Fuite des capitaux ou des actionnaires, je ne sais, mais c’est en tout cas une fuite du droit !
L’introduction dans notre droit d’une procédure de recours collectif permettrait d’éviter que des particuliers ne soient contraints de faire appel à la justice américaine.
Nous avons donc déposé, dès avril 2006, avec mon excellente collègue Nicole Bricq, une proposition de loi tendant à l’introduction du recours collectif dans le droit français. Celle-ci étant devenue caduque en 2009 du fait du règlement du Sénat, nous l’avons redéposée en février 2010.
Nous sommes bien sûr conscients que notre texte peut encore être amélioré. Celui-ci a été rédigé il y a quatre ou cinq ans et notre réflexion a entre-temps évolué, si bien qu’il existe une importante marge d’amélioration. Mais nous avons redéposé ce texte afin de susciter un débat sur la question. Si nous ne l’avions pas fait, la présente discussion n’aurait pas pu avoir lieu.
Nous avons souhaité nous inscrire dans le prolongement des efforts entrepris pour démocratiser l’accès à la justice, comme la loi Neiertz de 1992.
Je rappelle que, en 2007, le programme socialiste pour l’élection présidentielle prévoyait l’ouverture de la possibilité de mener des actions de groupe. L’introduction d’une procédure de recours collectif permettra de démocratiser l’accès à la justice, de restaurer la confiance entre citoyens et professionnels et de renforcer les nécessaires contre-pouvoirs.
Un citoyen n’est plus seulement un consommateur passif ; il doit devenir un « consommacteur ». Dans une société marquée par le désengagement et le repli sur soi, l’action de groupe pourra restaurer la confiance dans l’action collective.
Je l’ai dit, le dispositif que nous avons conçu n’est pas parfait, mais notre réflexion a été guidée par la nécessité de créer une procédure équilibrée et compatible avec la tradition juridique française.
Nous sommes favorables à ce que le champ d’application de ce dispositif soit large. En effet, s’il est limité au seul secteur de la consommation, les droits des citoyens se trouveront restreints dans d’autres domaines. Pourquoi priver les victimes d’un dégât environnemental de la possibilité d’intenter une action en justice, alors que le consommateur de nouvelles technologies de l’information et de la communication serait, lui, dédommagé du préjudice résultant de la défectuosité de son téléphone ? À mon avis, l’ouverture du recours collectif aux victimes d’un préjudice matériel en matière d’environnement ou de santé permettra de sortir de la problématique consumériste.
Nous avons renvoyé la définition du champ d’application du dispositif à un décret en conseil des ministres, afin de faciliter son adaptation au fil du temps. D’ailleurs, la même démarche avait été suivie en matière d’action en représentation conjointe.
Dans notre rapport, nous proposons de limiter le champ de l’action de groupe à la consommation, au droit de la concurrence et au droit financier et boursier. C’est là, à mon sens, une délimitation claire, sans être trop restrictive. En outre, nous prévoyons une clause de revoyure à trois ans.
Par ailleurs, nous entendons réserver l’initiative du recours collectif aux associations agréées, qui devront être mandatées par au moins deux personnes. Nous ne souhaitons pas que les cabinets d’avocats puissent engager directement une action : il convient d’éviter les dérives procédurières, ainsi que d’éventuels chantages juridiques.
Notre collègue Laurent Béteille a insisté sur la nécessité de limiter l’initiative aux seules associations nationales et de permettre à plusieurs associations d’engager ensemble une action. Nous approuvons tout à fait cette remarque.
En outre, M. Béteille considère que la sollicitation publique des mandats risquerait de porter atteinte à l’image et à la réputation des entreprises avant même que leur responsabilité ait été reconnue. Lors des auditions, je me suis rendu compte que c’est le principe même du mandat qui pose problème. Il serait donc préférable de renoncer à l’obligation de recueillir des mandats pour déclencher une procédure.
Enfin, nous proposons que les actions de groupe relèvent de la compétence d’un nombre limité de tribunaux de grande instance. Il s’agit non pas de spécialiser les juges, comme cela a été fait en matière de propriété industrielle, mais simplement de retenir des tribunaux dont le greffe est suffisamment étoffé.
Pour ce qui concerne la procédure en tant que telle, nous suggérons qu’elle se déroule en deux temps, comme cela a déjà été exposé.
Au cours de la première phase, le juge de première instance examinerait la recevabilité et l’opportunité du recours introduit par une association agréée. Il vérifierait notamment l’existence d’un préjudice de masse et identifierait la faute du défendeur, avant de se prononcer sur la responsabilité du professionnel.
Cette première décision pourrait faire l’objet d’un recours. Cela constitue une garantie, monsieur le secrétaire d'État, même si la procédure risque de s’en trouver rallongée d’un ou même de deux ans. Nous devrions d’ailleurs également envisager un droit d’information du procureur de la République : dans la mesure où ce dernier défend l’intérêt général, il doit pouvoir s’exprimer.
Une fois cette décision passée en force de chose jugée, le juge procéderait à l’évaluation individuelle des préjudices de chaque victime ou de chaque famille de victime. C’est le principe de l’opt-in, que nous avons retenu pour des raisons qui ont déjà été explicitées. Nous éviterons ainsi les dérapages qui peuvent être reprochés au système américain.
Concernant la procédure, nous avons tenu compte de votre observation relative à la médiation, monsieur le secrétaire d'État. Nous prévoyons en effet une phase de médiation. Certes, comme le MEDEF, vous demandez qu’elle intervienne en amont de la procédure… §Je dis cela sans mauvaise intention aucune, monsieur le secrétaire d’État ! Pour notre part, nous prévoyons que la médiation prenne place, de façon optionnelle, entre les deux phases de la procédure.
Enfin, après réflexion, je pense qu’une indemnisation directe des victimes par l’entreprise serait préférable à une répartition des dommages et intérêts par les associations.
Contrairement au sentiment qui a pu être donné par M. le rapporteur ou par M. le secrétaire d’État, je crois qu’un très large accord existe sur l’ensemble de ce dossier, qu’il s’agisse de l’architecture du dispositif ou des principes retenus. Nous sommes prêts à modifier notre proposition de loi sur un certain nombre de points pour prendre en compte les recommandations du groupe de travail, qui a vraiment œuvré au fond, notamment en auditionnant de nombreuses personnes.
Pour ma part, je suis tout à fait disposé à élaborer avec M. Béteille dans un délai raisonnable un texte commun, sur la base de la présente proposition de loi, améliorée de toutes les propositions qui ont été formulées. L’échéance pourrait être fixée à la fin de l’année.