Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en matière d’éducation, les apparences sont parfois trompeuses. Les récentes discussions sur l’ouverture sociale des grandes écoles, par l’instauration de quotas de 30 % de boursiers, ne contribuent pas forcément à faire progresser l’égalité des chances. Elles feraient même presque oublier que c’est au fil de la scolarité que les inégalités sociales se creusent.
Sur dix enfants de cadres entrés au collège en 1995, huit étaient encore étudiants dix ans après et un seul avait arrêté ses études sans avoir obtenu le baccalauréat. En revanche, sur dix enfants d’ouvriers, trois avaient continué leurs études jusque dans le supérieur tandis que cinq les avaient interrompues avant le baccalauréat.
Dès lors, la question est de savoir pourquoi ces enfants issus de milieux défavorisés ne parviennent plus à se hisser vers l’enseignement supérieur, comme c’était encore le cas jusque dans les années soixante-dix. Nul n’était besoin alors d’instaurer des quotas pour obtenir des résultats incomparablement meilleurs qu’aujourd’hui !
Le système éducatif français est finalement devenu l’un des plus inéquitables de l’OCDE. Au fil de la scolarité, les inégalités sociales se creusent, et les enfants les plus défavorisés n’acquièrent même plus le socle minimal de connaissances.
Une analyse sur vingt ans des acquis en lecture des élèves de CM2 montre que le score des enfants d’ouvriers a été divisé par deux entre 1997 et 2007, alors que celui des enfants de cadres a légèrement progressé.
L’enquête internationale PISA a par ailleurs signalé que, contrairement à l’un des objectifs de Lisbonne, la proportion d’élèves ou de jeunes rencontrant des difficultés pour lire n’a pas tendance à diminuer, et a même augmenté ces dernières années : 15 % des élèvent arrivent en sixième sans savoir lire correctement et, en 2008, près de 12 % des jeunes âgés de 17 ans manifestaient, au cours de la journée d’appel de préparation à la défense, des difficultés de compréhension en lecture.
Ce problème est grave. Il a déjà et il aura dans le futur des conséquences dramatiques, dans tous les domaines. Un problème de mathématiques mal compris ne sera pas réussi. Un enfant qui ne maîtrise pas correctement la lecture et l’écriture ne pourra ni poursuivre ses études avec succès ni s’insérer dans la vie professionnelle ou, tout simplement, dans la société. Cette même observation vaut aussi pour la maîtrise précoce de l’outil informatique, qui n’est pas garantie pour les enfants dont les parents sont en situation précaire.
Mises en place en 1982, les ZEP, supposées « donner plus à ceux qui ont moins », n’ont pas connu le succès escompté. Un enfant sur deux sortant des collèges « ambition réussite », dont les trois quarts des élèves sont des enfants d’ouvriers ou d’inactifs, ne maîtrise pas les compétences de base en français, selon les données publiées dans la dernière livraison de L’État de l’école.
Au regard de l’importance que revêt la maîtrise de la lecture et, plus largement, de la langue française, l’augmentation constatée du nombre de jeunes rencontrant des difficultés de lecture, notamment dans les milieux les plus défavorisés, amène à vous demander, monsieur le ministre, quelles mesures vous comptez prendre pour enrayer ce phénomène aux multiples conséquences dramatiques.
Introduit dans la loi en 2005, le « socle commun de connaissances et de compétences » a érigé la maîtrise de la langue française en priorité absolue. À compter de 2011, la maîtrise des compétences de ce socle sera nécessaire pour obtenir le diplôme national du brevet. Comment comptez-vous parvenir à améliorer suffisamment le niveau d’ici là pour que ce dispositif ne devienne pas un nouvel outil de discrimination à l’encontre des enfants ?
Garantir à tous l’égalité des chances fonde la cohésion sociale qui est à la base de notre pacte républicain. À ce titre, il est indispensable d’assurer une plus large ouverture sociale dans l’ensemble des filières, tant avant qu’après le baccalauréat, en particulier dans celles qui mènent aux études longues et élitistes. La mise en place de dispositifs de sélection des élèves les plus méritants est une politique qui peut porter des fruits. Cette démarche consiste à aider des élèves, notamment ceux qui sont issus de familles modestes et scolarisés dans des établissements de banlieue ou de zones rurales, à lever les obstacles psychologiques, culturels et matériels qui les font renoncer à s’engager dans la voie des études trop spécialisées ou trop longues, alors qu’ils en ont tout à fait les capacités.
Mais, par ailleurs, il ne faut pas non plus négliger la promotion collective par l’école de la République, gage d’une plus grande justice sociale. Aider les plus méritants n’implique pas nécessairement de délaisser tous les autres.
Cela passe notamment par une amélioration de l’orientation, qui doit commencer le plus tôt possible, notamment au lycée, afin que chacun puisse trouver plus facilement sa voie au fil de son parcours. L’orientation ne doit plus être vécue comme une menace, voire comme une sanction, encore moins être discriminante.
Il est donc fondamental, dans cette optique, d’élargir des voies d’insertion aussi indispensables que l’enseignement professionnel et agricole et de revaloriser ces filières. Nous sommes pour l’heure dans une logique de filières hiérarchisées, qui ne prend quasiment pas en compte, ou très mal, la perspective de l’insertion professionnelle. Les premières victimes de cette « culture de la désorientation » sont les enfants issus des classes sociales les moins favorisées. Il me paraît indispensable de développer davantage de passerelles entre la filière générale, la filière professionnelle et les entreprises. Le développement des stages, notamment en entreprise, est essentiel pour une bonne orientation et une meilleure intégration professionnelle des jeunes. Mais, dans ce domaine, trouver un stage est souvent laissé à l’initiative des élèves. De ce fait, ceux qui viennent d’un milieu défavorisé ne disposent pas vraiment des meilleurs atouts pour décrocher les bons stages ! Toutes ces observations nous conduisent à penser qu’une politique éducative efficace passe nécessairement par une politique de la famille véritablement adaptée. Qu’en pensez-vous, monsieur le ministre ?
Le sujet qui nous occupe aujourd’hui est très vaste, et il n’est donc pas possible d’être exhaustif dans le cadre d’un si court débat.
Beaucoup de réformes sont en cours, mais les écarts continuent de se creuser et ils seront de plus en plus difficiles à combler. Un récent rapport de l’Institut Montaigne dresse d’ailleurs un constat très alarmant sur l’échec à l’école primaire. Il présente un certain nombre de solutions qui ont au moins eu le mérite de faire réagir l’ensemble de l’opinion publique. Nous sommes curieux de savoir quelles suites vous comptez donner à ce coup de tonnerre médiatique, monsieur le ministre.
« Après le pain, l’éducation est le premier besoin du peuple », écrivait Danton. Tous ensemble, nous devons redresser la barre de l’égalité des chances au plus vite. Il y va du respect de notre pacte républicain.