Intervention de Raymonde Le Texier

Réunion du 25 janvier 2006 à 15h00
Retour à l'emploi — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Raymonde Le TexierRaymonde Le Texier :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « En politique, ce qui est cru devient plus important que ce qui est vrai. » C'est probablement dans cette phrase de Talleyrand que le Gouvernement puise la lettre comme l'esprit de toute son action.

L'intitulé de la plupart des lois qui nous sont proposées sert davantage à masquer ses intentions qu'à préciser ses objectifs.

C'est ainsi qu'hier le projet de cohésion sociale était surtout le cheval de Troie de la déréglementation du licenciement et de la mise à mal du code du travail.

C'est ainsi qu'aujourd'hui, derrière le titre pompeux de projet de loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux, on ne trouve en guise d'ambition que quelques réformettes techniques destinées à inciter les bénéficiaires de minima sociaux à retrouver un travail.

Cela pourrait prêter à rire. Cela ne donne qu'à pleurer !

D'autres orateurs l'on dit avant moi : vivre, ou plutôt survivre, grâce aux minima sociaux est rarement un choix ; c'est plus souvent une conséquence et c'est toujours une souffrance.

La philosophie de ce projet de loi l'ignore quand la question du retour à l'emploi se résume à rendre plus attractif le revenu du travail que celui de l'assistance. C'est oublier qu'actuellement travailler ne protège plus de la pauvreté. En effet, à force de tirer les salaires vers le bas et de conditionner l'embauche à l'acceptation de la précarité, le phénomène des travailleurs pauvres n'a cessé de se développer.

C'est oublier, également, que notre économie ne crée plus d'emplois et que, pour faire baisser statistiquement le nombre de chômeurs, on a fait glisser les bénéficiaires de l'assurance chômage vers le RMI.

C'est nier, surtout, que la question du retour à l'emploi est autant une question d'accompagnement social qu'une question d'intéressement financier.

Quand 6 millions de personnes vivent des minima sociaux, c'est qu'un pays est en panne, qu'une société est en crise et qu'une économie est en berne. C'est rarement parce que l'assistanat est la solution !

En effet, si en 2004 seulement 12, 5 % des bénéficiaires du RMI ont bénéficié d'un intéressement à la reprise de l'emploi, c'est sans doute dû autant à la persistance du chômage qu'à la complexité des procédures d'incitation.

Se retrouver dans le maquis des contrats aidés relève de l'exploit : contrat de qualification, contrat de professionnalisation, contrat d'insertion dans la vie sociale, contrat d'insertion lié au revenu minimum d'activité, contrat d'accès à l'emploi, contrat d'avenir, contrat d'accompagnement dans l'emploi, contrat initiative-emploi, sans oublier le contrat emploi solidarité.

La tête vous tourne et peu d'entre vous, mes chers collègues, ont idée du contenu réel de ces contrats ? Vous n'êtes pas les seuls ! Les professionnels eux-mêmes sont perdus dans cette jungle de propositions où les individus sont découpés en tranches, répartis en cases, où ils n'ont accès aux différents contrats qu'en fonction de conditions qui ne cessent d'être redéfinies et modifiées, au gré des annonces gouvernementales et des besoins statistiques.

Alors imaginez un peu ce qu'un tel maquis de dispositions peut avoir de déstabilisant, voire de repoussant, pour celui qui a été exclu de toute activité salariée durant des années et qui commence à peine la longue marche de l'insertion ! Boileau le disait déjà il y a plus de trois cent cinquante ans : « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément. » Le langage, comme les mesures qui concernent l'exclusion sont opaques parfois, complexes souvent, illisibles toujours !

Que le Gouvernement avance le besoin de simplification et de cohérence pour justifier son intervention ne peut qu'être louable. Malheureusement, dans les faits, la simplification n'est pas si évidente et la cohérence semble être la grande absente de cette démarche.

