, avait annoncé, lors de ses vœux à la Nation, une modification de la législation qui permettrait « à des groupes de consommateurs et à leurs associations d’intenter des actions collectives contre les pratiques abusives observées sur certains marchés ».

Depuis plus de cinq ans, les gouvernements qui se sont succédé ont tous promis d’introduire dans notre droit un mécanisme de recours collectif. Mais, jusqu’à présent, aucun de ces engagements n’a été tenu.

Je rappelle également pour mémoire le nombre de rapports commis sur la question : le rapport Martineau, en 2005, le rapport Attali puis le rapport Coulon, en 2008, et j’en oublie probablement, et finalement le rapport Béteille-Yung que nous avons préparé pour la commission des lois.

J’ajoute que plusieurs États de l’Union européenne ont déjà mis en place des dispositifs de recours collectif : en 2005, l’Allemagne, qui est d’ailleurs en train de réviser sa législation afin de tirer tous les enseignements de la réforme, l’Angleterre et le Pays de Galles, en 2000, l’Italie, en 2009, les Pays-Bas, en 2005, le Portugal dès 1995 et la Suède en 2002.

Pour sa part, la Commission européenne a entamé une réflexion, au sujet de laquelle je suis moins enthousiaste que vous, monsieur le secrétaire d’État. Deux tentatives coexistaient sous la Commission précédente, l’une émanant du commissaire au marché intérieur, l’autre du commissaire à la santé. C’était sans doute une de trop ! Et, au sein de la nouvelle Commission, la question a fait l’objet d’un certain flottement.

Il est de l’intérêt de notre pays de se doter d’une législation forte qui correspond à ses aspirations et à ses souhaits. Cela nous permettra de négocier à Bruxelles une législation communautaire qui nous convienne.

Lors des dernières assises de la consommation, le 26 octobre, vous vous êtes déclaré favorable, monsieur le secrétaire d’État, à la mise en place d’une action de groupe, mais vous avez subordonné son introduction à cinq conditions. Cela fait malgré tout beaucoup !

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

Ces conditions sont celles de la réussite ! Ne vous y trompez pas, monsieur le sénateur !

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Je citerai notamment la fin de la crise économique, dont la date est évidemment indéterminée, la réorganisation du mouvement consumériste, la transposition de la directive de 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale.

Mme Lagarde elle-même est réticente, si nous avons bien compris, sans doute parce qu’elle conserve en mémoire une certaine expérience américaine. On connaît les nombreuses dérives qu’a connues le système américain. Mais, précisément, je crois que ce nous proposons répond aux critiques adressées à juste titre au modèle américain.

Notre législation en la matière m’apparaît insuffisamment protectrice. L’effectivité du droit à réparation dans les petits contentieux est faible, tandis que l’action en représentation conjointe, née d’une bonne intention, s’est révélée inefficace : la procédure demeure lourde et coûteuse du fait de frais d’avocat élevés au regard du montant du préjudice.

Les victimes doivent ainsi intenter individuellement leurs actions, multipliant les recours devant des juridictions différentes et engorgeant les tribunaux.

Je rappelle ici les termes de l’article 1382 du code civil, qui constitue un principe pour les citoyens et les consommateurs et le fondement de notre action : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Les recours collectifs, ou class action, se sont développés aux États-Unis dans les années cinquante et soixante, mais dans un domaine tout à fait étranger à la consommation, sur le front des droits civiques, dans le cadre de la lutte contre les discriminations, et elles correspondent à une revendication historique de la gauche américaine. C’est Ralph Nader, l’inventeur, en quelque sorte, du mouvement consumériste, qui a utilisé cet outil de la lutte pour les droits civiques et l’a appliqué au droit de la consommation.

En France, de nombreuses associations de consommateurs plaident depuis plusieurs années pour la mutualisation des coûts et des risques par l’introduction, dans notre législation, du recours collectif. Leurs revendications sont d’autant plus légitimes que certaines procédures judiciaires précédemment évoquées - l’affaire du cartel des opérateurs de téléphonie mobile ou l’affaire Vivendi -, ont une nouvelle fois mis en lumière les lacunes du droit français.

Ainsi, dans l’affaire Vivendi, les actionnaires français s’estimant lésés ont été contraints de se joindre à une class action ouverte devant le tribunal de Manhattan pour pouvoir défendre leurs droits. Avouez que c’est là une fuite regrettable tant pour la justice française que pour eux !

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Fuite des capitaux ou des actionnaires, je ne sais, mais c’est en tout cas une fuite du droit !

L’introduction dans notre droit d’une procédure de recours collectif permettrait d’éviter que des particuliers ne soient contraints de faire appel à la justice américaine.

Nous avons donc déposé, dès avril 2006, avec mon excellente collègue Nicole Bricq, une proposition de loi tendant à l’introduction du recours collectif dans le droit français. Celle-ci étant devenue caduque en 2009 du fait du règlement du Sénat, nous l’avons redéposée en février 2010.

Nous sommes bien sûr conscients que notre texte peut encore être amélioré. Celui-ci a été rédigé il y a quatre ou cinq ans et notre réflexion a entre-temps évolué, si bien qu’il existe une importante marge d’amélioration. Mais nous avons redéposé ce texte afin de susciter un débat sur la question. Si nous ne l’avions pas fait, la présente discussion n’aurait pas pu avoir lieu.

Nous avons souhaité nous inscrire dans le prolongement des efforts entrepris pour démocratiser l’accès à la justice, comme la loi Neiertz de 1992.

Je rappelle que, en 2007, le programme socialiste pour l’élection présidentielle prévoyait l’ouverture de la possibilité de mener des actions de groupe. L’introduction d’une procédure de recours collectif permettra de démocratiser l’accès à la justice, de restaurer la confiance entre citoyens et professionnels et de renforcer les nécessaires contre-pouvoirs.

Un citoyen n’est plus seulement un consommateur passif ; il doit devenir un « consommacteur ». Dans une société marquée par le désengagement et le repli sur soi, l’action de groupe pourra restaurer la confiance dans l’action collective.

Je l’ai dit, le dispositif que nous avons conçu n’est pas parfait, mais notre réflexion a été guidée par la nécessité de créer une procédure équilibrée et compatible avec la tradition juridique française.

Nous sommes favorables à ce que le champ d’application de ce dispositif soit large. En effet, s’il est limité au seul secteur de la consommation, les droits des citoyens se trouveront restreints dans d’autres domaines. Pourquoi priver les victimes d’un dégât environnemental de la possibilité d’intenter une action en justice, alors que le consommateur de nouvelles technologies de l’information et de la communication serait, lui, dédommagé du préjudice résultant de la défectuosité de son téléphone ? À mon avis, l’ouverture du recours collectif aux victimes d’un préjudice matériel en matière d’environnement ou de santé permettra de sortir de la problématique consumériste.

Nous avons renvoyé la définition du champ d’application du dispositif à un décret en conseil des ministres, afin de faciliter son adaptation au fil du temps. D’ailleurs, la même démarche avait été suivie en matière d’action en représentation conjointe.

Dans notre rapport, nous proposons de limiter le champ de l’action de groupe à la consommation, au droit de la concurrence et au droit financier et boursier. C’est là, à mon sens, une délimitation claire, sans être trop restrictive. En outre, nous prévoyons une clause de revoyure à trois ans.

Par ailleurs, nous entendons réserver l’initiative du recours collectif aux associations agréées, qui devront être mandatées par au moins deux personnes. Nous ne souhaitons pas que les cabinets d’avocats puissent engager directement une action : il convient d’éviter les dérives procédurières, ainsi que d’éventuels chantages juridiques.

Notre collègue Laurent Béteille a insisté sur la nécessité de limiter l’initiative aux seules associations nationales et de permettre à plusieurs associations d’engager ensemble une action. Nous approuvons tout à fait cette remarque.

En outre, M. Béteille considère que la sollicitation publique des mandats risquerait de porter atteinte à l’image et à la réputation des entreprises avant même que leur responsabilité ait été reconnue. Lors des auditions, je me suis rendu compte que c’est le principe même du mandat qui pose problème. Il serait donc préférable de renoncer à l’obligation de recueillir des mandats pour déclencher une procédure.

Enfin, nous proposons que les actions de groupe relèvent de la compétence d’un nombre limité de tribunaux de grande instance. Il s’agit non pas de spécialiser les juges, comme cela a été fait en matière de propriété industrielle, mais simplement de retenir des tribunaux dont le greffe est suffisamment étoffé.

Pour ce qui concerne la procédure en tant que telle, nous suggérons qu’elle se déroule en deux temps, comme cela a déjà été exposé.

Au cours de la première phase, le juge de première instance examinerait la recevabilité et l’opportunité du recours introduit par une association agréée. Il vérifierait notamment l’existence d’un préjudice de masse et identifierait la faute du défendeur, avant de se prononcer sur la responsabilité du professionnel.

Cette première décision pourrait faire l’objet d’un recours. Cela constitue une garantie, monsieur le secrétaire d'État, même si la procédure risque de s’en trouver rallongée d’un ou même de deux ans. Nous devrions d’ailleurs également envisager un droit d’information du procureur de la République : dans la mesure où ce dernier défend l’intérêt général, il doit pouvoir s’exprimer.

Une fois cette décision passée en force de chose jugée, le juge procéderait à l’évaluation individuelle des préjudices de chaque victime ou de chaque famille de victime. C’est le principe de l’opt-in, que nous avons retenu pour des raisons qui ont déjà été explicitées. Nous éviterons ainsi les dérapages qui peuvent être reprochés au système américain.

Concernant la procédure, nous avons tenu compte de votre observation relative à la médiation, monsieur le secrétaire d'État. Nous prévoyons en effet une phase de médiation. Certes, comme le MEDEF, vous demandez qu’elle intervienne en amont de la procédure… §Je dis cela sans mauvaise intention aucune, monsieur le secrétaire d’État ! Pour notre part, nous prévoyons que la médiation prenne place, de façon optionnelle, entre les deux phases de la procédure.

Enfin, après réflexion, je pense qu’une indemnisation directe des victimes par l’entreprise serait préférable à une répartition des dommages et intérêts par les associations.

Contrairement au sentiment qui a pu être donné par M. le rapporteur ou par M. le secrétaire d’État, je crois qu’un très large accord existe sur l’ensemble de ce dossier, qu’il s’agisse de l’architecture du dispositif ou des principes retenus. Nous sommes prêts à modifier notre proposition de loi sur un certain nombre de points pour prendre en compte les recommandations du groupe de travail, qui a vraiment œuvré au fond, notamment en auditionnant de nombreuses personnes.

Pour ma part, je suis tout à fait disposé à élaborer avec M. Béteille dans un délai raisonnable un texte commun, sur la base de la présente proposition de loi, améliorée de toutes les propositions qui ont été formulées. L’échéance pourrait être fixée à la fin de l’année.

M. le secrétaire d’État s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Pourquoi attendre plus longtemps encore, monsieur le secrétaire d'État ?

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Parmi les soixante-cinq personnes auditionnées, seul le représentant du MEDEF s’est déclaré hostile à un tel dispositif. La politique de la France ne se fait tout de même pas à la corbeille !

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

M. Richard Yung. Nous sommes sur le point d’aboutir, toutes les conditions sont réunies pour cela. Tel est en tout cas notre sentiment, ainsi que celui, me semble-t-il, de M. Béteille.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Antoine Lefèvre

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis la loi de 1992 renforçant la protection des consommateurs, notre droit positif permet à un groupe de citoyens de se défendre par l’intermédiaire d’une association, en mettant en œuvre une action en représentation conjointe. En engageant cette procédure, les associations agréées de consommateurs peuvent agir en justice pour obtenir réparation des préjudices individuels que certains consommateurs subissent.

Toutefois, si ce dispositif a sans aucun doute permis de faire progresser le droit de la consommation, il n’est que rarement mis en jeu, en raison de sa lourdeur et de sa complexité.

C’est en partant de ce constat que Mme Bricq et plusieurs de nos collègues du groupe socialiste ont déposé la présente proposition de loi. Selon eux, les préjudices matériels de faible montant subis par des consommateurs demeurent le plus souvent sans réparation. Plusieurs éléments concourent en effet à créer une inégalité dans les modes de défense entre consommateurs et professionnels, que l’action en représentation conjointe n’a pas réduite.

Je citerai trois limites principales : la disproportion entre le coût ou le temps consacré à une action judiciaire individuelle et le montant de la réparation attendue ; la complexité des contrats rédigés par les professionnels ; enfin, la taille des services contentieux des entreprises et la banalisation des modes de règlement des litiges.

Cette proposition de loi a donc pour objet de remplacer l’action en représentation conjointe par le recours collectif, afin de rendre plus équilibrées les relations entre les consommateurs et les entreprises. Ce dispositif permettrait aux individus de voir leurs droits renforcés au sein d’une action collective et valoriserait leur engagement en tant que citoyen.

Par ailleurs, la commission approuve le principe de l’introduction dans notre droit d’une action collective au bénéfice des consommateurs. En ce sens, je tiens à saluer à mon tour l’excellent travail accompli par MM. Béteille et Yung, co-auteurs du rapport d’information sur l’action de groupe à la française, déposé le 26 mai dernier.

Ce groupe de travail a avancé vingt-sept recommandations en vue d’instaurer un mécanisme d’action de groupe à la française, s’appuyant sur les règles de procédure civile et les principes déontologiques de la profession d’avocat.

Dès lors, il est regrettable que la présente proposition de loi ait été rédigée avant l’achèvement de la réflexion du groupe de travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Antoine Lefèvre

Ce texte nous paraît, d’une part, incompatible avec les recommandations du groupe de travail, et, d’autre part, porteur d’un certain nombre de difficultés juridiques quant à sa mise en application, notamment au regard des recoupements entre les dispositions législatives proposées et les règles de procédure civile, qui sont entièrement d’ordre réglementaire.

C’est pourquoi les membres du groupe UMP souhaitent que les conclusions du groupe de travail sur l’action de groupe à la française puissent être traduites en une proposition de loi, après discussion avec les parties intéressées, et en collaboration avec le Gouvernement.

Dans cette perspective, j’ai bien entendu l’engagement pris par M. Béteille et l’avis favorable donné par M. le secrétaire d’État sur l’élaboration d’une prochaine proposition de loi sur l’action de groupe à la française. Le texte que nous examinons aujourd'hui nous a permis d’ouvrir le débat sur le sujet et de progresser dans la réflexion sur ce que pourrait être le contenu de l’action de groupe à la française.

Au regard de ces différentes remarques, le groupe UMP ne votera pas ce texte.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

Je voudrais saluer la qualité de l’ensemble des interventions et répondre à chacun des orateurs afin de clarifier la position du Gouvernement sur certains points.

Monsieur Detcheverry, je partage votre avis : nous devons nous garder d’adopter un système proche de la class action américaine, dont les dangers pour les entreprises sont bien connus, et créer une action de groupe à la française. C’est exactement ce que nous souhaitons faire, avec les préalables que j’ai évoqués tout à l’heure.

Voici quelques précisions sur ce que pourraient être les modalités juridiques d’une action de groupe à la française, sachant qu’un consensus assez large s’est dégagé sur les points suivants.

Premièrement, l’exercice de l’action de groupe doit être exclusivement réservé, en raison de leur indépendance, aux seules associations de consommateurs agréées sur le plan national. J’ai d’ailleurs signé aujourd’hui même le décret portant création de cet agrément spécifique qui concernera un certain nombre d’associations de consommateurs remplissant différents critères, notamment en matière de représentativité sur le plan national.

Deuxièmement, le champ d’application de cette forme d’action doit être limité à la seule réparation des préjudices matériels subis par les consommateurs.

Troisièmement, la procédure d’action de groupe doit être articulée avec une phase de médiation préalable. C’est un point très important.

Quatrièmement, les procédures abusives doivent être sanctionnées.

Cinquièmement, les règles de preuve ne doivent pas être modifiées : il convient de maintenir les règles existantes en matière civile. Il ne doit pas y avoir de mise en œuvre d’une procédure de production forcée de preuves à l’américaine, de type discovery.

Sixièmement, les modalités de rémunération des avocats ne doivent pas être modifiées.

Septièmement, comme l’a très bien indiqué M. Béteille, la procédure ne doit pas être celle de l’opt-out.

Enfin, il convient d’écarter l’indemnisation punitive : s’engager dans cette voie modifierait les principes directeurs du procès civil en le « pénalisant ». Le principe retenu est celui d’une indemnisation réparatrice.

Madame Terrade, vous avez fort justement rappelé que la question de l’action de groupe fait l’objet, depuis de nombreuses années, de la part tant des gouvernements successifs que des parlementaires, de travaux, de rapports et de propositions, ce qui nous donne aujourd’hui une base solide pour construire un dispositif de règlement de litiges de masse efficace et adapté à notre système juridique et à notre société.

Le Gouvernement ne se livre pas à des « manœuvres dilatoires », comme vous l’avez affirmé.

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

Je ne pense pas avoir changé d’avis depuis les Assises de la consommation, à l’occasion desquelles j’avais clarifié mes positions.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Il faudrait songer à leur donner une traduction concrète !

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

J’ai simplement parlé aujourd’hui de préalables, que je m’attache à lever rapidement. Au moins deux l’ont déjà été, monsieur Yung, sur les cinq que vous avez dénombrés.

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

Certes, mais l’un d’eux, la sortie de crise, ne dépend pas de moi !

M. Fauchon, comme toujours, a été très clair, et je peux faire miens, pour l’essentiel, ses propos. Toutefois, je n’ai pas dit que l’action de groupe nuisait à la compétitivité des entreprises : j’ai simplement souligné, ce qui n’est pas la même chose, que l’introduction aujourd’hui de cette procédure créerait, pour nos PME, des risques judiciaires nouveaux, ce qui ne me semble pas opportun à l’heure où elles sont confrontées à une situation économique difficile, mettant en question leur survie. Comme vous, monsieur Fauchon, je pense que l’action de groupe n’est pas antinomique de la compétitivité.

Monsieur Lefèvre, le Gouvernement a lui aussi accueilli avec grand intérêt le rapport de MM. Béteille et Yung, dont je salue la qualité. Il a le mérite de s’inscrire dans une logique de prudence concernant le déploiement d’une telle procédure. Le schéma proposé correspond à une option cohérente en matière d’action collective, que je rejoins s’agissant de la limitation du champ d’action à certains types de dommages.

Toutefois, ma position diffère de celle des auteurs du rapport en ce qui concerne l’opportunité d’agir immédiatement et la place à accorder à la médiation. En tout état de cause, ce travail constitue une base de discussion nouvelle, sur laquelle nous pourrons nous appuyer pour faire progresser la protection des consommateurs.

Monsieur Yung, vous avez évoqué deux questions spécifiques, celles de la qualité à agir et du champ d’application de l’action de groupe. Le Gouvernement souhaite que ce dernier soit limité. Quant à la qualité à agir, sa définition doit être établie très précisément. Je suis favorable à ce que l’action de groupe soit réservée aux seules associations de consommateurs bénéficiant de la procédure de reconnaissance spécifique qui fait l’objet du décret que j’ai signé ce matin.

Je souhaite également réserver le droit d’introduire l’action aux seules associations nationales, afin d’éviter les abus. D’un point de vue procédural, leur statut leur permet de répondre aux exigences de légitimité de l’intérêt à agir.

Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments que je souhaitais apporter en réponse à vos interventions, dont je salue de nouveau la grande qualité.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale, sur laquelle la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.

TITRE Ier

DISPOSITIONS INTRODUISANT LE RECOURS COLLECTIF

L’article L. 422-1 du code de la consommation est ainsi rédigé :

« Art. L. 422-1. – Lorsque plusieurs personnes ou plusieurs consommateurs ont subi des préjudices individuels multiples ayant une origine commune, toute association agréée et reconnue représentative en application des dispositions du titre Ier du livre IV du code de la consommation peut, si elle a été mandatée par au moins deux des personnes ou des consommateurs concernés, agir en réparation du préjudice subi par les mandants devant une seule juridiction. »

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Odette Terrade, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Odette Terrade

Cet article définit ce que pourrait être le recours collectif dans notre législation.

Les reproches faits au texte de la proposition de loi – la commission des lois évoque son « imprécision » – ne peuvent faire oublier l’essentiel, à savoir le fait que les consommateurs sont victimes de comportements inacceptables des entreprises de la grande distribution, confinant bien souvent au mépris des précautions les plus élémentaires et au simple manque de respect des clients.

On nous parle d’un juste équilibre à trouver entre réparation des préjudices et compétitivité des entreprises. Fort bien ! Cependant, mes chers collègues, lorsque certaines grandes enseignes de l’ameublement mettent sur le marché des produits ne répondant pas aux normes de sécurité européennes et sources de graves dommages corporels et physiques pour les acquéreurs, leur compétitivité est déjà mise à mal ! Leur image de marque et leur réputation de fiabilité souffrent de tels incidents. La situation est comparable à celle où un constructeur automobile commercialiserait des véhicules dont le système de freinage s’avérerait défaillant.

Nous vivons à une époque où tout se sait, ou presque, du fait de l’extrême diversité des sources d’information dont disposent les citoyens. Celles-ci devraient d’ailleurs être mieux encadrées sur le plan déontologique, d’autant que l’on a appris récemment que l’un des leaders de la mise en œuvre de réseaux dits sociaux vend sans complexe les coordonnées de ses adhérents à des sociétés commerciales à la recherche de nouveaux clients !

S’il convient, en matière de consommation, d’appliquer le principe de précaution et de prendre les mesures préventives les plus strictes, il faut aussi se pencher sur la question de la compétitivité. Celle-ci ne peut et ne doit pas découler – certains le proposent déjà – d’un allégement des sanctions et peines prévues par le droit des sociétés. À notre sens, la compétitivité passe par le renforcement de l’implication des salariés et par le développement de leurs compétences, de leur qualification et de leur responsabilisation, développement qui doit être assorti d’une amélioration sensible de la rémunération du travail. On n’encourage pas la compétitivité dans le secteur de la distribution et du commerce par l’extension sans limite du recours au travail à temps partiel et la pratique de rémunérations bloquées au niveau du SMIC. Respecter le travailleur est sans doute le plus sûr moyen de garantir la compétitivité des entreprises tout en évitant les contentieux nés des dérives d’un système de distribution miné par la précarité et l’acceptation d’un risque minimal.

Il ne faut donc pas avoir peur de l’action de groupe. À cet égard, nous ne pouvons que déplorer, une fois encore, la position de la majorité de la commission des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Béteille

Je souhaite à mon tour remercier l’ensemble des intervenants, qui sont d’accord avec la commission sur la nécessité d’introduire une action de groupe dans notre droit. Je remercie également M. le secrétaire d’État, qui a témoigné du désir du Gouvernement de trouver des solutions et d’avancer.

La commission n’est pas favorable à l’adoption de la présente proposition de loi. Certes, madame Bricq, monsieur Yung, celle-ci était amendable, mais un tel travail, vous en conviendrez, ne pouvait être accompli en quelques jours. Il est nécessaire de mener une réflexion plus approfondie, en concertation avec les services de Bercy et de la Chancellerie, d’autant que le domaine est extrêmement complexe, le code de procédure civile étant entièrement réglementaire.

Nous ne pouvons donc pas tout faire tout seuls ! En cette matière, nous devons impérativement nous entendre avec le Gouvernement pour avoir des chances d’aboutir. En effet, il ne sert à rien de voter quelques principes si les décrets ne suivent pas.

Dans ces conditions, j’estime que la position de la commission est sage. Il ne s’agit pas, de notre part, de renvoyer aux calendes grecques la mise en place d’un tel dispositif ou d’avancer masqués : nous avons véritablement la volonté d’aboutir, en essayant de remédier à un certain nombre de défauts du texte qui nous est présenté aujourd’hui. M. Yung évoquait tout à l’heure la fin de l’année comme échéance pour le dépôt d’une nouvelle proposition de loi ; je partage volontiers cet objectif. Nos positions ne sont donc pas aussi éloignées que l’on veut bien le dire.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

M. le rapporteur nous a donné rendez-vous avant la fin de l’année et a reconnu que nos positions ne sont pas si éloignées, comme je m’étais efforcée de le démontrer. Dont acte !

M. le secrétaire d’État, quant à lui, a énuméré six grandes orientations pour préciser la position du Gouvernement. Cela signifie que ce dernier a réfléchi à la question et n’a pas été pris à l’improviste par cette initiative parlementaire, qui aura, nous l’espérons, une suite dans les délais évoqués par MM. Yung et Béteille. À ce propos, monsieur le secrétaire d’État, vous avez reproché à Mme Terrade d’avoir évoqué des « manœuvres dilatoires ».

Par ailleurs, vous avez beaucoup insisté sur la médiation.

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

J’y crois !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Lundi dernier, à l’occasion de l’examen ici même en deuxième lecture du projet de loi portant réforme du crédit à la consommation, le Gouvernement, représenté en l’occurrence par Mme Lagarde, a demandé un vote conforme alors qu’il avait présenté à l’Assemblée nationale un amendement tendant précisément à placer la Commission de la médiation de la consommation, ainsi que deux autres organismes, sous l’autorité du directeur de l’Institut national de la consommation. Nous n’avons donc pu débattre de cette disposition, ce qui nous a amenés à élever une protestation.

Nous considérons qu’il s’agissait là, pour le Gouvernement, d’opposer un contre-feu à la proposition d’instaurer l’action de groupe dont nous débattons aujourd’hui. Sinon, pourquoi cette précipitation ? Il est regrettable d’introduire de cette manière des dispositions qui modifient profondément l’architecture institutionnelle de la consommation en France ! Il s’agit d’un problème non pas de fond, mais de forme. J’y vois une petite manœuvre dirigée contre notre initiative présente : vous avez plaidé tout à l’heure pour une extension du champ de la médiation, mais vous savez très bien que celle-ci ne remplacera jamais une procédure de recours collectif.

Debut de section - Permalien
Hervé Novelli, secrétaire d'État

Je l’ai dit !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

On ne peut pas substituer l’une à l’autre.

Vous avez en outre affirmé qu’il convenait d’attendre la fin de la crise économique. Or le Gouvernement, faisant preuve d’un optimisme à tout crin, a transmis à la Commission européenne une prévision de croissance de 2, 5 % pour 2011 ! Quand on avance un tel chiffre, il n’est pas sérieux d’invoquer la gravité de la crise pour s’opposer à notre proposition ! Cet argument ne tient pas !

Quoi qu’il en soit, nous prenons un rendez-vous ferme pour la fin de l’année !

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Je remercie M. le rapporteur de sa proposition précise de travailler ensemble à l’élaboration d’un texte pour la fin de l’année. Nous sommes d’accord sur le champ de l’action de groupe, sur l’architecture de la procédure, sur le rôle du juge aux différentes étapes, sur le mode de rémunération des avocats, sur la restriction de l’initiative de la procédure aux associations agréées, sur l’intervention des associations dans la répartition des dommages et intérêts.

Monsieur le secrétaire d’État, trois des cinq préalables à l’instauration d’une procédure de recours collectif restent à lever. Mme Bricq ayant déjà évoqué la sortie de la crise économique, je n’y reviendrai pas. Je soulignerai par ailleurs que la compétitivité des entreprises ne semble pas avoir particulièrement souffert dans les dix pays européens qui ont institué une action de groupe. Par conséquent, même si le MEDEF ne manque pas de l’invoquer, l’argument de la défense de la compétitivité ne tient pas.

Reste la question de la médiation, dont vous voulez faire le premier acte de la procédure. Pour notre part, nous considérons qu’elle doit intervenir dans un second temps, car l’expérience de la médiation telle qu’elle est pratiquée par la Fédération bancaire française ou les branches professionnelles du MEDEF nous rend assez prudents…

Nous ne sommes donc pas très loin d’un accord et l’élaboration d’un texte commun devrait être possible. Il nous faut surtout convaincre le Gouvernement que le moment est venu d’avancer. Monsieur le secrétaire d'État, vous nous avez annoncé avoir contresigné ce matin un décret qui, si j’ai bien compris, va limiter le nombre d’associations reconnues d’intérêt national. Il serait intéressant de pouvoir en prendre connaissance…

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Un auditeur peu familier de nos débats pourrait être surpris de la conclusion à laquelle nous sommes parvenus.

On a vanté la grande qualité du rapport rédigé par nos collègues Yung et Béteille, la proposition présentée est parfaitement compatible avec notre droit et elle a été jugée crédible par M. Fauchon. Elle apporte une réponse à un problème réel, que de nombreux pays développés ont pris à bras-le-corps. Conclusion : « Surtout, ne faisons rien ! Circulez, y a rien à voir ! » Pour le groupe de l’Union centriste, il s’agit de reculer pour mieux sauter ; pour le groupe UMP, de reculer pour ne pas sauter…

Pourtant, comme en témoignent les propositions des auteurs du rapport et certaines paroles de M. le secrétaire d'État, il est possible d’avancer. Élaborons donc un texte avant la fin de l’année, en dépit du contexte de crise. À ce propos, il est peu probable que la procédure de recours collectif concerne les entreprises les plus fragiles, les PME. Si l’on veut sortir de la crise, monsieur le secrétaire d'État, il faut commencer par ne pas l’aggraver en faisant des coupes claires dans les dépenses publiques et en étranglant financièrement les collectivités territoriales, qui réalisent les trois quarts des investissements publics, ce dont les entreprises deviennent de plus en plus conscientes. Sortons donc de la crise, au lieu de nous livrer à des arguties juridiques.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

L'article 1 er n’est pas adopté.

Après l’article L. 422-1 du même code, il est inséré un article L. 422-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 422-1-1. – Le mandat peut être sollicité dans les conditions prévues par l’article 31-2 du code de procédure civile. »

L'article 2 n’est pas adopté.

Après l’article L. 422-1 du même code, il est inséré un article L. 422-1-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 422-1-2. – Le recours collectif s’applique à tout litige entre des personnes physiques et un professionnel. L’étendue du champ d’application par secteur sera déterminée par grand domaine d’activité par décret en conseil des ministres. »

L'article 3 n’est pas adopté.

L’intitulé du chapitre II du titre II du livre IV du même code est ainsi rédigé :

« Recours collectif. »

L'article 4 n’est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

TITRE II

DISPOSITIONS RELATIVES AU MÉCANISME PROCÉDURAL DU RECOURS COLLECTIF

Après l’article L. 422-1 du même code, il est inséré un article L. 422-1-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 422-1-3. – L’action en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse appartient exclusivement à toute association agréée et reconnue représentative en application des dispositions du titre Ier du livre IV du code de la consommation.

« À l’expiration d’un délai d’un mois au cours duquel l’instance est suspendue, et en l’absence de recours, le juge procède à l’évaluation individuelle des préjudices de chaque victime et fixe les dommages intérêts dus à chacun. Le recours ne peut être intenté que dans le mois qui suit la déclaration de responsabilité pour préjudice de masse. Le recours ne peut avoir lieu qu’en référé. »

L'article 5 n’est pas adopté.

Après l’article L. 422-1 du même code, il est inséré un article L. 422-1-4 ainsi rédigé :

« Art. L. 422-1-4. – En l’absence de recours au terme du mois qui suit la déclaration de responsabilité pour préjudice de masse, ou en cas de rejet du recours, l’association doit retrouver les victimes du préjudice de masse. À cet effet, elle peut utiliser le démarchage et la publicité par voie de presse. »

L'article 6 n’est pas adopté.

Après l’article L. 422-1 du même code, il est inséré un article L. 422-1-5 ainsi rédigé :

« Art. L. 422-1-5. – Seules les personnes qui auront expressément manifesté leur volonté d’être partie à l’action sont considérées comme victime du préjudice de masse. »

L'article 7 n’est pas adopté.

Après l’article L. 422-1 du même code, il est inséré un article L. 422-1-6 ainsi rédigé :

« Art. L. 422-1-6. – Le juge alloue à chacune des victimes ayant manifesté la volonté d’être partie à l’action la réparation qui lui est due. »

L'article 8 n’est pas adopté.

Après l’article L. 422-1 du même code, il est inséré un article L. 422-1-7 ainsi rédigé :

« Art. L. 422-1-7. – L’association répartit, à l’issue de l’instance et dans un délai maximal de trois ans, les dommages intérêts entre les membres du groupe victime du préjudice de masse. Les dommages intérêts sont consignés à la Caisse des dépôts et consignations. »

L'article 9 n’est pas adopté.

Après l’article L. 422-1 du même code, il est inséré un article L. 422-1-8 ainsi rédigé :

« Art. L. 422-1-8. – Une transaction est possible entre les parties à tout moment. Elle est subordonnée à l’approbation du juge, doit donner lieu à un avis communiqué aux membres et faire l’objet d’une homologation judiciaire. »

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Mes chers collègues, je vous rappelle que si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les dix articles qui la composent auraient été rejetés.

La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

M. Richard Yung. Il serait tout de même dommage de ne pas adopter l’article 10, car c’est précisément celui qui introduit la médiation !

Sourires sur les travées du groupe socialiste.

L'article 10 n’est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Les dix articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés, je constate qu’il n’y a pas lieu de voter sur l’ensemble, puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi est rejetée.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 62 de M. Serge Lagauche à M. le ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement, sur l’égalité des chances dans l’enseignement primaire et secondaire.

Cette question est ainsi libellée :

« M. Serge Lagauche attire l’attention de M. le ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement, sur l’abandon progressif du principe de justice sociale dans la politique éducative depuis 2002.

« Que ce soit avec la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école ou plus récemment avec le volet éducatif du plan espoir banlieue, on assiste à la multiplication des dispositifs de sélection des élèves “méritants” au détriment de la promotion collective, gage de justice sociale.

« Ce n’est pas critiquer la mise en œuvre des mécanismes d’admission préférentielle dans les filières sélectives du supérieur que de souhaiter que le Gouvernement s’intéresse tout autant à ces 150 000 élèves qui, chaque année, se retrouvent sans qualification à l’issue de leur parcours scolaire. La volonté de faire émerger une élite doit s’accompagner d’une volonté de faire progresser parallèlement l’ensemble des élèves et, en particulier, ceux qui ont le moins de chances de réussir.

« De nombreuses actions sont mises en place pour la prévention des sorties sans qualification. Au vu des chiffres persistants en matière de décrochage scolaire, il convient d’engager sans tarder une évaluation de ces dispositifs.

« Premièrement, concernant les 170 000 élèves déclarés en situation de handicap scolarisés en 2007, les professionnels déplorent unanimement un dépistage trop tardif. D’une part, les enseignants référents sont submergés par le nombre de dossiers arrivés trop tardivement, d’autre part, il semblerait utile de redéfinir le rôle des auxiliaires et des employés de vie scolaire.

« Deuxièmement, on constate une persistance d’un échec scolaire plus élevé parmi les élèves socialement défavorisés, phénomène d’ailleurs amplifié par la dérégulation de la carte scolaire. Dès lors, ne doit-on pas redéfinir les missions et le réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, le RASED, pour plus d’efficience ? De même, ne conviendrait-il pas de s’interroger sur les capacités d’accueil des établissements régionaux d’enseignement adapté, les EREA, et des sections d’enseignement général et professionnel adapté, les SEGPA ? Comment faire pour que les aides personnalisées et les stages de remise à niveau dans l’enseignement primaire répondent mieux aux besoins des élèves ?

« La mise en œuvre de politiques publiques ambitieuses et exceptionnelles pour les élèves présentant des handicaps dans leurs apprentissages – qui peuvent se combiner –, tels que difficultés socio-économiques, troubles linguistiques, cognitifs, comportementaux ou médicaux dès la petite enfance, est donc urgente. Il faudrait l’assurer par une politique ciblée en premier cycle et en secondaire permettant de réduire le nombre d’élèves en décrochage scolaire, en particulier dans les territoires qui font face aux plus lourds handicaps, et ainsi réduire l’énorme coût social des adultes qui n’ont pas acquis les qualifications de base indispensables pour trouver leur place dans la société.

« M. Lagauche souhaite donc connaître les dispositifs que le Gouvernement pourrait mettre en place pour éviter aux élèves les plus en difficulté le décrochage scolaire, tout comme il a mis en place des dispositifs d’admission préférentielle dans le supérieur pour ceux en situation de réussite issus de milieux sociaux défavorisés. »

La parole est à M. Serge Lagauche, auteur de la question.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Lagauche

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’échec scolaire constitue un handicap majeur pour notre pays, dont il menace la cohésion sociale et la compétitivité. En effet, dans un monde de concurrence et d’innovation, dans une société de la connaissance et du savoir, l’éducation est la meilleure chance qui puisse être donnée aux citoyens et le principal facteur de la croissance.

Pourtant, les résultats de notre système d’enseignement ne correspondent pas à nos attentes en termes d’efficacité et de solidarité. Il favorise ceux qui disposent des meilleures chances au départ et les situations d’échec scolaire touchent essentiellement les enfants de familles défavorisées.

Un récent rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, consacré à la mobilité intergénérationnelle relève que c’est en France et aux États-Unis que la réussite sociale du père influence le plus la performance des enfants dans l’enseignement secondaire. Plus tard, le revenu des enfants est déterminé à hauteur de 40 % par celui des parents, alors que ce taux est de moins de 20 % en Suède. Autrement dit, l’« ascenseur social » français est bloqué.

Cet échec de la formation initiale, désespérant pour les individus, pèse lourdement sur la réussite collective et la cohésion sociale. C’est bien là une des leçons essentielles des enquêtes du programme for international student assessment –le PISA – de l’OCDE.

La France compte une proportion beaucoup trop élevée d’élèves très faibles à l’âge de 15 ans : un cinquième environ de l’effectif se trouve dans cette situation dans les trois domaines de compétence concernés. L’accroissement continu de ce pourcentage entre 2000 et 2006 est plus préoccupant encore : les résultats, déjà mauvais, continuent de se dégrader. Notre pays produit de nombreux bataillons d’élèves en situation d’échec, ce qui, par corollaire, entraîne un accroissement des écarts sociaux. De fait, le vivier de son élite est trop faible. Or les transformations de l’économie exigent des qualifications plus élevées pour l’ensemble de la population.

Les pays qui s’en sortent le mieux, en termes de niveau global d’éducation et de qualité des élites, sont le plus souvent, selon les enquêtes du PISA et comme le souligne le rapport de la Cour des comptes, ceux qui ont mis en œuvre des stratégies actives de lutte contre les difficultés scolaires, passant par un soutien systématique, par un tronc commun de longue durée et par un financement privilégié de l’école primaire.

Car l’échec scolaire marque d’abord l’échec de l’école. La volonté de faire émerger une élite doit s’accompagner de la volonté de faire progresser parallèlement l’ensemble des élèves, en particulier ceux qui ont le moins de chances de réussir.

Le nouveau document proposé par l’Union européenne – la stratégie Europe 2020 – pour remplacer la stratégie de Lisbonne, qui arrive à échéance à la fin de l’année 2010, nous conforte dans cette ambition. La réduction de l’échec scolaire est un objectif majeur de l’Union européenne, corrélé à l’augmentation du nombre de diplômés de l’enseignement supérieur : « L’objectif en matière de réussite scolaire doit permettre de régler le problème de l’abandon scolaire dont le taux, qui est actuellement de 15 %, doit être ramené à 10 %, et d’augmenter la part de la population âgée de 30 à 34 ans ayant achevé un cursus universitaire de 31 % à au moins 40 % en 2020. » Nous devons prendre conscience qu’une obligation de résultat s’impose à nous.

Nous avons la volonté de contribuer à réaliser cette ambition : rendre l’école de la République à la fois plus performante et plus égalitaire. Dans cette optique, rien ne sert de faire se succéder des mesures sectorielles inefficaces, qui ne traitent pas le problème dans son ensemble – un jour on favorise l’entrée des élèves méritants dans les filières d’excellence, un autre on se penche sur le problème de la violence à l’école, un autre encore la réflexion porte sur les rythmes scolaires. Au contraire, appuyons-nous sur ce qui existe, sur les avis émanant tant de représentants de la communauté éducative que d’experts reconnus, sur les propositions fortes de chercheurs en vue d’une rénovation du service public de l’éducation.

À nos yeux, déconcentration, personnalisation et ouverture doivent être les maîtres mots d’une réforme ambitieuse du service public de l’éducation.

Il est navrant de constater que notre système scolaire engendre trop fréquemment un sentiment d’insatisfaction, non seulement chez les élèves, mais aussi chez les personnels. Les bonnes volontés sont pourtant nombreuses, mais elles sont trop souvent réduites à l’impuissance et au découragement. Les enseignants eux-mêmes, malgré leur investissement dans leur métier, se sentent démunis pour lutter efficacement contre les difficultés qui entravent le parcours scolaire d’élèves dont certains manifestent de plus en plus tôt des comportements incompatibles avec les apprentissages.

Des mesures de déconcentration pourraient donner plus de souplesse au système et, sans remettre en cause la nécessaire préservation d’une cohérence nationale, diffuseraient les responsabilités et les prises d’initiatives.

Le rôle de l’administration centrale pourrait être recentré sur des fonctions essentielles : fixer les cadres et les programmes généraux, réaliser une péréquation des moyens, contrôler les diplômes et délivrer les habilitations. Au-delà, une grande part pourrait être laissée à l’initiative, à l’adaptation aux caractéristiques locales et à la diversité des publics.

Ainsi, il serait utile que les académies bénéficient de marges de manœuvre plus importantes, pour favoriser l’émergence d’une politique fondée sur des projets, sur des expérimentations ayant vocation à se généraliser, vraiment adaptées à la réalité des territoires, ruraux ou urbains, favorisés ou non.

Les récentes études sur le modèle éducatif finlandais sont éclairantes à cet égard et nous pourrions utilement nous inspirer de certaines des caractéristiques de celui-ci, notamment en matière de gouvernance des établissements scolaires. En valorisant davantage l’expérience concrète de terrain, les équipes enseignantes, soutenues par les chefs d’établissement, formaliseraient leur propre projet d’établissement, ainsi que les objectifs à atteindre. Elles disposeraient d’une grande liberté et adapteraient leur démarche pédagogique pour réussir.

La notion d’établissement en tant que communauté éducative est très faible en France, tant parmi les enseignants et l’encadrement que parmi les élèves et leurs parents. Or, le climat scolaire est, on l’oublie trop souvent, un facteur de réussite, et le projet d’établissement est un gage de cohérence et de cohésion. Il faut susciter le plaisir d’apprendre à l’école et de vivre ensemble au quotidien, car l’espérance ne peut se construire sur la souffrance ou sur la remise en cause permanente de notre système éducatif.

Le développement des affectations sur profil, voire le recrutement par cooptation, sont des pistes intéressantes, car cela permettrait enfin l’adéquation entre les compétences des enseignants et les exigences des postes. C’est le principe qui prévaut dans les filières d’excellence, dans les grandes écoles en particulier. À l’autre bout de la chaîne, en revanche, les élèves rencontrant les plus grandes difficultés et qui suivent leur scolarité dans des établissements peu favorisés ont souvent face à eux des enseignants non volontaires et peu préparés à exercer leur métier dans un environnement difficile.

Le corollaire de cette autonomie accrue est inévitablement une évaluation renforcée : d’abord, une évaluation interne à l’établissement, conduite par le chef d’établissement et par le conseil pédagogique, puis une évaluation à l’échelon national. Ainsi, les écoles et les collèges devraient être évalués de manière publique et contradictoire, en fonction des résultats obtenus par rapport aux objectifs fixés et aux caractéristiques des populations prises en charge.

Cette évaluation, qui existe déjà de manière informelle et incontrôlée, déboucherait sur une information publique permettant de souligner les carences des établissements, d’évaluer les moyens nécessaires et de mobiliser tous les acteurs. Elle donnerait lieu à la publication annuelle de rapports circonstanciés, académie par académie, et, bien entendu, à la remise annuelle d’un rapport au Parlement et aux commissions concernées.

Une telle évaluation serait plus efficace que la suppression pure et simple de la carte scolaire. Les inconvénients de celle-ci ont été soulignés à maintes reprises, mais sa suppression sans remplacement par un outil de régulation renforce le risque de ghettoïsation des écoles et des collèges dans les zones les plus fragiles sur les plans économique et social.

N’étant pas indépendante de la cité, l’école ne peut évoluer en ignorant la marche de la société. On ne pourra bâtir une école égalitaire et juste dans une société d’injustice qui laisse prospérer des zones d’exclusion. Comme le souligne le rapport de la Cour des comptes, il faut adapter l’organisation scolaire aux besoins des élèves.

De même qu’un lien réciproque unit l’individu à la société, si l’école contribue à construire la société, la société bâtit l’école et lui donne son orientation. C’est pourquoi enseignants, chefs d’établissement, élus locaux, parents, mouvements associatifs devraient s’investir dans la construction d’un réseau éducatif multiforme, ancré dans le quartier, doté de moyens adéquats, dont l’école serait le centre. L’éducation des jeunes doit être une coproduction, l’affaire de tous, de l’échelon local jusqu’au plan global. Dans ces conditions, le problème de la carte scolaire ne se poserait plus ; les élèves, les professeurs et les parents retrouveraient le goût et la fierté de leur lieu de vie, de leur école, dont les réussites et les objectifs seraient respectés et partagés collectivement.

La valorisation des compétences des enseignants devrait comporter des modalités motivantes pour l’équipe pédagogique : pour l’enseignant, évaluation transdisciplinaire prenant en compte son adaptabilité, la qualité de sa formation initiale et continue, son adhésion à un projet collectif ; pour l’établissement, mesure de la progression des élèves en fonction de leur niveau de départ, insertion des élèves décrocheurs, évaluation selon le triptyque « savoir, savoir-faire, savoir-vivre ». On donnerait ainsi plus de poids au mérite des enseignants, à leurs résultats, à leur implication dans la gestion collective de l’établissement qu’à leur ancienneté. À cet égard, afin de préserver le souffle de l’engagement, les inspections d’académie devraient avoir la possibilité d’inviter les enseignants, tous les quatre ou cinq ans, à participer au mouvement et à changer d’établissement.

Dans le cadre d’orientations fixées à l’échelon national ou régional, les enseignants devront donner corps au projet éducatif, adapter les programmes à partir du socle commun, diversifier les méthodes, déterminer les itinéraires pédagogiques, choisir les rythmes.

Le temps d’apprendre ne coïncide pas avec les rythmes scolaires, et la progression des élèves les plus fragiles n’est pas linéaire. L’intérêt d’un apprentissage par cycle, respectueux des rythmes de l’enfant, permettant de juguler le redoublement, inefficace, n’est plus à démontrer. Encore faut-il que cette politique soit appliquée par des professeurs formés à ces rythmes d’apprentissage différenciés. Une expérience obligatoire en maternelle pour les professeurs des écoles exerçant en primaire pourrait utilement compléter une formation initiale sur les besoins spécifiques en matière d’apprentissage des enfants de 2 à 6 ans.

De nouvelles modalités de formation devraient en conséquence être envisagées. Il conviendrait de mettre en place une formation continue non plus facultative, mais obligatoire, mettant l’accent sur les méthodes de pédagogie différenciée, permettant la prise en charge d’une classe hétérogène ou d’élèves en grande difficulté sur le plan scolaire ou comportemental.

Si l’école doit donner à tous un bagage commun, elle doit aussi permettre à chacun de trouver la voie de sa réussite sociale et professionnelle. La nécessité de ne laisser personne sur le bord de la route, sans abaisser pour autant le niveau général, doit conduire à mettre en place des enseignements et des méthodes personnalisés, des formes d’aide et d’encadrement au sein de la classe tenant compte d’aptitudes et d’aspirations différentes. L’instauration de l’égalité en milieu scolaire, condition de la mobilité sociale, ne peut résulter d’une « égalité républicaine » de façade. Elle exige à l’évidence des politiques différenciées, elle requiert une inégalité de traitement au bénéfice des élèves et des territoires les plus défavorisés, par une identification des différences existant entre les élèves, en vue d’adapter les parcours et les méthodes d’enseignement.

Face à une véritable hétérogénéité des niveaux scolaires au sein même des classes, il est essentiel d’apporter une différenciation pédagogique. De ce point de vue, une réflexion doit être menée, en particulier, sur les dispositifs d’aide personnalisée : il est crucial qu’ils soient intégrés à la classe. L’aide aux élèves les plus en difficulté doit être apportée pendant le temps scolaire commun à tous les élèves, dans le cadre normal des activités de la classe, et non pendant les temps de récréation ou la pause du déjeuner. Il faut cesser de cantonner les élèves les plus en difficulté dans des dispositifs d’aide « traditionnels », dévalorisants et mal perçus, pour les placer au contraire dans des situations où ils puissent agir par eux-mêmes, constater les résultats concrets de leur action et prendre conscience de leur propre capacité à évoluer. Les élèves « marginalisés », isolés par la faiblesse de leurs résultats scolaires, ne doivent pas être stigmatisés davantage encore du fait de comportements absentéistes, insolents, voire violents. Il faut redonner du sens à leur cursus scolaire : c’est la raison pour laquelle aucun élève ne doit être complètement séparé de la classe, dans la mesure où il est possible de mettre en place un parcours individualisé.

Notre principal objectif doit être de prévenir la rupture scolaire des élèves les plus fragiles, en assurant, au sein du système éducatif, les meilleures conditions d’apprentissage possibles, afin de leur permettre de trouver une orientation positive.

Les parcours des élèves qui finissent leur scolarité sur un échec et en situation de décrochage ont fait l’objet de nombreuses études, de multiples rapports ; les étapes qui jalonnent ces parcours sont connues. Une intervention en amont, préventive, est toujours plus efficace qu’une intervention palliative et curative.

Pour les enfants de nombreuses familles appartenant à des milieux sociaux défavorisés, la scolarisation en maternelle dès l’âge de 2 ans est un élément déterminant en vue de la mise en place correcte des dispositifs cognitifs qui permettront ensuite la maîtrise de la langue et l’acquisition de compétences fondamentales. Cette scolarisation précoce et adaptée sera aussi une occasion privilégiée de renforcer les contacts et les liens avec les familles.

On s’accorde à reconnaître aux parents un rôle important dans la réussite de leur enfant et dans la gouvernance de l’école ; encore faut-il leur donner les moyens de devenir parents d’élève. Favoriser l’accueil et la formation du parent en tant que parent d’élève, c’est lui donner le maximum de chances de s’intégrer au sein du système scolaire, au bénéfice de son enfant. Rien ne sert d’accroître un peu plus encore les tensions entre les familles et l’école en brandissant la menace d’une suspension des allocations familiales ! Au contraire, il s’agit d’abord de montrer à la famille que, loin de constituer une sanction, les efforts, les obligations, le travail demandé aux enfants sont une contrepartie de l’investissement consenti par la République dans l’éducation et la formation, atouts majeurs donnés à chaque enfant afin de lui permettre de maîtriser sa vie future. L’école a tout à gagner à instituer, dès le début de la scolarisation, un dialogue permanent avec les familles, en leur permettant de joindre facilement, à tout moment, un professeur référent ou tuteur de leur enfant.

En ce qui concerne l’école primaire, le constat est insupportable : 40 % des élèves sortent du CM2 avec des lacunes graves.

Les travaux sur l’inadaptation du temps scolaire à l’enfant, sur le métier d’enseignant, sur l’organisation de l’école ne manquent pas, qui mettent en évidence les insuffisances du système et les moyens d’y remédier. Ce chantier devrait être d’autant plus prioritaire qu’il est unanimement reconnu que l’acquisition des fondamentaux déterminant l’avenir des jeunes se joue dès les premières années de l’éducation primaire.

Il est des étapes qui font grandir, si elles sont préparées et accompagnées. Le hiatus qui existe toujours, malgré la politique des cycles, entre la grande section de maternelle et le cours préparatoire est l’une des insuffisances « les plus sérieuses » de l’école primaire, souligne le rapport de 2007 du Haut conseil de l’éducation, et il peut être une première cause de rupture pour les élèves les plus fragiles. D’une manière générale, des ruptures importantes peuvent survenir à chaque fin de cycle : passage de la maternelle à l’école élémentaire, du CM2 à la sixième et, après la troisième, au lycée professionnel. Pour préparer au mieux ces transitions, un dialogue constant, voire un travail conjoint, entre les enseignants de grande section de maternelle et ceux de CP doit s’instaurer, des visites de groupes d’élèves et d’enseignants de classes de CM2 dans les collèges pourront être utilement organisées.

Souvent, en effet, l’élève en difficulté fait état d’un décalage, mal vécu, entre l’image qu’il a de l’école et la réalité, avec des problèmes d’organisation du travail, de gestion du temps, de méthodes, de maintien de l’attention pendant les cours, de motivation, d’insertion dans le groupe. Dans ces périodes de transition, un dispositif de repérage rapide, tel qu’une cellule de veille pédagogique dotée d’outils appropriés, des élèves potentiellement décrocheurs – passifs, souvent absents ou présentant des problèmes comportementaux – doit pouvoir être mis en œuvre. Les résultats obtenus lors des évaluations nationales et intermédiaires dans l’ensemble des disciplines pourraient être davantage pris en compte pour le repérage de ces élèves. Enfin, la problématique du travail personnel doit être traitée en tant que telle au sein de l’enseignement scolaire.

Le collège unique est souvent présenté comme le maillon faible de notre système éducatif, qui souffre, paradoxalement, d’une différenciation anormalement marquée et précoce des parcours des élèves.

Tout en maintenant un socle commun renforcé assurant à tous une formation fondamentale, il conviendrait d’introduire une véritable diversification des parcours, grâce à de meilleurs dispositifs d’orientation. L’orientation ne doit plus s’opérer par l’échec, mais être fondée sur la construction d’un projet personnel de vie. Donner le temps de l’apprentissage, favoriser l’écoute permet de restaurer la confiance de l’enfant dans ses capacités à exprimer son point de vue et ses choix, ce qui aidera l’enseignant à mieux le guider, en tenant compte de sa personnalité, qui va s’exprimer très tôt.

Dans cette perspective, l’institution scolaire doit prendre davantage en considération le monde professionnel, le rôle déterminant que jouent les entreprises. Pour y familiariser les élèves, l’école doit s’ouvrir au milieu professionnel, au travers de réunions d’information, de travaux dirigés ou de stages, et ce à tous les niveaux. Pour les élèves les plus en difficulté, il faudrait, dès la quatrième, envisager la diversification des parcours en termes d’options – passerelles vers des lycées professionnels, stages… –, afin de permettre tant aux enfants qu’à leurs parents de découvrir d’autres voies de réussite. Dans cette optique, des filières professionnelles parallèles à la filière générale et reliées à celle-ci par des passerelles utilisables dans les deux sens pourraient être créées. Enfin, en dernier recours, les « écoles de la deuxième chance » devraient être généralisées, car il importe de tout mettre en œuvre pour favoriser le retour en formation de ceux qui sont sortis de l’école sans qualification ou qui souhaitent en acquérir une autre.

Toutes ces mesures procèdent de la même ambition : pour ces élèves qui ont du mal à donner sens à leur présence au sein de l’école, il importe de tenter une ouverture sur l’environnement économique et culturel, que tous ne perçoivent pas. Les élèves d’origine modeste sont encore ceux qui ont le moins accès à des activités culturelles, sportives, artistiques. Il revient donc à l’école d’élargir leur horizon quotidien, de renouveler le regard qu’ils portent sur eux-mêmes, sur les autres et sur leur environnement. L’école doit permettre aux enfants et aux adolescents de se construire au cœur de notre monde. Elle doit réaffirmer son ambition d’une formation humaniste ouverte sur son environnement social et culturel.

Tels sont, monsieur le ministre, les principes qui doivent selon nous fonder une nouvelle gouvernance du service public de l’éducation nationale, qui n’est, à l’évidence, pas à l’ordre du jour !

Certes, vous rappelez souvent, depuis la parution du rapport de la Cour des comptes, que le président de cette dernière, M. Didier Migaud, a déclaré que la politique de l’éducation nationale que doit conduire l’État n’est pas qu’une affaire de moyens. Mais elle exige au minimum une ligne politique, un engagement clair, cohérent et durable ! Avec la politique de réduction des effectifs que vous mettez en œuvre, nous en sommes loin !

La Cour des comptes a constaté que votre ministère ne connaît pas le coût des politiques éducatives ou du fonctionnement des établissements d’enseignement et ne répartit pas systématiquement les moyens en fonction des objectifs qu’il affiche. Avant de trancher dans les moyens, il faut procéder à une évaluation systématique du coût et de l’efficacité des dispositifs éducatifs et des établissements ! Avant de proposer l’augmentation du nombre d’élèves par classe, il faut tenir compte de la spécificité des enjeux dans l’enseignement primaire et du sous-investissement dont celui-ci fait l’objet !

Or la politique de suppression des emplois dans l’éducation nationale ne s’est pas accompagnée d’une méthode visant à améliorer les résultats dans l’enseignement, tant primaire que secondaire. Aucun effort n’a été fait pour structurer, à tous les niveaux, le corps enseignant et lui donner les moyens d’obtenir de meilleurs résultats ! Aucun objectif n’est fixé, sur le terrain, en termes de niveau des établissements, en vue d’une affectation progressive des moyens nécessaires pour réduire le nombre d’échecs scolaires. Diminuer les effectifs ne garantira pas que les équipes pédagogiques seront soudées et efficaces, car derrière les chiffres se trouvent des hommes ! Comment mobiliser les énergies, développer des projets sans être assuré de la continuité de la volonté publique ?

Monsieur le ministre, permettez-moi de rappeler deux préconisations de la Cour des comptes :

« Il est nécessaire, non seulement de parvenir à une répartition nettement plus différenciée des moyens entre les établissements, mais également de procéder à des arbitrages entre les politiques et les actions éducatives, après les avoir systématiquement évaluées ; […]

« L’organisation du système scolaire et ses modes de gestion doivent être profondément réformés : il est désormais impératif de remplacer la logique de l’offre scolaire par une logique fondée sur la demande, c’est-à-dire sur une connaissance nettement plus précise des besoins des élèves. »

Quelle est votre réponse ? Il est temps que l’État affronte, comme le recommande la Cour des comptes, « l’inadaptation de la structure du système scolaire » pour approcher – enfin ! – l’objectif de la loi de 2005 pour l’avenir de l’école, à savoir la réussite de tous les élèves.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC -SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a mené depuis le printemps un cycle d’auditions consacré à l’enseignement scolaire. Elle vous a ainsi entendu, monsieur le ministre de l’éducation nationale, ainsi que le nouveau directeur général du ministère et ancien recteur de l’académie de Créteil, Jean-Michel Blanquer, la sociologue Marie Duru-Bellat et les auteurs des deux récents rapports de la Cour des comptes et de l’Institut Montaigne, consacrés respectivement à l’organisation du système éducatif et à l’échec scolaire à l’école primaire. Attachée à la spécificité de l’enseignement agricole, la commission a également reçu Marion Zalay, directrice générale de l’enseignement et de la recherche au ministère de l’agriculture.

À l’issue de ces auditions, un constat s’est imposé : l’école républicaine peine à réduire les inégalités sociales, mais aussi les inégalités territoriales, moins souvent évoquées mais qu’il est essentiel de prendre en compte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Ce diagnostic lucide ne nous condamne cependant ni au fatalisme ni à l’impuissance.

Trois leviers nous paraissent devoir être actionnés en priorité pour favoriser l’instauration d’une authentique égalité des chances entre les élèves : la gouvernance des établissements, l’individualisation de la pédagogie et la rénovation du système d’orientation.

Sur ces trois points, l’expérimentation locale, soigneusement encadrée et conjuguée à une évaluation rigoureuse des dispositifs, paraît un moyen adéquat de déterminer les meilleures pratiques et d’en assurer la diffusion. Cependant, afin de garantir l’équité sur l’ensemble du territoire, ces expérimentations devront s’inscrire dans un cadre national clairement défini.

Tant le déplacement des membres de la commission en Finlande que les derniers rapports de l’OCDE, de la Cour des comptes et de l’Institut Montaigne nous amènent à souligner le rôle que jouent l’organisation territoriale et le pilotage local dans les performances des systèmes éducatifs.

