Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je me félicite que soit discutée aujourd'hui une proposition de loi qui me tient à coeur et qui constitue l'une des concrétisations du rapport intitulé Pour une nouvelle stratégie de l'action culturelle extérieure de la France : de l'exception à l'influence, rapport que j'avais présenté devant la commission des affaires culturelles à la fin de l'année 2004.
Le 22 juin 2006, l'Association française d'action artistique, l'AFAA, est devenue CulturesFrance. Un nouveau statut a donc été adopté, avec les innovations suivantes : l'objet social de l'AFAA a été élargi de manière à faire entrer dans le périmètre de la nouvelle association les activités de l'Association pour la diffusion de la pensée française, l'ADPF, à savoir la promotion du livre et de l'écrit et la cinémathèque africaine ; par ailleurs, la composition du conseil d'administration a été modifiée, celui de CulturesFrance comptant désormais vingt-deux membres, qui se répartissent entre sept représentants du ministère des affaires étrangères, trois représentants du ministère de la culture et douze personnalités qualifiées.
À titre d'information, CulturesFrance était dotée en 2006 d'un budget de 28 millions d'euros, avec un effectif de 105 emplois équivalents temps plein travaillé.
Le ministre des affaires étrangères pouvait se féliciter de cette création, aboutissement d'un long processus de concentration des opérateurs de son ministère dans le domaine de l'action culturelle. En effet, l'Association française d'action artistique et l'Association pour la diffusion de la pensée française, qui ont fusionné, avaient elles-mêmes respectivement absorbé en 1999 et en 2000 l'Association universitaire pour le développement et la communication en Afrique dans le monde, l'AUDECAM, le Club des lecteurs d'expression française, le CLEF, et Afrique en créations.
Paradoxalement, c'est au moment où l'on créait ce nouvel opérateur, à la suite de nombreux rapports allant dans ce sens, qu'il se trouvait confronté à un feu nourri de critiques.
Un rapport de la Cour des comptes, demandé par la commission des finances du Sénat et présenté à la Haute Assemblée le 8 novembre dernier, remettait en cause à la fois le mode de fonctionnement, la gestion et le statut de CulturesFrance.
Pêle-mêle, et à titre d'exemple, la Cour des comptes a reproché à l'association tant d'avoir dévié de son objet social initial, à savoir la promotion de la culture française à l'étranger, pour devenir un opérateur culturel en France, que de manquer d'une stratégie d'ensemble. Puis elle a contesté la conformité de ses statuts. Elle a également fait le constat que les gains de productivité susceptibles de naître de la fusion de l'AFAA et de l'ADPF étaient insuffisants. Elle a ensuite regretté l'absence d'évaluation de l'organisme et l'opacité des procédures de délégation des pouvoirs au sein de l'association. Enfin, elle a critiqué l'exercice de la tutelle par le ministère, qui n'a su imposer à l'association « aucun axe directeur, qu'il soit géographique, thématique ou financier. »
À la suite de ce constat de la Cour des comptes et des témoignages de certains de nos collègues mettant en cause la programmation de CulturesFrance à l'étranger, le Sénat a adopté des amendements de la commission des finances au projet de loi de finances pour 2007 tendant à diminuer de 500 000 euros les crédits attribués à CulturesFrance par le ministère des affaires étrangères.
Estimant à juste titre que ce contexte de crise appelait une réaction rapide, la commission des affaires culturelles, ce dont je me félicite, a choisi de demander l'inscription de la présente proposition de loi à l'ordre du jour réservé de notre assemblée. Tout semble réuni pour que le Sénat adopte aujourd'hui ce texte, alors que la commission des finances vient juste de publier un rapport d'information rédigé par MM. Adrien Gouteyron et Michel Charasse - CulturesFrance : des changements nécessaires -, favorable au changement de statut de CulturesFrance.
