Intervention de Gisèle Printz

Réunion du 25 janvier 2006 à 15h00
Retour à l'emploi — Demande de renvoi à la commission

Photo de Gisèle PrintzGisèle Printz :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la précarité est un phénomène inquiétant qui ne cesse de progresser dans notre pays.

Les dernières statistiques de décembre 2005 font apparaître une augmentation continue du nombre de bénéficiaires de minima sociaux, notamment du RMI. On en dénombre 1 107 000, soit 22 000 de plus en trois mois et 6, 2 % de plus en un an. En outre, 470 000 personnes vivent de l'allocation de solidarité spécifique, l'ASS, et 175 000 personnes perçoivent l'allocation de parent isolé, l'API. Avec les ayants droit, cela représente quelque six millions de personnes vivant de minima sociaux.

Cette augmentation peut s'expliquer par la situation très défavorable de la création d'emploi et par l'augmentation du nombre de chômeurs non indemnisés par l'UNEDIC après la réforme de l'assurance chômage intervenue à la fin de 2002. Ainsi, 59, 5 % des chômeurs sont aujourd'hui indemnisés par l'UNEDIC, les autres relevant de dispositifs de solidarité. Les récentes négociations n'arrangeront rien, bien au contraire, puisque les conditions d'accès à l'allocation chômage ont été durcies. Ainsi, selon l'office Eurostat, 7, 2 millions de personnes vivent aujourd'hui avec moins de 720 euros mensuels en France.

La précarité devient un phénomène durable et concerne particulièrement les jeunes. Un tiers des allocataires du RMI le sont depuis plus de cinq ans ; ils sont donc très loin de l'emploi, en grande difficulté sociale.

Par ailleurs, le nombre de chômeurs de longue durée a augmenté de 9, 3 % en un an.

Mais le plus grave, comme le montre la dernière enquête du Secours catholique, est que les personnes en situation de grande précarité subissent en outre une perte de pouvoir d'achat. Celle-ci a été de 1, 5 % en moyenne pour les personnes secourues entre 2003 et 2004.

Cette situation invraisemblable est à mettre en rapport avec les effets des dernières lois de finances en faveur des redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune, des détenteurs de portefeuilles d'actions, des bénéficiaires de niches fiscales. On prend aux pauvres pour donner aux riches, en quelque sorte.

De la précarité découle le problème du logement. Selon la Fondation Abbé Pierre, 3 millions de personnes sont aujourd'hui mal logées : SDF, habitat provisoire ou insalubre, squats, etc. Par ailleurs, 1, 3 million de personnes sont officiellement en attente d'un logement social. Le « reste à vivre mensuel » des personnes en logement précaire - hôtels, caravanes, centres d'hébergement... - est ainsi tombé de 304 euros en 2002 à 261 euros en 2004.

Être sans emploi dans notre société est tellement dévalorisant que cela entraîne un repli sur soi, une perte de confiance, des soucis de santé et des problèmes familiaux.

Dans ce contexte de généralisation progressive de la précarité et d'accroissement des inégalités, et après les graves événements des banlieues, le Gouvernement semble décidé à réagir. C'est pourquoi nous examinons aujourd'hui ce projet de loi sur le retour à l'emploi, au titre très ambitieux eu égard aux mesures qui nous sont proposées. Celles-ci relèvent davantage de l'effet d'annonce que d'une volonté réelle de mettre fin à l'exclusion.

Pourtant, de nombreux rapport ont révélé des pistes de réflexion intéressantes.

Il y a eu tout d'abord le rapport du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, le CERC, présidé par Jacques Delors, puis celui de Martin Hirsch, président d'Emmaüs France, puis les rapports parlementaires établis par Michel Mercier, au nom de l'Observatoire de la décentralisation du Sénat, celui de Valérie Létard sur les minima sociaux et, enfin, celui de nos collègues Michel Mercier et Henri de Raincourt, adressé au Premier ministre.

Pour ce qui est de ce dernier rapport, le Gouvernement n'a même pas attendu ses conclusions. Sa volonté de se désengager le plus rapidement possible de l'action sociale, au détriment des collectivités territoriales, a prévalu sur la réflexion et la qualité des propositions.

Ainsi, malgré tous ces rapports, nous nous trouvons face à un texte rédigé dans la précipitation et sans concertation en amont avec les acteurs de terrain.

Pourquoi ne pas avoir travaillé avec les grandes associations ? La Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale, la FNARS, l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux, l'UNIOPSS, les conseils généraux, les mouvements de chômeurs auraient eu beaucoup d'observations à formuler sur ce sujet. Mais aucune d'entre elles n'a été consultée, ce qui, malheureusement, semble être devenu une habitude depuis la création du RMA. On décide sans écouter l'avis des principaux intéressés, ce qui est à déplorer.

En conséquence, nous examinons aujourd'hui un texte qui, au lieu de l'aider, stigmatise une partie de la population, puisque le non-respect des contraintes qu'il prévoit peut entraîner des radiations. En d'autres termes, il punit les chômeurs qui ne parviennent pas à retrouver un emploi, alors qu'il existe peu d'emplois disponibles sur le marché du travail.

Le volet « sanction » du texte, inséré par amendements à l'Assemblée nationale, est totalement disproportionné, et inapplicable ; il risque de provoquer un endettement à vie des personnes en difficultés. De nos jours, le chômeur, le bénéficiaire de minima sociaux est rendu responsable de son état et mis en accusation.

On peut se demander si le fait de culpabiliser ces populations n'est pas une diversion pour tenter de faire oublier l'échec du Gouvernement en matière de mise en oeuvre d'une politique créatrice de croissance et d'emplois apte à diminuer le nombre d'allocataires du RMI, comme celle qui fut mise en place en 2000 et 2001 sous le gouvernement Jospin. Il faut être honnête, notre société n'est pas créatrice de vrais emplois.

Par ailleurs, ce texte, purement technique, ne constitue pas une réponse globale au problème de la précarité. Les mesures proposées sont insignifiantes. Ce gouvernement à tendance à ne traiter les problèmes de notre société qu'à la marge, sans aller au fond des choses, à faire du « rafistolage » en quelque sorte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion