Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui sur ce que l’on appelle « l’action de groupe » et la proposition de loi sur le « recours collectif » présentée par nos collègues socialistes appellent dans un premier temps un certain nombre d’observations formelles.
Voilà un certain temps, pour ne pas dire un temps certain, que la question de la transposition en droit français de la procédure de recours collectif est posée. Nicole Bricq vient d’indiquer que cela faisait au moins vingt ans ; nous pouvons faire confiance à sa mémoire, car, dans l’autre assemblée, notre collègue a rapporté notamment sur les questions de consommation et de services financiers…
Très ancienne demande des associations de consommateurs, annoncée par le président Jacques Chirac dès 2005, l’institution de la procédure de « class action » à la française a été réaffirmée comme une solution pertinente en 2008 par Luc Chatel, lors de la discussion de la loi de modernisation de l’économie, la loi LME. Vous-même, monsieur le secrétaire d’État, nous avez souvent dit ici la même chose.
Plusieurs rapports commandés par le Gouvernement ont mis en évidence cette même nécessité d’introduire dans notre droit une procédure d’action collective.
À plusieurs reprises, ici même, dans notre assemblée, à l’occasion de la discussion de projets de loi les plus divers, cette procédure de recours collectif a été évoquée… et toujours repoussée !
Aujourd’hui, force est de constater que, au terme de la présente législature, rien ne semble avoir durablement avancé sur le sujet.
Un groupe de travail de la commission des lois a bien rendu un rapport recommandant que, sous certaines formes – ce ne sont pas tout à fait celles de la proposition de loi, on s’en doute, eu égard à la simple observation du rapport des forces politiques au sein de notre assemblée –, le recours collectif trouve sa place dans notre législation.
Toutefois, que lit-on dans le compte rendu des travaux de la commission des lois ?
Je cite le rapporteur, Laurent Béteille : « Il était matériellement impossible d'élaborer dans ces délais un texte inspiré de notre groupe de travail. J'ai entendu en audition la Chancellerie et Bercy. La première est assez positive, quoique prudente ; elle a émis des suggestions et l'on peut faire quelque chose qui tienne la route : il est possible d'aboutir assez vite à une proposition de loi. »
Quant au président de la commission, Jean-Jacques Hyest, il s’exprime ainsi : « Nous demanderons alors l'inscription au nom de la commission, de manière à avoir le temps d'examiner tous les aspects de la proposition de loi, comme nous l'avons fait sur un autre sujet complexe pour le numérique avec la proposition Escoffier-Détraigne. »
Si je résume, la proposition de loi de nos collègues socialistes n’est pas au point ; elle l’est d’ailleurs si peu que la commission des lois, quoique vigilante, recommande de ne pas la voter – ce qui fournit une nouvelle illustration, ô combien remarquable, de ce que sont les droits de l’opposition après la révision constitutionnelle –, et s’en remet donc à la sagesse du Gouvernement pour écrire un projet de loi. À défaut, la commission se sentira dans l’obligation – quand ? on ne sait pas ! – de rédiger elle-même un texte sur le sujet en s’appuyant sur les conclusions du rapport du groupe de travail qu’elle a mis en place.
Mes chers collègues, de qui se moque-t-on ? À quoi sert donc le droit d’amendement si même la commission des lois se refuse à apporter toute correction qu’elle jugerait utile à un texte soumis par l’un des groupes politiques de notre assemblée ? D’autant que, la procédure accélérée n’étant pas enclenchée sur une telle proposition de loi, le temps peut utilement servir à faire évoluer les choses dans le bon sens !
Pourquoi ne décide-t-on pas, en adoptant cette proposition de loi, de faire enfin le premier pas sur la longue route du recours collectif, qui n’a que trop attendu ?
Comprenez, chers collègues de la majorité, que nous ne comprenions pas !
Sur le fond, la réalité est encore bien plus crue, en tout cas de notre point de vue. Ces arguties formelles et ces promesses solennelles ne visent en effet qu’à une seule chose : masquer le fait que certains milieux ne voient pas d’un bon œil l’introduction de l’action de groupe dans notre droit. Comme le dit simplement le rapporteur, le « MEDEF freine » et le Gouvernement attend que l’Europe avance…
L’action de groupe à la française sera-t-elle, comme l’Arlésienne, la belle que l’on attend toujours et qui ne vient jamais ?
Pour le coup, voyez-vous, la compétitivité des entreprises a bon dos !
La vérité, c’est que le Gouvernement comme le MEDEF appellent « réformes » ce qui n’est que la traduction législative de leurs orientations, ne cherchent qu’à aboutir à un système où l’action de groupe sera comme un fleuret moucheté et, surtout, essaient d’estomper la responsabilité éventuelle des entreprises par allégement du volet pénal du droit des sociétés !
Nous ne pouvons accepter de telles orientations, et nous aurions mille fois préféré discuter, quitte à l’amender, la présente proposition de loi. Monsieur le secrétaire d’État, il ne suffit plus de constater les convergences et de louer les rapports de très grande qualité, il est urgent de passer aux actes !
Dans cette attente, nous ne suivrons pas les conclusions de la commission des lois.