Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens à la place de Mme Françoise Cartron, retenue en Gironde.
Je voudrais évoquer la situation de l’école maternelle, en partant d’un constat : seulement 8 % des élèves ayant redoublé la classe de cours préparatoire obtiendront un jour le baccalauréat… Ce seul chiffre illustre l’importance essentielle de l’école maternelle pour la réussite à l’école primaire, bien sûr, mais aussi pour le reste du cursus scolaire. La préscolarisation doit être au cœur de nos réflexions sur une politique d’éducation permettant la réussite de tous les élèves. En effet, l’école maternelle est un lieu privilégié pour agir en vue de la réduction des inégalités sociales.
Le premier facteur de décrochage scolaire tient au langage. Le linguiste Alain Bentolila note ainsi que, « à l’arrivée au CP, les enfants les plus fragiles maîtrisent six fois moins de mots que les meilleurs ». Il est évident que des lacunes dans la construction du langage et dans l’acquisition du vocabulaire ont une influence désastreuse lorsque débute l’apprentissage de la lecture.
Des expériences comme le programme « Parler bambin » ont démontré que la familiarisation des tout jeunes enfants issus de milieux défavorisés avec des outils langagiers complexes et avec la notion de conversation en général accroissait de façon très significative leurs chances de réussite.
Pour de nombreux enfants, en particulier issus de l’immigration, l’école maternelle est aussi le premier point de contact avec la langue française. Elle doit donc être le lieu de l’apprentissage du langage et de la familiarisation de l’enfant avec la culture scolaire. Vous en convenez, monsieur le ministre, puisque lors de la présentation de votre plan de lutte contre l’illettrisme, vous avez affirmé que la maternelle était un rouage essentiel, qui « prépare les conditions d’entrée dans l’écrit ». En conséquence, les inspecteurs des classes de maternelle ont reçu pour consigne de se concentrer sur l’« apprentissage méthodique du vocabulaire, pour combler l’écart entre les milieux sociaux ».
On ne peut que se réjouir de ces déclarations d’intention. Il est cependant dommage que, depuis 2002, l’objectif de « réussite de tous les élèves » ait disparu des programmes de l’école maternelle. Il est surtout dommage, monsieur le ministre, que vos propos soient le miroir inversé de votre politique, comme en témoignent les trois exemples suivants.
Tout d’abord, des chercheurs en sciences de l’éducation comme Agnès Florin ont montré l’effet positif de la scolarisation dès 2 ans pour les enfants issus de milieux défavorisés. Cette scolarisation est d’ailleurs encouragée par la loi d’orientation de 1989, notamment dans les ZEP et les zones de revitalisation rurale. Or que faites-vous ? Vous décidez de ne plus comptabiliser les enfants de 2 à 3 ans pour les décisions d’ouverture de classes. Cela a d’ailleurs valu à l’État une condamnation par la cour administrative d’appel de Bordeaux en février dernier…
Ensuite, dans les fameuses fiches « antipédagogiques » préparées par vos services, la maternelle n’échappe pas aux coups de ciseaux : la scolarisation des enfants de 2 ans est rendue impossible. Vous proposez d’augmenter les effectifs pour diminuer le nombre d’enseignants, alors que toutes les expériences pédagogiques menées actuellement démontrent que l’apprentissage du langage nécessite des structures de taille réduite, permettant la mise en œuvre d’une pédagogie différenciée.
Enfin, la formation des maîtres est une question essentielle. Comment pouvez-vous prétendre renforcer le rôle de la maternelle dans la lutte contre le décrochage scolaire tout en éloignant encore un peu plus les jeunes enseignants d’une spécialisation adaptée ? Les modes d’apprentissage propres à l’école maternelle exigent de la part de l’enseignant un œil expérimenté, une formation approfondie, une bonne connaissance du développement de l’enfant. Comment un étudiant les acquerra-t-il dans le cadre de la « mastérisation », et en l’absence d’une formation continue spécialisée ?
Longtemps, notre école maternelle a fait figure de modèle. Elle fonctionnait bien, et peut-être n’a-t-elle pas été l’objet de suffisamment d’attention ces dernières années. Or la maternelle est une école à part entière et un lieu privilégié de la réalisation de l’idéal républicain d’égalité des chances. Monsieur le ministre, ne la sacrifiez pas à votre obsession du chiffre !