L'objet de la proposition de loi est en effet de transformer le statut juridique de CulturesFrance afin, d'une part, de favoriser l'amélioration de la gestion de l'opérateur et, d'autre part, plus largement, de donner une impulsion nouvelle à notre diplomatie culturelle en relégitimant l'action de l'un de ses acteurs les plus éminents.
Le premier objectif est l'apaisement des tensions institutionnelles et administratives, lequel passe par l'amélioration du cadre juridique et managérial de CulturesFrance
La transformation de l'association en établissement public industriel et commercial, opérée par l'article 1er de la proposition de loi, outre qu'elle fait pièce aux critiques adressées par la Cour des comptes à l'encontre d'un statut associatif non conforme, a pour objet de renforcer le contrôle de l'État sur son opérateur tout en laissant à ce dernier une réelle autonomie de gestion, lui permettant d'allier souplesse et efficacité.
La création d'un établissement public permet indéniablement à l'État d'exercer sa tutelle de manière plus efficace grâce à la présence d'un comptable public, à la présentation d'une comptabilité plus précise et à une meilleure connaissance du fonctionnement de l'établissement par les fonctionnaires du ministère des affaires étrangères et du ministère de la culture. En outre, le caractère industriel et commercial de l'établissement a le grand avantage de permettre à CulturesFrance de conserver des agents de droit privé et de maintenir en l'état les contrats de ses salariés. Cette modification juridique a ainsi un profond impact managérial.
Il reste que l'intervention du législateur n'est pas le remède à tous les maux. Aussi, la pratique administrative doit également être revue.
À ce titre, je voudrais faire remarquer à la Haute Assemblée que l'attention portée par le Parlement à CulturesFrance a déjà porté ses fruits : le 5 février dernier, un nouveau contrat d'objectifs et de moyens a été présenté à CulturesFrance par ses tutelles. Les indicateurs de performance sont au coeur de ce contrat : ils permettront d'évaluer la pertinence de la fusion de l'AFAA et de l'ADPF ainsi que de faciliter le contrôle des ministères et du Parlement lors de l'examen de la loi de finances.
Le deuxième objectif est la confirmation de la légitimité de CulturesFrance.
Cette proposition de loi, tout en étant nécessaire sur le fond, a une grande importance s'agissant de la légalisation de CulturesFrance, de la clarification de ses compétences et de la proclamation solennelle de sa légitimité.
La Cour des comptes a tout d'abord reproché à CulturesFrance d'avoir dévié de son objet social initial- promouvoir la culture française à l'étranger - pour devenir aussi un opérateur culturel en France.
Certes, l'article 2 de la proposition de loi fixe comme rôle premier à CulturesFrance la promotion de la culture française à l'étranger. Cependant, loin d'estimer que l'organisation de « saisons culturelles » et d' « Années croisées » éloigne CulturesFrance de son champ d'intervention, la commission des affaires culturelles a choisi d'inscrire cette mission dans le texte dans la mesure où, d'une part, elle participe du rayonnement de la France à l'étranger et, d'autre part, elle correspond à l'un des objectifs majeurs posés par les statuts et confirmés par la loi, à savoir le renforcement du dialogue culturel.
L'idée sous-jacente, dans la lignée de la vision développée par la convention de l'UNESCO sur la diversité culturelle, adoptée sur l'initiative de la France, est que la valorisation de la culture française passe aussi par la promotion de la diversité culturelle et par l'échange permanent entre les cultures.
Dans la même logique, la commission des affaires culturelles a par ailleurs estimé qu'il n'était pas légitime de limiter l'exercice de la mission de CulturesFrance relative au soutien et au développement de la création des expressions artistiques contemporaines au seul continent africain ou aux zones francophones dans la mesure où l'échange culturel est bénéfique pour tous les pays.
L'article 2 a en outre clairement défini les domaines d'activité de l'établissement, ce qui permet de prévenir tout conflit de compétences entre opérateurs : CulturesFrance peut intervenir dans les domaines des arts de la scène, des arts visuels, des arts appliqués, de l'architecture, du patrimoine cinématographique, de l'écrit et de l'ingénierie culturelle. Cela correspond bien à l'ensemble des compétences exercées par l'ADPF et l'AFAA, auxquelles a été ajouté le cinéma.
