Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la généralisation des stages dans l'enseignement supérieur a représenté un formidable progrès. Elle a ouvert les portes du marché du travail à des étudiants en cours de formation, désireux d'acquérir une approche plus concrète des pratiques professionnelles et de leur futur métier. Ainsi, plus de 800 000 jeunes effectuent chaque année un stage dans une entreprise ou une administration.
Comme l'a indiqué mon collègue Jean-Pierre Godefroy, dont je salue le remarquable travail, nous sommes favorables à une plus grande professionnalisation des parcours universitaires. Aussi, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui ne doit en aucun cas être interprétée comme l'expression d'une volonté de décourager les entreprises de recruter des stagiaires ; elle tend seulement à mieux les encadrer pour mettre fin à des pratiques visant à détourner les stages de leur finalité pédagogique.
En effet, en période de chômage - celui des jeunes étant deux fois supérieur à la moyenne -, le stage est devenu, pour certains employeurs, un moyen de se procurer de la main-d'oeuvre gratuite ou à très bas coût. Ainsi, en septembre 2005, le collectif Génération précaire dénonçait « l'existence d'un véritable sous-salariat toujours disponible, sans cesse renouvelé et sans aucun droit ». Il déplorait, en outre, qu'il soit possible aujourd'hui de rester confiné indéfiniment et en toute légalité dans ce statut de stagiaire.
Il est malheureux de constater que des entreprises, des associations, et même des services publics, profitent de ce que les étudiants soient prêts à tout accepter pour valider leur formation, pour ne pas avoir de trou dans leur CV ou, tout simplement, pour ne plus traîner l'étiquette de « débutant », très encombrante dans un monde où l'expérience professionnelle est reine.
Il m'arrive de consulter les rubriques d'offres d'emplois dans la presse. Je suis toujours surprise de constater, en lisant celles qui s'adressent aux jeunes diplômés, que les profils recherchés comportent au moins deux ans d'expérience professionnelle, voire davantage. On pourrait penser que les entreprises recherchent des personnes volontaires, qui ont enchaîné jobs et petits boulots durant leurs études. Mais non ! On demande bel et bien à des jeunes sortant à peine de l'université ou d'une grande école d'avoir déjà exercé une activité professionnelle d'une durée significative, identique à celle que recherchent les entreprises.
Cette situation ubuesque, vécue par de très nombreux jeunes diplômés, ne fait pas vraiment rire les principaux intéressés, surtout lorsqu'ils essuient un énième refus en raison de leur manque de pratique. Ils sont alors contraints de prolonger artificiellement leurs études à la seule fin de continuer d'effectuer des stages, en espérant que ceux-ci leur permettront de se mettre en valeur aux yeux des futurs recruteurs.
Il est donc nécessaire de mieux encadrer cette période d'ancrage professionnel pour qu'elle ne s'écarte plus de sa vocation pédagogique, pour qu'elle demeure une source d'enrichissement et d'échange constructif entre le monde du travail et l'université, pour qu'elle continue d'être vécue comme un tremplin pour l'emploi.
Depuis les premières manifestations de Génération précaire, des avancées ont été obtenues.
Tout d'abord, la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances a rendu obligatoire la convention tripartite. Elle a également limité à six mois la durée des stages hors cursus et a obligé les employeurs à verser une gratification pour les stages d'une durée supérieure à trois mois.
Un décret publié le 31 août 2006 a, ensuite, interdit aux entreprises de recourir à un stagiaire « pour exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent ».
Par ailleurs, en avril 2006, une charte signée entre le Gouvernement et les partenaires sociaux était venue compléter la loi et avait anticipé sur le dispositif réglementaire.
Ces avancées restent cependant insuffisantes : attendre trois mois avant d'être indemnisé, c'est trop long, et si gratification il y a, celle-ci doit être correcte. On peut aussi craindre une inflation de stages de trois mois moins un jour. En outre, la charte ne revêt aucun caractère contraignant, son application restant suspendue au bon vouloir de chacun. Il était donc indispensable d'aller plus loin par voie législative et de poser un cadre complet et sécurisant.
Je tiens à vous faire part de ma stupéfaction lorsque, en commission des affaires sociales, j'ai constaté que la majorité sénatoriale ne nous suivait pas sur ce sujet essentiel concernant l'insertion professionnelle des jeunes et les abus dont ils sont victimes. Ce rejet est d'autant plus surprenant qu'une proposition de loi visant à encourager et moraliser le recours aux stages par les entreprises a été déposée à l'Assemblée nationale par Mme Valérie Pécresse, députée UMP, suivie dans sa démarche par un très grand nombre de ses collègues.
Ce texte comporte des mesures voisines de celles que nous préconisons, comme l'interdiction faite aux entreprises de prendre en stage, sur des emplois de l'entreprise, des jeunes qui ont achevé le cursus de formation nécessaire pour occuper ces fonctions et qu'elles pourraient embaucher par un véritable contrat.
On pouvait donc, sur un sujet consensuel, s'attendre à une adoption unanime. Il n'en est rien. Force est de constater que l'air du MEDEF, ou plutôt son « besoin d'air », a soufflé plus fort sur le Sénat que le vent de l'Assemblée nationale !
Nous en sommes navrés. Mme Parisot parle de « précarité heureuse » à propos d'un stagiaire ou d'un jeune diplômé en période d'essai. C'est consternant ! Il ne peut y avoir de précarité heureuse sur le marché du travail, surtout quand la situation perdure, comme c'est trop souvent le cas !
Ne pas discuter de cette proposition de loi, c'est cautionner le recours à une main-d'oeuvre hyperflexible, c'est accepter le bradage des diplômes, c'est refuser de reconnaître les abus et les dérives dont sont victimes les jeunes, qui, dans une société inattentive à leurs préoccupations, sont une fois encore considérés comme des gamins ne sachant pas ce qui est bon pour eux.
Cette proposition de loi était un message fort que nous leur adressions. Venant du Sénat, le symbole était significatif. Nous regrettons qu'elle n'aboutisse pas.