Intervention de Marie-Agnès Labarre

Réunion du 24 juin 2010 à 15h00
Égalité des chances dans l'enseignement primaire et secondaire — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Marie-Agnès LabarreMarie-Agnès Labarre :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l’égalité des chances dans l’enseignement primaire et secondaire était un objectif réellement partagé dans notre pays, nous n’aurions pas à faire ce constat alarmant : selon les comparaisons internationales réalisées par l’OCDE en matière de résultats scolaires, l’écart se creuse en France entre les meilleurs élèves et les plus faibles.

Le rapport de la Cour des comptes de mai 2010 intitulé « L’éducation nationale face à l’objectif de réussite de tous les élèves » révèle que 21 % de nos jeunes éprouvent des difficultés sérieuses en lecture au terme de la scolarité obligatoire. Oui, plus d’un jeune sur cinq n’a pas acquis les bases fondamentales de l’enseignement primaire à 16 ans !

Qui sont ces élèves réputés faibles ? Sont-ils nés au mauvais endroit au mauvais moment ? Ne sont-ils pas plutôt nés, c’est le cas de le dire, dans la mauvaise classe ? La France, toujours selon la Cour des comptes, est l’un des pays où le destin scolaire d’un enfant est fortement corrélé à ses origines sociales.

Quelques chiffres suffisent à le rappeler : en 2008, 78, 4 % des élèves issus de catégories sociales favorisées ont obtenu un bac général, contre 18 % des élèves venant d’un milieu social défavorisé ; 20 % d’une classe d’âge sort du système scolaire sans diplôme ou avec le seul brevet. On devine de quels milieux sont issus ces « sans-grade »… Par ailleurs, la hiérarchie entre bac général, bac professionnel et bac technologique correspond à une certaine forme de « hiérarchie sociale ».

En clair, l’éducation nationale échoue à combler les inégalités les plus criantes. Elle les entretient même depuis longtemps, malgré les signaux d’alarme envoyés par les enseignants, qui militent notamment pour un renforcement de la mixité sociale, facteur d’entraînement des élèves issus d’un milieu culturellement pauvre, pour que la France se donne les moyens de ses ambitions proclamées et pour que ces moyens, dont l’affectation est jugée « illisible » par la Cour des comptes, soient correctement répartis, précisément évalués au regard de l’efficacité, pour une forme de discrimination positive, plus de moyens devant être alloués là où les besoins sont les plus grands, là où les fossés à combler sont le plus profonds, pour une amélioration de la formation, qui permette d’apprendre le métier « pour de vrai », et non d’obtenir un diplôme universitaire, fût-il de niveau « bac+5 », ne reflétant, contrairement aux diplômes de sortie de nos regrettées écoles normales d’instituteurs, l’acquisition d’aucune compétence professionnelle.

C’est parce que notre groupe partage l’aspiration des parents, des élèves et des enseignants à ce que l’école, le service public de l’éducation deviennent le lieu de la justice et de la réussite pour tous que ses membres estiment que l’école publique doit être repensée pour relever le défi majeur de l’égalité de tous les élèves face au système scolaire, quel que soit leur milieu social, culturel ou économique d’origine.

Nos élèves en échec ont aussi bien mal choisi le moment de se présenter au guichet de la relégation sociale, à l’heure où le Gouvernement multiplie les réformes, dont certaines constituent de véritables provocations au regard de la situation que je viens de décrire.

Ainsi, le Gouvernement applique de façon totalement irresponsable à l’éducation nationale sa révision générale des politiques publiques, la trop fameuse RGPP, qui, selon une logique purement comptable, prévoit le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux et un cortège de suppressions d’emplois : 16 000 en 2010 et 17 000 envisagées en 2011.

La conséquence immédiate de l’application de cette politique est l’augmentation du nombre d’élèves par classe. Pour se justifier, le ministère affirme que « les études et expériences les plus récentes indiquent que la diminution des effectifs dans les classes n’a pas d’effet avéré sur les résultats des élèves ».

Cette contre-vérité est battue en brèche par une étude de Thomas Piketty et de Mathieu Valdenaire commandée en 2006 par la direction de l’évaluation et de la prospective du ministère. L’évidence s’exprime en ces termes : « l’allégement même d’un seul élève de l’effectif d’une classe conduit à une amélioration notable de la moyenne des enfants, particulièrement en primaire, pour les enfants en difficulté », spécialement dans les zones d’éducation prioritaire.

L’éducation nationale n’avait pas besoin de cette nouvelle cure d’austérité : notre pays ne lui consacre déjà plus que 3, 9 % de son PIB, contre 4, 5 % en 1995. Cette baisse a fait passer la France du deuxième au onzième rang des pays de l’OCDE.

Cela est d’autant plus révoltant que, en parallèle, de plus en plus de cadeaux sont faits à l’enseignement privé payant, par nature profondément inégalitaire : pas moins de 9 milliards d’euros sont ainsi consacrés chaque année au financement des établissements privés, qui ont bénéficié quant à eux d’un doublement du nombre de postes ouverts aux concours du CAPES en 2010.

Quand le Gouvernement « assouplit » la carte scolaire, le résultat est immédiat : l’apartheid scolaire se renforce. Comme l’a souligné le rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale de juin 2008, cet assouplissement favorise la « ghettoïsation des établissements scolaires », par des stratégies d’évitement des établissements où les résultats scolaires sont les plus faibles, ou qui sont réputés « dangereux ».

La Cour des comptes elle-même met en exergue le fait que « sur les 254 collèges “ambition réussite”, 186 établissements ont perdu des élèves, ce qui s’est traduit par une plus grande concentration dans ces collèges des facteurs inégalitaires contre lesquels doit lutter la politique d’éducation prioritaire ».

Quand le Gouvernement supprime les instituts universitaires de formation des maîtres, il fait des économies comptables à court terme : il sait qu’il multiplie les risques d’affaiblissement de la qualité de l’enseignement, ce dont certains paieront le prix plus tard.

Quand il supprime 3 000 postes dans les RASED, il sait aussi que ce faisant il n’agit pas, comme il ose le prétendre, dans le sens d’une réduction des inégalités et des risques d’échec. Il nie la spécificité et l’utilité d’un accompagnement effectué par des enseignants spécialisés, chargés d’aider les élèves en difficulté en matière d’apprentissage ou d’adaptation à l’école.

Comment tolérer cette politique éducative qui abandonne les plus faibles ? Ces jeunes en difficulté se trouvent relégués dans des filières injustement mésestimées, réorientés vers un enseignement professionnel et technologique qu’ils n’ont pas choisi pour lui-même, mais parce que c’est là qu’aboutissent tous ceux qui ont vu se fermer devant eux les portes de l’enseignement général. Cette discrimination négative de l’enseignement professionnel et technologique doit aussi être combattue.

Enfin, peut-on dire que la fermeture des petites écoles de moins de deux classes est de nature à faciliter la réussite scolaire ? La France est plus riche qu’au début du xxe siècle, mais elle ne pourrait plus s’offrir ces petites écoles de village ?

Le Gouvernement affiche une politique en faveur de l’égalité des chances mais, en réalité, au-delà des discours et de la communication, il met aujourd'hui en place des mesures profondément inégalitaires dans l’éducation nationale comme dans les autres domaines.

C’est pourquoi je veux, avec plus de vigueur que jamais, réaffirmer l’importance du secteur non économique de la connaissance, de la transmission du savoir. C’est là que résident notre richesse, notre avenir et celui des générations futures.

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