Elle devient malheureusement coutumière. C'est d'autant plus regrettable que cette assemblée, loin de se cantonner à la seule défense de ses intérêts, pose des questions intéressantes sur les risques d'une approche réduite au transfert des seules prestations. Une réflexion par politiques publiques, fondée sur le partenariat et sur le partage des responsabilités entre l'État, la sécurité sociale et les collectivités locales, aurait sans doute été plus créative et plus féconde.
De nombreux élus s'inquiètent. C'est pourquoi ils alertent les pouvoirs publics sur le risque que ce projet de loi ait, à terme, des conséquences sur le niveau des salaires. Le danger peut exister de voir certains chefs d'entreprise moins bien rémunérer leurs salariés au motif qu'ils peuvent cumuler salaire et allocation. Or, sur cet aspect du problème, il n'existe aucun garde-fou.
Pourtant, lors de la réforme du calcul des indemnités des intermittents du spectacle, on a pu constater qu'un certain nombre d'entreprises déclaraient les mois travaillés en fonction de l'ouverture des droits ASSEDIC. En réalité, le salarié travaillait plus que les heures qui étaient transmises à l'ASSEDIC, la différence entre le temps de travail réellement effectué et celui que déclarait l'employeur était prise en charge par l'assurance chômage. C'est ainsi que la solidarité nationale permet à l'entreprise de faire des économies sur la rétribution du travail qu'elle demande aux salariés.
Quel que soit le secteur, on n'est jamais à l'abri de telles dérives et, si nombre d'entreprises s'engageant pour l'insertion sont exemplaires, l'exploitation de la misère a aussi une longue histoire. La lucidité aurait réclamé que ces questions soient débattues afin que les doutes soient dissipés.
Enfin, il en va en politique comme en psychanalyse : quelles que soient les précautions oratoires, à la faveur de lapsus, la vérité finit toujours par apparaître.
Vous prétendez ne pas vouloir stigmatiser les bénéficiaires de minima sociaux. Pourtant, à l'Assemblée nationale, lorsque les députés de votre majorité ont fait voter un système de sanction aussi humiliant que disproportionné, l'amendement a été retenu, sans que vous vous y opposiez.
Vous n'avez pas la moindre suspicion à l'égard des entreprises, mais, s'agissant des demandeurs d'emploi, c'est une autre affaire ! Or, comme l'a clairement dit Bernard Cazeau, la fraude aux minima sociaux représente moins de 1 % des versements, alors même que la caisse nationale des allocations familiales ne cesse de multiplier les contrôles. Sur les sommes indûment versées, il s'avère, une fois le contrôle effectué, que la plupart des allocataires étaient de bonne foi.
Tous les conseillers généraux vous le diront, madame la ministre, la complexité des dispositifs, comme leur absence de lisibilité, est source d'erreurs. D'ailleurs, dans ce cas, les sommes en cause sont bien souvent dérisoires.
Que l'on sanctionne avec sévérité la fraude organisée et intentionnelle n'est pas contestable. Mais ce qui est proposé dans ce projet de loi, à savoir la condamnation quasi automatique à une amende unique de 4 000 euros, est choquant. Outre que la somme est disproportionnée, elle ne tient aucunement compte de la nature de l'infraction. Elle ajoute ainsi l'injustice à la misère, le discrédit à l'exclusion.
Cette amende, dont le caractère outrancier a déjà été souligné par mes collègues, révèle le peu de considération qu'a votre majorité pour les personnes qui subissent l'exclusion, mais, surtout, elle accentue le rejet social que celles-ci supportent déjà. En leur collant une image de profiteur, elle vise à tarir la source même de la solidarité nationale.
On peut s'identifier à des trajectoires de vies brisées, on sait tous au fond de nous que l'être humain est fragile, qu'il est difficile de se relever de certains accidents, que certains destins sont tragiques. En revanche, il est difficile de se sentir concerné lorsque l'on fait passer les bénéficiaires de minima sociaux pour des fraudeurs, voire des fainéants jouisseurs.
C'est là tout ce que vous avez à proposer à notre société : opposer la difficulté à l'exclusion, la pauvreté à la misère, les salaires minimums aux minima sociaux. Vous parlez souvent du respect de la valeur travail, mais vous oubliez toujours que respecter le travail, c'est d'abord le payer !
Les gens que nous rencontrons dans nos villes ou dans nos permanences n'ont pas envie de vivre des minima sociaux : ils cherchent à travailler ! Ce n'est pas seulement une question d'argent, c'est aussi une affaire de dignité, de respect de soi et de place dans la société. Ils ne choisissent pas leur statut après avoir calculé le bilan coût-avantage de l'assistanat, pas plus que, demain, les jeunes de ce pays ne choisiront de gaieté de coeur l'emploi précaire que vous leur proposez plutôt qu'un métier.
Ne nous leurrons pas, en France, le problème majeur demeure le manque d'emploi, la médiocrité des salaires et l'atonie de la croissance ! Madame la ministre, ce n'est pas en construisant une société de la précarité que vous allez redonner confiance à un pays.