Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, dans le cadre de sa « bataille pour l'emploi », le Premier ministre s'est engagé à lever les obstacles à la reprise d'activité pour les bénéficiaires de minima sociaux. Pour atteindre cet objectif, le présent projet de loi emprunte deux voies : l'amélioration des incitations financières à la reprise d'activité et la mise en place de mesures destinées à résoudre les difficultés concrètes qui freinent le retour à l'emploi.
Pour améliorer les incitations financières à la reprise d'activité, le Gouvernement a choisi de perfectionner un instrument ancien mais dont l'efficacité est aujourd'hui réduite en raison de sa trop grande complexité : il s'agit des dispositifs de cumul entre salaire et minima sociaux, autrement appelés « dispositifs d'intéressement ».
Aujourd'hui, le mode de calcul de l'allocation différentielle à laquelle peut prétendre un allocataire reprenant un emploi est tellement opaque qu'il faudrait être actuaire pour pouvoir prédéterminer le montant de cette allocation. Pour certains ménages fragilisés, il est même plus prudent de préférer les revenus d'assistance, dont le montant a au moins le mérite d'être connu à l'avance.
C'est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit désormais un dispositif plus simple : une prime de retour à l'emploi de 1 000 euros et des primes mensuelles forfaitaires. Les bénéficiaires pourront alors anticiper beaucoup plus facilement l'évolution de leurs ressources.
L'objectif est naturellement de favoriser une réinsertion professionnelle durable. C'est la raison pour laquelle un soutien renforcé est apporté aux emplois offrant un temps de travail et une durée d'activité suffisante, soit 78 heures par mois pendant au moins quatre mois.
En deçà de ces deux seuils, le système du cumul entre salaire et allocation sera toutefois amélioré, de façon à rendre progressif l'intéressement en fonction du temps de travail. De cette façon, ceux qui ne se voient proposer que des emplois à temps très partiel ne rencontreront pas d'obstacles financiers s'ils ont l'occasion de pouvoir accroître leur temps de travail.
Pour consolider l'insertion professionnelle, le projet de loi prévoit enfin d'aider les bénéficiaires à faire face aux frais qui accompagnent le retour à l'emploi.
La prime de retour à l'emploi, créée en août dernier, est donc pérennisée et même étendue, puisque toute condition d'ancienneté au chômage pour en bénéficier est supprimée. Elle correspond à un effort financier supplémentaire de l'État de 240 millions d'euros.
Le Gouvernement craint toutefois que le montant important de la prime - 1 000 euros - ne constitue une tentation pour les fraudeurs. C'est pourquoi son versement n'interviendra qu'après quatre mois révolus d'activité. Pour des raisons identiques, un même bénéficiaire ne pourra percevoir une nouvelle prime au titre d'une nouvelle embauche - si la première embauche s'avère restreinte ou infructueuse - qu'après un délai de dix-huit mois.
Quel sera l'impact de cette réforme sur le pouvoir d'achat des bénéficiaires ? La réponse à cette question ne peut qu'être nuancée.
Si l'on s'attache aux seules primes forfaitaires, force est de constater que, dans certaines configurations familiales, le gain apporté par l'intéressement « nouvelle formule » sera plus faible qu'aujourd'hui. Mais l'écart constaté est presque toujours comblé lorsque l'on tient compte de la prime de 1 000 euros et de la réforme de la prime pour l'emploi.
Par ailleurs, il serait réducteur de n'apprécier cette réforme que sous son seul aspect financier. La lisibilité du nouveau dispositif compense, selon moi, le fait que le gain attendu soit parfois un peu plus faible.
Pour ces motifs, la commission des affaires sociales estime que la réforme proposée va dans le bon sens. Deux points pourraient toutefois être améliorés.
Premier point, le versement tardif - quatre mois après la reprise d'activité - des 1 000 euros risque de faire manquer à la prime son but : il intervient en effet trop tard pour aider réellement le bénéficiaire à faire face à ses frais de retour à l'emploi. J'estime en outre que reporter ainsi le versement de la prime ne découragera en rien les abus.
C'est la raison pour laquelle je vous proposerai de prévoir un versement immédiat de la prime. Cela ne signifie d'ailleurs pas qu'il faille l'attribuer à tous sans condition de durée d'activité. La règle des quatre mois minimum d'activité peut tout à fait être maintenue, mais cette obligation sera supposée remplie pour les personnes qui retrouvent un emploi en CDI ou en CDD et en intérim de plus de quatre mois.
Je voudrais tempérer les craintes de fraude. Verser la prime dès la reprise d'activité suppose effectivement de faire confiance ; mais c'est cette confiance qui légitime un contrôle a posteriori plus sévère.
J'en viens au second point d'amélioration possible de la réforme proposée. La fin de l'intéressement s'accompagne d'une réduction brutale et significative des revenus à l'issue de cette période. Cette difficulté est inhérente au dispositif d'intéressement, qui ne peut en effet qu'être temporaire. Toute autre solution serait inéquitable pour les personnes qui perçoivent le même revenu d'activité sans être passées par les minima sociaux, sauf à mettre en place un dispositif de soutien généralisé aux bas salaires. Mais alors, un autre écueil apparaît : il ne faudrait pas encourager les entreprises à se décharger sur l'État de leur responsabilité d'assurer un revenu décent à leurs salariés.
Prenant acte du caractère temporaire de l'intéressement, la commission des affaires sociales avait pensé en atténuer les effets pervers en mettant en place une sortie « en sifflet » de ce dispositif. Mais elle y a renoncé, estimant qu'un tel mécanisme nuirait finalement à sa lisibilité et donc à son efficacité. C'est la raison pour laquelle elle a opté pour la création d'une prime de sortie de l'intéressement, d'ailleurs plus conforme à l'esprit du texte.
Dans un deuxième temps, le projet de loi s'attache à lever un obstacle très concret au retour à l'emploi pour les bénéficiaires de minima sociaux, celui de l'accès à un mode de garde pour leurs enfants.
Le projet de loi initial prévoyait une priorité d'accès en crèche pour les enfants de bénéficiaires de minima sociaux qui reprennent un emploi. L'Assemblée nationale a jugé ce dispositif peu opérationnel et lui a préféré un mécanisme de « places garanties » reposant, au cas par cas, sur la mobilisation soit de places réellement mises en réserve, soit de places d'accueil en surnombre.
La commission des affaires sociales ne mésestime pas les difficultés qui entourent la mise en oeuvre concrète de ce dispositif, surtout dans un contexte de pénurie de places d'accueil en crèche. Reconnaissons toutefois à nos collègues députés un mérite : la solution qu'ils proposent fait davantage appel à la mobilisation des acteurs locaux.
Ce préalable étant posé, la commission considère que le mécanisme d'accès préférentiel retenu est incomplet, car il ne s'adresse qu'à des parents ayant déjà retrouvé un emploi. Or l'impossibilité de faire garder ses enfants peut pénaliser la recherche d'emploi elle-même. La commission souhaite donc inciter les crèches à mobiliser l'accueil d'urgence et l'accueil temporaire dans ce dernier cas.
Tel était le périmètre initial de ce projet de loi. Mais l'Assemblée nationale en a très largement élargi l'objet : sur l'initiative de son rapporteur, elle a d'abord souhaité harmoniser les sanctions prévues en cas de fraude aux minima sociaux.
Ces sanctions sont actuellement très disparates, parfois disproportionnées et le plus souvent largement inappliquées en raison même de certains excès. Dans 75 % des cas, les plaintes des caisses d'allocations familiales sont classées sans suite. Désormais, la fraude sera punie de 4 000 euros d'amende, le double en cas de récidive. Afin d'offrir une alternative aux sanctions pénales, souvent lourdes à mettre en oeuvre, un régime d'amendes administratives, d'un montant maximum de 3 000 euros, a été créé.
La commission des affaires sociales considère qu'il ne faut pas voir dans ces mesures une volonté de stigmatiser les bénéficiaires de minima sociaux : l'existence d'un contrôle relève en effet d'un impératif de justice sociale. Elle vous propose donc simplement quelques amendements pour harmoniser les garanties de procédure applicables aux différentes prestations.
Sur l'initiative du Gouvernement cette fois, l'Assemblée nationale a également apporté une nouvelle série de modifications ponctuelles aux règles applicables au contrat d'avenir et au contrat insertion-revenu minimum d'activité, le CI-RMA.
Il est ainsi proposé, pêle-mêle, de prévoir une durée minimale spécifique pour les contrats d'avenir conclus avec une personne bénéficiant d'un aménagement de peine, de supprimer la limitation apportée au nombre de ses renouvellements, d'ouvrir une exception à la durée hebdomadaire de travail des titulaires en cas d'embauche par un chantier d'insertion ou encore d'autoriser la signature de CI-RMA à durée indéterminée.
Notons également la suppression de l'agrément préalable des candidats au recrutement par les chantiers d'insertion lorsque le contrat envisagé est un contrat d'avenir ou un CI-RMA et l'ouverture de ces deux contrats à tous les allocataires de minima sociaux, sans condition d'ancienneté dans ces dispositifs.
La commission approuve l'ensemble des réformes proposées par ce texte. Mais celui-ci ne représente que la première étape d'une réforme nécessairement plus globale de l'ensemble des minima sociaux.
En effet, au-delà de la question de l'articulation entre minima sociaux et revenus d'activité traitée par ce projet de loi, une véritable réforme des minima sociaux devrait, à mon sens, prendre en compte deux autres aspects.
D'abord, l'harmonisation des droits connexes attachés au bénéfice des minima sociaux est indispensable pour rétablir l'équité entre les différents types d'allocataires et entre ceux-ci et ce qu'il est convenu d'appeler les « travailleurs pauvres ». Elle doit également être l'occasion de modifier leurs conditions d'attribution, afin qu'ils soient non plus un frein au retour à l'emploi mais au contraire un élément de sécurisation du parcours d'insertion.
Ensuite, l'accompagnement professionnel et social des bénéficiaires de minima sociaux, qui n'existe aujourd'hui de façon systématique que pour les bénéficiaires du RMI, devrait être généralisé.
Deux propositions de loi, inspirées respectivement par les travaux de notre groupe de travail sur les minima sociaux, présidé par Valérie Létard, et par le rapport remis en décembre dernier au Premier ministre par Michel Mercier et Henri de Raincourt devraient prochainement être déposées sur le bureau du Sénat. Il nous reviendra de veiller, à l'occasion de l'examen de ces deux textes, à la mise en cohérence globale du système français des minima sociaux, dont l'ambition est beaucoup plus vaste que celle du texte que nous examinons aujourd'hui.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales vous propose, mes chers collègues, d'adopter ce projet de loi, complété par les amendements que je vous présenterai en son nom.