Les pays qui favorisent la constitution de réseaux décentralisés d’établissements dotés d’une large autonomie tendent à bénéficier à la fois d’un plus grand nombre de bons élèves et d’un plus faible taux de décrochage scolaire. Il est important de noter que la recherche de l’excellence n’est pas incompatible avec la réduction de l’échec scolaire. Les deux objectifs peuvent et doivent donc être poursuivis de front.

C’est au niveau de l’école primaire que les plus grands bénéfices peuvent être attendus d’une rénovation de la gouvernance locale. À la différence des collèges et des lycées, les écoles n’ont pas la personnalité juridique ; elles ne disposent ni de l’autonomie financière ni de l’autonomie administrative.

C’est pourquoi, mes chers collègues, nous avions inscrit dans la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales la possibilité de créer à titre expérimental des établissements publics d’enseignement primaire, ou EPEP. Le conseil d’administration d’un EPEP devait comporter des représentants des collectivités territoriales, des enseignants et des parents d’élèves, sur le modèle de celui des établissements du second degré. L’ensemble des parties prenantes auraient ainsi été associées. La coopération entre les communes et l’éducation nationale en aurait été resserrée, pour le plus grand bénéfice des élèves.

Je ne peux que déplorer qu’aucun EPEP n’ait pu voir le jour, faute de la publication du décret en Conseil d’État nécessaire. De même, je regrette que n’ait toujours pas été pris le décret prévu par la loi du 23 avril 2005, qui doit rénover le recrutement, la formation et le statut des directeurs d’école. Il n’est pas acceptable que l’inaction de l’administration freine ainsi la mise en œuvre d’initiatives novatrices voulues par le législateur. Une mission a désormais été confiée à l’un de nos collègues de l’Assemblée nationale pour réfléchir aux évolutions possibles du statut des écoles et de leurs directeurs. Nous souhaitons, monsieur le ministre, qu’elle aboutisse rapidement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

L’individualisation de la pédagogie constitue le nouvel horizon des politiques éducatives depuis plusieurs années. Des dispositifs d’aide personnalisée ont progressivement été installés en primaire, puis au lycée professionnel, et le seront bientôt au lycée général et au lycée technologique.

Le cadre formel de la classe ne suffit manifestement plus pour accompagner l’ensemble des élèves vers la réussite scolaire. C’est pourquoi, sans remettre en cause l’uniformité des programmes et des objectifs sur le territoire national, il est nécessaire d’adapter la pédagogie à la diversité des élèves et d’accorder plus d’attention à ceux qui en ont le plus besoin. Nous retrouvons là l’enseignement de Montaigne, qui estimait déjà que « ce n’est pas miracle si, en tout un peuple d’enfants, ceux qui entreprennent d’une même leçon de régenter plusieurs esprits de si diverses mesures et formes, en rencontrent à peine deux ou trois qui rapportent quelque juste fruit ». Cette observation d’un homme du xvie siècle est encore d’actualité !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

M. Jacques Legendre. La relation particulière qui s’instaure entre l’élève et l’enseignant au cours des heures d’aide personnalisée peut permettre aux enfants de prendre confiance en eux et goût à l’étude. Le regard porté par les enseignants sur leurs élèves en difficulté changera également au fur et à mesure que se révélera leur envie d’apprendre. Les conseils de Fénelon – excusez-moi de le citer, je suis un élu de Cambrai !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Toutefois, la réussite des dispositifs dépendra d’une authentique rénovation des méthodes pédagogiques. Les heures d’aide personnalisée ne doivent pas, en effet, décalquer simplement la classe habituelle. Elles doivent, au contraire, promouvoir une façon d’enseigner différente.

Si les enseignants doivent conserver une large autonomie dans le choix des méthodes et des supports, il faut les accompagner dans leur travail de réflexion pédagogique. Ils ne doivent pas être laissés à eux-mêmes. Leur formation initiale et continue devra les préparer à répondre aux besoins différenciés des enfants. Les corps d’inspection auront également un rôle éminent de soutien et de coordination à jouer.

L’orientation est le troisième levier important pour assurer l’égalité des chances et lutter contre le décrochage scolaire.

Quelles que soient les réformes de structure et d’organisation du lycée qui seront entreprises, le décrochage scolaire ne sera pas enrayé sans une refonte d’un système d’orientation éclaté en une vingtaine de réseaux indépendants. Une orientation subie, par défaut et trop souvent irréversible est une des causes majeures de l’échec au lycée et des sorties sans qualification du système scolaire.

C’est pourquoi la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a toujours demandé que soit mise en place une véritable préparation à l’orientation dès le collège. L’institution de parcours de découverte des métiers et des formations à partir de la classe de cinquième et l’option de découverte professionnelle de troisième sont des premiers pas intéressants. Il faudrait sans doute aller plus loin et prévoir que la scolarité de tout collégien lui permette d’aborder les trois dimensions des études : générale, technologique et professionnelle.

À l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, notre assemblée a jeté les bases du service territorialisé d’orientation dont le Président de la République avait appelé de ses vœux la création dans son discours d’Avignon consacré à la politique de la jeunesse. Nous avons souhaité agir sans attendre sur la formation initiale des conseillers d’orientation-psychologues : elle devra davantage prendre en compte la connaissance des filières, des qualifications et des métiers. L’élargissement de leur qualification ne pourra que renforcer leur rôle auprès des élèves et des familles.

Les pouvoirs du délégué interministériel à l’information et à l’orientation ont également été renforcés, et ses missions élargies. Le Sénat a obtenu que le délégué remette au Premier ministre, avant le 1er juillet 2010, un plan de coordination de l’action, aujourd’hui cloisonnée, des opérateurs de l’État. Il examinera ainsi les moyens de rapprocher, sous la tutelle du Premier ministre, l’Office national d’information sur les enseignements et les professions, l’ONISEP, qui dépend de l’éducation nationale, le Centre Inffo, piloté par le ministère de l’emploi, et le Centre d’information et de documentation pour la jeunesse, le CIDJ, placé sous la responsabilité du ministre de la jeunesse. Nous serons très attentifs aux conclusions de ce plan de coordination et à sa mise en œuvre concrète.

Les pistes de réflexion suggérées à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication par les auditions qu’elle a menées sont tout à fait compatibles avec les réformes que vous conduisez, monsieur le ministre, et que nous soutenons. Elles n’ont cependant pas toutes été pleinement explorées. Si nous souhaitons vaincre l’échec scolaire et assurer l’égalité des chances, il nous faudra, mes chers collègues, faire preuve d’audace et prendre plus résolument le chemin de l’expérimentation, de la pédagogie différenciée et de l’orientation choisie.

Oui, mes chers collègues, la volonté d’instaurer une véritable égalité des chances est partagée sur toutes les travées de notre hémicycle. Réaliser cette ambition n’est pas seulement affaire de moyens. Il y faut sans doute du temps, mais nous ne pouvons nous satisfaire que tant d’élèves restent encore sur le bord du chemin. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, nous sommes prêts à accompagner toute action résolue en ce sens. Nous avons eu l’occasion, en étudiant jadis l’origine sociale des bacheliers ou, plus récemment, la composition injuste des classes préparatoires aux grandes écoles – je parle sous le contrôle de mon collègue Yannick Bodin –, de marquer cette volonté, commune à tous les membres de notre commission et au-delà, j’en suis sûr, du Sénat. Il nous faut maintenant continuer à avancer. Monsieur le ministre, nous serons exigeants à votre égard, parce que nous devons l’être pour le bien des enfants de ce pays !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Agnès Labarre

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l’égalité des chances dans l’enseignement primaire et secondaire était un objectif réellement partagé dans notre pays, nous n’aurions pas à faire ce constat alarmant : selon les comparaisons internationales réalisées par l’OCDE en matière de résultats scolaires, l’écart se creuse en France entre les meilleurs élèves et les plus faibles.

Le rapport de la Cour des comptes de mai 2010 intitulé « L’éducation nationale face à l’objectif de réussite de tous les élèves » révèle que 21 % de nos jeunes éprouvent des difficultés sérieuses en lecture au terme de la scolarité obligatoire. Oui, plus d’un jeune sur cinq n’a pas acquis les bases fondamentales de l’enseignement primaire à 16 ans !

Qui sont ces élèves réputés faibles ? Sont-ils nés au mauvais endroit au mauvais moment ? Ne sont-ils pas plutôt nés, c’est le cas de le dire, dans la mauvaise classe ? La France, toujours selon la Cour des comptes, est l’un des pays où le destin scolaire d’un enfant est fortement corrélé à ses origines sociales.

Quelques chiffres suffisent à le rappeler : en 2008, 78, 4 % des élèves issus de catégories sociales favorisées ont obtenu un bac général, contre 18 % des élèves venant d’un milieu social défavorisé ; 20 % d’une classe d’âge sort du système scolaire sans diplôme ou avec le seul brevet. On devine de quels milieux sont issus ces « sans-grade »… Par ailleurs, la hiérarchie entre bac général, bac professionnel et bac technologique correspond à une certaine forme de « hiérarchie sociale ».

En clair, l’éducation nationale échoue à combler les inégalités les plus criantes. Elle les entretient même depuis longtemps, malgré les signaux d’alarme envoyés par les enseignants, qui militent notamment pour un renforcement de la mixité sociale, facteur d’entraînement des élèves issus d’un milieu culturellement pauvre, pour que la France se donne les moyens de ses ambitions proclamées et pour que ces moyens, dont l’affectation est jugée « illisible » par la Cour des comptes, soient correctement répartis, précisément évalués au regard de l’efficacité, pour une forme de discrimination positive, plus de moyens devant être alloués là où les besoins sont les plus grands, là où les fossés à combler sont le plus profonds, pour une amélioration de la formation, qui permette d’apprendre le métier « pour de vrai », et non d’obtenir un diplôme universitaire, fût-il de niveau « bac+5 », ne reflétant, contrairement aux diplômes de sortie de nos regrettées écoles normales d’instituteurs, l’acquisition d’aucune compétence professionnelle.

C’est parce que notre groupe partage l’aspiration des parents, des élèves et des enseignants à ce que l’école, le service public de l’éducation deviennent le lieu de la justice et de la réussite pour tous que ses membres estiment que l’école publique doit être repensée pour relever le défi majeur de l’égalité de tous les élèves face au système scolaire, quel que soit leur milieu social, culturel ou économique d’origine.

Nos élèves en échec ont aussi bien mal choisi le moment de se présenter au guichet de la relégation sociale, à l’heure où le Gouvernement multiplie les réformes, dont certaines constituent de véritables provocations au regard de la situation que je viens de décrire.

Ainsi, le Gouvernement applique de façon totalement irresponsable à l’éducation nationale sa révision générale des politiques publiques, la trop fameuse RGPP, qui, selon une logique purement comptable, prévoit le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux et un cortège de suppressions d’emplois : 16 000 en 2010 et 17 000 envisagées en 2011.

La conséquence immédiate de l’application de cette politique est l’augmentation du nombre d’élèves par classe. Pour se justifier, le ministère affirme que « les études et expériences les plus récentes indiquent que la diminution des effectifs dans les classes n’a pas d’effet avéré sur les résultats des élèves ».

Cette contre-vérité est battue en brèche par une étude de Thomas Piketty et de Mathieu Valdenaire commandée en 2006 par la direction de l’évaluation et de la prospective du ministère. L’évidence s’exprime en ces termes : « l’allégement même d’un seul élève de l’effectif d’une classe conduit à une amélioration notable de la moyenne des enfants, particulièrement en primaire, pour les enfants en difficulté », spécialement dans les zones d’éducation prioritaire.

L’éducation nationale n’avait pas besoin de cette nouvelle cure d’austérité : notre pays ne lui consacre déjà plus que 3, 9 % de son PIB, contre 4, 5 % en 1995. Cette baisse a fait passer la France du deuxième au onzième rang des pays de l’OCDE.

Cela est d’autant plus révoltant que, en parallèle, de plus en plus de cadeaux sont faits à l’enseignement privé payant, par nature profondément inégalitaire : pas moins de 9 milliards d’euros sont ainsi consacrés chaque année au financement des établissements privés, qui ont bénéficié quant à eux d’un doublement du nombre de postes ouverts aux concours du CAPES en 2010.

Quand le Gouvernement « assouplit » la carte scolaire, le résultat est immédiat : l’apartheid scolaire se renforce. Comme l’a souligné le rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale de juin 2008, cet assouplissement favorise la « ghettoïsation des établissements scolaires », par des stratégies d’évitement des établissements où les résultats scolaires sont les plus faibles, ou qui sont réputés « dangereux ».

La Cour des comptes elle-même met en exergue le fait que « sur les 254 collèges “ambition réussite”, 186 établissements ont perdu des élèves, ce qui s’est traduit par une plus grande concentration dans ces collèges des facteurs inégalitaires contre lesquels doit lutter la politique d’éducation prioritaire ».

Quand le Gouvernement supprime les instituts universitaires de formation des maîtres, il fait des économies comptables à court terme : il sait qu’il multiplie les risques d’affaiblissement de la qualité de l’enseignement, ce dont certains paieront le prix plus tard.

Quand il supprime 3 000 postes dans les RASED, il sait aussi que ce faisant il n’agit pas, comme il ose le prétendre, dans le sens d’une réduction des inégalités et des risques d’échec. Il nie la spécificité et l’utilité d’un accompagnement effectué par des enseignants spécialisés, chargés d’aider les élèves en difficulté en matière d’apprentissage ou d’adaptation à l’école.

Comment tolérer cette politique éducative qui abandonne les plus faibles ? Ces jeunes en difficulté se trouvent relégués dans des filières injustement mésestimées, réorientés vers un enseignement professionnel et technologique qu’ils n’ont pas choisi pour lui-même, mais parce que c’est là qu’aboutissent tous ceux qui ont vu se fermer devant eux les portes de l’enseignement général. Cette discrimination négative de l’enseignement professionnel et technologique doit aussi être combattue.

Enfin, peut-on dire que la fermeture des petites écoles de moins de deux classes est de nature à faciliter la réussite scolaire ? La France est plus riche qu’au début du xxe siècle, mais elle ne pourrait plus s’offrir ces petites écoles de village ?

Le Gouvernement affiche une politique en faveur de l’égalité des chances mais, en réalité, au-delà des discours et de la communication, il met aujourd'hui en place des mesures profondément inégalitaires dans l’éducation nationale comme dans les autres domaines.

C’est pourquoi je veux, avec plus de vigueur que jamais, réaffirmer l’importance du secteur non économique de la connaissance, de la transmission du savoir. C’est là que résident notre richesse, notre avenir et celui des générations futures.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Bourzai

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens à la place de Mme Françoise Cartron, retenue en Gironde.

Je voudrais évoquer la situation de l’école maternelle, en partant d’un constat : seulement 8 % des élèves ayant redoublé la classe de cours préparatoire obtiendront un jour le baccalauréat… Ce seul chiffre illustre l’importance essentielle de l’école maternelle pour la réussite à l’école primaire, bien sûr, mais aussi pour le reste du cursus scolaire. La préscolarisation doit être au cœur de nos réflexions sur une politique d’éducation permettant la réussite de tous les élèves. En effet, l’école maternelle est un lieu privilégié pour agir en vue de la réduction des inégalités sociales.

Le premier facteur de décrochage scolaire tient au langage. Le linguiste Alain Bentolila note ainsi que, « à l’arrivée au CP, les enfants les plus fragiles maîtrisent six fois moins de mots que les meilleurs ». Il est évident que des lacunes dans la construction du langage et dans l’acquisition du vocabulaire ont une influence désastreuse lorsque débute l’apprentissage de la lecture.

Des expériences comme le programme « Parler bambin » ont démontré que la familiarisation des tout jeunes enfants issus de milieux défavorisés avec des outils langagiers complexes et avec la notion de conversation en général accroissait de façon très significative leurs chances de réussite.

Pour de nombreux enfants, en particulier issus de l’immigration, l’école maternelle est aussi le premier point de contact avec la langue française. Elle doit donc être le lieu de l’apprentissage du langage et de la familiarisation de l’enfant avec la culture scolaire. Vous en convenez, monsieur le ministre, puisque lors de la présentation de votre plan de lutte contre l’illettrisme, vous avez affirmé que la maternelle était un rouage essentiel, qui « prépare les conditions d’entrée dans l’écrit ». En conséquence, les inspecteurs des classes de maternelle ont reçu pour consigne de se concentrer sur l’« apprentissage méthodique du vocabulaire, pour combler l’écart entre les milieux sociaux ».

On ne peut que se réjouir de ces déclarations d’intention. Il est cependant dommage que, depuis 2002, l’objectif de « réussite de tous les élèves » ait disparu des programmes de l’école maternelle. Il est surtout dommage, monsieur le ministre, que vos propos soient le miroir inversé de votre politique, comme en témoignent les trois exemples suivants.

Tout d’abord, des chercheurs en sciences de l’éducation comme Agnès Florin ont montré l’effet positif de la scolarisation dès 2 ans pour les enfants issus de milieux défavorisés. Cette scolarisation est d’ailleurs encouragée par la loi d’orientation de 1989, notamment dans les ZEP et les zones de revitalisation rurale. Or que faites-vous ? Vous décidez de ne plus comptabiliser les enfants de 2 à 3 ans pour les décisions d’ouverture de classes. Cela a d’ailleurs valu à l’État une condamnation par la cour administrative d’appel de Bordeaux en février dernier…

Ensuite, dans les fameuses fiches « antipédagogiques » préparées par vos services, la maternelle n’échappe pas aux coups de ciseaux : la scolarisation des enfants de 2 ans est rendue impossible. Vous proposez d’augmenter les effectifs pour diminuer le nombre d’enseignants, alors que toutes les expériences pédagogiques menées actuellement démontrent que l’apprentissage du langage nécessite des structures de taille réduite, permettant la mise en œuvre d’une pédagogie différenciée.

Enfin, la formation des maîtres est une question essentielle. Comment pouvez-vous prétendre renforcer le rôle de la maternelle dans la lutte contre le décrochage scolaire tout en éloignant encore un peu plus les jeunes enseignants d’une spécialisation adaptée ? Les modes d’apprentissage propres à l’école maternelle exigent de la part de l’enseignant un œil expérimenté, une formation approfondie, une bonne connaissance du développement de l’enfant. Comment un étudiant les acquerra-t-il dans le cadre de la « mastérisation », et en l’absence d’une formation continue spécialisée ?

Longtemps, notre école maternelle a fait figure de modèle. Elle fonctionnait bien, et peut-être n’a-t-elle pas été l’objet de suffisamment d’attention ces dernières années. Or la maternelle est une école à part entière et un lieu privilégié de la réalisation de l’idéal républicain d’égalité des chances. Monsieur le ministre, ne la sacrifiez pas à votre obsession du chiffre !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Marsin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en matière d’éducation, les apparences sont parfois trompeuses. Les récentes discussions sur l’ouverture sociale des grandes écoles, par l’instauration de quotas de 30 % de boursiers, ne contribuent pas forcément à faire progresser l’égalité des chances. Elles feraient même presque oublier que c’est au fil de la scolarité que les inégalités sociales se creusent.

Sur dix enfants de cadres entrés au collège en 1995, huit étaient encore étudiants dix ans après et un seul avait arrêté ses études sans avoir obtenu le baccalauréat. En revanche, sur dix enfants d’ouvriers, trois avaient continué leurs études jusque dans le supérieur tandis que cinq les avaient interrompues avant le baccalauréat.

Dès lors, la question est de savoir pourquoi ces enfants issus de milieux défavorisés ne parviennent plus à se hisser vers l’enseignement supérieur, comme c’était encore le cas jusque dans les années soixante-dix. Nul n’était besoin alors d’instaurer des quotas pour obtenir des résultats incomparablement meilleurs qu’aujourd’hui !

Le système éducatif français est finalement devenu l’un des plus inéquitables de l’OCDE. Au fil de la scolarité, les inégalités sociales se creusent, et les enfants les plus défavorisés n’acquièrent même plus le socle minimal de connaissances.

Une analyse sur vingt ans des acquis en lecture des élèves de CM2 montre que le score des enfants d’ouvriers a été divisé par deux entre 1997 et 2007, alors que celui des enfants de cadres a légèrement progressé.

L’enquête internationale PISA a par ailleurs signalé que, contrairement à l’un des objectifs de Lisbonne, la proportion d’élèves ou de jeunes rencontrant des difficultés pour lire n’a pas tendance à diminuer, et a même augmenté ces dernières années : 15 % des élèvent arrivent en sixième sans savoir lire correctement et, en 2008, près de 12 % des jeunes âgés de 17 ans manifestaient, au cours de la journée d’appel de préparation à la défense, des difficultés de compréhension en lecture.

Ce problème est grave. Il a déjà et il aura dans le futur des conséquences dramatiques, dans tous les domaines. Un problème de mathématiques mal compris ne sera pas réussi. Un enfant qui ne maîtrise pas correctement la lecture et l’écriture ne pourra ni poursuivre ses études avec succès ni s’insérer dans la vie professionnelle ou, tout simplement, dans la société. Cette même observation vaut aussi pour la maîtrise précoce de l’outil informatique, qui n’est pas garantie pour les enfants dont les parents sont en situation précaire.

Mises en place en 1982, les ZEP, supposées « donner plus à ceux qui ont moins », n’ont pas connu le succès escompté. Un enfant sur deux sortant des collèges « ambition réussite », dont les trois quarts des élèves sont des enfants d’ouvriers ou d’inactifs, ne maîtrise pas les compétences de base en français, selon les données publiées dans la dernière livraison de L’État de l’école.

Au regard de l’importance que revêt la maîtrise de la lecture et, plus largement, de la langue française, l’augmentation constatée du nombre de jeunes rencontrant des difficultés de lecture, notamment dans les milieux les plus défavorisés, amène à vous demander, monsieur le ministre, quelles mesures vous comptez prendre pour enrayer ce phénomène aux multiples conséquences dramatiques.

Introduit dans la loi en 2005, le « socle commun de connaissances et de compétences » a érigé la maîtrise de la langue française en priorité absolue. À compter de 2011, la maîtrise des compétences de ce socle sera nécessaire pour obtenir le diplôme national du brevet. Comment comptez-vous parvenir à améliorer suffisamment le niveau d’ici là pour que ce dispositif ne devienne pas un nouvel outil de discrimination à l’encontre des enfants ?

Garantir à tous l’égalité des chances fonde la cohésion sociale qui est à la base de notre pacte républicain. À ce titre, il est indispensable d’assurer une plus large ouverture sociale dans l’ensemble des filières, tant avant qu’après le baccalauréat, en particulier dans celles qui mènent aux études longues et élitistes. La mise en place de dispositifs de sélection des élèves les plus méritants est une politique qui peut porter des fruits. Cette démarche consiste à aider des élèves, notamment ceux qui sont issus de familles modestes et scolarisés dans des établissements de banlieue ou de zones rurales, à lever les obstacles psychologiques, culturels et matériels qui les font renoncer à s’engager dans la voie des études trop spécialisées ou trop longues, alors qu’ils en ont tout à fait les capacités.

Mais, par ailleurs, il ne faut pas non plus négliger la promotion collective par l’école de la République, gage d’une plus grande justice sociale. Aider les plus méritants n’implique pas nécessairement de délaisser tous les autres.

Cela passe notamment par une amélioration de l’orientation, qui doit commencer le plus tôt possible, notamment au lycée, afin que chacun puisse trouver plus facilement sa voie au fil de son parcours. L’orientation ne doit plus être vécue comme une menace, voire comme une sanction, encore moins être discriminante.

Il est donc fondamental, dans cette optique, d’élargir des voies d’insertion aussi indispensables que l’enseignement professionnel et agricole et de revaloriser ces filières. Nous sommes pour l’heure dans une logique de filières hiérarchisées, qui ne prend quasiment pas en compte, ou très mal, la perspective de l’insertion professionnelle. Les premières victimes de cette « culture de la désorientation » sont les enfants issus des classes sociales les moins favorisées. Il me paraît indispensable de développer davantage de passerelles entre la filière générale, la filière professionnelle et les entreprises. Le développement des stages, notamment en entreprise, est essentiel pour une bonne orientation et une meilleure intégration professionnelle des jeunes. Mais, dans ce domaine, trouver un stage est souvent laissé à l’initiative des élèves. De ce fait, ceux qui viennent d’un milieu défavorisé ne disposent pas vraiment des meilleurs atouts pour décrocher les bons stages ! Toutes ces observations nous conduisent à penser qu’une politique éducative efficace passe nécessairement par une politique de la famille véritablement adaptée. Qu’en pensez-vous, monsieur le ministre ?

Le sujet qui nous occupe aujourd’hui est très vaste, et il n’est donc pas possible d’être exhaustif dans le cadre d’un si court débat.

Beaucoup de réformes sont en cours, mais les écarts continuent de se creuser et ils seront de plus en plus difficiles à combler. Un récent rapport de l’Institut Montaigne dresse d’ailleurs un constat très alarmant sur l’échec à l’école primaire. Il présente un certain nombre de solutions qui ont au moins eu le mérite de faire réagir l’ensemble de l’opinion publique. Nous sommes curieux de savoir quelles suites vous comptez donner à ce coup de tonnerre médiatique, monsieur le ministre.

« Après le pain, l’éducation est le premier besoin du peuple », écrivait Danton. Tous ensemble, nous devons redresser la barre de l’égalité des chances au plus vite. Il y va du respect de notre pacte républicain.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Laufoaulu

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’égalité des chances est un objectif difficile à atteindre, mais c’est un idéal vers lequel chacun doit tendre de toutes ses forces, car il est le plus bel acquis de la République.

L’égalité des chances dans l’enseignement est le principe qui doit corriger toutes les inégalités de fait, celles, territoriales, familiales et sociales, qui sont liées à la naissance.

Promouvoir l’égalité des chances doit être une préoccupation permanente de ceux qui ont choisi la carrière d’enseignant, car c’est la noblesse de leur vocation. Nombreux sont celles et ceux qui y travaillent durement. Tous méritent d’être salués, mais on comprendra que j’aie une pensée particulière pour les enseignants de mon territoire, qui, depuis le passage du cyclone Thomas, au mois de mars dernier, exercent leur métier dans des conditions difficiles.

Les conditions d’une véritable réussite scolaire sont multiples : une pédagogie adaptée, un environnement affectif solide, la présence et le soutien d’une communauté éducative, un minimum de moyens, etc.

Monsieur le ministre, permettez-moi d’évoquer, dans le cadre de ce débat sur l’égalité des chances dans l’enseignement primaire et secondaire, les conditions matérielles qui prévalent à Wallis-et-Futuna, s’agissant en particulier du bâti scolaire, sachant que par ailleurs l’éducation nationale fait le nécessaire pour mettre en place les dispositifs d’aide pour faire face aux différentes difficultés, notamment pédagogiques, que rencontrent nos enfants.

Le cyclone Thomas, qui a ravagé nos îles voilà trois mois, a remis en évidence une réalité bien connue des responsables du territoire et des personnels de l’enseignement, à savoir l’état dégradé, voire dangereux, des bâtiments, tant dans le primaire que dans le secondaire. Plusieurs rapports font état de cette situation.

Un problème certain de sécurité s’est posé après le passage du dernier cyclone. Les parents d’élèves, craignant pour la sécurité de leurs enfants, ont bloqué des établissements pendant plusieurs semaines. On peut dire que, à Futuna, tout le premier trimestre de l’année scolaire 2010 a été perdu, puisque, je le rappelle, le calendrier scolaire est inversé dans l’hémisphère sud.

Le climat très humide, la proximité de la mer, l’air iodé, sans parler de drames épisodiques comme les tremblements de terre ou les cyclones, sont bien sûr en partie responsables de cette dégradation du bâti scolaire, mais il ne faut pas oublier les problèmes liés aux défauts de construction, aux malfaçons et au manque d’entretien.

Un plan de rénovation et de reconstruction, réclamé par l’ensemble des responsables du territoire, sera engagé par l’État. Je vous remercie, monsieur le ministre, de m’en confirmer les conditions et le calendrier. Toutefois, il semble que ce plan se limitera aux établissements détruits de Futuna et au lycée de Wallis. Or certains collèges de Wallis sont également gravement dégradés. Il serait désolant de devoir attendre qu’un prochain cyclone mette en évidence, avec tous les risques afférents, qu’il aurait fallu aussi les rénover. Le principe de précaution doit prévaloir lorsqu’il s’agit de la sécurité physique de nos enfants.

M. Victor Brial, président de l’Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna, a demandé à l’administrateur supérieur du territoire de procéder à un examen approfondi de tous les établissements afin que ce plan de rénovation et de reconstruction prenne en compte l’ensemble des bâtiments scolaires. Peut-être faudra-t-il aussi envisager la création d’une structure spécifique pour le suivi des bâtiments scolaires de Wallis-et-Futuna. Je tiens à rappeler ici que la décentralisation ne s’appliquant pas à notre territoire, l’État assume toujours seul la responsabilité des bâtiments scolaires du primaire et du secondaire.

Monsieur le ministre, au nom de l’égalité des chances, qui, comme je l’ai souligné, tient aussi aux conditions matérielles, je vous demande de porter une attention particulière à cette situation de dégradation et de fragilisation des bâtiments scolaires de la collectivité la plus enclavée et la plus éloignée de la métropole. En améliorant le bâti scolaire, vous rendrez plus effective pour les enfants de Wallis-et-Futuna cette égalité des chances que nous appelons tous de nos vœux.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste. – M. Daniel Marsin applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryvonne Blondin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons aujourd’hui l’occasion de rappeler que notre modèle républicain se veut garant de l’égalité des chances, afin de permettre à chacun de réaliser ses ambitions.

Or le constat est sans appel : l’école aggrave l’inégalité des chances ! Le système institutionnalise le déterminisme social et, par une forme de « délit d’initiés », garantit les meilleures places aux mieux nés.

