Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons aujourd’hui l’occasion de rappeler que notre modèle républicain se veut garant de l’égalité des chances, afin de permettre à chacun de réaliser ses ambitions.
Or le constat est sans appel : l’école aggrave l’inégalité des chances ! Le système institutionnalise le déterminisme social et, par une forme de « délit d’initiés », garantit les meilleures places aux mieux nés.
Toutes les études le montrent, c’est dès la première année du primaire que se joue l’avenir de notre pays. Or 40 % des élèves sortent du système éducatif sans maîtriser les compétences censées être acquises à la fin du primaire. À cet égard, je vous invite à lire Prévenir l’exclusion scolaire et sociale des jeunes, ouvrage publié sous la direction de Danielle Zay qui montre combien ces deux dimensions de l’exclusion sont liées.
L’école primaire va mal, beaucoup d’orateurs l’ont dit : organisation par cycles non effective, lourdeur des programmes, manque de formation des enseignants, affectations parfois non désirées, défaut de coordination et de pilotage du système.
Malheureusement, c’est une logique comptable qui anime la politique du Gouvernement, quand la priorité devrait être de remettre à plat toute l’organisation du temps scolaire, en prenant enfin en compte les rythmes biologiques de l’enfant et de l’adolescent, sans la caler sur des intérêts sociaux et économiques.
Une articulation des différents temps de vie de l’enfant s’impose : temps éducatifs, consacrés aux apprentissages fondamentaux ou non formels, et temps sociaux.
Le passage du CM2 à la sixième n’arrange rien. Au contraire, il s’avère difficile et souvent lourd de conséquences. L’élève et ses parents ne sont pas suffisamment accompagnés dans cette transition déterminante. La difficulté de ce passage est accentuée quand les familles cumulent difficultés scolaires et sociales. Les zones d’éducation prioritaires deviennent, hélas ! soit des zones de stratégies familiales par excellence, où les « sachants » contournent allègrement les mesures de mixité sociale voulues à l’origine pour les ZEP, soit des zones de stratégies politiques visant simplement à « exfiltrer » les meilleurs éléments.
Finalement, l’approche par zonage entérine la ghettoïsation des populations. Comment s’étonner alors de l’absentéisme et de la recrudescence des violences scolaires ?
Le comble est que votre ministère se désengage des actions partenariales pour laisser la place à une politique de la ville aléatoire, empilant les dispositifs sans lisibilité et consacrant les inégalités territoriales. Ainsi, l’égalité des chances devient un enjeu à géométrie variable, alors que notre système éducatif a besoin de justice sociale.
Le collège unique ne peut évidemment rétablir la situation. L’hétérogénéité des classes suppose en effet une formation des enseignants adaptée aux besoins spécifiques des élèves, y compris ceux qui sont en situation de handicap. Or l’affaiblissement de la formation professionnelle des maîtres éloignera encore plus ceux-ci des réalités de la classe…
Une réflexion approfondie sur le temps scolaire des adolescents est également nécessaire. Certes, vous l’avez entamée, monsieur le ministre, en envisageant de consacrer l’après-midi au sport, mais cette vision est assez restrictive. Outre qu’elle laisse de côté les activités culturelles, environnementales ou caritatives, elle recouvre des problèmes annexes mal évalués : qui paiera les transports ? Quid de l’encadrement, de la disponibilité des équipements, de la gestion des partenariats ? Beaucoup de questions restent posées.
La France mérite un vrai projet éducatif de qualité, fondé sur une stratégie nationale déclinée par territoire et laissant toute sa place aux initiatives locales. Pour cela, il faut définir une véritable gouvernance, garantir l’autonomie et la stabilité des équipes afin qu’elles aient toute latitude pour travailler à une pédagogie de projet, réorganiser les moyens en fonction des besoins, faire confiance aux enseignants tout en leur assurant une formation initiale et continue adaptée.
« Faire sortir l’école de l’école » : ces mots prennent tout leur sens si l’on met en place de solides partenariats locaux et si l’on intègre des temps de vie et d’échanges entre tous les acteurs impliqués dans l’école et autour d’elle, comme devaient le permettre les établissements publics d’enseignement primaire.
Monsieur le ministre, les élèves sont l’avenir et la richesse de notre pays, même si, aujourd’hui, ils coûtent cher à l’État. « La grande affaire est de donner à l’enfant une haute idée de sa puissance, et de la soutenir par des victoires », disait le philosophe Alain.
Mes questions sont donc simples et complexes à la fois : quelle est votre vision du service public de l’éducation ? Quels sont les objectifs et les missions que vous lui assignez aujourd’hui ?