En guise de simplification, vous ne faites que rajouter un étage à la « fusée » : le mécanisme d'intéressement n'est réformé qu'à partir de la soixante-dix-huitième heure de travail. En deçà, le système demeure inchangé.

Quant à cette limite, exprimée en termes d'horaire, elle n'est pas pertinente. Vous nous expliquez qu'il s'agit de fixer une durée suffisante pour assurer l'autonomie financière des salariés. Si tel est votre objectif, fixez plutôt cette limite en termes de revenus ! C'est ce que réclament les professionnels du secteur et c'est ce que veut la raison.

Sur ces aspects techniques, de nombreux écueils auraient sans doute pu être évités si vous aviez travaillé avec les associations d'insertion. Mais c'est une habitude de votre gouvernement, madame, de prôner la concertation et de ne jamais la pratiquer !

La cohérence, enfin, manque à l'appel. En refusant une approche globale de l'exclusion liant accompagnement social, retour à l'emploi, formation et question des droits connexes -comme la CMU par exemple -, vous vous privez des véritables moyens d'intervention sur ce secteur et vous excluez, de fait, du dispositif les populations les plus vulnérables.

Il faut beaucoup de temps et de moyens pour remettre en selle les personnes les plus exclues. Or rien n'est prévu pour financer l'accompagnement social nécessaire. Pis, la question n'est même pas évoquée.

Par ailleurs, plus la désocialisation a été longue, plus le besoin de formation est important. Comment résoudre le décalage croissant entre les besoins des entreprises et les chômeurs de longue durée sans travailler sur la remise à niveau des compétences professionnelles ?

De plus, la question des droits connexes n'est même pas mentionnée, alors qu'un SMIC à mi-temps, tout en ne permettant pas de vivre, entraîne notamment la perte de la CMU.

Face à un tel décalage entre le titre de la loi et la réalité de son contenu, comment comprendre la décision du Gouvernement d'ignorer les travaux des parlementaires ?

Le texte qui nous est présenté aujourd'hui est bancal, inabouti, manifestement pas à la hauteur des enjeux. Le prétexte de l'urgence n'en excuse pas la médiocrité. Celle-ci est d'autant plus impardonnable qu'il existe des travaux en cours traitant de ces questions d'une façon globale, cohérente et argumentée. Je pense, bien sûr, au rapport de notre collègue Valérie Létard. Je pense également à la réflexion menée par nos collègues Raincourt et Mercier ou encore au rapport publié par Martin Hirsch sur la fusion des minima sociaux et des revenus du travail.

Une telle désinvolture prouve que ce gouvernement n'a que dédain à l'égard des parlementaires, négligeant leurs propositions, méprisant leur travail et méconnaissant leurs réflexions. Nous en avons eu un nouvel exemple aujourd'hui avec l'annonce du contrat de transition professionnel, le CTP.

Pour légitimer ce projet de loi fragmentaire et minimaliste, l'urgence sociale est le seul argument du Gouvernement. C'est le thème du pompier pyromane, car si urgence il y a, elle est largement due à la politique menée par la droite : précarisation du salaire, chute du pouvoir d'achat, explosion du coût du logement, atteintes à la protection sociale, etc.

De surcroît, cette urgence n'est invoquée, madame la ministre, que pour assurer la publicité de vos initiatives. La seule vraie logique qui explique tant de précipitation est celle de l'affichage. Parce que vous baptisez « retour à l'emploi » un projet de loi, vous espérez que nos concitoyens vous créditeront de la volonté de régler le problème et, par ce tour de passe-passe, vous comptez vous exonérer de prendre les mesures efficaces et nécessaires qui s'imposent. C'est une triste politique que celle qui réduit l'action à la communication !

Comble de l'irresponsabilité, vous n'assumez même pas les conséquences financières de vos initiatives. Le risque est porté par d'autres. Votre vision de la décentralisation se résume ici à reporter la charge financière sur les départements.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion