Intervention de Christiane Demontès

Réunion du 25 janvier 2006 à 15h00
Retour à l'emploi — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Christiane DemontèsChristiane Demontès :

Or, comme nous allons le voir et comme cela a déjà été dit par d'autres orateurs à cette tribune, tel n'est pas le cas.

Avant d'aborder le fond de ce texte, permettez-moi de m'arrêter quelques instants sur sa forme. D'autres l'ont indiqué avant moi, la discussion de ce projet de loi pour lequel l'urgence a été déclarée a commencé devant l'Assemblée nationale le 20 novembre 2005 au moment même où nos collègues Michel Mercier et Henri de Raincourt, face à une telle précipitation, avaient envisagé de renoncer à l'élaboration du rapport qui leur avait été confié par le Premier ministre et fait connaître leur intention de démissionner. Pourquoi ne pas avoir attendu la fin de leurs travaux ?

Pourquoi ne pas avoir attendu non plus le dépôt des conclusions du groupe de travail que préside notre collègue Valérie Létard ? À quoi donc sert le travail parlementaire ? §Pourquoi ne pas avoir consulté les grandes associations qui oeuvrent depuis des années auprès des personnes éloignées de l'emploi et qui, pour nombre d'entre elles, constituent une force de proposition ? Cette précipitation procéderait-elle de la course à l'échalote entre ministères ou bien serait-elle dictée par la nécessité de multiplier les effets d'annonces ?

Notre pays compte 6 millions d'exclus. Près de 10 % de nos concitoyens survivent avec les minima sociaux.

Penser que le temps partiel constitue la réponse adéquate au drame de l'exclusion du marché de l'emploi et de la précarité et en faire la règle du retour à l'emploi seraient une erreur.

Généralement subi, le temps partiel concerne une majorité de femmes qui ont parfois occupé un poste durant toute l'année. Certes, le fait d'avoir un emploi permet de faire baisser les statistiques du chômage ; mais n'oublions pas que l'INSEE estimait à plus d'un million le nombre de travailleurs pauvres. Cette situation n'est pas acceptable, parce qu'il s'agit de véritables drames pour les personnes qui la subissent ; mais vous le savez, car vous rencontrez comme nous ces dernières, dans vos permanences.

Pour remédier à cela, vous nous proposez la mise en oeuvre d'un nouveau dispositif d'intéressement. Il s'adressera aux bénéficiaires exclusifs du RMI, de l'ASS et de l'API. Non seulement il s'ajoute au dispositif existant, mais encore il constitue une régression par rapport au décret n° 2005-1054 du 29 août 2005 créant une prime exceptionnelle de retour à l'emploi en faveur de certains bénéficiaires de minima sociaux, qui visait également les bénéficiaires de l'allocation d'insertion et d'adulte handicapé.

Vous affichez votre volonté de simplifier et de rendre plus lisible le dispositif, mais, en fait, vous le complexifiez. En ne ciblant que les emplois d'une durée mensuelle supérieure à 78 heures, vous reprenez la classification de l'UNEDIC. Nous ne sommes pas dupes : ce choix n'est pas anodin ! N'est ce pas une nouvelle illustration de votre traitement du sous-emploi, un traitement purement statistique ?

Madame la ministre, l'intéressement que vous proposez ne concernera que les bénéficiaires de minima sociaux ayant conclu un contrat de travail de 78 heures mensuelles, parce que vous estimez, dites-vous, que 78 heures devraient suffire à garantir l'autonomie financière des bénéficiaires. Mais alors, qu'en est-il de toutes les autres formes d'emplois précaires, des temps partiels et très partiels que vous n'avez cessé de favoriser depuis plus de trois ans ?

La déréglementation du marché du travail que vous ne cessez d'accentuer et la situation économique dans laquelle vous avez mis le pays ont multiplié les contrats de courte durée. Pour survivre, les personnes éloignées de l'emploi n'ont généralement pas d'autre choix que d'accepter ces contrats les uns après les autres.

La succession de ces contrats sera-t-elle prise en compte, comme vous vous y étiez engagée à l'Assemblée nationale ? Le versement de la prime devrait être effectué dès le premier mois car, nous le savons tous, c'est bien au moment du retour à l'emploi que les besoins financiers se font le plus cruellement sentir ; il en est ainsi pour le transport, la tenue vestimentaire ou encore la garde des enfants. Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours du débat.

Enfin, la réforme du système actuel d'intéressement prévue dans ce projet de loi laisse en suspens un certain nombre de questions concernant le devenir des ayants droit : que se passera-t-il quand le dispositif d'intéressement prendra fin ? Une hausse salariale ou bien une augmentation du nombre d'heures travaillées compensera-elle la perte de revenus ? Vous ne nous dites rien sur la suite.

L'autre dimension essentielle de ce texte est que le dispositif vise de fait majoritairement les allocataires qui reprendront un emploi à temps plein pour un an, donc ceux qui sont le moins éloignés de l'emploi. Les autres, c'est-à-dire très majoritairement des femmes, se verront dans le meilleur des cas offrir un emploi à temps partiel dans les secteurs de la grande distribution, du nettoyage ou de l'aide aux personnes. Ces contrats ont généralement une durée inférieure à 65 heures mensuelles et ont concerné plus de 544 000 femmes en 2004. De fait, votre texte pénalise une fois de plus les femmes et tous ceux qui ne trouveront pas de travail au-delà de 78 heures mensuelles.

Avec ce projet de loi, vous entendez « donner au revenu du travail un avantage réel et perceptible », et les propositions faites seraient la source « d'un revenu plus incitatif ». Or, si l'on se réfère à une période de quinze mois, le nouveau mécanisme d'intéressement fera perdre à une personne seule, allocataire du RMI et retrouvant un mi-temps payé au SMIC, un peu plus de 99 euros, perte à laquelle il faut ajouter 1 101 euros du fait de l'impossibilité de cumuler intégralement minima social et revenu du travail au-delà de douze mois. Pour une personne seule ou chargée de famille, le revenu augmente de 71 euros, mais il devient négatif sur quinze mois.

Les chiffres prouvent qu'il n'y a donc pas d'incitation. Il s'agit au contraire d'une tromperie ! Qui plus est, cet encouragement est supporté par l'État, via une surcharge du fonds de solidarité - connaissant l'état de ce fonds, nous ignorons comment vous allez la financer ! - et une prime de 225 euros ou de 150 euros à la charge des départements. Selon vous, ces derniers ne débourseront rien. C'est bien difficile à croire, mais les présidents de conseils généraux ici présents sont mieux à même d'en parler.

Il est essentiel de prendre en considération la traduction de cette incitation dans les faits.

Nous observons qu'il s'agit bien souvent d'intérim, de temps partiel subi avec des conditions de travail souvent déplorables. Quant au contrat à durée déterminée, vous avez brutalement décidé, récemment, de le fragiliser par le contrat nouvelles embauches. Et le Gouvernement souhaite généraliser cette régression sociale à l'ensemble de nos jeunes via le contrat première embauche, ou CPE, nouvelle version du contrat d'insertion professionnelle, ou CIP.

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