Intervention de Annie Jarraud-Vergnolle

Réunion du 13 février 2007 à 16h10
Organisation du recours aux stages — Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission

Photo de Annie Jarraud-VergnolleAnnie Jarraud-Vergnolle :

Les meilleures intentions du monde suffiront-elles à prévenir les dérives et les abus que chacun peut constater en matière de stages professionnels ? Il faut l'espérer.

Pour l'heure, un rapide tour d'horizon nous renseigne sur la triste réalité de ce qui devrait être un avant-goût formateur du monde du travail, éventuellement une rampe de lancement, et qui peut constituer un substitut abusif au contrat de travail.

En France, aujourd'hui, le taux de chômage des jeunes atteint 23 %, soit six points de plus que dans le reste de l'Europe. Le diplôme n'est même plus une garantie suffisante, puisque 21 % des jeunes de niveau bac+4 sont toujours au chômage plus de neuf mois après la fin de leurs études.

Ces statistiques révèlent les difficultés grandissantes que rencontrent les jeunes au moment de leur entrée dans la vie professionnelle.

Avec la persistance du chômage, ce phénomène s'est accentué ces dernières années. Avant même de devoir subir les périodes d'essai renouvelables, les successions de CDD et autres contrats d'intérim, les jeunes travailleurs doivent affronter une autre réalité peu valorisante et peu rémunératrice, à savoir le recours quasi systématique au stage, même en dehors du cursus universitaire.

Ainsi est apparue une main-d'oeuvre flexible, occupant parfois sans rémunération de vrais postes de travail. Le stage est malheureusement devenu un palliatif à tout emploi pour des dizaines de milliers de jeunes diplômés, victimes d'un marché du travail dans lequel il est de plus en plus difficile de trouver sa place.

Pourtant, chacun en conviendra, le stage en entreprise demeure un élément essentiel de la formation : il permet aux jeunes de se confronter aux réalités du monde du travail, d'acquérir une première expérience professionnelle, de choisir une orientation professionnelle en connaissance de cause. Il s'agit, bien sûr, d'encourager son développement et de lui reconnaître une place primordiale dans le parcours de formation, mais avec des règles claires et adaptées.

Aussi, au regard de l'augmentation des dérives, il est impératif d'encadrer les stages par un dispositif législatif. Quelques mesures primordiales ont été introduites par la loi pour l'égalité des chances, je n'y reviendrai pas.

De même, la « charte des stages étudiants en entreprise » réaffirme la dimension pédagogique du stage, comme l'ont souligné les orateurs qui m'ont précédée.

L'ensemble des acteurs auditionnés ont été unanimes pour lutter efficacement contre les abus en la matière, en s'appuyant sur les termes de cette charte.

Certes, même si nous pouvons apprécier la volonté de tous, qu'il s'agisse des étudiants, du MEDEF, de la CGPME, de l'UPA ou des enseignants, de mieux encadrer les stages en entreprise, la charte demeure essentiellement un recueil de bonnes pratiques, sans obligation ni contrainte d'application, un recueil de bonnes intentions, en somme. Or, on connaît trop le triste sort des bonnes résolutions !

Dès lors, je vous invite, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à vous rendre sur les sites Internet proposant des stages en entreprise à de jeunes diplômés : l'expérience est instructive, le constat est affligeant.

Vous serez étonnés de lire les propositions actuelles faites à nos jeunes. J'en ai extrait quelques exemples édifiants !

« Assistant de recrutement : bac+3, stage de six mois temps plein, rémunération de 800 à 1160 euros par an. »

« Analyste financier : expérience de un à deux ans - Type de contrat : stage temps plein, salaire de 800 à 1160 euros par an. » Je ne continuerai pas la liste !

Apparemment, en France, un jeune diplômé - l'épithète « jeune » paraît impropre vu le niveau d'études requis pour accéder au « paradis » des stagiaires - ne vaut même pas le SMIC !

Les jeunes ne sont pas taillables et corvéables à merci. Ils n'ont pas envie d'être bradés, d'autant moins que certaines familles s'endettent pour que leurs enfants accèdent à des études supérieures.

La proposition de loi présentée par Jean-Pierre Godefroy posait un cadre garantissant cette valeur formative du stage. La formation en alternance est une plus-value pour tous et, si l'on veut l'encourager, il faut impérativement la moraliser.

Que nous ne soyons pas tous d'accord et que nos divergences nous conduisent à discuter des modalités d'un encadrement, cela devrait aller de soi. C'est bien le rôle du Parlement de parlementer, c'est bien notre rôle de parlementaires de confronter des points de vue et de finir par trouver l'équilibre.

Mais dans quelle enceinte un constat unanime mène-t-il à l'urgence de ne rien faire ? Dans quelle enceinte la nécessité nous fait-elle seulement dire : « Oui, c'est dur, il faudrait faire quelque chose » ? Dans quel Parlement peut-on approcher du débat sans y entrer vraiment ? Je ne partage pas l'avis de la commission, soit, mais, surtout, je ne comprends pas sa position !

La majorité, friande de slogans, nous sert du « travailler plus pour gagner plus ». Il ne faudrait pas confondre ce slogan de campagne avec une réalité honteuse : « travailler pour rien pour gagner moins que rien ».

Nos enfants ne sont pas utilisables « à tout va ». Quelle bonne raison auraient-ils de commencer par « en baver » ? Quelle étonnante conception de l'égalité des chances !

La majorité qui, depuis peu, n'a plus peur de s'approprier des références historiques qui ne lui appartiennent pas, appréciera cette citation : « Si la jeunesse n'a pas toujours raison, la société qui la méconnaît et qui la frappe a toujours tort », nous disait François Mitterrand !

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