En effet, depuis la fin de l'année 2006, il semble que la Direction générale de la coopération internationale et du développement du ministère des affaires étrangères, la DGCID, souhaite confier à l'association un certain nombre de compétences dans le domaine du cinéma et du film documentaire. Actuellement, le ministère des affaires étrangères n'a pas d'opérateur propre dans ce domaine, l'action opérationnelle vers l'étranger relevant soit des services de la DGCID, soit d'Unifrance Film.
Unifrance pourrait devenir un opérateur du ministère des affaires étrangères, mais son champ d'action est limité aux films récents. La commission a donc ajouté une compétence à CulturesFrance en matière de cinéma, mais en la confinant au « patrimoine cinématographique », notion qui recouvre dans son esprit, outre les films plus anciens, les films documentaires, éducatifs ou scientifiques.
Par ailleurs, l'action de CulturesFrance ne sera efficace que si elle est pleinement souhaitée et accompagnée par les postes. À ce titre, l'unité de l'action de la représentation française à l'étranger, assurée par les ambassadeurs, doit être une priorité pour le ministère des affaires étrangères. C'est la raison pour laquelle la commission des affaires culturelles a précisé au dernier alinéa de l'article 2 que l'établissement s'appuie sur l'ensemble du réseau de la représentation française à l'étranger dans ses composantes diplomatiques et culturelles.
C'est au demeurant la position des rapporteurs de la commission des finances, qui soulignent notamment dans leur récent rapport d'information que « le coeur du métier de CulturesFrance est de répondre à la demande et aux besoins des postes à l'étranger, en les associant toujours davantage aux choix culturels ».
L'article 3 s'attache à fixer les traits essentiels de l'organisation de l'établissement public. Il est ainsi prévu que l'établissement est administré par un conseil d'administration, dont le président est nommé par décret. Ce dernier, qui est également l'exécutif de l'établissement, est assisté d'un directeur administratif qu'il nomme. Ce système « monocéphale », avec un président qui a autorité sur le directeur administratif, a fait ses preuves. Citons, par exemple, le cas du Centre Georges-Pompidou.
La proposition de loi fixe à trois ans la durée du mandat du président, renouvelable une fois, ce qui garantit à celui-ci une autonomie à la fois par rapport à l'État et par rapport à la structure administrative de son établissement.
L'article 4 prévoit les sources de financement possibles pour l'établissement. Bien sûr, les ressources provenant du mécénat ne peuvent qu'être encouragées. Elles ont d'ailleurs largement augmenté ces dernières années, et les saisons culturelles sont à ce titre un levier réel pour CulturesFrance.
Les articles 5, 6 et 7 précisent les conditions de dévolution des biens, droits et obligations, les procédures de mises à disposition des fonctionnaires auprès de l'établissement et les conditions de transfert du personnel de l'association à l'établissement public.
Au-delà des débats sur le statut de l'opérateur, j'insiste sur l'importance de l'inscription dans la loi de l'existence de CulturesFrance, qui permet de confirmer solennellement sa légitimité.
Les critiques sur la gestion de l'opérateur seront d'autant mieux entendues - et des solutions apportées - qu'elles n'apparaissent pas comme une remise en cause de l'intérêt de l'action menée par l'opérateur. Celle-ci est en effet cruciale pour l'avenir de l'action culturelle extérieure de la France. La commission des affaires culturelles a exprimé, par son adoption à l'unanimité de la présente proposition de loi, son attachement à la diplomatie culturelle de la France, notamment aux actions menées par CulturesFrance.
Afin de donner à l'opérateur CulturesFrance les moyens des ambitions que nous avons tous pour elle, je vous demande, mes chers collègues, d'adopter les conclusions du rapport de la commission des affaires culturelles.