Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de nos collègues socialistes prévoit l’introduction en droit français d’une action collective au bénéfice des consommateurs, plus communément appelée « class action » ou « action de groupe ».
Cette procédure, susceptible de recouvrir des réalités très différentes, correspond à une action de procédure civile permettant à un ou plusieurs requérants d’exercer, au nom d’une catégorie de personnes, une action en justice. Elle permet une mutualisation des moyens et une économie de coûts procéduraux qui lui confèrent, dans certains cas, l’attractivité que les actions individuelles n’ont pas.
Cette idée de l’action de groupe, c’est un peu l’Arlésienne de la procédure française : on l’attend depuis des années, mais on ne la voit toujours pas venir ! Il est vrai qu’elle pose un épineux dilemme dont il conviendra de sortir un jour ou l’autre : d’une part, la crainte des dérives de l’action de groupe et de leur effet négatif sur l’économie ; d’autre part, la volonté d’apporter au consommateur victime la réparation à laquelle il a droit et dont il est de fait privé, sans mettre en danger les activités de nos entreprises.
Il convient de rappeler que d’autres États, et non des moindres, l’ont déjà intégrée dans leur législation. C’est le cas, en Europe, de l’Allemagne, de l’Angleterre, de l’Italie, des Pays-Bas, du Portugal et de la Suède. Les États-Unis et le Canada l’ont également mis en place depuis bien longtemps.
Au sein de l’Union européenne, l’action de groupe est une innovation récente, voire, parfois, expérimentale. Selon les cas, le champ de cette procédure peut être restreint ou peut s’étendre à l’ensemble des actions civiles. Si certains États européens ont choisi de conférer une compétence générale aux tribunaux ordinaires, d’autres ont limité le jugement des actions de groupe à quelques juridictions. Les conditions de recevabilité des demandes sont, dans tous les États, encadrées de façon stricte : l’Allemagne et l’Angleterre, par exemple, ont institué un système spécifique d’« action modèle », qui permet aussi d’éviter la multiplication des recours dans des affaires portant sur des objets analogues.
Enfin, il convient d’insister sur le fait que les mécanismes d’action collective mis en place dans ces législations européennes n’ont pas entraîné de faillites significatives ou d’effets notables sur la vie des affaires.
L’exemple américain ne saurait constituer en l’occurrence un modèle à suivre. Si l’action de groupe, du fait de son ancienneté, est reconnue comme partie intégrante du système juridique américain, elle fait l’objet de nombreuses critiques, du point de vue tant de la procédure que de certaines dérives découlant de son usage.
Sur le plan procédural, elle est difficilement transposable dans notre droit du fait de profondes différences entre nos systèmes juridiques. En outre, le coût de ces actions est également jugé exorbitant et leur croissance aurait des effets directs sur l’économie américaine, notamment en termes de faillites d’entreprises. Enfin, le système de rémunération des avocats américains - un pourcentage sur les indemnités obtenues - profiterait plus aux avocats qu’aux victimes et, dans ce cas, l’action de groupe serait source de conflits d’intérêt.
Forte de l’expérience étrangère, mais convaincue aussi de la nécessité de protéger davantage les consommateurs, la commission des lois de notre assemblée a mis sur pied un groupe de travail dont les conclusions ont été récemment publiées.
Tout en soulignant la particularité de l’action de groupe, ces conclusions dénoncent l’immobilisme de notre droit et de notre système judiciaire, qui n’offrent actuellement aucun mécanisme satisfaisant pour assurer, par la mutualisation des coûts de procédure, la juste réparation des dommages à laquelle ont droit les consommateurs.
Il est donc nécessaire d’instituer une procédure d’action de groupe à la française, encadrée par les principes de la procédure civile française et les règles déontologiques de la profession d’avocat. Outre une protection effective accrue des consommateurs, cette procédure nouvelle permettrait de prendre en compte les évolutions tant européennes qu’internationales en matière d’action collective.
L’absence d’action de groupe en droit français empêche trop souvent la réparation des préjudices de faible montant subis par les consommateurs dans les actes de la vie quotidienne. L’action individuelle demeure trop coûteuse, en raison des frais d’avocat occasionnés par une procédure judiciaire, au regard du montant attendu des dommages et intérêts. En mutualisant le coût de l’action entre tous les consommateurs lésés dans le cadre d’un préjudice de masse, l’action de groupe remédierait au découragement à agir.
En réalité, le consommateur se limite plutôt à une tentative de règlement amiable avec le professionnel concerné, sans envisager d’aller plus loin et d’entamer une action judiciaire. Un grand nombre de préjudices de faible montant sont ainsi susceptibles de demeurer, en pratique, sans aucune réparation, tandis que la responsabilité des professionnels concernés ne peut être concrètement engagée. Cette situation ne peut plus durer, nous sommes tous d’accord sur ce point-là.
La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui, tout en tenant compte des travaux déjà effectués par la commission des lois, tend à bousculer l’immobilisme juridique actuel en transformant l’action en représentation conjointe, qui avait été créée et définie par la loi du 18 janvier 1992, en action de groupe au service exclusif des consommateurs.
Aujourd’hui, l’action en représentation conjointe est la seule action que les associations de consommateurs peuvent exercer en vue d’obtenir la réparation de préjudices individuels : c’est elle qui, dans notre droit, se rapproche le plus de l’action de groupe stricto sensu. Elle n’a cependant connu que de trop rares applications du fait du nombre limité d’appels aux victimes et de l’absence de voies efficaces de collecte des mandats pour agir en justice, mandats qui ne peuvent être sollicités que par voie de presse.
La proposition de loi confirme l’enjeu des recours collectifs dans l’évolution de notre droit en visant à lutter contre les pratiques illicites de certaines entreprises. La question qui se pose est donc non pas celle de son intérêt, mais bien celle de son efficacité.
La majorité du groupe du RDSE estime que le texte proposé ouvre une brèche innovante, respectueuse de la tradition juridique française comme de la compétitivité des entreprises françaises, et qu’il est susceptible de répondre à l’exigence de renforcement de la protection des consommateurs. La plupart des consommateurs choisissant de ne pas se défendre judiciairement compte tenu des coûts et de la complexité de la procédure, la proposition de loi favorise l’investissement des citoyens dans l’action publique, dont l’efficacité et la crédibilité seraient ainsi renouvelées.