Toutes les études le montrent, c’est dès la première année du primaire que se joue l’avenir de notre pays. Or 40 % des élèves sortent du système éducatif sans maîtriser les compétences censées être acquises à la fin du primaire. À cet égard, je vous invite à lire Prévenir l’exclusion scolaire et sociale des jeunes, ouvrage publié sous la direction de Danielle Zay qui montre combien ces deux dimensions de l’exclusion sont liées.

L’école primaire va mal, beaucoup d’orateurs l’ont dit : organisation par cycles non effective, lourdeur des programmes, manque de formation des enseignants, affectations parfois non désirées, défaut de coordination et de pilotage du système.

Malheureusement, c’est une logique comptable qui anime la politique du Gouvernement, quand la priorité devrait être de remettre à plat toute l’organisation du temps scolaire, en prenant enfin en compte les rythmes biologiques de l’enfant et de l’adolescent, sans la caler sur des intérêts sociaux et économiques.

Une articulation des différents temps de vie de l’enfant s’impose : temps éducatifs, consacrés aux apprentissages fondamentaux ou non formels, et temps sociaux.

Le passage du CM2 à la sixième n’arrange rien. Au contraire, il s’avère difficile et souvent lourd de conséquences. L’élève et ses parents ne sont pas suffisamment accompagnés dans cette transition déterminante. La difficulté de ce passage est accentuée quand les familles cumulent difficultés scolaires et sociales. Les zones d’éducation prioritaires deviennent, hélas ! soit des zones de stratégies familiales par excellence, où les « sachants » contournent allègrement les mesures de mixité sociale voulues à l’origine pour les ZEP, soit des zones de stratégies politiques visant simplement à « exfiltrer » les meilleurs éléments.

Finalement, l’approche par zonage entérine la ghettoïsation des populations. Comment s’étonner alors de l’absentéisme et de la recrudescence des violences scolaires ?

Le comble est que votre ministère se désengage des actions partenariales pour laisser la place à une politique de la ville aléatoire, empilant les dispositifs sans lisibilité et consacrant les inégalités territoriales. Ainsi, l’égalité des chances devient un enjeu à géométrie variable, alors que notre système éducatif a besoin de justice sociale.

Le collège unique ne peut évidemment rétablir la situation. L’hétérogénéité des classes suppose en effet une formation des enseignants adaptée aux besoins spécifiques des élèves, y compris ceux qui sont en situation de handicap. Or l’affaiblissement de la formation professionnelle des maîtres éloignera encore plus ceux-ci des réalités de la classe…

Une réflexion approfondie sur le temps scolaire des adolescents est également nécessaire. Certes, vous l’avez entamée, monsieur le ministre, en envisageant de consacrer l’après-midi au sport, mais cette vision est assez restrictive. Outre qu’elle laisse de côté les activités culturelles, environnementales ou caritatives, elle recouvre des problèmes annexes mal évalués : qui paiera les transports ? Quid de l’encadrement, de la disponibilité des équipements, de la gestion des partenariats ? Beaucoup de questions restent posées.

La France mérite un vrai projet éducatif de qualité, fondé sur une stratégie nationale déclinée par territoire et laissant toute sa place aux initiatives locales. Pour cela, il faut définir une véritable gouvernance, garantir l’autonomie et la stabilité des équipes afin qu’elles aient toute latitude pour travailler à une pédagogie de projet, réorganiser les moyens en fonction des besoins, faire confiance aux enseignants tout en leur assurant une formation initiale et continue adaptée.

« Faire sortir l’école de l’école » : ces mots prennent tout leur sens si l’on met en place de solides partenariats locaux et si l’on intègre des temps de vie et d’échanges entre tous les acteurs impliqués dans l’école et autour d’elle, comme devaient le permettre les établissements publics d’enseignement primaire.

Monsieur le ministre, les élèves sont l’avenir et la richesse de notre pays, même si, aujourd’hui, ils coûtent cher à l’État. « La grande affaire est de donner à l’enfant une haute idée de sa puissance, et de la soutenir par des victoires », disait le philosophe Alain.

Mes questions sont donc simples et complexes à la fois : quelle est votre vision du service public de l’éducation ? Quels sont les objectifs et les missions que vous lui assignez aujourd’hui ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Pierre Signé

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’école primaire peine à assurer ses missions. Chaque année, 300 000 enfants sortent du CM2 avec des manques et 100 000 avec des lacunes graves, de l’ordre de l’illettrisme. C’est dès le primaire que l’on peut identifier les premiers signes de décrochage. Le fait que celui-ci touche une large proportion d’enfants d’employés, d’ouvriers ou d’inactifs illustre l’incapacité de l’école à gommer les retards initiaux.

En outre, en milieu rural, les communes, particulièrement fragiles, sont confrontées chaque année à des fermetures de classes ou d’écoles, ce qui freine leur développement, les ramenant au rang de hameaux. La question de l’organisation scolaire et de son lien avec la réussite se pose alors de façon aiguë.

La réussite scolaire ne devrait pas être corrélée aux origines sociales et territoriales. Par ailleurs, la sélection dès le primaire génère, dans les familles modestes, la peur d’une relégation scolaire précoce, souvent irréversible. Le redoublement, qui est d’ailleurs inefficace, est mal vécu, même s’il est moins utilisé dans les classes uniques.

Cette sélection inquiète et conduit les familles les plus huppées à recourir à l’enseignement privé. Or l’égalité des chances devrait être l’égalité effective d’accès, indépendamment de l’origine sociale, à l’éducation, à la formation, à la culture, à la qualification : autant de voies qui mènent à la réussite.

La vision urbaine d’un cours par classe avec une organisation hiérarchisée ne correspond pas à la situation des territoires ruraux, où persiste l’image rétrograde des classes à cours multiples. Ce sont de mauvaises raisons qui poussent à considérer les écoles rurales comme des réservoirs de postes à récupérer. L’école rurale a ses spécificités : une organisation particulière du temps scolaire avec les classes multi-niveaux, un autre rapport à l’espace et au temps dans la construction de l’autonomie, les différences d’âge, en particulier dans les classes uniques.

Les résultats des enfants issus de ces écoles sont pourtant identiques, voire meilleurs, que ceux des enfants scolarisés en milieu urbain. Les regroupements pédagogiques ont eu leurs mérites, mais ils atteignent leurs limites dans les régions où l’habitat est dispersé, ce qui entraîne des trajets longs pour le ramassage des élèves.

En outre, la différence de coût entre une école centralisée et des écoles éparpillées dans les villages est très faible. Certes, dans le premier cas, les enseignants sont moins nombreux, mais le bénéfice pour le contribuable n’est pas grand si l’on prend en compte les coûts de transport des élèves. D’ailleurs, l’éparpillement n’est plus un facteur d’isolement, grâce au développement des techniques de l’information et de la communication, qui permettent aux petites structures de se constituer en équipes pédagogiques.

Les avancées techniques liées aux nouveaux supports pédagogiques permettent une plus grande circulation des informations, des savoirs, des connaissances et, plus généralement, de la culture. Des outils tels que le tableau numérique, les vidéoconférences, les manuels scolaires sur ordinateur accroissent la motivation et la participation des élèves et facilitent le processus d’apprentissage et de mémorisation, grâce à des cours plus animés.

Monsieur le ministre, le système éducatif est à revoir. Nous avons l’année scolaire la plus longue d’Europe en termes d’heures, mais la plus courte en termes de nombre de jours scolarisés. Le résultat est négatif. Il faut donc refondre les rythmes scolaires et réorganiser l’école en cycles d’apprentissages cohérents, revoir les congés, leur nombre, leur durée.

Parallèlement, il convient de repenser la formation des enseignants et de leur donner des outils pédagogiques pour gérer la disparité des classes, de tendre vers une formation en alternance pour la maîtrise des savoirs et des pratiques tout au long du parcours professionnel.

L’éducation et la formation sont des leviers d’action essentiels pour construire une société solidaire d’égalité. Certes, les qualités d’un individu ne se résument pas à ses performances scolaires, mais, sur le marché du travail, le diplôme joue toujours un rôle de sésame tout au long de la vie.

Après trois ans d’une politique éducative brutale par les choix budgétaires et idéologiques qui la sous-tendent, le défi qui s’impose à vous est de mettre au point un projet cohérent et ambitieux permettant la réussite de tous, ne négligeant pas le fait que l’école doit être intégrée dans les projets de développement communal et créer un lien social porteur du nécessaire concept du « vivre ensemble ».

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Bodin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’évoquerai pour ma part la situation de l’enseignement au collège, qui, nous le savons, est au cœur du problème du décrochage scolaire. Il faut donc travailler à une réforme profonde visant à la reconstruction du collège, tant dans ses objectifs que dans ses pratiques. C’est ma vision de cette réforme que je voudrais exposer ici.

La conception même du collège doit changer : en effet, celui-ci ne doit pas être considéré comme le premier cycle du lycée. La rupture entre l’école primaire et le collège est trop brutale ; le collège doit d’abord être le prolongement de l’école élémentaire. Sachant qu’un des objectifs fixés par la loi d’orientation est que 80 % d’une classe d’âge parvienne au niveau du baccalauréat, je souhaiterais que l’on ne parle plus de classe de sixième à l’entrée au collège, mais tout simplement de première année de collège.

Concernant l’organisation temporelle, l’enseignement au collège devrait être découpé en deux cycles et se dérouler sur quatre ou cinq ans, en fonction de la capacité de progression des élèves : plus de découpage par classe ni par année scolaire, mais une prise en compte de la progression de l’élève par cycle et par discipline ; plus de redoublement. Le socle commun des connaissances et des compétences jouerait alors pleinement son rôle de préparation à la poursuite de l’enseignement général ou à l’entrée en formation professionnelle ou en apprentissage.

La place et la mission des enseignants doivent être repensées. Ils ne devraient plus être affectés à une classe, quelle que soit leur discipline, mais intégrés dans une équipe pédagogique et éducative par niveau. Les établissements devraient bénéficier d’une certaine autonomie et obtenir des postes à profil correspondant au projet de l’équipe.

Cette équipe comprendrait quatre ou cinq enseignants au maximum, mais associerait aussi un éducateur, un psychologue, une assistante sociale, une infirmière et un chargé d’orientation. La constitution de l’équipe, nécessairement pluridisciplinaire, implique donc un retour à la bivalence pour certains professeurs, comme dans l’enseignement professionnel, où les choses se passent assez bien.

Cette organisation nouvelle devrait amener l’équipe pédagogique à réaliser un projet pour chaque cycle, avec un droit à l’autonomie s’inscrivant dans le cadre des orientations définies à l’échelon national, qui devraient inclure un suivi personnalisé des élèves. Les enseignants pourraient alors organiser leur travail en équipe pour accompagner, par groupe ou individuellement, les élèves en difficulté selon un rythme adapté.

En outre, la carte scolaire doit être revue pour éviter la constitution de ghettos et favoriser la mixité socioculturelle.

Un dernier point essentiel, au titre de la création de ce nouveau collège, est la mise en place, au cours du second cycle, d’une véritable orientation des élèves. Il existe trois directions : l’enseignement général, l’enseignement professionnel et l’apprentissage. L’orientation devrait privilégier les contacts individuels avec les élèves, un suivi personnalisé, l’association des familles et des enseignements adaptés. Là encore, il s’agit d’éviter une nouvelle rupture, entre le collège et le lycée. L’élève ne doit en aucun cas se sentir déclassé ou rejeté, quelle que soit son orientation, car c’est souvent dans une telle situation qu’il décroche. Toutes les voies offertes doivent être des voies d’excellence : l’orientation par l’échec doit être exclue.

Pour les élèves décrocheurs, chaque collège devrait mettre en place un dispositif de réintégration et de mise à niveau, avec un enseignement individualisé et adapté.

Mes chers collègues, le modèle que je vous propose est innovant. Il vise à supprimer ce qui ne marche pas et à le remplacer par des dispositifs qui, pour certains, ont déjà fait leurs preuves dans le cadre d’expérimentations locales ou dans d’autres pays, reconnus comme des références. Il est temps maintenant de globaliser ces dispositifs et de les mettre en œuvre dans notre système éducatif. Pour lutter contre l’échec scolaire, il faut reconstruire un autre collège : monsieur le ministre, c’est un chantier urgent !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - Permalien
Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier M. Lagauche d’avoir posé une question aussi importante pour l’avenir de notre système éducatif, et l’ensemble des orateurs pour l’esprit constructif et ouvert dans lequel se déroule ce débat.

L’école de l’égalité des chances chère à Jules Ferry, cette école vecteur d’ascension sociale, permettant aux enfants issus de milieux modestes, méritants, travailleurs, de s’élever dans la société, d’être portés vers l’excellence uniquement grâce à leur mérite, n’a sans doute pas résisté à la massification du système éducatif que nous avons connue depuis trente ans.

M. Legendre a eu raison d’indiquer que l’école peinait aujourd'hui à réduire les inégalités sociales, mais aussi les inégalités territoriales.

M. Signé a ainsi évoqué les inégalités dont peut pâtir le monde rural, sujet auquel je suis particulièrement sensible, en tant qu’élu du département de France qui perd le plus d’habitants chaque année.

M. Laufoaulu, pour sa part, a évoqué la problématique de nos départements et collectivités d’outre-mer, en invoquant la solidarité nationale. Je ne manquerai pas, naturellement, de répondre précisément à sa question.

Quand je suis arrivé au ministère de l’éducation nationale, il y a tout juste un an, j’ai été particulièrement frappé par ces quelques données sociologiques : dans une classe de sixième, on compte 55 % d’élèves dont les parents sont ouvriers ou employés, et 15 % dont les parents sont cadres ; dans une classe préparatoire aux grandes écoles, les proportions sont exactement inverses, c'est-à-dire que 55 % des élèves ont des parents cadres, et 15 % seulement des parents ouvriers.

C’est dire le défi que nous devons aujourd'hui relever, défi qui justifie l’action que le Gouvernement mène en faveur de ce que l’on appelle les publics prioritaires et de l’égalité des chances.

Je voudrais rappeler les actions que nous menons aujourd’hui au bénéfice de ces publics prioritaires, avant d’aborder trois sujets qui me tiennent particulièrement à cœur : la personnalisation de l’enseignement, le système d’orientation et l’autonomie des établissements. Il conviendra à mon sens d’actionner ces trois leviers, dans les prochaines années, pour répondre au défi que j’évoquais à l’instant.

S’agissant tout d’abord de notre politique à destination des publics prioritaires, je rappellerai que, le 11 janvier dernier, le Président de la République a demandé aux grandes écoles de jouer pleinement leur rôle dans le renouvellement et la diversification de nos élites. Il a fixé un objectif extrêmement ambitieux de 30 % de boursiers dans chaque grande école.

Quand neuf ingénieurs sur dix dans le monde sont formés en Extrême-Orient, notre pays ne peut plus se contenter de recruter ses élites parmi 10 % de sa population, en se privant ainsi de 90 % de son intelligence.

Cette exigence ne vaut pas seulement pour l’enseignement supérieur. Pour progresser dans la voie de la diversification des élites et de l’égalité des chances, nous avons inventé plusieurs dispositifs destinés à accompagner les élèves issus de milieux défavorisés vers toutes les filières d’excellence.

Désormais, chaque lycée doit proposer la candidature d’au moins 5 % de ses élèves à l’entrée en classes préparatoires. Cet objectif est d’ores et déjà atteint, puisque seuls dix-neuf lycées n’ont pas satisfait à cette prescription l’année dernière. C’est là une avancée qu’il convient, me semble-t-il, de souligner.

Bien sûr, il nous faut faire plus dans ce domaine. C'est la raison pour laquelle, lors du dernier comité interministériel à l’égalité des chances, le 23 novembre 2009, le Gouvernement s’est engagé à multiplier l’offre de classes préparatoires, notamment technologiques. D’ici à deux ans, une centaine de classes préparatoires supplémentaires seront ainsi créées, leur répartition sur l’ensemble du territoire faisant l’objet d’une attention particulière.

Nous avons également lancé les « cordées de la réussite », opération qui consiste à associer des lycées implantés dans des zones défavorisées, qui n’avaient pas vocation, jusqu’à présent, à diriger leurs élèves vers l’enseignement supérieur et les classes préparatoires, à de grands lycées préparant aux grandes écoles. Aujourd'hui, plus de 125 cordées de la réussite relient, sur l’ensemble du territoire, quelque 800 établissements.

Nous avons en outre ouvert à Sourdun, à la rentrée dernière, le premier internat d’excellence. Nous souhaitons ainsi proposer une pédagogie innovante et un accompagnement personnalisé renforcé à des élèves issus de milieux modestes, mais présentant un grand potentiel de réussite scolaire. C’est vraiment là un retour à l’esprit républicain de notre école : il s’agit d’offrir à des élèves talentueux un cadre plus propice à leur réussite que leur environnement habituel. La République doit leur fournir un climat de travail favorable. Nous ouvrirons onze nouveaux internats d’excellence à la prochaine rentrée. À terme, ce sont ainsi 20 000 places en internats d’excellence qui seront proposées.

Vous avez été nombreux à évoquer la question de l’éducation prioritaire. Je vous rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous n’avons pas supprimé la carte scolaire ; nous l’avons assouplie, car nous pensons que c’est la carte scolaire telle qu’elle existait qui amenait la création de ghettos. J’ai d'ailleurs noté que M. Bodin, même s’il ne cautionne pas forcément notre action, était favorable au principe d’un tel assouplissement.

La carte scolaire a été instaurée à une époque – les années soixante – de forte expansion démographique, qui a nécessité la construction de nouveaux quartiers et entraîné une massification progressive du système éducatif, laquelle a justifié une régulation totale. Près de quarante ans plus tard, on constate que le système a été totalement dévoyé, détourné et qu’il a abouti à une ghettoïsation, contre laquelle nous nous devons de lutter.

C’est donc avec beaucoup d’intérêt que j’ai écouté vos propositions : il s’agit d’évaluer les établissements scolaires en toute transparence, de présenter aux parents les résultats objectivement quantifiables de chaque établissement et de réfléchir à la suppression de la carte scolaire, tout en veillant naturellement à ne pas accroître la ghettoïsation. Nous travaillons en ce sens. J’attends de l’inspection générale les résultats de certaines évaluations et j’évoquerai dans un instant un dispositif qui sera prochainement expérimenté en matière de carte scolaire, le programme CLAIR, « collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite ».

Mettre en place une politique à destination des publics prioritaires est une chose, mais j’ai la conviction profonde que l’éducation nationale est en mesure d’agir sur d’autres leviers pour favoriser l’égalité des chances et permettre aux enfants issus des milieux les plus modestes d’accéder à l’excellence, ou en tout cas de quitter le système éducatif avec un diplôme, une qualification, pour s’insérer dans la société.

Le défi majeur, compte tenu de la massification du système éducatif à laquelle nous sommes confrontés, c’est la personnalisation des parcours. Alors que 65 % d’une classe d’âge obtient aujourd'hui le baccalauréat, nous ne pouvons pas travailler comme nous le faisions il y a vingt-cinq ans seulement – soit une génération –, époque à laquelle moins de 25 % d’une génération atteignait le niveau du baccalauréat.

Pourtant, l’organisation du système éducatif a peu changé depuis vingt-cinq ans. Tous les enseignants, tous les chefs d’établissement le disent : il faut s’orienter vers une personnalisation du système éducatif.

C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de commencer par le plus jeune âge. Vous avez été nombreux à souligner l’importance de l’école maternelle et de l’école primaire. Le plan de prévention de l’illettrisme que j’ai annoncé le 29 mars dernier est d’abord centré sur la lecture, sur l’apprentissage méthodique du vocabulaire et sur le travail avant le cours préparatoire, c’est-à-dire la maternelle.

J’ai décidé de créer cent postes d’inspecteurs de l’éducation nationale spécifiquement chargés de la maternelle. Leur feuille de route prévoit qu’ils doivent précisément travailler sur la question de la maîtrise du vocabulaire et sur les fondamentaux, avant le passage en cours préparatoire et l’apprentissage de la lecture.

Depuis 2008 et la réforme de l’école primaire, nous avons également mis en place une aide personnalisée pour les enfants qui rencontrent des difficultés dans l’apprentissage des fondamentaux, à savoir la lecture, l’écriture et le calcul. Plus d’un million d’élèves bénéficient de cette aide personnalisée – deux heures par semaine – au sein de l’éducation nationale. Elle est assurée par des personnels compétents formés par les enseignants de l’éducation nationale.

En plus de cette aide, les élèves de CM1 et de CM2 qui rencontrent des difficultés scolaires peuvent bénéficier de stages de remise à niveau en français et en mathématiques, pendant les vacances scolaires. Ces stages sont encadrés par des professeurs volontaires. Ils sont proposés sur cinq jours, à raison de trois heures d’enseignement quotidien, à l’occasion des vacances de printemps ou au début du mois de juillet. Certains stages auront lieu dans les prochains jours, d’autres à la fin du mois d’août. En 2009, 214 500 élèves au total ont suivi ces stages dans notre pays.

L’aide personnalisée doit être adaptée au parcours des élèves. C'est la raison pour laquelle l’accompagnement éducatif au collège est proposé entre seize heures et dix-huit heures à tous les élèves qui ne bénéficient pas chez eux d’un encadrement et d’un soutien propices à la réussite. Nous proposons dans tous les collèges de France, mais également dans les écoles de l’éducation prioritaire et, à compter de la rentrée prochaine, dans toutes les écoles de l’outre-mer, un accompagnement éducatif dans le prolongement du temps scolaire.

Cet accompagnement peut prendre des formes très distinctes. Il peut s’agir d’une aide aux devoirs, mais également de la pratique d’un sport, d’une langue vivante ou d’activités culturelles. Près d’un million de collégiens bénéficient de ce dispositif, dans plus de 6 400 collèges, dont un millier dans l’éducation prioritaire.

Au-delà du collège, nous avons réformé l’enseignement professionnel à la rentrée dernière. Le baccalauréat professionnel se prépare désormais en trois ans au lieu de deux. L’objectif – nous avons augmenté le niveau général – est de permettre à plus d’élèves d’obtenir ce type de baccalauréat, alors qu’un élève sur deux arrêtait sa scolarité en voie professionnelle au niveau du BEP.

Nous avons créé des passerelles entre les voies professionnelle, technologique et générale afin de favoriser une réorientation en cours de cursus des élèves. Un accompagnement personnalisé de deux heures et demie par semaine a été mis en place pour tous les élèves de la voie professionnelle afin de les aider à réussir.

Par ailleurs, la réforme du lycée général et technologique, qui entrera en vigueur dès la rentrée prochaine, a aussi pour objectif d’assurer la réussite de chacun. L’une des mesures phare de cette réforme est, là aussi, la mise en œuvre d’un accompagnement personnalisé de deux heures par semaine afin d’aider les meilleurs élèves à atteindre l’excellence et d’apporter un soutien scolaire à ceux qui ont des difficultés.

J’évoquerai maintenant la question de l’orientation, qui doit nous permettre de progresser en matière d’intégration des enfants issus des milieux défavorisés et d’assurer un meilleur brassage.

La question de l’orientation est absolument majeure dans notre système éducatif. C’est sans doute l’un des domaines dans lesquels l’inégalité sociale est la plus forte. La situation n’est pas la même pour un enfant issu d’une famille favorisée ou qui, tout simplement, connaît le système éducatif – celle-ci sera en mesure d’aider son enfant à décrypter le système et de l’accompagner tout au long de sa scolarité – et pour le fils d’une mère célibataire totalement éloignée du système éducatif et vivant dans un quartier difficile.

Il y a là une inégalité criante et un énorme gâchis. En effet, de nombreux élèves qui ont du talent et des qualités, parce qu’ils ne sont pas pris en charge, parce qu’ils ne sont pas conseillés et parce qu’ils ne sont pas accompagnés tout au long de leur scolarité et au moment de l’orientation, échouent. Jacques Legendre évoquait une orientation par défaut, subie.

Nous avons décidé, dans le cadre de la réforme du lycée, de passer à un système d’orientation volontaire, choisi et progressif. Il faut en effet mettre fin au système qui oblige les élèves à décider, à quatorze ans, du métier qu’ils exerceront plus tard. Un tel système n’est plus possible. Il faut envisager une évolution beaucoup plus progressive. Un élève a le droit d’être médiocre à quatorze ans, puis très épanoui et très investi dans un projet d’enseignement à dix-sept ans une fois qu’il a trouvé sa voie, et de réussir pleinement dans une filière professionnelle à vingt-deux ans.

Là est toute la difficulté, mais aussi la grandeur du métier des enseignants : ils doivent repérer le talent, les qualités et les goûts des jeunes afin de favoriser l’éclosion d’une passion et d’un engagement et de permettre à ceux d’entre eux qui sont en situation difficile, parfois en échec scolaire – voire, malheureusement, comme cela arrive trop souvent, en rupture avec le système éducatif et en décrochage – de quitter le système éducatif avec un diplôme.

La réforme du lycée prévoit d’abord un tutorat, avec l’accord des parents. Tous les élèves ne bénéficieront pas de cet accompagnement. Nous proposons aux familles qui en ont besoin une prise en charge des élèves par des enseignants. En effet, qui, après les parents, connaît le mieux les élèves si ce n’est les enseignants ?

Les enseignants auront la possibilité d’exercer un tutorat auprès des élèves. Ils les accompagneront tout au long de leur parcours d’orientation afin de répondre à leurs questions. Ils pourront leur faire rencontrer des conseillers d’orientation, faire venir au lycée des anciens élèves qui évoqueront leur parcours et sa pertinence. Ils pourront également leur présenter des parents d’élèves afin de leur permettre de mieux connaître un métier ou une filière précise. C’est là une avancée significative, qui sera mise en œuvre à partir de la rentrée prochaine.

À mon sens, l’Office national d’information sur les enseignements et les professions, l’ONISEP, a réalisé des efforts considérables en la matière.

D’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous encourage à aller visiter les plates-formes de l’ONISEP. De bonne mémoire, nous en avons inauguré sept. Je viens d’inaugurer celle de Bordeaux, après avoir visité celle d’Amiens, où des conseillers compétents répondent en temps réel, par téléphone, par internet à travers un « tchat », aux questions posées par les parents ou les élèves, avec un système de géolocalisation des formations.

Ainsi, nous prenons en compte les données de l’aménagement du territoire pour montrer aux élèves qu’il y a parfois à proximité de chez eux un métier ou une formation auxquels ils n’avaient pas pensé, parce qu’ils avaient une image un peu négative ou une vision déformée de telle ou telle filière professionnelle.

Autre exemple de l’action que nous menons en faveur de l’orientation : sur ma proposition, un nouveau délégué interministériel à l’orientation, M. Jean-Robert Pitte, ancien président d’université, a été nommé hier en conseil des ministres. Il sera chargé de l’application de la loi que vous avez adoptée à l’automne dernier sur la formation professionnelle, et donc investi de responsabilités importantes. Il aura notamment pour mission d’améliorer la coordination de tous les services de l’État en matière d’orientation.

En outre, je voudrais évoquer devant vous – vous avez été nombreux à y faire référence – l’évolution de la gouvernance de notre système éducatif, en particulier de nos établissements.

Oui, monsieur Lagauche, je suis favorable à une déconcentration et à une autonomie renforcée pour nos établissements ! Et j’ai été heureux d’entendre, sur toutes les travées, des propositions en matière, par exemple, de recrutement de professeurs sur profil dans certains établissements où nous avons besoin d’équipes mobilisées, préparées face à certaines situations, et pérennes.

Je lancerai demain à Marseille le programme CLAIR, que j’ai évoqué à l’instant. Ce dispositif expérimental, que j’avais annoncé au cours des états généraux de la sécurité à l’école, prévoit une expérimentation portant sur les ressources humaines, sur l’innovation pédagogique et sur la vie scolaire dans 106 établissements scolaires à partir de la rentrée prochaine.

En l’occurrence, nous laisserons la liberté aux chefs des établissements concernés – ce sont des établissements d’éducation prioritaire – de recruter leur équipe, afin de disposer d’enseignants motivés et partageant les orientations du projet pédagogique de l’établissement. Ces projets s’inscrivant dans la durée, les enseignants seront nommés pour cinq années. De tels établissements ont besoin d’équipes pérennes, et non d’enseignants arrivés là par défaut – parce qu’ils n’avaient pas suffisamment de points pour obtenir le poste qu’ils souhaitaient, par exemple – et uniquement désireux d’en repartir. Nous voulons des équipes motivées qui partagent les orientations du projet. L’expérimentation débutera à l’automne.

En outre, des innovations pédagogiques sont prévues, afin que puisse être totalement appliquée la loi de 2005 en la matière. Le programme CLAIR a vocation à se substituer à l’ensemble des dispositifs existants en matière d’éducation prioritaire, dès lors qu’il aura apporté la preuve de son efficacité.

D’ailleurs, monsieur Bodin, la proposition que vous avez évoquée en la matière pour le collège me semble tout à fait intéressante.

Parallèlement au dispositif expérimental CLAIR, nous allons également progresser en matière d’autonomie des lycées à la prochaine rentrée. La réforme des lycées prévoit plus de place pour les conseils pédagogiques, ainsi qu’une autonomie et une marge de manœuvre renforcées pour les chefs d’établissement en matière de dotation horaire. Désormais, ce sont les établissements qui décideront de la répartition des dotations dans les dédoublements de classes et pour l’accompagnement personnalisé. Entre les huit heures de dédoublement de classe en seconde et les deux heures d’accompagnement personnalisé, ce sont au total une dizaine d’heures d’enseignement, soit le tiers de l’emploi du temps d’un élève, qui seront laissées à l’appréciation du chef d’établissement et de son équipe, via le conseil pédagogique.

Bien entendu – vous l’avez rappelé à juste titre, monsieur Lagauche –, le cadre demeure national. En tant que ministre de l’éducation nationale, je suis le garant du caractère national de l’enseignement. En même temps, nous voyons bien qu’il faut aujourd'hui donner plus de marges de manœuvre à nos chefs d’établissement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis d’un naturel optimiste, et je crois au sursaut. C'est la raison pour laquelle je ne reprendrai pas l’expression de M. Lagauche, qui faisait référence aux « bataillons d’élèves en échec ». Pour ma part, je préfère aborder les choses de manière positive.

