Intervention de Raymonde Le Texier

Réunion du 23 février 2006 à 15h00
Égalité des chances — Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Raymonde Le TexierRaymonde Le Texier :

Le progrès social, ce n'est pas jouer les uns contre les autres, avec pour seul horizon la réussite individuelle ; c'est agir ensemble pour améliorer le sort de chacun, dans l'intérêt de tous.

S'il restait un doute, le fait de présenter comme mesure phare d'un texte relatif à l'égalité des chances le fameux contrat première embauche vaudrait preuve.

Cet avatar du CNE étend aux jeunes le principe d'une période d'essai de deux ans, durant laquelle le salarié est licenciable du jour au lendemain sans qu'il soit besoin d'invoquer un motif. C'est clairement avouer que, pour vous, le seul frein à l'emploi, c'est la protection du salarié, et la seule entrave à la croissance, notre modèle social. Votre lutte contre le chômage se résume ainsi à la destruction du code du travail.

Avec ce choix, c'est l'idée même de contrat que vous videz de sa substance. Par définition, un contrat suppose garanties et réciprocité. Le vôtre n'offre qu'arbitraire et inégalité. C'est ainsi que les jeunes seront corvéables et révocables à merci, tandis que leurs patrons bénéficieront immédiatement d'avantages financiers, sans qu'aucune contrepartie leur soit demandée.

Faciles à rompre, faciles à renouveler, les contrats des jeunes seront demain une variable d'ajustement pratique en cas de retournement de conjoncture. Nul doute, de ce point de vue, que le CPE ne devienne la règle pour l'emploi des moins de 26 ans. Et pour quel résultat ? La vérité, c'est que notre économie ne crée toujours pas d'emplois, que la confiance ne revient pas et que la demande intérieure reste atone. Ce n'est pas en remplaçant des contrats stables par des emplois précaires que vous changerez la donne.

Ce que vous appelez « modernisation de l'économie » n'aboutit qu'à l'impossibilité, pour la nouvelle génération, de se projeter dans l'avenir. Comment faire des choix de vie lorsqu'on peut perdre son travail du jour au lendemain ? Comment s'affirmer dans sa profession quand la peur du licenciement ne peut que développer la soumission ? En réalité, ce que vous proposez aux jeunes, c'est d'entrer dans le monde du travail par le biais d'un contrat disciplinaire.

En témoignent les premiers dossiers de salariés embauchés sous CNE puis licenciés soumis aux tribunaux des prud'hommes. Leur examen est instructif : en effet, d'après les juristes, ces licenciements sont « des licenciements pour l'exemple, destinés à faire comprendre aux salariés de l'entreprise qu'ils doivent être malléables ». On peut ainsi être renvoyé pour avoir osé réclamer le paiement de ses heures supplémentaires, être tombé malade, avoir annoncé sa grossesse... Le CPE devrait engendrer rapidement les mêmes déboires, tant il est le décalque du CNE.

Chacun des termes de la proposition que vous faites ainsi à notre jeunesse est un chef-d'oeuvre de cynisme et un aveu de mépris. En généralisant l'emploi « jetable », c'est la formation des jeunes diplômés que vous dévalorisez, sans pour autant apporter de réponse aux milliers de jeunes qui sortent sans qualification du système scolaire. Messieurs les ministres, la politique du gouvernement auquel vous appartenez est humainement désastreuse, économiquement inopérante et politiquement désespérante.

En fait d'égalité des chances, vous « assignez à résidence » les individus dans leur statut d'origine et vous augmentez le ressentiment social, tant le fossé entre vos discours officiels et la réalité vécue par les classes moyennes et populaires se creuse. Si, réellement, vous vous interrogez sur les raisons qui ont conduit nos banlieues à s'enflammer, les réponses ne sont pas difficiles à découvrir, même si les solutions sont complexes.

Dans une société démocratique, l'accès à des conditions de vie décentes, au savoir, à la culture, n'est pas censé découler d'un statut hérité.

Quand les inégalités de naissance se cristallisent en inégalités de destin, c'est le champ des possibles qui s'étiole, c'est l'espoir qui disparaît. Pour parler d'égalité des chances, il faut d'abord arrêter de fabriquer de la pauvreté et de l'exclusion, et ce n'est pas en renforçant la précarité que l'on y parviendra.

Par vos choix politiques, c'est le dédain que vous avez pour les Français que vous marquez, l'indifférence que vous ressentez pour les plus modestes que vous affichez...

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