Intervention de Guy Fischer

Réunion du 25 janvier 2006 à 15h00
Retour à l'emploi — Question préalable

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous assistons aujourd'hui à un démantèlement accéléré - sans précédent - du code du travail et des droits des travailleurs, droits acquis au fil de décennies de combats politiques et de luttes sociales.

Historiquement, notre société a ancré sa dynamique de progrès social dans l'amélioration progressive et continue des conditions de vie et de travail.

Or ce gouvernement s'attache à tailler en pièces ces garanties de niveau de vie et de stabilité familiale, sociale et économique, par une politique entièrement axée sur la logique du profit de quelques entrepreneurs et de grands groupes bancaires.

Au début de l'été dernier, le Gouvernement a imposé aux Français, par la voie des ordonnances, le contrat nouvelles embauches. Il ne s'est agi là que de la première étape du bouleversement sans précédent des acquis du monde du travail effectué par M. de Villepin et son gouvernement.

Ce bouleversement se poursuit aujourd'hui avec l'annonce de la création du contrat première embauche, véritable « copier-coller » du contrat nouvelles embauches, destiné à nos jeunes générations rencontrant des difficultés d'intégration dans l'emploi.

Les plus âgés des Français ne seront pas épargnés non plus. La création d'un CDD « vieux » - je le dis avec humanisme, mais ce terme, utilisé par les médias, veut bien dire ce qu'il veut dire, même s'il ne nous convient pas, madame la ministre - mettra en cause la stabilité des travailleurs en fin de carrière, alors que la durée d'activité s'allonge malheureusement toujours un peu plus.

La nouvelle conception du monde du travail mise en oeuvre par le Gouvernement fait de la précarité une règle. Ainsi Mme Laurence Parisot a-t-elle déclaré, le 30 août dernier : « La vie, la santé, l'amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? ».

Alors qu'il était une garantie de stabilité, le contrat à durée indéterminée devient, avec le contrat nouvelles embauches, synonyme d'emploi précaire. Aujourd'hui, plus rien ne garantit aux travailleurs des conditions de travail, et donc de vie, relativement stables.

La précarité explose : contrats à durée déterminée de quelques mois, contrats en intérim de quelques jours, contrats nouvelles embauches avec licenciement sans raison motivée, licenciements économiques anticipés, sans recours possible, tel est, madame la ministre, le monde du travail que vous et votre majorité êtes en train de dessiner.

De plus, vous opposez les travailleurs les uns aux autres, les jeunes aux vieux, les femmes avec enfants aux hommes célibataires.

Cette segmentation dangereuse du marché du travail accroît la pression sur les travailleurs, qui sont sans cesse accusés d'être la cause du chômage alors qu'ils en sont victimes du fait du coût trop élevé du travail.

C'est bien de cela qu'il s'agit, madame la ministre, dans le dernier rapport sur le salaire minimum que les services du ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement viennent de rendre public.

Personne n'est dupe : la politique du Gouvernement, qui se veut sociale, ne fait qu'institutionnaliser la pauvreté et l'instabilité sociale, familiale et économique pour toutes les générations, et ce à vie !

Tel est le paysage politique dans lequel nous abordons l'examen de ce projet de loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux. Chacun sait que ce texte n'est que la première étape d'un projet de plus grande ampleur visant à refondre totalement les minima sociaux tels que nous les connaissons aujourd'hui.

La méthode gouvernementale nous inquiète. En effet, alors que, sous la direction de Mme Valérie Létard, un groupe de travail sénatorial, dont je fais partie, réfléchit depuis plusieurs mois à des pistes de réforme des minima sociaux, le présent texte en anticipe les conclusions. Pourquoi un tel empressement ? Quels mauvais coups sont en préparation ?

Par ailleurs, je souligne que la commission des affaires sociales, fait exceptionnel, n'a procédé à aucune audition en préparation de ce texte. Les structures d'aides sociales et les associations qui travaillent chaque jour sur le terrain avec les bénéficiaires des minima sociaux n'ont pas une seule fois été interrogées par la commission !

Je m'inquiète également au sujet d'une proposition de loi sur les minima sociaux que l'on nous a annoncée pour les jours ou les semaines à venir et sur laquelle nous ne disposons pas de la moindre information pour l'instant. Peut-être M. de Raincourt ou Mme Létard pourraient-ils nous renseigner à ce sujet ?

La méthode employée est révélatrice de vos intentions, madame la ministre. Votre volonté de réforme dissimule mal le fait que votre projet est de réduire les aides accordées, ainsi que le champ des publics concernés, afin de réaliser quelques économies sur le dos des plus démunis et de pouvoir afficher des statistiques sur le chômage en baisse à la veille de l'élection présidentielle.

Je ne serais pas étonné si la fameuse proposition de loi que l'on nous annonce pour la fin du mois de février était, entre autres, la traduction législative des vues de MM. Mercier et de Raincourt, qui évoquent clairement, dans le rapport qu'ils ont remis au Gouvernement, la fusion en une seule allocation de certains minima sociaux, c'est-à-dire du revenu minimum d'insertion et de l'allocation de parent isolé.

En fait, sous prétexte de clarifier un système qu'il considère comme trop complexe - neuf minima sociaux !-, le Gouvernement souhaite uniformiser la prise en charge des plus démunis pour aboutir à une allocation unique. Une telle uniformisation se fera au détriment des plus pauvres, mis au ban de la société et stigmatisés comme assistés et fraudeurs en puissance.

L'objectif est clair : aboutir à une allocation unique, sur critère exclusif de revenu, alors que, jusqu'à présent, dans le système en vigueur, le critère d'attribution du revenu a toujours été complété par la prise en compte du statut - femme seule élevant un enfant, handicapé ou chômeur en fin de droit par exemple -, et ce afin de respecter les spécificités de chacun. Ce critère du statut est donc grandement menacé. Ce sont les plus pauvres qui en seront les premières victimes !

L'existence de ces différents statuts ne constitue pas, madame la ministre, une complexité ou une lourdeur administrative inutile. Ils correspondent chacun à des situations et à des parcours de vie différents. Ils évitent des amalgames et des raccourcis qui conduisent à penser que la société a à sa charge une population d'assistés, dépeinte, depuis la loi Fillon, comme une masse d'indigents, informe et sans visage.

Ce texte traduit votre volonté de démanteler les systèmes d'aides et de protection sociale. Ce gouvernement organise une véritable chasse aux pauvres, aux chômeurs et aux assurés sociaux, qui s'accompagne d'une campagne médiatique sans précédent, visant à les présenter comme les seuls responsables de leur sort et comme des fraudeurs potentiels.

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