Monsieur le sénateur, le rétablissement des conditions d’une réelle égalité des chances pour lutter contre les hasards de la naissance est au cœur de la politique de l’éducation que nous menons ! Il faut donner sa chance à chaque élève, parce que notre pays a besoin de l’intelligence et des talents de tous ses enfants !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Personne ne demande plus la parole ?…

En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise à dix-neuf heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du 24 juin 2010, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi organique relative au Conseil économique, social et environnemental.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 24 juin 2010, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2010-22 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes (proposition n° 340, texte de la commission n° 565, rapports n° 553, 564 et 562), et de la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (proposition n° 118, rapport n° 564).

Dans la discussion des articles, le Sénat a entamé, au sein du chapitre Ier, l’examen de l’article 10 bis B.

Chapitre Ier

Protection des victimes

Un rapport remis par le Gouvernement sur la mise en place d’une formation spécifique en matière de prévention et de prise en charge des violences faites aux femmes et des violences commises au sein du couple est présenté au Parlement avant le 30 juin 2011. Cette formation serait destinée aux médecins, aux personnels médicaux et paramédicaux, aux travailleurs sociaux, aux agents des services de l’état civil, aux agents des services pénitentiaires, aux magistrats, aux avocats, aux personnels de l’éducation nationale, aux personnels d’animation sportive, culturelle et de loisirs et aux personnels de police et de gendarmerie.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 37, présenté par MM. Antoinette, Patient, Gillot, S. Larcher, Lise, Tuheiava et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Compléter cet article par les mots :

aux intervenants sociaux de proximité, salariés ou bénévoles des associations assurant dans les quartiers des missions d'accueil, d'écoute, de médiation ou d'accompagnement, notamment au sein des quartiers prioritaires de la politique de la ville

La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryvonne Blondin

Il est important de développer une culture commune aux différents professionnels sur ce grave sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Cet amendement a pour objet de compléter la liste de l’ensemble des personnels qui bénéficieraient d’une formation spécifique de sensibilisation aux violences faites aux femmes. Il vise à y ajouter un certain nombre de professionnels.

Le texte faisant déjà mention des travailleurs sociaux, les précisions que vous souhaitez introduire, qui créent un effet d’accumulation, madame la sénatrice, sont superfétatoires.

Pour ne pas alourdir la rédaction de l’article 10 bis B, je souhaite que vous retiriez cet amendement. Sinon, je m’en remettrai à la sagesse du Sénat.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité

Le Gouvernement est défavorable à cet amendement puisque la nouvelle rédaction de l’article 10 bis B inclut déjà les travailleurs sociaux dans le rapport qui doit être remis avant le 30 juin 2011.

Par ailleurs, il semble très difficile pour l’État de garantir ou de contrôler les formations continues suivies par les salariés ou par les bénévoles associatifs. La mesure n’aurait ainsi pas de portée opérationnelle réelle.

En revanche, le Gouvernement s’engage à intégrer dans les conventions d’objectifs et de moyens signées avec les associations recevant des ressources publiques une clause relative à l’obligation de former leurs personnels et bénévoles.

Au regard de ces explications, madame Blondin, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryvonne Blondin

Madame le secrétaire d’État, l’engagement du Gouvernement d’intégrer une clause particulière pour les associations bénéficiant de financements publics afin d’assurer une formation des personnels me paraît intéressante. J’accepte donc de retirer cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 37 est retiré.

Je mets aux voix l'article 10 bis B.

L'article 10 bis B est adopté.

Aux deuxième et huitième alinéas de l’article L. 441-1 du code de la construction et de l’habitation, les mots : « le prononcé de mesures urgentes ordonnées par le juge des affaires familiales en application du troisième alinéa de l’article 220-1 du même code » sont remplacés par les mots : « une ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales en application du titre XIV du livre Ier du même code ». –

Adopté.

Chapitre II

Prévention des violences

I. – Après le premier alinéa de l’article L. 312-15 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Il comporte aussi une formation consacrée à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la connaissance des causes, caractéristiques et sanctions relatives aux violences faites aux femmes et aux violences commises au sein du couple. Les établissements scolaires peuvent s’associer à cette fin avec des associations de défense des droits des femmes et promouvant l’égalité entre les hommes et les femmes. »

II. – L’article L. 721-1 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les formations mentionnées aux trois alinéas précédents comportent des actions de sensibilisation à la lutte contre les discriminations, aux enjeux de l’égalité entre les femmes et les hommes, aux violences faites aux femmes et aux violences commises au sein du couple. »

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Claudine Lepage, sur l'article.

Debut de section - PermalienPhoto de Claudine Lepage

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, chers collègues, il nous appartient de prendre toutes les mesures pour endiguer la violence au sein des couples, qui est un véritable fléau touchant tous les milieux sociaux.

Pour éradiquer ce mal, le volet « prévention » est primordial. Or la prévention passe avant tout par l’éducation et par l’information.

L’article 11 A, qui tend à prévoir qu’une formation scolaire soit dispensée aux plus jeunes sur l’égalité des sexes, la lutte contre les préjugés sexistes et contre les violences commises au sein des couples, est élémentaire. Il va de soi que cette formation doit être dispensée également dans les établissements d’enseignement français à l’étranger, comme vise à le préciser l’amendement n° 24 rectifié déposé par le groupe socialiste, car la violence familiale ne s’arrête pas aux frontières.

C’est à l’école, répétons-le, qu’il revient de pallier les lacunes d’une éducation sur ce sujet lorsque la sphère privée familiale est défaillante. Bien plus, c’est l’école qui doit corriger la représentation, parfois complètement faussée par les médias, les films et les chansons, que les enfants se font des relations entre les hommes et les femmes.

Plus généralement, n’oublions pas que l’école demeure le lieu privilégié de l’apprentissage de la vie en société. Il faut donc lui donner les moyens financiers et humains d’assumer cette mission. Mais c’est un autre débat.

Au-delà du seul aspect éducatif, il est absolument nécessaire de dispenser une information sur ces sujets, car si le chiffre effrayant d’une femme mourant tous les deux jours et demi sous les coups de son conjoint est désormais connu de tous, l’on sait moins qu’en France quatre femmes victimes sur cinq ne portent pas plainte ! La honte, la peur, l’isolement les enferment encore davantage dans cet enfer. La loi doit les aider à briser le silence.

Cette situation est exacerbée pour les Français établis hors de France. Ces Français sont, en effet, susceptibles de se trouver encore plus démunis face à la violence de leur conjoint pour diverses raisons, qui tiennent à la mauvaise connaissance de la langue du pays ou encore de ses éventuelles structures d’aide. Et je n’évoque même pas la situation dans certains pays qui méconnaissent les droits des femmes...

C’est pourquoi, afin de libérer véritablement la parole des victimes, il importe d’offrir toute l’information nécessaire et de mettre à la disposition du public un numéro d’appel d’urgence, disponible via le site internet du consulat, ou des dépliants. Cette information doit également être disponible à la Maison des Français de l’étranger pour les Français qui s’apprêtent à quitter la France. C’est le sens de l’amendement n° 25 que mes collègues du groupe socialiste et moi-même avons déposé.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 60, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Au premier alinéa de l'article L. 121-1 du code de l'éducation, après les mots : « situations concrètes qui y portent atteinte », sont insérés les mots : «, en particulier les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple ».

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d'État

L’organisation et le contenu des formations dispensées dans les établissements scolaires relèvent de la compétence du ministre chargé de l’éducation.

Ils sont définis respectivement par décrets ou arrêtés. En conséquence, l’inscription de la thématique des violences faites aux femmes dans l’article L.312-15 du code de l’éducation relatif à l’enseignement d’éducation civique ne me semble pas opportune.

La lutte contre les inégalités, notamment celles entre les hommes et les femmes, ainsi que la sensibilisation à toutes les formes de violence font partie des sujets développés dans le cadre de l’enseignement d’éducation civique. D’autres dispositions inscrites dans le code de l’éducation permettent d’aborder cette thématique. Il en est ainsi de l’éducation à la sexualité et de la prévention de la maltraitance.

En revanche, la lutte contre les inégalités touche aux principes fondamentaux des droits des personnes et de la lutte contre toutes les formes de discrimination. À ce titre, elle est un élément constitutif des objectifs et des missions du service public de l’enseignement tels qu’ils sont précisés dans l’article L.121-1 du code de l’éducation.

Le Gouvernement propose d’inscrire la lutte contre les inégalités, notamment les inégalités entre les hommes et les femmes, ainsi que la sensibilisation à toutes les formes de violence, dans cet article, qui concerne tous les niveaux d’enseignement – école, collège, lycée. Cette inscription dans les missions générales de l’école engage l’ensemble des responsables éducatifs, quel que soit leur niveau de responsabilité, à prendre part à cette lutte. Ce sont non seulement les enseignants qui sont concernés, mais aussi les personnels de direction, d’éducation, d’orientation, sociaux et de santé.

L’universalité du message s’en trouve ainsi renforcée.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 24 rectifié, présenté par M. Courteau, Mmes Klès et Bonnefoy, MM. Sueur, Yung, Bodin et Mirassou, Mmes M. André, Blondin, Cartron, Lepage, Schillinger, Ghali et Printz, M. Mazuir et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéas 1 et 2

Rédiger ainsi ces alinéas :

Après l'article L. 312-17 du code de l'éducation, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. L. ... - Une information consacrée à l'égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple est dispensée à tous les stades de la scolarité. Les établissements scolaires, y compris les établissements français d'enseignement scolaire à l'étranger, peuvent s'associer à cette fin avec des associations de défense des droits des femmes et promouvant l'égalité entre les hommes et les femmes et des personnels concourant à la prévention et à la répression de ces violences. »

La parole est à M. Roland Courteau.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Nous avions déjà mis en avant cette disposition, mais sous une présentation différente, dans la proposition de loi que nous avions déposée le 10 novembre 2004. Cette disposition n’a pas davantage été retenue par le Sénat lors de la discussion du texte qui a abouti à la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.

D’une manière encore différente, nous avions repris cette mesure dans la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, déposée le 1er juin 2007. Nous l’avons également fait figurer à l’article 3 de la proposition de loi n° 118 que nous examinons aujourd'hui. C’est dire combien cette disposition nous tient à cœur.

Par cet amendement, nous proposons qu’une information à tous les stades de la scolarité soit consacrée à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes, en général, et contre les violences commises au sein du couple.

À cette fin, nous proposons, comme nous l’avons fait régulièrement depuis 2004, que les établissements scolaires puissent s’associer non seulement avec des associations de défense des droits des femmes, mais également avec des personnels concourant à la prévention et à la répression de ces violences.

Il nous est apparu souhaitable que cette information sur les violences ne soit pas limitée aux seules violences faites aux femmes, mais concerne également l’ensemble des violences au sein du couple. Je me suis déjà largement exprimé sur cette question dans la discussion générale, comme d’ailleurs mon collègue Yannick Bodin.

Si nous voulons contribuer à changer les mentalités, et donc à réduire ces violences jusqu’à les éradiquer – pourquoi pas ! –, il faut agir le plus en amont possible, c'est-à-dire à l’école, au collège et au lycée. Très tôt, en effet, les enfants sont enfermés dans des rôles stéréotypés en ce qui concerne leur place dans la société.

Je l’ai dit tout à l’heure, l’inscription des garçons et des filles dans un rapport hiérarchique de domination où le masculin l’emporte sur le féminin n’est qu’une construction humaine. Dès lors, la déconstruction est possible.

Je disais aussi que les violences à l’égard des femmes et au sein des couples sont souvent la conséquence de certains conditionnements socioculturels. On peut aussi en rechercher les causes dans un modèle de société qui place les femmes dans une position d’infériorité. D’ailleurs, je veux rappeler que le Conseil de l’Europe a demandé aux États membres de veiller à assurer « une éducation de base qui évite les schémas et les préjugés sociaux et culturels, les images stéréotypées du rôle de chaque sexe ».

Voilà pourquoi nous considérons que l’école en général a un rôle essentiel à jouer.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’amendement n° 39, présenté par MM. Antoinette, Patient, Gillot, S. Larcher, Lise, Tuheiava et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Ainsi qu’une présentation des démarches pouvant être accomplies par les enfants témoins de violences dans leur famille ou entre leurs parents.

La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryvonne Blondin

Cet amendement tend à compléter les dispositions évoquées tout à l’heure en précisant que les enfants doivent aussi être pris en compte dans le cadre de la lutte contre la violence au sein des couples. Toutefois, il me semble que, dans son esprit, le dispositif de l’article 11 A répond déjà à ces préoccupations ; je retire donc cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’amendement n° 39 est retiré.

Quel est l’avis de la commission sur les amendements n° 60 et 24 rectifié ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

L’amendement n° 60 du Gouvernement, selon l’avis unanime de la commission, pose quelques difficultés.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d’État

L’inverse m’aurait étonnée !

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Dans un souci de lisibilité des politiques publiques, il paraît en effet préférable d’inscrire l’objectif de sensibilisation des élèves à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et aux violences faites aux femmes et aux violences commises au sein du couple dans le cadre spécifique de l’éducation à la santé et à la sexualité, plutôt qu’au milieu de multiples objectifs et missions de service public.

L’amendement n° 60 est également silencieux sur les personnels que pourraient s’adjoindre les enseignants.

L’amendement n° 24 rectifié de notre collègue Roland Courteau est à l’évidence beaucoup plus précis, puisqu’il inscrit l’enseignement sur l’égalité entre les hommes et les femmes prévu à l’article 11 A dans le cadre de l’éducation à la santé et à la sexualité, plutôt que dans le cadre de l’éducation civique. Cette modification paraît tout à fait appropriée, puisque l’éducation à la santé et à la sexualité vise notamment à intégrer les questions liées à la mixité et à l’égalité entre les hommes et les femmes.

Par ailleurs, cet amendement complète la liste des intervenants extérieurs que les enseignants pourront solliciter en y ajoutant les personnels contribuant à la prévention et à la répression de ces violences.

Il prévoit enfin que cette formation sera dispensée dans les établissements scolaires français à l’étranger. En effet, la commission des lois a largement débattu sur ce point : nos collègues représentant les Français de l’étranger nous ont alertés sur le fait que, si l’article L. 451-1 du code de l’éducation prévoit que les dispositions dudit code s’appliquent aux établissements scolaires français à l’étranger, tel n’est pas toujours le cas en pratique. Sans la précision apportée par cet amendement, le ministère des affaires étrangères pourrait avoir une lecture plus restrictive des dispositions prévues par l’amendement n° 24 rectifié.

En conclusion, la commission considère que l’amendement n° 24 rectifié couvre plus complètement la matière et la cible mieux, car il est plus précis que l’amendement n° 60 du Gouvernement. C’est pourquoi la commission a émis un avis favorable sur l’amendement n° 24 rectifié et, comme celui-ci répond à la préoccupation du Gouvernement, la commission souhaiterait que le Gouvernement retire son amendement…

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d’État

Monsieur le rapporteur, vous êtes extraordinaire !

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Dans la négative, la commission serait désolée d’émettre un avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d’État

Le Gouvernement n’est évidemment pas favorable à cet amendement n° 24 rectifié. J’observe d’ailleurs une tendance à vouloir surcharger ce texte de dispositions réglementaires. J’appelle la commission des lois à être vigilante sur ce point, monsieur le rapporteur !

Cet amendement a pour objet d’ajouter à l’article L. 312–17 du code de l’éducation une disposition visant à dispenser une information consacrée à l’égalité entre les hommes et les femmes. Le Gouvernement est très réservé sur le principe même de l’énumération détaillée dans la loi des différentes thématiques à aborder dans le cadre de la scolarité. Il faut se garder de trop entrer dans le détail.

Il va de soi que la lutte contre les inégalités, notamment les inégalités hommes-femmes, et la sensibilisation à toutes les formes de violence sont des sujets déjà abordés dans le cadre de l’éducation civique, de l’éducation à la sexualité et de la prévention des maltraitances.

La mention explicite dans la loi de certains thèmes risque d’ouvrir la voie à la multiplication des demandes tendant à ce que d’autres thèmes soient également identifiés dans la loi. Nous risquons donc d’aboutir à un morcellement peu pertinent et d’affaiblir, en fin de compte, le message en direction des élèves.

C’est pourquoi le Gouvernement propose de faire figurer une disposition d’ordre plus général dans l’article L.121–1 du code de l’éducation qui concerne les missions générales de l’école. Cet article concerne tous les niveaux d’enseignement, écoles, collèges, lycées. Par ailleurs, l’inscription de la thématique dans les missions générales de l’école engage l’ensemble des responsables éducatifs à y prendre part. Quel que soit leur niveau de responsabilité, les enseignants sont tous concernés, ainsi que les autres personnels de direction, d’éducation, d’orientation ou des services sociaux et de santé.

Je vous invite donc à ne pas alourdir le dispositif de précisions qui n’ont rien à faire dans la loi.

À cette fin, je demande un scrutin public sur l’amendement n° 60.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Puisque Mme la secrétaire d’État veut faire du juridisme, en application de notre règlement, je demande que le Sénat se prononce en priorité sur l’amendement n° 24 rectifié.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Quel est l’avis du Gouvernement sur la demande de priorité formulée par la commission ?

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d’État

Avis défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je consulte le Sénat sur la demande de priorité présentée par la commission.

La priorité est ordonnée.

L’amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

En conséquence, l’amendement n° 60 n’a plus d’objet.

Je mets aux voix l’article 11 A, modifié.

L’article 11 A est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’amendement n° 25, présenté par Mme Lepage, MM. Yung et Courteau, Mmes Klès et Bonnefoy, MM. Sueur, Bodin et Mirassou, Mmes M. André, Blondin, Cartron, Schillinger, Ghali et Printz, M. Mazuir et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l’article 11 A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les consulats français à l’étranger, ainsi que la Maison des Français de l’étranger, mettent à disposition des informations sur les possibilités d’accueil et de recours dans le pays de résidence ou en France.

La parole est à Mme Claudine Lepage.

Debut de section - PermalienPhoto de Claudine Lepage

Comme je l’ai dit dans mon intervention sur l’article 11 A, les Français résidant à l’étranger sont susceptibles de se trouver encore plus démunis face à la violence de leur conjoint, pour diverses raisons.

En effet, ils ne connaissent pas toujours bien leur pays de résidence, ils en maîtrisent parfois mal la langue et ne sont pas toujours informés de l’existence éventuelle de structures d’aide. Il importe donc de leur offrir toute l’information nécessaire dans de telles situations, ainsi qu’un numéro d’appel d’urgence, via le site internet du consulat ou des dépliants. Cette information doit être également disponible à la Maison des Français de l’étranger à destination des Français qui s’apprêtent à quitter la France.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

À l’évidence, les dispositions contenues dans cet amendement ne relèvent pas du domaine législatif et peuvent être mises en œuvre sans difficulté par voie réglementaire.

La discussion de cet amendement pourrait toutefois donner l’occasion au Gouvernement de nous donner des informations sur les actions réalisées par les consulats français afin de mieux informer de leurs droits nos ressortissants victimes de violences à l’étranger.

Cela étant, la commission demande le retrait de cet amendement.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d’État

On peut en effet douter qu’une telle disposition relève du domaine de la loi.

Par ailleurs, au niveau tant de l’administration centrale que des postes consulaires, le ministère des affaires étrangères s’efforce d’ores et déjà d’apporter à nos compatriotes de la manière la plus concrète et la plus efficace possible toute information susceptible de leur être utile, eu égard aux situations auxquelles ils peuvent se trouver confrontés à l’étranger.

Quoi qu’il en soit, en son principe, cet amendement ne pose aucune difficulté pratique, dans la mesure où l’information prévue relèverait de la protection consulaire, au sens de la convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires, dont l’article 5 prévoit que « les fonctions consulaires consistent à : […] prêter secours et assistance aux ressortissants, personnes physiques ou morales, de l’État d’envoi ; […] sous réserve des pratiques et procédures en vigueur dans l’État de résidence, représenter les ressortissants de l’État d’envoi ou prendre des dispositions afin d’assurer leur représentation appropriée devant les tribunaux ou les autres autorités de l’État de résidence pour demander, conformément aux lois et règlements de l’État de résidence, l’adoption de mesures provisoires en vue de la sauvegarde des droits et intérêts de ces ressortissants lorsque, en raison de leur absence ou pour toute autre cause, ils ne peuvent défendre en temps utile leurs droits et intérêts ».

Comme M. le rapporteur, je vous demande, madame la sénatrice, de retirer votre amendement. Sinon, j’émettrai un avis défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Claudine Lepage

En déposant cet amendement, je souhaitais insister sur la nécessité de l’information. Contrairement à ce que vous nous avez dit, madame la secrétaire d’État, cette information n’est pas systématiquement diffusée par les consulats.

Si vous prenez l’engagement qu’une information précise sur la législation en vigueur dans chaque pays sera délivrée par tous les consulats, j’accepterai de retirer mon amendement. Dans la négative, je me verrais obligée de le maintenir.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d’État

Madame la sénatrice, je vous confirme que cette information sera diffusée.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’amendement n° 25 est retiré.

L’amendement n° 52, présenté par Mmes Terrade, Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat, Schurch et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Après l’article 11 A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement en sollicitant notamment le Conseil national consultatif des personnes handicapées remet au Parlement, au plus tard le 30 novembre 2010, un rapport portant sur les cas particuliers des violences dont sont victimes les femmes en situation de handicap ainsi que sur les difficultés particulières qu’elles rencontrent pour faire valoir leurs droits ainsi que, le cas échéant, les dispositions envisageables pour faciliter leur accès aux dispositifs juridiques et judiciaires existant et contenus dans la présente proposition de loi.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

J’avais déjà indiqué lors de la réunion de la commission, en présence de Mme la secrétaire d’État, que cet amendement avait pour objet d’inciter le Gouvernement à agir.

En effet, les associations qui accompagnent au quotidien les femmes victimes de violences, notamment conjugales, nous ont alertées quant à la « grande vulnérabilité » des femmes en situation de handicap, qui atteint parfois un point que l’on peut difficilement imaginer.

Il n’existe pas d’étude précise pour la France, mais ce phénomène n’est pas particulier à notre pays. Par exemple, une enquête menée au Canada révèle que 40 % des femmes handicapées ont déjà été violées, maltraitées ou agressées.

Cette même étude précise que plus de la moitié des femmes handicapées depuis la naissance ou la petite enfance ont subi des sévices.

Certes, comparaison n’est pas raison, mais une réflexion doit être menée sur ce sujet.

Nous estimons qu’il faut évaluer la situation et apporter des solutions concrètes.

Dans la sphère privée, les femmes en situation de handicap ne reçoivent souvent de l’aide que de leur conjoint. Si celui-ci est l’auteur des violences, on comprend bien qu’il ne leur apportera aucun soutien pour engager des démarches, notamment pour porter plainte si, toutefois, elles le souhaitent. Cette situation est tout à fait particulière.

L’hébergement d’urgence pose également problème.

Enfin, nous avons appris que les femmes concernées, lorsqu’elles entament une procédure de divorce en raison de violences conjugales, se voient presque systématiquement refuser le droit de garde des enfants, en raison de leur handicap, au profit de l’auteur des violences, qui, lui, est valide.

Vraiment, nous devons nous pencher sur le problème !

Bien sûr, la loi s’appliquera à tout le monde, y compris aux femmes en situation de handicap. Mais, compte tenu de la gravité et du caractère très particulier de la situation – des femmes handicapées et travaillant sur la question m’en ont rendu compte –, je vous demanderai, madame la secrétaire d’État, de bien vouloir faire en sorte qu’une évaluation soit menée et des mesures mises en œuvre pour favoriser une application effective de la loi dans les cas concernant des femmes en situation de handicap.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Ma chère collègue, je vous donne acte que vous abordez là un problème extrêmement grave et douloureux. Il mérite incontestablement un débat, peut-être plus large que celui que nous pouvons entamer aujourd’hui en l’absence d’information suffisante sur le sujet.

La question des violences faites aux personnes handicapées, vous l’admettrez, dépasse largement celle de la violence conjugale.

Le sujet est donc important et pourrait, en effet, utilement faire l’objet d’une étude thématique, dans le cadre du rapport annuel du Conseil national consultatif des personnes handicapées. Le Gouvernement pourrait donc prendre l’engagement de solliciter cet organisme en ce sens. Cette solution me paraîtrait la plus adaptée, car il convient d’éviter de multiplier les rapports du Gouvernement au Parlement.

En outre, une telle question pourrait être fort pertinemment traitée au sein de notre assemblée à travers, par exemple, une question orale avec débat, ce qui nous permettrait de débattre de ce sujet extrêmement important.

Sous réserve de l’avis du Gouvernement et des engagements que Mme la secrétaire d’État pourrait prendre sur ce point, je vous invite donc, madame Borvo Cohen-Seat, à retirer votre amendement.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d'État

Mes propos iront dans le même sens que ceux de M. le rapporteur.

Effectivement, madame Borvo Cohen-Seat, le fait d’être en situation de handicap accroît la vulnérabilité des femmes. Il conviendrait donc de prendre en compte cette donnée, au même titre que d’autres motifs de discrimination – les origines ethniques, l’orientation sexuelle, l’âge, etc. –, dans toutes les études empiriques sur les faits de violence à l’encontre des femmes, plutôt que de faire un rapport spécifique, mentionné dans une loi, sur le sujet.

En revanche, je n’écarte pas la possibilité de traiter cette problématique et je m’engage à saisir le Conseil national consultatif des personnes handicapées, qui est compétent sur ces questions. En effet, si un rapport spécifique n’est pas nécessaire, nous avons tout de même besoin d’outils de sensibilisation et d’informations particulières sur cette thématique.

Au regard de ces explications, madame la sénatrice, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Madame Borvo Cohen-Seat, l'amendement n° 52 est-il maintenu ?

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Madame la secrétaire d’État, je ne suis pas opposée à la procédure que vous semblez vouloir adopter et, effectivement, nous pourrons débattre de ce sujet à l’occasion d’une question orale.

Je voudrais simplement rappeler que, dans le cadre des procédures d’application de la loi, vous avez la possibilité de donner un certain nombre d’instructions par voie réglementaire. Compte tenu des situations concrètes que je viens d’évoquer, notamment les problèmes d’hébergement et de garde d’enfants, il est absolument nécessaire d’adresser un signal d’alarme quant à la situation actuelle, situation que nous voulons changer.

Cela étant dit, j’accepte de retirer mon amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 23, présenté par M. Courteau, Mmes Klès et Bonnefoy, MM. Sueur, Yung, Bodin et Mirassou, Mmes M. André, Blondin, Cartron, Lepage, Schillinger, Ghali et Printz, M. Mazuir et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'article 11, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Il est institué une journée nationale de sensibilisation aux violences faites aux femmes fixée au 25 novembre.

La parole est à M. Roland Courteau.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Chacun ici mesure la gravité du phénomène dont nous discutons : les violences au sein des couples, par leur caractère organisé et répété, transforment la vie des victimes en un enfer conjugal mettant leur santé et leur vie en danger.

Ce mal, qui concerne toutes les catégories sociales, a trop longtemps été considéré comme un problème tabou, appartenant à la sphère privée. « Cela ne nous regarde pas ! », me disait, un jour, le voisin de palier d’une victime.

Oui, mes chers collègues, les violences au sein des couples ont trop longtemps été minimisées et reléguées au rang de simples scènes de ménage. En fait, elles ont trop longtemps été ignorées et méconnues.

Pourtant, aujourd’hui encore, et même si d’importants progrès ont été obtenus, la loi du silence règne toujours en différents endroits ; des zones de non-droit subsistent encore dans les domiciles familiaux ; des victimes continuent de subir, par peur de représailles ou ignorance de leurs droits.

Certes, le voile du silence se déchire peu à peu. Mais il est impératif que la lutte contre ce fléau ne souffre aucun répit.

Plus on évoquera le sujet des violences au sein des couples, plus on informera l’opinion, plus on parlera des sanctions, plus on traitera des droits des victimes, plus on mobilisera les Français contre ces atteintes aux droits fondamentaux de la personne humaine et plus vite on fera reculer ce fléau.

C’est pourquoi nous proposons d’instituer, une fois par an, à date fixe, un moment très fort de mobilisation.

Cette journée, qui serait fixée le 25 novembre et coïnciderait avec la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, donnerait certainement plus de vivacité, plus d’allant à cette dernière.

Il s’agit donc de créer un temps fort dans l’année et, à cette occasion, d’envoyer des signaux à l’opinion publique, afin que nul n’ignore les causes et les conséquences de ce fléau et que puissent naître et se développer de nouvelles dynamiques permettant de réduire ce mal et peut-être, qui sait, de l’éradiquer un jour.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Cet amendement a pour objet de rétablir, dans la présente proposition de loi, une disposition qui figurait à l’article 3 de la proposition de loi initialement déposée par notre collègue Roland Courteau.

Nos collègues socialistes souhaitent que soit instituée une journée nationale de sensibilisation de l’opinion publique aux violences faites aux femmes, dont la date coïnciderait avec la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

Une recommandation de l’assemblée générale des Nations unies adoptée le 17 décembre 1999 invite les gouvernements à mener ce jour-là des actions de sensibilisation aux violences faites aux femmes.

On ne crée pas une journée supplémentaire, on renforce une journée de portée internationale.

C’est pourquoi la commission a émis un avis favorable.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d'État

Je comprends l’objectif que l’on cherche ici à atteindre, mais, encore une fois, cette mesure n’est pas de nature législative. Elle appartient au domaine réglementaire.

En outre, au cours de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, un grand nombre de manifestations sont organisées en France. La journée que vous envisagez, monsieur le sénateur, qui ne renforcerait pas réellement les actions déjà entreprises, me paraît donc inutile.

Cela étant dit, je m’en remets à la sagesse de la Haute Assemblée sur cet amendement.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.

Un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 11.

I. – Après le 4° de l’article 222-14 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les peines prévues par le présent article sont également applicables aux violences habituelles commises par le conjoint ou le concubin de la victime ou par le partenaire lié à celle-ci par un pacte civil de solidarité. Les dispositions du second alinéa de l’article 132-80 sont applicables au présent alinéa. »

II. – Au dernier alinéa de l’article 222-48-1 du même code, après le mot : « précédent », sont insérés les mots : « qui sont commises sur un mineur de quinze ans par un ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime ».

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 26, présenté par M. Courteau, Mmes Klès et Bonnefoy, MM. Sueur, Yung, Bodin et Mirassou, Mmes M. André, Blondin, Cartron, Lepage, Schillinger, Ghali et Printz, M. Mazuir et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par les mots :

, ou qui sont commises sur la victime par un conjoint, un ex-conjoint, un concubin, un ex-concubin, un partenaire ou un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité

La parole est à Mme Virginie Klès.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Cet amendement tend à rétablir l'obligation du suivi socio-judiciaire après une condamnation pour des violences conjugales.

Rétablir ce suivi socio-judiciaire me semble nettement plus important que d’imposer le port du bracelet électronique.

Nous savons très bien que les personnes condamnées pour des violences au sein du couple ont besoin d’être suivies sur le plan humain et de répondre à un nombre élevé d’obligations. Le suivi socio-judiciaire en matière de violences conjugales est donc primordial.

Il a disparu pour des raisons financières, du fait du nombre insuffisant des médecins coordonnateurs.

Si nous voulons vraiment lutter contre le fléau, il faut s’en donner les moyens ! Il faut donc trouver les ressources suffisantes pour rétablir ce dispositif et pour suivre, aussi longtemps que nécessaire, les auteurs avérés de violences conjugales et condamnés à ce titre.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Les députés n’ont pas souhaité retenir le caractère obligatoire du suivi socio-judiciaire, sans doute pour deux raisons.

La première est pragmatique et, à ce titre, ne se prête pas à de grandes dissertations : le manque de médecins coordonnateurs prive le dispositif de toute efficacité.

La seconde, qui, à mon avis, est la principale motivation, tient au fait qu’en ce domaine il faut laisser au juge le soin d’apprécier l’opportunité de la mesure au cas par cas.

Les décisions par lesquelles nous lions le juge entraînent toujours des difficultés d’appréciation, voire des hésitations du magistrat, ce qui ne permettra pas forcément de répondre à votre préoccupation, madame Klès, qui, au demeurant, est parfaitement légitime.

Nous savons, en outre, que la vision que le juge se forgera à partir du dossier jouera un rôle encore plus déterminant dans les cas de violences conjugales. Laissons-lui sa marge d’appréciation !

C’est donc cette raison qui me conduit à exprimer un avis défavorable sur l’amendement.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d'État

Il est également défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Refuser de mettre en place cette mesure me semble assez paradoxal, car le suivi socio-judiciaire s’appuie aussi sur des expertises médicales et psychiatriques.

J’ai déjà insisté plus d’une fois sur ce point, mais je crois que je ne le martèlerai jamais assez. Ce que nous appelons aujourd’hui encore des violences conjugales ne se réduit pas à des actes de violence. Il s’agit d’un phénomène d’emprise et de manipulation destructrice de l’autre, et il me semble qu’on ne peut pas refuser à une personne qui se trouve prise dans cet engrenage, dans ce comportement pathologique, un suivi socio-judiciaire et des soins psychiatriques.

On ne peut pas non plus laisser au juge, qui n’est pas médecin, la seule responsabilité de déterminer si les actes commis sont de l’ordre du conflit, celui-ci pouvant effectivement conduire à la violence, ou s’ils correspondent à un mécanisme pathologique de manipulation destructrice.

Donc, j’insiste sur ce point, le suivi socio-judiciaire est primordial.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je mets aux voix l'amendement n° 26.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Voici le résultat du scrutin n° 236 :

Le Sénat n'a pas adopté.

L'amendement n° 35, présenté par MM. Antoinette, Patient, Gillot, S. Larcher, Lise, Tuheiava et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par les mots :

ou toute personne bénéficiant d'un ascendant psychologique sur cette dernière en tant que membre de sa famille recomposée

La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryvonne Blondin

Il s’agit ici de prendre en considération les évolutions de la société, notamment en ce qui concerne la composition de la famille. En effet, il se peut qu’une personne sans aucun lien d’autorité officiellement reconnu ait un ascendant psychologique sur un autre membre de la famille.

Cet amendement vise donc à compléter cet article sur ce point.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Ma chère collègue, je veux expressément vous rassurer : votre amendement est satisfait par le droit positif.

La jurisprudence considère que la notion de personne ayant autorité inclut à la fois les personnes détenant une autorité légale sur la victime et celles qui détiennent une autorité de fait sur cette dernière. Elle s’applique aux familles recomposées, même quand des membres de celle-ci – par exemple, les beaux-parents – ne disposent d’aucune autorité légale sur l’enfant.

La jurisprudence répondant donc parfaitement à votre préoccupation, je vous prie de retirer cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’amendement n° 35 est retiré.

Je mets aux voix l'article 12.

L'article 12 est adopté.

À la seconde phrase du dernier alinéa de l’article 471 du code de procédure pénale, les mots : « le juge de l’application des peines peut désigner » sont remplacés par les mots : « le tribunal correctionnel ou le juge de l’application des peines peut désigner ». –

Adopté.

I. – La loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est ainsi modifiée :

1° Au dernier alinéa de l’article 42, les mots : « et les associations familiales » sont remplacés par les mots : «, les associations familiales et les associations de défense des droits des femmes » ;

bis À la troisième phrase du deuxième alinéa de l’article 43-11, les mots : « et de la lutte contre les discriminations et » sont remplacés par les mots : «, de la lutte contre les discriminations, les préjugés sexistes, les violences faites aux femmes, les violences commises au sein du couple et de l’égalité entre les hommes et les femmes. Elles » ;

2° Au dernier alinéa de l’article 48-1, les mots : « et les associations familiales reconnues par l’Union nationale des associations familiales » sont remplacés par les mots : «, les associations familiales reconnues par l’Union nationale des associations familiales et les associations de défense des droits des femmes ».

(Non modifié) Le premier alinéa de l’article 2 de la loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse est complété par les mots : « ou sexistes ». –

Adopté.

II. – §

I. – La loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi modifiée :

« 1° Au dernier alinéa de l’article 15, après le mot : « programmes » sont insérés les mots : « mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle » ;

2° Au 1° de l’article 43-9, après le mot : « haine », sont insérés les mots : « ou à la violence ».

(Non modifié) Au troisième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, après le mot : violence », sont insérés les mots : «, notamment l’incitation aux violences faites aux femmes, ». –

Adopté.

II. – §

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 27, présenté par M. Courteau, Mmes Klès et Bonnefoy, MM. Sueur, Yung, Bodin et Mirassou, Mmes M. André, Blondin, Cartron, Lepage, Schillinger, Ghali et Printz, M. Mazuir et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'article 14, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À l'article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, les mots : « le huitième alinéa de l'article 24, l'article 24 bis, le deuxième alinéa de l'article 32 et le troisième alinéa de l'article 33 » sont remplacés par les mots : « les huitième et neuvième alinéas de l'article 24, l'article 24 bis, les deuxième et troisième alinéas de l'article 32 et les troisième et quatrième alinéas de l'article 33 ».

La parole est à Mme Michèle André.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Les infractions dites « de presse » sont régies par un régime de prescription court de trois mois. Si la loi du 13 juillet 1881 s’est donnée comme objectif, comme son intitulé l’indique, de garantir la liberté de la presse – ce dont nous nous réjouissons –, cette exigence de liberté d’expression ne saurait avoir pour effet d’empêcher les justiciables, par des délais de prescription incompatibles avec toute action en justice, de faire valoir leurs droits.

Ainsi, le législateur a allongé à un an le délai de prescription des infractions de presse jugées les plus graves, commises à l’encontre de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance – ou de leur non-appartenance – à une ethnie, une race ou une religion déterminée.

Or les femmes sont parfois l’objet, individuellement et aussi collectivement, d’injures et de provocations à la haine ou à la violence, notamment par le biais de magazines à caractère pornographique.

Par cet amendement, nous proposons de modifier l’article 65-3 de la loi sur la liberté de la presse afin que les infractions de presse à caractère misogyne puissent bénéficier de la prescription allongée à un an.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

La commission est très défavorable à cet amendement, dont elle a longuement débattu. Il peut en effet poser un grave problème, car il bouleverse totalement la loi sur la presse et les prescriptions en matière de droit de la presse. La commission a considéré qu’il n’était pas opportun de modifier la loi de 1881 s’agissant du régime de prescription des délits de presse.

Je peux peut-être également vous rassurer en soulignant que le délai de prescription de trois mois actuellement prévu pour ce type de délit laisse le temps de réagir !

L’avis de la commission est donc défavorable.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d'État

Même avis, monsieur le président.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Michèle André, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

J’ai bien entendu les arguments du rapporteur. Cela dit, je pense qu’il faudra évoluer sur cette question.

Nous entendons si souvent encore – parfois même dans le milieu des parlementaires ! – des remarques à caractère misogyne, des blagues stupides au sujet des blondes, et dont les rousses et les brunes pourraient aussi être destinataires, qu’il faudra tout de même faire quelque chose. Il y a une limite à tout !

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

J’espère que nous reviendrons sur cette question, monsieur le rapporteur, mais, cela étant dit, je retire l’amendement.

Un rapport remis par le Gouvernement sur la création d’un Observatoire national des violences faites aux femmes est présenté au Parlement avant le 31 décembre 2010.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Comme cela a été relevé dans le rapport de la commission, il est important que nous ayons une réelle connaissance des violences faites aux femmes, afin de pouvoir adapter les politiques publiques menées dans la lutte contre ce phénomène. Il est certes important de mieux le connaître au plan statistique, mais il faut aussi mieux le comprendre afin de mieux le combattre.

C’est en cela que la mise en place d’un Observatoire national des violences faites aux femmes nous paraît être de première importance. Il est nécessaire de disposer de statistiques sexuées fiables sur les violences, tant au sein des couples qu’au travail ou dans l’espace public.

Il serait également intéressant de mieux connaître les incidences des violences au sein des couples sur les enfants. C’était aussi l’une des préoccupations que nous avions formulées dans notre proposition de loi.

On nous dit qu’un observatoire européen dédié à la connaissance et à la compréhension des violences faites aux femmes devrait être très bientôt créé. C’est une bonne chose. Mais cet observatoire européen aura besoin de l’ensemble des données nationales, lesquelles ne pourront être obtenues que si nous disposons, nous-mêmes, d’un observatoire national. Raison de plus de le créer !

Cet outil est donc indispensable à notre pays. En effet, à l’exception de l’enquête réalisée en 2000, nous n’avons pas de données fiables, mais simplement un grand nombre d’estimations.

Bien entendu, faute de mieux, nous voterons cet article 14 bis qui prévoit qu’un rapport soit présenté par le Gouvernement au Parlement sur la création d’un tel observatoire – en espérant que ce rapport sera suivi d’effet dans les meilleurs délais.

Mais peut-être allez-vous, madame la secrétaire d’État, nous en dire un peu plus ?

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l'article.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Nous aurions également souhaité que cette proposition de loi prévoie la mise en place d’un Observatoire national des violences faites aux femmes. Nous avions déposé un amendement en ce sens, mais le couperet de l’article 40 est tombé, et cet amendement a été jugé irrecevable.

Cela dit, nous persistons à penser que la création d’un tel observatoire serait nécessaire, comme cela a été dit, pour établir des statistiques fiables permettant de déterminer l’ampleur des violences faites aux femmes et de prendre la mesure de la tâche à accomplir pour remédier à un fléau qui, je le rappelle, est à l’origine de la mort d’une femme tous les deux jours et demi.

Un tel observatoire serait également en mesure d’alerter l’opinion sur la dangerosité des hommes violents, et pourrait mener, en amont, des campagnes d’information destinées à dénoncer les comportements sexistes. Une de ses missions pourrait consister à organiser des programmes de sensibilisation des jeunes au problème du sexisme.

En aval, il pourrait inciter les femmes à dénoncer les violences dont elles sont victimes, en organisant des campagnes d’information nationales qui leur rappelleraient leurs droits, et rappelleraient également leurs obligations aux auteurs des violences.

Cet observatoire pourrait aussi recenser sur l’ensemble du territoire les bonnes pratiques – je pense notamment à ce qui se fait à l’heure actuelle à Douai – et les mutualiser pour arriver à mettre au point des outils de lutte plus efficaces contre les violences faites aux femmes.

Il pourrait enfin créer un programme de formation destiné à tous les acteurs intervenant dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

Ainsi, il me semble que les magistrats, comme les agents et officiers de police ou les médecins, doivent être formés pour faire face au cas spécifique de ces violences.

À l’heure actuelle, seul le département de Seine-Saint-Denis s’est doté d’un observatoire des violences faites aux femmes, mis en place en 2003 par la volonté de Robert Clément, alors président du conseil général.

L’Observatoire national de la délinquance, l’OND, a constaté les effets bénéfiques de cette création. Dans son rapport de 2008, il note que le taux de plaintes dans ce département a augmenté de 87, 8 % en trois ans, quand cette augmentation n’était que de 31, 1 % sur la France entière.

Cette augmentation tient surtout à la politique active de lutte contre les violences conjugales menée par cet observatoire départemental, lutte qui passe notamment par l’incitation à la plainte.

Mais les avancées dues à la création de cet observatoire départemental ne s’arrêtent pas là. Ce dernier a permis en effet de mettre en place une politique de sensibilisation, d’accueil et de suivi des victimes de violences encore plus active qu’ailleurs, impliquant à la fois les administrations et les associations.

Un dispositif « femme en très grand danger » a ainsi vu le jour à titre expérimental. C’est dans ce cadre que des téléphones portables d’alerte ont été remis aux femmes victimes. Ainsi, les femmes en très grand danger peuvent alerter automatiquement Mondial Assistance, laquelle répercute leur appel vers la police qui, en cas de besoin, envoie une équipe.

S’agissant des femmes victimes de violences, cet outil nous semble plus adapté que les bracelets électroniques prévus par la proposition qui nous est soumise.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d'État

Allez donc voir ce qui se passe en Espagne !

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

En effet, grâce aux téléphones, la police sait où se trouve la victime confrontée à une agression et peut intervenir.

Ce n’est pas le cas avec les bracelets que l’on met aux auteurs de violences. En effet, lorsqu’un agresseur veut récidiver, il enlève son bracelet, ce qui empêche de le localiser. La police n’a plus aucune information sur lui, mais ne dispose pas non plus d’informations sur l’endroit où il entend agresser sa victime.

On le voit, la création d’un observatoire départemental a permis la conception d’outils pertinents pour mener une lutte efficace contre les violences faites aux femmes.

Face à l’efficacité avérée de l’observatoire départemental de Seine-Saint-Denis, nous ne pouvons qu’appeler de nos vœux la création par le Gouvernement d’un Observatoire national des violences faites aux femmes.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Odette Terrade, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Odette Terrade

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, initialement, l’article dont nous débattons prévoyait la création d’un Observatoire national des violences faites aux femmes.

Malheureusement, face aux fourches caudines du désormais célèbre article 40 de la Constitution, contraignant les parlementaires à ne pas créer ou aggraver une dépense publique, cet article a été remplacé par l’article 14 bis.

Celui-ci prévoit donc la rédaction d’un simple rapport sur le sujet, quand il serait au contraire urgent de prendre des engagements humains et financiers ambitieux afin de prévenir, sanctionner et éradiquer les violences.

Mis en perspective avec le coût pour la société des violences, l’argument financier que vous nous opposez pour la création d’un observatoire a de quoi nous laisser perplexes quand on sait que les violences faites aux femmes coûtent annuellement 2, 5 milliards d’euros à la société, si l’on comptabilise l’ensemble des postes de dépenses, des frais de santé jusqu’aux pertes de productions, en passant par la police et la justice.

Si seul l’argument financier peut faire mouche, il serait temps alors de s’interroger sur le rapport existant entre le coût des violences, qui s’élève à 2, 5 milliards d’euros, et les sommes consacrées à la prévention : un million d’euros seulement inscrit au budget annuel !

L’étude européenne Daphné-Psytel répartit en effet ce coût des violences pour l’ensemble de la société entre les soins de santé pour 20 %, les dépenses de police et de justice pour 9 %, celles d’aide sociale pour 5 %, le coût humain pour 22 % et, enfin, les pertes de production pour 44 %, ce qui est considérable en ces temps où les dirigeants d’entreprises n’ont de cesse de demander des efforts à l’ensemble des salariés !

Vous le voyez, mes chers collègues, le coût des violences nous concerne tous, et l’immobilisme en ce domaine est préjudiciable à l’ensemble de notre société.

Il est aisé d’imaginer que ces coûts seraient considérablement réduits si une structure spécifique regroupant toutes les politiques en la matière, et dotée d’une capacité d’expertise sur la prévention et la répression des violences conjugales, voyait le jour.

C’est pourquoi la création d’un observatoire national est unanimement attendue comme un outil indispensable et primordial dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Nous ne pouvons pas passer à côté de cet élément fondamental pour la visibilité des violences faites aux femmes dans notre pays, alors même qu’il s’agit d’un élément central de cette proposition de loi.

Au regard des coûts engendrés chaque année par les violences conjugales, la création d’un observatoire ne représenterait qu’une faible charge. Le coût serait réduit car cet observatoire pourrait travailler en lien avec ceux qui existent déjà, comme l’Observatoire national de la délinquance, ou l’Observatoire national de l’enfance en danger. La synergie des travaux et des moyens de ces observatoires, chacun doté de ses propres spécificités, offrirait une meilleure efficacité dans la lutte contre les violences de toutes sortes.

De plus, beaucoup d’actions sont menées sur l’ensemble de notre territoire par les associations, ou encore par le service des droits des femmes et de l’égalité, dont je regrette d’ailleurs, en tant que sénatrice, la disparition programmée.

Aujourd’hui, avec les moyens modernes de communication, un observatoire national serait un facteur de mutualisation des bonnes pratiques. Ainsi, une action positive menée dans le nord de la France pourrait être aussitôt relayée dans le sud de l’hexagone, le tout pour un coût modeste, les frais étant mutualisés.

Déclarer la lutte contre les violences faites aux femmes grande cause nationale en 2010 est une chose aisée, mais cela ne reste qu’un effet d’annonce et si l’on ne se donne pas les moyens de mettre un terme à ces violences.

L'article 14 bis est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je constate que cet article a été adopté à l’unanimité des présents.

Chapitre III

Répression des violences

Le 5° de l’article 41-1 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° À la première phrase, les mots : « avec l’accord des parties » sont remplacés par les mots : « à la demande ou avec l’accord de la victime » ;

2° Il est ajouté une phrase ainsi rédigée :

« La victime est présumée ne pas consentir à la médiation pénale lorsqu’elle a saisi le juge aux affaires familiales en application de l’article 515-9 du code civil en raison de violences commises par son conjoint, son concubin ou le partenaire avec lequel elle est liée par un pacte civil de solidarité ; ».

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. Roland Courteau, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Aux termes de l’article 41-1 du code de procédure pénale, le procureur de la République peut, préalablement à sa décision sur l’action publique, s’il lui apparaît qu’une telle mesure est susceptible d’assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l’infraction ou de contribuer au reclassement de l’auteur des faits, faire procéder, avec l’accord des parties, à une mission de médiation entre l’auteur des faits et la victime.

De nombreuses associations de défense des droits des femmes font valoir que la médiation pénale est perçue comme « mettant sur un pied d’égalité la victime et l’auteur des violences », voire comme le symbole d’une « coresponsabilité » dans la commission des violences, et qu’elle serait à ce titre inadaptée aux violences au sein des couples.

Si de nombreux parquets persistent à mettre en œuvre ces mesures de médiation, d’autres les bannissent farouchement au motif que ce serait, dans les cas de violences au sein des couples, un non-sens absolu !

L’Assemblée nationale a instauré une présomption de refus de consentement à la médiation pénale dès lors que la victime a sollicité une ordonnance de protection et lorsque l’infraction a été commise sur la victime par son conjoint, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, ou par une personne ayant eu par le passé un tel lien avec la victime, dans les cas d’agressions sexuelles, de viol et viol aggravé, de violences et de violences aggravées.

La commission n’a maintenu cette présomption de refus que lorsque la victime a saisi le juge aux affaires familiales d’une demande d’ordonnance de protection.

Notre amendement a donc pour objet de rétablir le texte de l’Assemblée nationale.

Il s’agit d’une présomption de refus, qui protège les victimes particulièrement vulnérables, et qui permet à celles qui le souhaitent de demander une médiation pénale. Tel est l’objet de l’amendement n° 28.

J’insiste sur le fait que, si la victime le souhaite, une procédure de médiation pénale pourra être engagée.

Je reconnais que le sujet n’est pas simple. Nous avons auditionné de nombreuses associations sur ce sujet et, parce que nous n’avons pas été insensibles à certains arguments avancés, nous avons réfléchi à un deuxième amendement, qui sera défendu par Virginie Klès, et qui prévoit d’étendre cette présomption de refus de la médiation pénale, notamment dans les cas de violences et de violences aggravées, lorsque des faits similaires commis au sein du même couple ont déjà fait l’objet d’une médiation pénale. Une fois, pourquoi pas ?... Mais certainement pas deux fois !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 55, présenté par Mmes Terrade, Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat, Schurch et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Après la première phrase du 5° de l'article 41-1 du code de procédure pénale, il est inséré une phrase ainsi rédigée :

« Il ne peut être fait recours à cette procédure en cas d'infraction commise soit contre son conjoint, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, soit contre un ancien conjoint ou concubin, ou par la personne ayant été liée par un pacte civil de solidarité »

La parole est à Mme Odette Terrade.

Debut de section - PermalienPhoto de Odette Terrade

Dans les cas de conflit de toute nature, la médiation pénale est systématiquement recommandée.

Lorsque les termes du conflit n’entraînent pas de conséquences physiques ou ne portent pas gravement atteinte à l’intégrité des personnes concernées, le recours à la médiation peut être un bon élément pour trouver une solution satisfaisante pour chacune des parties.

Or les violences conjugales ne sont pas des violences comme les autres et les femmes sont généralement en situation de danger.

Ainsi, si la femme victime n’a pas saisi le juge aux affaires familiales pour bénéficier d’une ordonnance de protection, elle devra nécessairement participer à une médiation avec son partenaire violent.

La médiation pénale accentue le sentiment de toute-puissance de l’homme auteur de violences et le sentiment de faiblesse de la femme victime.

Cette mesure alternative ne peut donc pas s’appliquer à ce type de violences puisqu’elle place les victimes et les auteurs des faits sur le même plan.

Lors des procédures pour violences conjugales, il est inacceptable de placer sur un pied d’égalité la victime et son agresseur, et de leur demander de trouver une solution afin que les faits ne se reproduisent pas à l’avenir.

Tel est le sens de notre amendement, qui a pour objet de préserver la victime de violences en empêchant tout recours à la médiation en matière pénale.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 28, présenté par M. Courteau, Mmes Klès et Bonnefoy, MM. Sueur, Yung, Bodin et Mirassou, Mmes M. André, Blondin, Cartron, Lepage, Schillinger, Ghali et Printz, M. Mazuir et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

La victime est présumée ne pas consentir à la médiation pénale en cas d'infraction commise à son encontre soit par son conjoint, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, soit par un ancien conjoint ou concubin ou par la personne ayant été liée par un pacte civil de solidarité, en application des articles 222-9 à 222-13 du code pénal et 222-22 à 222-28 du même code.

La parole est à M. Roland Courteau.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Cet amendement tend à rétablir le texte adopté par l'Assemblée nationale, qui prévoit une présomption d’absence de consentement à la médiation pénale en cas d'infraction commise à son encontre, soit par son conjoint, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, soit par un ancien conjoint ou concubin ou par la personne ayant été liée par un pacte civil de solidarité, dans les cas de violences, violences aggravées, agressions sexuelles, viol et viol aggravé.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 29, présenté par M. Courteau, Mmes Klès et Bonnefoy, MM. Sueur, Yung, Bodin et Mirassou, Mmes M. André, Blondin, Cartron, Lepage, Schillinger, Ghali et Printz, M. Mazuir et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par les mots :

et en cas d'infraction commise à son encontre soit par son conjoint, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, soit par un ancien conjoint ou un concubin ou par la personne ayant été liée par un pacte civil de solidarité, en application des articles 222-9 à 222-13 du code pénal et 222-22 à 222-28 du même code, s'il y a déjà eu une médiation pour des faits similaires commis entre les deux mêmes personnes

La parole est à Mme Virginie Klès.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Il s’agit certes d’un amendement de repli, mais auquel je tiens particulièrement. J’ai l’impression de beaucoup me répéter, mais je pense que c’est nécessaire, tant le texte qui nous est proposé opère de confusions.

On a ainsi confondu, sous le terme générique de violences, ce qui relève du conflit et ce qui relève de la destruction psychologique. Or il n’est pas possible de traiter ces deux phénomènes de la même manière.

Oui à la médiation pénale en cas de conflit, même violent, mais à la condition qu’il ne comporte aucune idée de destruction de l’autre sur le long terme. Quand on est dans ce mécanisme de destruction au moyen de l’emprise psychologique, la médiation pénale ne marchera jamais, et sera même néfaste.

On me rétorque que la médiation pénale est interdite si la victime a sollicité une ordonnance de protection. Mais le processus de destruction est alors trop engagé. Dans ce cas, si une médiation pénale a été engagée préalablement, on n’aura fait qu’aggraver le phénomène, en conférant un sentiment d’impunité à l’auteur des faits, lequel ne respecte généralement pas les engagements pris lors de la médiation pénale, et en diminuant la confiance de la victime en la justice, qui, elle, croit aux engagements, comme elle a cru depuis le début à tous les engagements qui ont été pris à l’intérieur du couple et qui ont contribué à la détruire sur le plan psychologique.

Au moins, de grâce, lorsqu’il y a eu une médiation pénale, interdisons d’entrée de jeu qu’il y en ait une seconde. N’allons pas trop loin dans la destruction de la victime, qu’elle soit homme ou femme.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Faut-il ou non empêcher le recours à la médiation pénale ?

Mes chers collègues, votre opinion est parfaitement respectable, mais je ne la partage pas ; j’ai ma propre opinion, forgée par l’expérience et par une vision globale du phénomène.

Tout d’abord, je souligne que la médiation pénale ne peut pas intervenir sans que la victime l’ait demandée ou sans qu’elle en soit d’accord. C’est un point juridique qui a été amélioré par la proposition de loi. Mais surtout, il faut savoir – et cela s’applique aux cas que vous avez en tête – que la médiation pénale n’est jamais utilisée en cas de violences graves, répétées, de violences psychologiques durables, habituelles.

Par ailleurs, vos bonnes intentions risquent de se retourner contre les victimes que vous voulez protéger. En effet, la médiation pénale s’utilise précisément dans des cas où l’on n’a pas tout à fait la preuve des violences, lorsqu’il existe un climat de violence ou de conflit – ces deux notions n’étant pas distinguées dans le code de procédure pénale ni dans le code pénal –, que l’infraction n’est pas parfaitement caractérisée, qu’il n’y a pas d’élément matériel et que l’on parle d’infraction primaire.

Je prendrai un exemple classique, celui où il existe un certificat médical, mais qui n’est pas très clair, et deux attestations, l’une qui dit blanc, l’autre noir. Si le procureur envoie la personne violente devant le tribunal correctionnel, c’est la relaxe assurée et vous avez obtenu l’effet contraire de celui que vous recherchiez.

À l’inverse, si le procureur, qui, au vu du dossier, ne dispose pas des éléments lui permettant de faire condamner une personne dont il sent bien qu’elle est violente, l’envoie en médiation pénale, il pourra faire indemniser la victime et lui faire franchir le cap de l’entrée dans le palais de justice.

Dès lors, la médiation pénale protège toutes les femmes que l’absence de preuves n’aurait pas protégées.

La médiation pénale constitue une mesure de prévention dans ce domaine. Si, par la suite, de nouveaux faits se produisent, la médiation pénale aura renforcé le dossier de la victime.

Enfin, si vous interdisez la médiation pénale, dans un grand nombre de dossiers, le procureur ne renverra pas devant le tribunal correctionnel et il y aura souvent un simple rappel à la loi ou un classement sans suite. Je vous rends attentifs au fait que la mesure d’interdiction que vous souhaitez prendre ne s’appliquera pas dans les cas que vous envisagez. En revanche, dans les autres cas que vous n’envisagez pas, elle sera contraire à l’intérêt de celles que vous voulez, comme nous, protéger.

Telle est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur les trois amendements.

L’amendement n° 29, qui est un amendement de repli, fait référence à l’existence d’une médiation pénale antérieure. Je vous rappelle qu’il n’y aura pas de médiation pénale si la victime ne l’a pas demandée et, surtout, le guide des procureurs leur interdit de recourir à une seconde médiation pénale s’il y en a déjà eu une. Je peux vous donner toutes assurances sur ce point.

Je le répète, vos amendements sont faits avec beaucoup de cœur, ils procèdent d’une intention parfaitement louable, mais vont exactement à l’inverse de l’objectif que vous visez.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d'État

Le Gouvernement partage la même analyse et émet le même avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Muguette Dini, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Muguette Dini

Le texte initial prévoyait d’interdire la médiation pénale dans tous les cas de violences conjugales ; la commission des lois l’a rétablie, sauf quand une ordonnance de protection a été prononcée.

Je reconnais être très partagée sur cette question.

Actuellement, cette procédure est censée n’être utilisée que dans les limites recommandées par le guide de l’action publique sur la lutte contre les violences au sein du couple, publié par le ministère de la justice : l’acte de violence doit être isolé et de gravité limitée, commis pour la première fois par un auteur qui reconnaît pleinement sa responsabilité. Le couple doit par ailleurs désirer poursuivre la vie commune.

Dans ces cas précis, on peut effectivement considérer que la médiation pénale constitue une alternative efficace aux poursuites, d’autant que les autres mesures disponibles – le rappel à la loi notamment – s’avèrent moins efficaces et presque toujours symboliques.

Cela étant, on peut aussi considérer que cette procédure de médiation présente l’inconvénient de mettre en présence une victime et l’auteur des violences et de constituer notamment une épreuve supplémentaire pour la victime.

C’est pourquoi, après en avoir longuement débattu en commission des affaires sociales, je soutiens la position de la commission des lois, madame la secrétaire d’État, à condition d’obtenir des engagements sur le recours à cette procédure, notamment dans les cas de violences psychologiques.

D’une part, je souhaite m’assurer que les recommandations du guide de l’action publique sur la lutte contre les violences au sein du couple seront strictement appliquées.

D’autre part, la formation doit ici aussi être renforcée. En effet, celle des médiateurs semble insuffisante et disparate. Elle est actuellement assurée par les deux principales fédérations d’associations pratiquant la médiation pénale – la fédération des associations socio-judiciaires « Citoyens et justice » et l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation, l’INAVEM – et une harmonisation à l’échelon national est nécessaire.

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous donner des engagements sur les mesures qui seront prises en ce sens ? Peut-on envisager la mise en place par l’École nationale de la magistrature d’une formation pour les médiateurs du procureur, sur le modèle de celle des délégués du procureur ? Une circulaire définissant des référentiels de formation est-elle en préparation dans les services du ministère ?

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Je souhaite redire encore une fois les choses, je ne sais pas si j’arriverai à vous convaincre, mais c’est pourtant primordial.

En matière de violences psychologiques, qui sont des phénomènes d’emprise et de manipulation destructrice de l’autre, il n’y a pas de petits faits, de petites gifles ou de petits mots. Un mécanisme s’enclenche et va grandissant, en poussant la victime à la dépression, voire au suicide. Dans ce cas, quand une médiation pénale a déjà eu lieu et qu’elle n’a rien donné, on peut s’arrêter là.

Si l’on est dans un conflit, même si des mots blessants, humiliants, ont été prononcés, même si des gifles ont été données, la médiation pénale peut améliorer les choses. Mais si une médiation pénale n’a rien apporté, vous pouvez en faire dix, quinze ou vingt, elles ne feront qu’aggraver la situation.

J’insiste sur ce point : lorsqu’une médiation pénale a été inefficace, il est inutile d’en faire une deuxième. Et, monsieur le rapporteur, ne me dites pas qu’il n’y en a jamais une deuxième. J’ai l’exemple, dans ma commune, de femmes et d’hommes qui en sont à plusieurs médiations pénales et sont venus me faire part de leur désespoir ; ils ne croient plus en la justice, et l’auteur des faits, lui, n’y croit plus non plus : il est persuadé de son impunité !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Je défends l’amendement n° 55, parce que nous sommes absolument contre le recours à la médiation pénale. Mais à défaut de l’adoption de notre proposition, je préconise le retour au texte d’origine.

Monsieur le rapporteur, vous faites part de votre expérience d’avocat…

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

…mais vous vous trompez, cette appréhension des phénomènes de violence n’est pas bonne.

La société, pour une très large part, considère qu’il s’agit de conflits à l’intérieur des couples. Il y en a et, fort heureusement, ils n’aboutissent pas tous à des actes de violence physique ou psychologique. Mais ces violences physiques et psychologiques existent dans les couples, et il est fréquent qu’elles ne soient pas révélées parce que la victime elle-même ne peut pas les dévoiler.

L’auteur des violences, quand il est acculé, qu’il sent qu’il va se passer quelque chose, souhaite une médiation pénale, parce qu’il se retrouve ainsi dans la situation qu’il veut : « c’est un conflit dans le couple ». Au travers de la médiation pénale, il est conforté dans cette idée : peut-être est-il violent, peut-être a-t-il des problèmes, mais sa femme ou sa compagne est en partie responsable de la situation, parce son comportement ne répond pas à ses désirs.

Vous le voyez bien, la conception qui prévaut n’est pas celle des violences dans le couple, qui sont à 95 % commises par des hommes. Les mentalités sont imprégnées de cette vision des choses et il est certainement difficile de la modifier. C’est pourquoi un texte qui traite des violences faites aux femmes devrait justement prendre position de façon ferme sur la médiation pénale et considérer qu’elle ne répond pas à la situation compte tenu du rapport entre les parties en cause.

J’avancerai un argument qui pourra peut-être vous convaincre : j’ai lu dans Le Monde un article critiquant le dispositif de la présente proposition de loi sur les violences psychologiques et concluant qu’une scène de ménage qui aurait pu se régler sur l’oreiller mènera au tribunal !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Je sais bien que vous partagez mon point de vue, mais voilà ce qu’on peut encore lire aujourd'hui dans la presse ! Il faut donc faire un effort pour sortir de ce type de schémas ancestraux en prenant une mesure visible ; il ne s’agit pas de conflits qui se règlent à l’amiable entre les personnes !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Maryvonne Blondin, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryvonne Blondin

N’oubliez pas qu’il s’agit de violences psychologiques avec un effet destructeur sur l’un des membres du couple. L’instauration d’une médiation pénale peut servir les auteurs de telles violences, qui sont souvent d’habiles manipulateurs, aptes à présenter un visage totalement différent de celui qui est le leur dans la sphère privée et à retourner la situation à leur profit.

Dans ces conditions, je suis d’accord avec mes collègues pour revenir au texte initial.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d'État

Je veux rassurer Mme Dini, qui a souhaité obtenir des engagements de ma part.

Le guide de l’action publique encadre déjà strictement l’usage de la médiation pénale. Suivant les instructions du garde des sceaux, les parquets ont systématisé les poursuites dès lors qu’il ne s’agit pas de faits mineurs et isolés. La médiation pénale est donc utilisée de matière très encadrée par les parquets.

S’agissant de la formation – je m’entretiendrai évidemment de ce sujet avec Mme Michèle Alliot-Marie –, les procureurs assureront l’encadrement des médiateurs pour uniformiser les pratiques. C’est en ce sens qu’agira Mme la garde des sceaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Mes chers collègues, je suis saisi par le groupe UMP d’une demande de scrutin public. Peut-on considérer que le vote vaudra pour les trois amendements n° 55, 28 et 29 ?

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Non, monsieur le président, nous préférons que l'amendement n° 29, qui est un amendement de repli, soit mis aux voix séparément.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je mets donc aux voix les amendements n° 55 et 28.

J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Voici le résultat du scrutin n° 237 :

Le Sénat n'a pas adopté.

Je mets aux voix l'amendement n° 29.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Voici le résultat du scrutin n° 238 :

Le Sénat n'a pas adopté.

Je mets aux voix l'article 16.

L'article 16 est adopté.

I. – §(Non modifié) Après l’article 222-14-2 du code pénal, il est inséré un article 222-14-3 ainsi rédigé :

« Art. 222 -14 -3. – Les violences prévues par les dispositions de la présente section sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques. »

II. – Après l’article 222-33-2 du même code, il est inséré un article 222-33-2-1 ainsi rédigé :

« Art. 222 - 33 - 2 - 1. – Le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours et de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende lorsqu’ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours.

« Les mêmes peines sont encourues lorsque cette infraction est commise par un ancien conjoint ou un ancien concubin de la victime, ou un ancien partenaire lié à cette dernière par un pacte civil de solidarité. »

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Monsieur le président, pour gagner du temps, je renonce à intervenir : je me suis largement exprimé lors de la discussion générale sur les violences psychologiques, et je n’éprouve pas le besoin d’insister encore.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 40 rectifié, présenté par Mmes Dini, Bout et Henneron, MM. Laménie et Milon, Mme Payet et MM. Vanlerenberghe et Gournac, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Après les mots :

inférieure ou égale à huit jours

insérer les mots :

ou n'ont entraîné aucune incapacité de travail

La parole est à Mme Muguette Dini.

Debut de section - PermalienPhoto de Muguette Dini

La commission des lois a proposé une nouvelle rédaction de l’article du code pénal qui définira le délit de violences psychologiques.

On ne peut qu’approuver cette définition plus précise, qui introduit la notion de harcèlement et la nécessité d’établir un lien entre dégradation des conditions de vie et altération effective de la santé physique ou mentale de la victime. Ces précisions rendront possible la qualification du délit et éviteront des dérives jurisprudentielles.

En revanche, je considère que, en modulant les peines encourues en fonction de la durée de l’interruption totale de travail, l’ITT, subie par la victime pour cause de violences psychologiques, on opère une discrimination entre celles-ci et les autres violences commises au sein du couple.

En effet, le code pénal prévoit actuellement que les violences commises sur le conjoint sont punies de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque ces faits ont causé une ITT supérieure à huit jours, et de trois ans et de 45 000 euros d’amende lorsque ces faits ont causé une ITT inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail.

Il en résulte que la sanction pour violences psychologiques n’est encourue qu’en cas d’ITT, ce qui n’est pas le cas pour les autres violences faites aux femmes.

Cette inégalité de traitement est d’autant plus injustifiée qu’elle ne tient pas compte de la complexité du phénomène des violences psychologiques. Le harcèlement moral dans le couple se traduit souvent, en effet, par la mise en place d’une situation de dépendance affective, sociale et financière faisant perdre repères et autonomie à la victime. D’autres éléments doivent donc être pris en compte pour qualifier les faits, comme l’analyse de documents bancaires ou le recueil de témoignages, du voisinage par exemple, l’expertise médicale pouvant venir en amont ou en aval du constat de ces dérives.

N’importe quel médecin est-il à même d’apprécier l’état de violences psychologiques et de délivrer une ITT à ce titre ? L’évaluation du retentissement psychologique en termes d’ITT est réellement aléatoire : il est difficile de délimiter un processus continu qui s’aggrave lentement et s’étend sur plusieurs mois ou plusieurs années. Le médecin ne peut raisonnablement pas établir une ITT de trois jours quand, depuis des années, la personne subit des violences et est malade de ces violences !

C’est l’objet de cet amendement que de ne pas subordonner dans tous les cas la qualification du délit de violences psychologiques à la seule existence d’une ITT, et vous venez vous-même de rappeler, monsieur le rapporteur, que l’ITT, en cas de violences psychologiques, peut être incertaine et vague.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

L’amendement proposé par nos collègues est tout à fait logique puisqu’il tend à aligner le régime du harcèlement au sein du couple sur celui des violences « légères » sur un conjoint en y incluant également les faits n’ayant entraîné aucune ITT pour la victime.

Certes, je comprends le souci d’homogénéisation qui inspire cet amendement. Pour autant, le harcèlement au sein du couple est déjà réprimé dans le code pénal, et j’attire votre attention, mes chers collègues, sur un point sur lequel ont insisté un grand nombre des personnes entendues au cours des auditions auxquelles j’ai procédé – des magistrats, mais, surtout, les associations de défense des droits des femmes. Elles m’ont paru avoir parfaitement mesuré les dangers que pourrait présenter votre proposition : ce nouveau délit de harcèlement moral au sein du couple sera l’argument qu’utilisera le manipulateur ; c’est, en fin de compte, un cadeau que nous lui ferions.

Si l’ITT n’est pas nécessaire pour que le harcèlement psychologique soit constitué, le conjoint manipulateur ne se privera pas d’expliquer que, s’il a porté des coups, c’est parce qu’il s’entend dire depuis quinze jours par sa compagne qu’elle va partir avec les enfants, qu’ils iront vivre à cinq cents kilomètres, qu’il ne les reverra pas, qu’il sera contraint de payer une pension, qu’elle l’obligera à divorcer… N’est-ce pas du harcèlement psychologique ? Pis, il lui suffira de deux ou trois témoignages de complaisance pour pouvoir se prévaloir du statut de victime de harcèlement psychologique : vous lui aurez donné la possibilité de complètement annihiler le dossier de la victime.

C’est la raison pour laquelle nous avons insisté pour que figure dans ce texte l’exigence d’une ITT, qui est déjà un élément de preuve. Car le manipulateur, celui qui vous tiendra le discours que je viens d’anticiper, ne trouvera jamais de médecin pour le déclarer en ITT.

Debut de section - PermalienPhoto de Muguette Dini

S’il est manipulateur, il saura manipuler le médecin !

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

J’ajoute que, dans le cas de violences psychologiques graves, il y aura toujours une ITT, et elle sera très nettement supérieure à huit jours.

Ainsi, il semble à la commission que cet amendement risque d’ouvrir la voie à une instrumentalisation de la justice qui irait à l’encontre des intérêts des vraies victimes de violences.

C’est donc un souci d’efficacité qui m’amène, ma chère collègue, à vous suggérer de retirer votre amendement – je ne suis pas certain que vous irez jusque-là ; pourtant, croyez-moi, ce serait l’intérêt des victimes ! –, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d'État

Même avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Je soutiens tout à fait l’amendement de Mme Dini. En effet, monsieur le rapporteur, contrairement à ce que vous dites, nous abordons une fois de plus un problème bien particulier qui ne s’apparente pas simplement au harcèlement moral.

Il s’agit d’une entreprise de destruction à l’intérieur d’un couple, qui révèle un comportement parfaitement stéréotypé, tant de la part de l’auteur que de la victime, et donc parfaitement reconnaissable par les médecins spécialisés dans ce domaine. Il n’y a donc pas de risque de confusion, même en cas de témoignages émanant de personnes diverses, entre un faux auteur et une fausse victime.

Vous avez rappelé en commission l’erreur qui a entouré l’affaire d’Outreau. Mais la délinquance sexuelle et tous les autres troubles pathologiques sont à part et effectivement ne sont pas prévisibles. Le genre de comportement dont il est question ici est prévisible et stéréotypé, aussi bien du côté de l’auteur que de la victime, et génère un engrenage qui va de plus en plus loin, pour l’un comme pour l’autre : pour l’un, dans la violence, pour l’autre, dans l’acceptation de l’inacceptable.

Parce qu’aucune confusion n’est possible, je soutiens l’amendement de Mme Dini.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

L'amendement est adopté.

L'article 17 est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 56 rectifié, présenté par Mmes Terrade, Borvo Cohen-Seat, Assassi et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Après l'article 17, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après la section 1 bis du chapitre V du titre II du livre II du code pénal, il est inséré une section ainsi rédigée :

« Section ...

« De l'instigation à dissimuler son visage

« Art. ... - Le fait, par menace, violence ou contrainte, abus de pouvoir ou abus d'autorité, d'imposer à une personne, en raison de son sexe, de dissimuler son visage est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende. »

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Cet amendement, qui n’engage que ses auteurs, a valeur de positionnement et s’adresse tout particulièrement au Gouvernement. En effet, il tend à inscrire dans la loi la répression de la contrainte faite aux femmes, par un compagnon par exemple, de dissimuler leur visage.

Nous sommes très hostiles à la loi qui sera bientôt discutée à l’Assemblée nationale, le 4 juillet si je ne m’abuse. Nous doutons de l’opportunité de cette loi, du fait de la stigmatisation qu’elle engendre. Nous pensons qu’elle n’est ni opportune, ni conforme à notre droit. De ce point de vue, nous partageons l’avis émis par le Conseil d’État en la matière.

Néanmoins, nous sommes bien évidemment tout à fait favorables à ce qu’un article, qui figure d’ailleurs dans le projet gouvernemental, prévoie que les personnes qui contraignent les femmes à être voilées puissent être punies. Mes collègues et moi-même pensons que le Gouvernement s’honorerait en acceptant cet amendement et en traitant dans cette loi relative aux violences faites aux femmes la question du port de la burqa.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Ma chère collègue, il ne vous a pas échappé que les faits que vous évoquez constituent déjà une violence. Il n’est donc pas nécessaire qu’ils soient mentionnés dans cette loi pour être réprimés.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Cela fait déjà l’objet d’une condamnation à trois ans d’emprisonnement !

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

En effet !

En outre, il n’échappe à personne qu’il existe un projet de loi en cours d’examen à l’Assemblée nationale, qui sera très prochainement débattu au Sénat. Vous avez d’ailleurs reconnu qu’il s’agissait d’un amendement de positionnement. Je comprends votre démarche mais je vous propose de renvoyer l’examen de cette question à l’étude dudit projet de loi.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d'État

Même avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le rapporteur, vous ne pouvez pas me répondre que la disposition que nous proposons n’a pas à figurer dans une loi, étant donné que le Gouvernement lui-même l’a fait figurer dans le texte de son projet de loi !

Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Dans ce cas, cela sera inscrit dans une loi et vous aurez satisfaction !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Absolument ! Mais il faudra punir cette infraction de trois ans afin d’assurer une cohérence avec la répression des violences faites aux femmes !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Je voterai peut-être cet article du projet du Gouvernement, mais je ne voterai pas l’ensemble, à l’instar des signataires de l’amendement. Nous avons repris l’article tel que rédigé par le Gouvernement dans son projet de loi, donc il ne doit pas y avoir de problème ! Vous avouerez que nous sommes dans une situation vraiment paradoxale…

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. Roland Courteau, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Je voudrais dire à mon tour, au nom du groupe socialiste, que le port de la burqa est une atteinte à la dignité des femmes. Comme cela a déjà été dit, « la dignité ne se divise pas ». C’est d’abord une violence vis-à-vis des femmes portant la burqa sous la contrainte, mais également vis-à-vis de celles qui disent choisir librement de la porter alors qu’elles agissent bien souvent sous la pression.

Il convient de rappeler que cette tenue vestimentaire est antérieure à la conversion à l’Islam des sociétés au sein desquelles elle est portée aujourd’hui. C’est une pratique antéislamique, importée, ne présentant pas le caractère d’une prescription religieuse. En fait, seul le hijab, foulard dissimulant la tête et le cou, pourrait être considéré comme une tenue vestimentaire féminine conforme aux principes de l’Islam.

En vérité, cette obligation vestimentaire qu’est la burqa s’applique du fait d’une culture particulière qui conditionne d’une façon singulière la place des femmes. C’est assurément une vraie violence à l’égard des femmes et une atteinte à leur dignité. Nous voterons donc cet amendement, qui prévoit que le fait par « menaces, violences ou contraintes, abus de pouvoir ou abus d’autorité, d’imposer à une personne, à raison de son sexe, de dissimuler son visage est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».

Il est vrai qu’il reprend l’article 4 du projet de loi du Gouvernement, mais également, sous réserve d’une différence concernant le montant de l’amende, les dispositions de la proposition de loi du groupe socialiste de l’Assemblée nationale.

Nous sommes donc favorables à l’amendement n° 56 rectifié.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Un grand débat va avoir lieu à l’Assemblée nationale et nous aurons nous-mêmes l’occasion de discuter au fond de cette question et d’y consacrer plus de cinq à dix minutes. Certes, J’ai bien compris le sens de l’amendement de Mme Borvo, et les propos de notre collègue M. Courteau sont intéressants. Mais il y a bien d’autres choses à dire sur ce sujet ! Ce débat mérite de prendre toute son ampleur, que l’on soit d’accord ou pas avec les propositions du Gouvernement. D’ailleurs, même au sein de l’opposition, il existe des divergences de point de vue !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Ce débat est naturel et je veux bien que l’on vote cet amendement ce soir, mais je souhaiterais que Mme Borvo le retire, car la question mérite un peu mieux qu’un débat à la sauvette.

Je tiens à dire fermement que ce ne sont pas là de bonnes méthodes pour des débats aussi importants et qui concernent toute l’opinion publique ! On ne peut régler de tels problèmes, en fin de soirée, au détour de la discussion d’un amendement !

Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Non, non ! En la matière c’est une vision d’ensemble qu’il faut avoir et non pas une vision partielle. En tout état de cause, dans le texte dont nous débattons aujourd’hui, le fait d’imposer quelque chose à une personne, par menace, violence ou contrainte, etc. est déjà considéré comme une violence. Il sera temps de discuter du projet du Gouvernement, le moment venu.

Le début du premier alinéa de l’article 132-80 du code pénal est ainsi rédigé :

« Dans les cas respectivement prévus par la loi ou le règlement, les peines encourues pour un crime, un délit ou une contravention sont aggravées…

le reste sans changement

» –

Adopté.

I. – §(Non modifié) Après le 9° de l’article 221-4 du code pénal, il est inséré un 10° ainsi rédigé :

« 10° Contre une personne en raison de son refus de contracter un mariage ou de conclure une union. »

II. – §(Non modifié) Après l’article 221-5-3 du même code, il est inséré un article 221-5-4 ainsi rédigé :

« Art. 221 -5 -4. – Dans le cas où le crime prévu par le 10° de l’article 221-4 est commis à l’étranger à l’encontre d’une personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable par dérogation aux dispositions de l’article 113-7. »

III. – §(Non modifié) Après le 6° de l’article 222-3 du même code, il est inséré un 6° bis ainsi rédigé :

« 6° bis Contre une personne afin de la contraindre à contracter un mariage ou à conclure une union ou en raison de son refus de contracter ce mariage ou cette union ; ».

IV. – §(Non modifié) Après l’article 222-6-2 du même code, il est inséré un article 222-6-3 ainsi rédigé :

« Art. 222 -6 -3. – Dans le cas où le crime prévu par le 6° bis de l’article 222-3 est commis à l’étranger à l’encontre d’une personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable par dérogation aux dispositions de l’article 113-7. »

V. – §(Non modifié) Après le 6° des articles 222-8 et 222-10 du même code, il est inséré un 6° bis ainsi rédigé :

« 6° bis Contre une personne afin de la contraindre à contracter un mariage ou à conclure une union ou en raison de son refus de contracter ce mariage ou cette union ; ».

VI. – Après le 6° des articles 222-12 et 222-13 du même code, il est inséré un 6° bis ainsi rédigé :

« 6° bis Contre une personne, en raison de son refus de contracter un mariage ou de conclure une union ou afin de la contraindre à contracter un mariage ou à conclure une union ; ».

VII. – §(Non modifié) Après l’article 222-16-2 du même code, il est inséré un article 222-16-3 ainsi rédigé :

« Art. 222 -16 -3. – Dans le cas où les infractions prévues par le 6° bis des articles 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13 sont commises à l’étranger à l’encontre d’une personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable par dérogation aux dispositions de l’article 113-7. S’il s’agit d’un délit, les dispositions de la seconde phrase de l’article 113-8 ne sont pas applicables. »

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 57, présenté par Mmes Terrade, Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat, Schurch et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - Après la section 1 du chapitre IV du titre II du livre II du code pénal, il est inséré une section ainsi rédigée :

« Section ...

« De la contrainte au mariage

« Art. ... . - Le fait d'exercer sur autrui toute forme de contrainte ayant pour but de lui faire contracter un mariage ou conclure une union sans son consentement libre est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende.

« Les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 € d'amende lorsque la victime de l'infraction définie à l'alinéa précédent est un mineur de quinze ans.

« Art. ... . - Dans le cas où le délit prévu par l'article précédent est commis à l'étranger sur une victime résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable par dérogation aux dispositions de l'article 113-7. Les dispositions de la dernière phrase de l'article 113-8 ne sont pas applicables. »

La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Agnès Labarre

Je crois que chacun d’entre nous s’accorde à penser et même à dire que le mariage forcé est une violence. Consommé ou non, il a des conséquences sur la santé et le parcours des jeunes filles : rupture scolaire, perte d’emploi, conduite à risque, dépression nerveuse, tentative de suicide, violences conjugales. Le mariage forcé est aussi un viol répété.

Il est vrai qu’il n’y a pas d’unanimité sur la transformation du mariage forcé en délit. Certaines associations rappellent que les jeunes filles victimes de mariages forcés ont avant tout le désir de ne pas se marier. Elles ne souhaitent que très rarement porter plainte ou envisager des représailles. De nombreux témoignages montrent que les victimes font au contraire tout pour épargner leurs parents, même dans des situations de violence extrême.

Toutefois, il nous semble que le fait de prévoir une incrimination pénale spécifique de mariage forcé permettrait d’énoncer clairement l’interdit en indiquant quelles sont les pratiques autorisées et celles qui ne le sont pas. La création d’un délit spécifique permettrait de poursuivre les auteurs de mariage forcé sans avoir recours à des infractions plus graves telles que le viol ou les violences sexuelles.

Surtout, cette mesure aurait un caractère fortement dissuasif et s’inscrirait dans la droite ligne des recommandations du Conseil de l’Europe, dont l’assemblée parlementaire a reconnu que « les mariages forcés et les mariages d’enfants constituent des violations graves et récurrentes des droits de l’homme et des droits de l’enfant ».

Il s’agit donc de reconnaître à travers cet amendement toute la souffrance dont sont victimes les femmes contraintes de se marier, leur solitude, leur désespoir, et de soutenir toutes celles qui refusent, prenant le risque du rejet de la cellule familiale. Il est important de marquer sans ambiguïté notre plein engagement pour lutter contre des pratiques attentatoires à la liberté et à la dignité des femmes. Tel est l’objet de cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Je voudrais tout d’abord préciser qu’un mariage forcé consommé est un viol au regard du droit pénal. Les objectifs visés par cet amendement sont entièrement satisfaits par les dispositions de l’article 18, qui tendent à aggraver les peines encourues lorsque les violences sont commises en vue de soumettre une personne à un mariage forcé. Il répond donc parfaitement à votre amendement.

Du fait des modifications introduites par l’article 17 de cette proposition de loi, qui consacre une jurisprudence de la Cour de Cassation, les violences psychologiques commises en vue de soumettre une personne à un mariage forcé seront réprimées sans ambiguïté dans le sens que vous souhaitez.

L’article 18 précise en outre que la loi française sera applicable lorsque les violences seront commises à l’étranger. Vous pouvez donc être parfaitement rassurée ! Par ailleurs, si nous adoptions votre amendement, l’expression « toute forme de contrainte », particulièrement imprécise, risquerait de rendre le texte inconstitutionnel au regard du principe de légalité des délits et des peines. Je vous propose donc de retirer cet amendement.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d'État

Même avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Agnès Labarre

Compte tenu des remarques formulées par M. le rapporteur, nous le retirons.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 57 est retiré.

Je mets aux voix l'article 18.

L'article 18 est adopté.

Les autorités consulaires françaises prennent les mesures adaptées pour assurer, avec leur consentement, le retour sur le territoire français des personnes de nationalité française ou qui résident habituellement sur le territoire français lorsque ces personnes ont été victimes à l’étranger de violences volontaires ou d’agressions sexuelles commises dans le cadre d’un mariage forcé ou en raison de leur refus de se soumettre à un mariage forcé.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 58, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après les mots :

qui résident habituellement

insérer les mots :

de manière régulière

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d'État

Les autorités consulaires assurent d’ores et déjà toute l’aide logistique nécessaire pour répondre à des situations de détresse aiguë rencontrées par les nationaux. L’article 18 bis tend à élargir le principe de cette protection aux ressortissants étrangers qui dépendent d’autres autorités consulaires.

Le problème vient de ce que la rédaction actuelle, qui fait seulement référence à la résidence habituelle sur le territoire français, apparaît excessivement imprécise.

En effet, la notion de « personne résidant habituellement sur le territoire français » est une formulation qui ne présume pas de la régularité du séjour et pourrait conduire à une contradiction entre le droit des étrangers en France et le droit de rapatriement.

L’amendement vise donc à préciser cette modification du champ de compétences, en ajoutant la mention du séjour régulier au regard du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Un étranger qui n’a pas sa résidence habituelle et régulière en France n’a en effet pas vocation à revenir en France.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

À la fin de l’examen de ce texte, nous voyons tous qu’un consensus se dégage…

L’amendement proposé apporte une clarification utile. En conséquence, la commission a émis un avis favorable.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.

Je mets aux voix l'article 18 bis, modifié.

L'article 18 bis est adopté.

I. – Après l’article 222-50 du code pénal, il est inséré un article 222-50-1 ainsi rédigé :

« Art. 222-50-1. – Les personnes physiques ou morales coupables de l’une des infractions prévues par les articles 222-33 et 222-33-2 encourent également la peine complémentaire d’affichage ou de diffusion de la décision prévue par l’article 131-35. »

II. – Au premier alinéa de l’article L. 1155-2 du code du travail, les mots : « et d’une amende de 3 750 euros » sont remplacés par les mots : « et d’une amende de 15 000 euros ».

III. –

Supprimé

Adopté.

La seconde phrase du deuxième alinéa de l’article 222-22 du code pénal est supprimée. –

Adopté.

I. – Les articles 1er, 1er bis, 2, 2 bis, 8 à 9, 9 bis, 11 A, 12, 12 bis, 13 à 14, 16 à 18 bis, le II de l’article 19 et l’article 20 sont applicables dans les îles Wallis et Futuna.

II. – Les articles 1er, 1er bis, 2, 2 bis, 7 à 9, 11 A, 12, 12 bis, 13 à 14, 16 à 18 bis, le II de l’article 19 et l’article 20 sont applicables en Polynésie française.

III. – Les articles 1er, 1er bis, 2, 2 bis, 8 à 9, 11 A, 12, 12 bis, 13 à 14, 16 à 18 bis, le II de l’article 19 et l’article 20 sont applicables en Nouvelle-Calédonie.

IV. – Les articles 5 et 6 sont applicables à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.

V. – L’ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers à Mayotte est ainsi modifiée :

1° Après l’article 16-1, sont insérés trois articles 16-2, 16-3 et 16-4 ainsi rédigés :

« Art. 16-2. – Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, l’autorité administrative accorde, dans les plus brefs délais, la délivrance ou le renouvellement du titre de séjour de l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection en vertu de l’article 515-9 du code civil en raison des violences commises par son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin.

« Art. 16-3. – Sauf si sa présence constitue une menace à l’ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention “vie privée et familiale” est délivrée à l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection en vertu de l’article 515-9 du code civil. La condition prévue à l’article 6-1 de la présente ordonnance n’est pas exigée. Cette carte de séjour temporaire ouvre droit à l’exercice d’une activité professionnelle.

« Art. 16-4. – En cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, une carte de résident peut être délivrée à l’étranger ayant déposé plainte pour une infraction mentionnée au premier alinéa de l’article 132-80 du code pénal. » ;

2° Le IV de l’article 42 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, l’autorité administrative accorde, dans les plus brefs délais, la délivrance ou le renouvellement du titre de séjour de l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection en vertu de l’article 515-9 du code civil. »

VI. – L’ordonnance n° 2000-372 du 26 avril 2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en Polynésie française est ainsi modifiée :

1° Après l’article 17-1, sont insérés trois articles 17-2, 17-3 et 17-4 ainsi rédigés :

« Art. 17-2. – Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, l’autorité administrative accorde, dans les plus brefs délais, la délivrance ou le renouvellement du titre de séjour de l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection en vertu de l’article 515-9 du code civil en raison des violences commises par son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin.

