Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le mardi 4 octobre 2005, les stagiaires, contraints de porter des masques afin que leurs patrons ne les reconnaissent pas, défilaient dans nos rues afin d'exprimer leur colère, légitime, pour être devenus des « sans droits », plus pauvres que le travailleur pauvre.
Ces femmes et ces hommes sont sortis de l'ombre pour révéler la précarité de leur situation ! Dans l'espoir d'être intégrés un jour dans une entreprise, ces stagiaires ont accepté de travailler de longs mois, la plupart du temps sans aucune compensation financière et, surtout, sans aucune garantie en termes de droits et de protection. Après avoir admis cette situation pendant des années, stoïquement et en silence, les jeunes la rejettent aujourd'hui !
C'est non pas le stage qui est remis en cause, car il est souvent indispensable aux jeunes lorsqu'ils s'inscrivent dans le cadre d'une formation qualifiante, mais bien la manière dont il a été perverti au profit de certaines entreprises, administrations ou associations, qui bénéficient d'une réserve de main-d'oeuvre à moindre coût, la sécurité sociale étudiante assurant la couverture sociale !
Censé être un « tremplin pour l'emploi », le stage s'est mué, au fil des années, en une « forme d'emploi ».
Si la charte du 26 avril 2006 a marqué une certaine prise de conscience, de la part de l'État et des entreprises, des difficultés des stagiaires, elle n'en reste pas moins insuffisante. En effet, elle a un caractère non contraignant et elle occulte des points essentiels, tels que la rémunération des stagiaires ou encore le recours abusif à ces derniers par certains employeurs.
Manquant d'un encadrement législatif précis, le stage a souvent été détourné de sa fonction d'apprentissage. Aujourd'hui, il est coutumier de voir une succession de stagiaires remplacer un salarié à plein temps, salarié que l'entreprise évite soigneusement d'embaucher. Cette situation est préjudiciable non seulement pour la formation et l'insertion professionnelle du stagiaire, mais également pour les salariés, car de telles pratiques détruisent corrélativement de vrais emplois !
D'ailleurs, le Conseil économique et social, ne s'y s'est pas trompé, puisque, dans son rapport d'août 2005, sur l'insertion professionnelle des jeunes issus de l'enseignement supérieur, il soulignait « la nécessité de procéder à un réexamen des conditions statutaires des stages en entreprises ».
Parallèlement à cette précarité des stagiaires, le taux de chômage en France des jeunes de moins de vingt-cinq ans est l'un des plus élevé d'Europe : selon l'INSEE, le taux de chômage des jeunes actifs s'élevait à 22, 8 % en 2005.
Le paradoxe est donc le suivant : les offres de stages s'amplifient inversement aux offres d'emplois ! Ainsi, force est de constater que le recours abusif aux stagiaires est un frein à l'embauche des jeunes. Cette situation n'est pas acceptable, alors que notre jeunesse a exprimé, à de multiples reprises, son « ras-le-bol » d'être en permanence en situation d'urgence sociale !
À la lumière de ces constats, la mise en oeuvre d'un cadre législatif précis pour redonner au stage son caractère pédagogique et sa mission d'insertion des jeunes actifs est une exigence. La célèbre citation de Lacordaire « Entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit » trouve ici tout son sens.