« Art. 17-3. – Sauf si sa présence constitue une menace à l’ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention “vie privée et familiale” est délivrée à l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection en vertu de l’article 515-9 du code civil. La condition prévue à l’article 6-1 de la présente ordonnance n’est pas exigée. Cette carte de séjour temporaire ouvre droit à l’exercice d’une activité professionnelle.

« Art. 17-4. – En cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, une carte de résident peut être délivrée à l’étranger ayant déposé plainte pour une infraction mentionnée au premier alinéa de l’article 132-80 du code pénal. » ;

2° Le IV de l’article 44 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, l’autorité administrative accorde, dans les plus brefs délais, la délivrance ou le renouvellement du titre de séjour de l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection en vertu de l’article 515-9 du code civil. »

VII. – L’ordonnance n° 2002-388 du 20 mars 2002 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en Nouvelle-Calédonie est ainsi modifiée :

1° Après l’article 17-1, sont insérés trois articles 17-2, 17-3 et 17-4 ainsi rédigés :

« Art. 17-2. – Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, l’autorité administrative accorde, dans les plus brefs délais, la délivrance ou le renouvellement du titre de séjour de l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection en vertu de l’article 515-9 du code civil en raison des violences commises par son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin.

« Art. 17-3. – Sauf si sa présence constitue une menace à l’ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention “vie privée et familiale” est délivrée à l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection en vertu de l’article 515-9 du code civil. La condition prévue à l’article 6-1 de la présente ordonnance n’est pas exigée. Cette carte de séjour temporaire ouvre droit à l’exercice d’une activité professionnelle.

« Art. 17-4. – En cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, une carte de résident peut être délivrée à l’étranger ayant déposé plainte pour une infraction mentionnée au premier alinéa de l’article 132-80 du code pénal. » ;

2° Le IV de l’article 44 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, l’autorité administrative accorde, dans les plus brefs délais, la délivrance ou le renouvellement du titre de séjour de l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection en vertu de l’article 515-9 du code civil. »

VIII. – L’ordonnance n° 2000-371 du 26 avril 2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers dans les îles Wallis et Futuna est ainsi modifiée :

1° Après l’article 16-1, sont insérés trois articles 16-2, 16-3 et 16-4 ainsi rédigés :

« Art. 16-2. – Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, l’autorité administrative accorde, dans les plus brefs délais, la délivrance ou le renouvellement du titre de séjour de l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection en vertu de l’article 515-9 du code civil en raison des violences commises par son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin.

« Art. 16-3. – Sauf si sa présence constitue une menace à l’ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention “vie privée et familiale” est délivrée à l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection en vertu de l’article 515-9 du code civil. La condition prévue à l’article 6-1 de la présente ordonnance n’est pas exigée. Cette carte de séjour temporaire ouvre droit à l’exercice d’une activité professionnelle.

« Art. 16-4. – En cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, une carte de résident peut être délivrée à l’étranger ayant déposé plainte pour une infraction mentionnée au premier alinéa de l’article 132-80 du code pénal. » ;

2° Le IV de l’article 42 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, l’autorité administrative accorde, dans les plus brefs délais, la délivrance ou le renouvellement du titre de séjour de l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection en vertu de l’article 515-9 du code civil. »

IX. – En l’absence d’adaptation, les références de la présente loi à des dispositions qui ne sont pas applicables à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie sont remplacées par les références aux dispositions ayant le même objet applicables localement.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 36, présenté par MM. Antoinette, Patient, Gillot, S. Larcher, Lise, Tuheiava et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 23

Rédiger comme suit cet alinéa :

« Art. 17 -4. - Après la décision judicaire définitive concernant la personne mise en cause, une carte de résident peut être délivrée à l'étranger ayant déposé plainte pour une infraction mentionnée au premier alinéa de l'article 132-80 du code pénal, sauf si la décision déclare que le fait n'a pas été commis. » ;

La parole est à Mme Annie Jarraud-Vergnolle.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie Jarraud-Vergnolle

Il s’agit d’un amendement de coordination avec celui qui a été proposé à l’article 6.

Une personne victime de violence conjugale est doublement lésée si, à l'issue de la procédure pénale, l'auteur n'a pu être condamné faute de preuves suffisantes au regard des exigences juridiques et qu’ainsi se trouve réduite à néant la possibilité, pour la personne victime, de stabiliser sa situation précaire.

Le présent amendement vise donc à permettre la délivrance d'une carte de résident même en l'absence de condamnation, si la situation de danger a néanmoins été avérée.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Mon commentaire sera similaire à celui que j’ai formulé hier à propos de l’amendement n° 38.

Il ne me semble pas souhaitable d’aller au-delà de ce que prévoit d’ores et déjà le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour ce qui concerne les personnes victimes de la traite des êtres humains ou de proxénétisme, lesquelles peuvent se voir délivrer une carte de résident en cas de condamnation définitive de la personne mise en cause.

Dans ces conditions, je vous demande, ma chère collègue, de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d'État

Même avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Madame Jarraud-Vergnolle, l'amendement n° 36 est-il maintenu ?

Debut de section - PermalienPhoto de Annie Jarraud-Vergnolle

Même si je suis intervenue au nom de mes collègues domiens, je prends l’initiative de le retirer, monsieur le président, au vu des explications de M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 36 est retiré.

Je mets aux voix l'article 20 bis.

L'article 20 bis est adopté.

Les dispositions des articles 1er et 1er bis, du I de l’article 2, des articles 5, 6, 6 bis, 7, 9 bis, 10 bis A et 10 bis entreront en vigueur le 1er octobre 2010. –

Adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 11 rectifié, présenté par Mme Laborde, MM. Collin, Barbier et Plancade, Mme Escoffier et MM. Tropeano et Vall, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi tendant à renforcer la protection des victimes, la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises spécifiquement contre les femmes, et aux incidences de ces dernières sur les enfants

La parole est à Mme Françoise Laborde.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Nous souhaitons modifier l’intitulé de la proposition de loi pour prendre en compte les trois points importants qui s’en dégagent.

Premièrement, les victimes des violences conjugales sont à la fois des femmes, des hommes et les enfants de ceux-ci.

Il est important pour moi, en tant que vice-présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, que l’intitulé de la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui soit le reflet de cette réalité et ne stigmatise pas un genre plutôt qu’un autre, sachant que l’on dénombre aussi des décès d’hommes.

Deuxièmement, certaines violences telles que les mariages forcés ou les mutilations sexuelles touchent plus particulièrement les femmes, ce qui justifie de faire figurer l’adverbe « spécifiquement ». Il en est d’ailleurs de même s’agissant des violences psychologiques.

Troisièmement, enfin, les enfants sont toujours des témoins impuissants et, à ce titre, victimes des violences au sein des couples.

Dans cette proposition de loi, la protection des enfants est élargie : le juge aux affaires familiales pourra notamment fixer les modalités d’exercice de l’autorité parentale et organiser le droit de visite et d’hébergement des enfants.

Par ailleurs, les interdictions de sortie du territoire prononcées par le juge pour protéger l’enfant dans un contexte de violences conjugales seront inscrites par le procureur de la République au fichier des personnes recherchées.

C’est pourquoi notre amendement vise aussi à mentionner dans l’intitulé de la proposition de loi l’incidence sur les enfants des violences au sein du couple.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 12, présenté par Mme Klès et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi relative aux phénomènes d'emprise et de violences au sein des couples

La parole est à Mme Virginie Klès.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Cet amendement vise à inscrire dans la loi une notion que je m’échine à faire reconnaître depuis le début de ce débat, à savoir l’emprise que l’un des membres du couple exerce sur l’autre, en utilisant des armes très particulières comme l’isolement de la victime, sa culpabilisation, son aliénation, son asservissement, l’humiliation, la destruction morale, qui plus est par le biais du chantage affectif, fondé soit sur l’histoire d’amour vécue initialement dans le couple, soit, l’un n’étant pas exclusif de l’autre, sur l’instrumentalisation et le chantage fait avec le ou les enfants qui vivent au sein du couple.

Il me semble extrêmement important, même si nous n’arrivons pas encore aujourd'hui à la faire inscrire dans la loi, d’attirer l’attention sur la notion de manipulation destructrice et d’emprise au sein d’un couple, qui est, je le répète, très différente du conflit violent. En effet, dans de telles situations, il importe de mettre la victime à l’abri pour lui permettre de récupérer, de se retrouver et de retrouver les valeurs qui sont les siennes, en sortant de cette culpabilisation dans laquelle elle est forcément entrée. Il faut réaffirmer l’autorité de la société et traiter l’auteur comme un coupable responsable de ses actes, même s’il est dans le déni.

Néanmoins, je reconnais que j’ai omis de considérer les enfants dans l’intitulé que je propose, alors qu’ils sont, en tout premier lieu et primordialement, les victimes de telles violences.

Il faut savoir que les enfants vivant au sein de tels couples pathologiques font très souvent, à l’adolescence, des fugues, des tentatives de suicide, tombent dans la délinquance et reproduisent éventuellement plus tard certains des comportements auxquels ils ont été confrontés. Il est donc extrêmement important de les mettre à l’abri à court terme comme à moyen et long terme, car l’emprise du parent destructeur persiste longtemps encore.

Dès lors, la rédaction de l’amendement n° 13 de notre collègue Roland Courteau, qui prend en compte les enfants, me semble meilleure que la mienne. En conséquence, je retire mon amendement, tout en attirant votre attention, mes chers collègues, sur la nécessité de prendre conscience du phénomène particulier qu’est la manipulation destructrice au sein d’un couple.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 12 est retiré.

L'amendement n° 13, présenté par M. Courteau, Mmes Klès et Bonnefoy, MM. Sueur, Yung, Bodin et Mirassou, Mmes M. André, Blondin, Cartron, Lepage, Schillinger, Ghali et Printz, M. Mazuir et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi relative aux violences faites aux femmes et au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants

La parole est à M. Roland Courteau.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Cet amendement a pour objet de reprendre le titre de la proposition de loi n° 118 en ajoutant la référence aux violences faites aux femmes.

Ainsi, l’intitulé de cette proposition de loi correspondrait mieux à l’ensemble des dispositions prévues dans le texte et à nos préoccupations.

Je rappelle que les dispositions contenues dans le texte à l’issue de nos travaux concernent les violences faites aux femmes en général, mais aussi au sein des couples, ce qui inclut les violences faites aux femmes et aux hommes. Sont également concernés les enfants.

À cet égard, je vous rappelle que sont décédées, en 2008, 184 personnes victimes de leur partenaire ou ex-partenaire, dont 157 femmes et 27 hommes, parmi lesquels, je le reconnais, 11 hommes violents.

De plus, selon l’Observatoire national de la délinquance, 130 000 hommes âgés de 18 à 60 ans, soit 0, 7 % d’entre eux, auraient subi, en 2005-2006, des violences par une conjointe ou une ex-conjointe. Le taux de plaintes des hommes est évalué à moins de 5 %, soit un taux deux fois moindre que celui des femmes.

C’est pourquoi nous avons proposé cette rédaction.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 42, présenté par Mmes Terrade, Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat, Schurch et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression desviolences faites aux femmes

La parole est à Mme Odette Terrade.

Debut de section - PermalienPhoto de Odette Terrade

Cet amendement a pour objet de rendre à cette proposition de loi son intitulé d’origine.

La modification de ce titre a été proposée par le rapporteur à la commission des lois, qui l’a d’ailleurs adoptée pour tenir compte des violences subies par les hommes au sein du couple.

Même si nous ne nions pas que de telles violences existent, elles ne nous paraissent toutefois pas justifier que l’on modifie le titre de la présente proposition de loi.

En effet, comme l’a lui-même implicitement reconnu M. le rapporteur, les violences subies par les hommes au sein du couple restent extrêmement marginales. Quand elles se produisent, elles sont le résultat d’un processus de violence où les femmes ont rarement l’emprise sur les hommes. C’est l’accumulation de violences des hommes à l’égard des femmes qui fait quelquefois basculer la situation au détriment des hommes.

On ne peut donc pas mettre sur un pied d’égalité les violences subies par les femmes et celles qui sont subies par les hommes au sein du couple. D’une part, cela banalise des violences qui ont justement pour spécificité d’être perpétrées à l’encontre des femmes. D’autre part, cela occulte le problème social qui est à l’origine de ces violences.

Les violences dont sont victimes les femmes au sein de leur couple s’inscrivent dans un contexte plus vaste où l’image de la femme est dégradée par une culture sexiste.

Nous nous opposons donc à une modification du titre de la présente proposition qui en dissimule son objectif premier : mettre un terme aux violences inacceptables subies quotidiennement par les femmes.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

M. François Pillet, rapporteur. L’amendement n° 13 de M. Courteau présente l’avantage de simplifier l’intitulé de la proposition de loi en regroupant l’ensemble des mesures contenues.

M. Paul Blanc applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Je vous propose donc, mon cher collègue, la rédaction suivante : Proposition de loi relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

Cet amendement ainsi rectifié deviendrait un symbole unitaire et consensuel dans la mesure où, de ce fait, j’émettrais un avis favorable sur le dernier amendement que nous examinerons ce soir. Ce serait le témoignage de l’avis favorable que nous émettons à la fois sur l’intitulé de cette proposition de lois et sur l’esprit qui le sous-tend, mais aussi sur l’ensemble de cette proposition de loi dont vous êtes l’auteur, mon cher collègue, et que nous allons voter. §

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Mon cher collègue, acceptez-vous la rectification proposée par M. le rapporteur ?

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Je remercie M. le rapporteur et j’accepte de rectifier mon amendement dans le sens qu’il suggère.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je suis donc saisi d’un amendement n° 13 rectifié, présenté par M. Courteau, Mmes Klès et Bonnefoy, MM. Sueur, Yung, Bodin et Mirassou, Mmes M. André, Blondin, Cartron, Lepage, Schillinger, Ghali et Printz, M. Mazuir et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

L'amendement n° 11 rectifié est-il maintenu, madame Laborde ?

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Je le retire avec plaisir, monsieur le président, l’intitulé proposé dans l'amendement n° 13 rectifié témoignant parfaitement du travail que nous avons, les uns et les autres, réalisé en intégrant au texte les hommes, les femmes et les enfants.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 11 rectifié est retiré.

Madame Terrade, l’amendement n° 42 est-il maintenu ?

Debut de section - PermalienPhoto de Odette Terrade

Nous retirons également notre amendement au profit de l’amendement n° 13 rectifié, monsieur le président.

En précisant les violences faites spécifiquement aux femmes, on prend en compte notre argumentation visant à ne pas banaliser les violences faites aux femmes et à ne pas mettre sur un même pied d’égalité les violences faites aux femmes et celles qui sont faites aux hommes, tout en ne niant pas, je le répète, le fait que des hommes sont aussi victimes de violences au sein du couple. Il faut garder à l’esprit le fait que ce n’est pas dans les mêmes proportions.

Cela dit, il nous reste à travailler, les uns et les autres, pour faire en sorte que disparaisse toute violence.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L'amendement n° 42 est retiré.

La parole est à M. Robert del Picchia, pour explication de vote sur l’amendement n° 13 rectifié.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Je voudrais faire une petite remarque sur les termes employés.

Il serait beaucoup plus simple de prévoir que la proposition de loi est relative aux violences faites aux femmes et au sein des couples, et de leurs incidences sur les enfants.

Au demeurant, ce n’est pas la peine d’épiloguer longtemps sur ce point, le débat a déjà assez duré…

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.

L’intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d'État

Le Gouvernement n’a pas donné son avis, monsieur le président.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

M. le président. En effet, je suis confus, madame la secrétaire d’État, j’ai oublié de vous donner la parole !

Sourires

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d'État

Je souhaite simplement rappeler que les enfants ne sont absolument pas au cœur du dispositif de la loi. Toutefois, la campagne de communication mise en œuvre par mon ministère les concerne.

Bien que cet amendement, selon moi, alourdisse l’intitulé de la proposition de loi, je m’en remets à la sagesse du Sénat, lequel a d’ailleurs eu la sagesse de voter cet amendement… avant même que je ne donne mon avis !

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Muguette Dini, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Muguette Dini

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi est très importante, car nous allons être le premier pays du monde à reconnaître le délit majeur de violence psychologique, qui est défini à l’article 17.

Nous aurons alors fait un pas considérable dans la protection de la femme victime de violences. Je crois que nous aurions pu aller plus loin, en particulier en ce qui concerne la définition de la violence psychologique et de la manipulation. S’agissant de l’utilisation du bracelet électronique, je regrette que l’amendement n° 66, proposé par le Gouvernement, n’ait pas été retenu.

Il en est de même des dispositions concernant la protection des enfants. L’article 3 de ce texte s’appuie sur un principe cardinal selon lequel « chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant », conformément aux termes de l’article 373-2 du code civil. Si ce genre de principe vaut tout naturellement pour les parents « normaux », il ne peut s’appliquer pour des parents manipulateurs destructeurs.

Les magistrats pensent souvent qu’il est important que les enfants maintiennent le lien avec leurs deux parents. Pourtant, ce qui coule de source lorsque les parents sont « sains » devient une poursuite de la maltraitance lorsque l’un d’eux est manipulateur destructeur. Cela revient à obliger un enfant à se jeter dans la gueule du loup. Cette maltraitance constitue un danger, qui doit conduire le juge à ne pas instaurer les modalités habituelles de droit de visite, et ce jusqu’à la majorité de l’enfant.

Par ailleurs, on oublie qu’un conjoint manipulateur destructeur l’est aussi avec ses enfants et que ce qui s’applique à un conflit parental ordinaire ne peut s’appliquer à l’auteur d’agressions physiques et, bien plus encore, psychiques sur son conjoint.

C’est pourquoi, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voterai cette loi en étant persuadée que nous devrons légiférer très vite sur une protection renforcée des enfants de ces victimes ravagées par la manipulation et la violence psychologique.

Mme Anne-Marie Payet applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Même si je n’ai pas toujours été d’accord avec tout le monde, j’estime que cette proposition de loi constitue une grande avancée, très attendue par les victimes des phénomènes d’emprise, beaucoup plus que par les victimes de conflits, fussent-ils violents.

Sans doute le point le plus important est-il la création d’une ordonnance de protection des victimes. Je rappelle qu’il s’agit, contrairement à ce qui a pu être compris – le débat s’est en effet nourri de termes juridiques parfois difficilement accessibles –, du maintien de la séparation ou de l’interdiction à l’auteur des violences de rencontrer la victime, avec le maintien de moyens contraignants pour l’en empêcher.

En ce qui concerne le placement de l’auteur des violences sous surveillance électronique mobile, nous avons avancé. Il répond à une situation totalement différente de celle qui préside à la délivrance d’une ordonnance de protection, puisqu’une telle mesure intervient après la condamnation de l’auteur des violences, c'est-à-dire à un moment où, en toute logique, la victime a pu se restructurer, retrouver des forces et est normalement en état de se défendre contre son agresseur.

Je regrette une fois de plus que la distinction entre conflit et phénomène d’emprise n’ait pas été clairement affichée. En effet, les mesures à prendre dans ces deux cas bien distincts ne sont pas les mêmes.

Je rejoins les propos de Mme Dini concernant la nécessité de modifier la loi en matière d’autorité parentale. Un parent manipulateur destructeur ne peut pas être un parent aimant et structurant, et la société a le devoir de prendre cet aspect en considération.

Pour terminer, je voudrais simplement dire à toutes les victimes, hommes ou femmes, celles que j’ai rencontrées moi-même à ma permanence de mairie ou de sénatrice, mais aussi à toutes celles qui se sont confiées, qui ont trouvé une oreille attentive et saisi une main tendue, que nous les avons entendues. Je sais que le chemin sur lequel elles se sont engagées est long, difficile et semé d’embûches, de culpabilisations, de doutes, de larmes, d’avancées et de reculs.

Nous ne les trahirons pas, nous ne les lâcherons pas ! Nous continuerons de faire évoluer la loi pour mieux aider ces femmes et leurs enfants à s’en sortir.

Nous voterons donc cette proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce sujet méritait bien les longues soirées que nous y avons consacrées.

Après la loi du 4 avril 2006 que nous avons ici initiée et adoptée à l’unanimité et qui, pour reprendre les termes de Françoise Laborde, a permis « le déclenchement d’une dynamique sociale, judiciaire et législative », ce deuxième texte constitue bien une importante étape dans la lutte contre le fléau des violences au sein des couples en général et faites aux femmes en particulier.

Je note que les principales dispositions de notre proposition de loi n° 118 se retrouvent dans ce texte commun, ce dont le groupe socialiste se réjouit. Je souhaite également exprimer toute ma satisfaction à la suite de l’adoption de plusieurs de nos amendements, notamment celui qui concerne la prévention, que j’estime essentiel : il vise en effet à fournir, à tous les stades de la scolarité, une information consacrée à l’égalité entre les hommes et les femmes et à lutter contre les préjugés sexistes. Je me félicite également de l’adoption de l’amendement visant à instituer une journée nationale de sensibilisation aux violences faites aux femmes.

Nous avons, je le crois sincèrement, fait œuvre utile en matière de prévention. Ce volet, je vous le fais remarquer, mes chers collègues, était absent de la loi du 4 avril 2006.

Ce texte comporte par ailleurs des avancées concrètes significatives, que nous applaudissons, même si l’on ne peut que regretter l’irrecevabilité qui nous a été opposée sur certains articles. Je pense à la formation initiale et continue des intervenants, à la création de structures de soin auprès des tribunaux pour les auteurs de violence, ou encore à la mise en place d’un observatoire national des violences faites aux femmes.

Il sera nécessaire de traiter très rapidement ces questions, madame la secrétaire d’État. Cela dit, ne gâchons pas notre plaisir et notre satisfaction d’avoir franchi une deuxième étape importante dans la lutte contre ce fléau ! Une fois de plus, l’unanimité semble se dessiner ; c’est bien le moins que l’on pouvait espérer.

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je crois que le Sénat, une fois encore, peut être fier du travail accompli dans ce domaine. Je remercie à cet égard M. le président de la commission des lois, M. le rapporteur, ainsi que l’ensemble de leurs collaborateurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Odette Terrade

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous arrivons au terme de la discussion de cette proposition de loi relative aux violences faites spécifiquement aux femmes et aux violences au sein du couple et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

Si les débats ont permis d’enregistrer de réelles avancées, notamment la création de l’ordonnance de protection, en matière de reconnaissance des violences faites aux femmes par l’ensemble de notre société, ils ont aussi souligné les limites de la loi pour des motifs budgétaires. Je pense notamment au fait que la création d’un observatoire national des violences faites aux femmes est remplacée par un simple rapport ou à l’abandon de mesures fortes concernant la formation initiale et continue de l’ensemble des professionnels intervenant auprès des victimes.

Je regrette vivement une telle situation, car notre société a tout à gagner à faire le pari de protéger toutes les victimes, et ce dès les premières violences. Il est nécessaire de faire cesser ces violences et de mettre en sécurité les victimes, afin de mieux faire respecter leurs droits en leur permettant d’obtenir justice et réparation pour les violences subies.

Si la protection des victimes est un élément primordial, le suivi des auteurs est aussi un axe important pour que cessent enfin les violences faites aux femmes. À cet égard, la proposition de loi marque une nouvelle avancée.

Toutefois, aucune mesure répressive ne doit se dissocier de soins précoces pour sortir les auteurs des violences de leur addiction et, de ce point de vue, on peut regretter le rejet de l’amendement qui concernait le suivi socio-judiciaire. Il aurait également fallu prévoir un véritable travail d’information et les moyens nécessaires pour une éducation non sexiste. Cet aspect restera sans doute l’une des lacunes de ce texte.

En évitant la généralisation et la banalisation des violences exercées contre les femmes, nous pouvons nous opposer à la progression de la violence sexiste et avancer ainsi vers une société moins inégalitaire. Ce changement de mentalité ne devra pas s’arrêter en si bon chemin !

Mes chers collègues, pour lutter contre les violences faites aux femmes, il faut une volonté politique déterminée afin de protéger toutes les victimes en leur rendant une justice efficace, avec des professionnels formés pour leur prise en charge des victimes, une opinion publique informée et sensibilisée aux conséquences et aux mécanismes de la violence faite aux femmes.

On peut considérer que cette proposition de loi est une étape, après les lois de 2006, vers le but final qui est l’élimination des violences faites aux femmes, afin de construire une société respectueuse des droits de l’être humain et juste envers toutes les femmes.

Mes collègues du groupe CRC-SPG et moi avons le courage politique nécessaire pour œuvrer en ce sens. C’est la raison pour laquelle nous voterons pour cette proposition de loi, même si beaucoup de travail reste encore à faire.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, particulièrement attachés à la protection et à la défense des femmes et des hommes contre toute forme de harcèlement ou de violence physique ou psychologique, le groupe UMP et moi-même nous réjouissons de l’examen de cette proposition de loi.

Si je me félicite que, sur l’initiative de notre majorité, l’évolution législative ait conduit à un droit de plus en plus protecteur, il fallait aller encore plus loin. À cet égard, la proposition de loi examinée aujourd’hui est une nouvelle pierre à l’édifice de la lutte contre les violences à travers ses trois dimensions : prévention, accompagnement des victimes et lutte contre la récidive.

Grâce à l’apport majeur que constitue l’ordonnance de protection, nous pouvons désormais sécuriser en amont la situation des victimes, avant toute intervention du juge pénal, ce qui constitue une excellente chose.

Je tiens par ailleurs à remercier Mme la secrétaire d’État pour son engagement, sa passion et sa présence au cours de ces trois longues soirées passées sur ce texte. Je tiens enfin à souligner l’excellent travail, approfondi et rigoureux, du rapporteur, à l’initiative duquel la commission des lois a su trouver le juste équilibre entre une meilleure répression des violences faites aux femmes, et plus largement des violences conjugales, et la nécessité de préserver nos libertés publiques.

Pour toutes ces raisons, et se félicitant de l’atmosphère de consensus qui a présidé à nos travaux, le groupe UMP votera cette proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryvonne Blondin

Je me félicite à mon tour de la qualité du travail accompli, qui fait honneur à notre Haute Assemblée.

Je suis membre de la délégation parlementaire du Conseil de l’Europe, qui rassemble quarante-sept États, et dont l’objectif est d’affirmer la primauté du droit, de favoriser un espace démocratique et juridique commun, en se fondant notamment sur la convention européenne des droits de l’homme.

De nombreux rapports, très fouillés et fort intéressants, ont été présentés sur les violences faites aux femmes, aux enfants, et sur la traite des êtres humains.

Mme Claude Greff, députée française, vient de déposer une proposition de résolution qui porte précisément sur les violences psychologiques faites aux femmes, sujet qui n’était pas vraiment étudié dans les autres rapports.

Pour être examinée, cette proposition de résolution, que j’ai bien entendu signée, doit recueillir la signature de vingt parlementaires de nationalités différentes. Le Conseil de l’Europe pourra alors engager une réflexion sur ce sujet. Je suis fière que la France ait été, comme l’a rappelé Mme Dini, le premier pays à reconnaître le délit majeur de violence psychologique.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Tous les membres du RDSE voteront cette proposition de loi.

Je ne reviendrai pas sur les avancées que comporte ce texte, dont nous pouvons tous nous féliciter, chacun à notre niveau, ni sur les difficultés que soulèvera sans doute pour certains l’application des dispositions que nous allons adopter.

En dépit des obstacles qui s’opposaient à nous, nous devions cette loi aux victimes de violence. La belle unanimité qui se dessine ce soir au Sénat ne doit pas amollir notre détermination : nous ne devons pas nous endormir sur nos lauriers.

La vigilance et les rendez-vous de revoyure seront nécessaires. Je tiens à remercier M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois, Mme Muguette Dini, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, Mme la secrétaire d’État, les présidents de séance qui se sont succédé et tous nos collègues qui ont beaucoup travaillé : nous en sommes très fiers.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

La proposition de loi est adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

M. le président. Je constate que la proposition de loi est adoptée à l’unanimité des présents.

Applaudissements sur l’ensemble des travées

Debut de section - Permalien
Nadine Morano, secrétaire d'État

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous venons, ensemble, de franchir un grand pas dans la lutte contre les violences inacceptables faites aux femmes, les mariages forcés, les viols. N’oublions jamais les incidences qu’ont ces violences sur les enfants. Je me félicite que nous ayons renforcé notre arsenal législatif en y introduisant notamment des moyens technologiques pour mieux protéger les femmes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le vote de cette proposition de loi à l’unanimité du Sénat, venant après celui de l’Assemblée nationale, montre que c’est la nation tout entière qui se mobilise dans la lutte contre les violences faites aux femmes, déclarée « Grande cause nationale 2010 ».

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Ce vote est tout à l’honneur de notre assemblée, à l’honneur de tous nos collègues qui ont animé les discussions.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 28 juin 2010, à quatorze heures trente et le soir :

1. Conclusions de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant engagement national pour l’environnement.

Rapport de M. Bruno Sido et M. Dominique Braye, rapporteurs pour le Sénat (567, 2009-2010).

2. Proposition de résolution, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative à la mise en œuvre de la contribution économique territoriale (538, 2009-2010).

3. Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, de réforme des collectivités territoriales (527, 2009-2010).

Rapport de M. Jean-Patrick Courtois, fait au nom de la commission des lois (559, 2009-2010).

Texte de la commission (n° 560, 2009-2010).

Avis de M. Jacques Legendre, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (573, 2009-2010).

Avis de M. Charles Guené, fait au nom de la commission des finances (574, 2009-2010).

Rapport d’information de Mme Michèle André, fait au nom de la délégation aux droits des femmes (552, 2009-2010).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée à vingt et une heures trente-cinq.