Ce que nous connaissons, en revanche, ce sont les difficultés d'application administratives et judiciaires et les atteintes à la vie privée suscitées par le décret de 2005.
Il est de plus en plus fréquent que les délais pour la transcription d'un acte de mariage se calculent en années et entraînent l'impossibilité de la vie commune, puisque le conjoint étranger ne peut pas venir en France.
Les auditions sont effectuées avec plus ou moins de clairvoyance et de tact par des agents consulaires surmenés que rien n'a préparé à cette tâche de police de la vie privée.
Depuis mars 2005, le parquet et le greffe du tribunal de Nantes croulent sous la tâche. Les magistrats du service de l'état civil du parquet ne traitent plus que le contentieux du mariage, un seul poste nouveau ayant été créé. Quant au TGI, dans lequel travaillent quatre magistrats, il a vu le nombre d'affaires qui lui échoit passer de 700 à 1 400.
Ce que l'on sait de l'application du décret de 2005 laisse donc présager le pire en termes tant de dysfonctionnements administratifs et judiciaires que d'atteintes à la vie familiale.
Le présent projet de loi complique le dispositif antérieur, et rien n'assure que la loi sera applicable.
En effet, si ce projet est voté, il sera désormais possible de remettre en cause la validité du mariage à tout moment.
Ce sera tout d'abord possible a priori, avec l'obligation pour tout Français qui se marie à l'étranger d'obtenir au préalable un certificat de capacité à mariage. Ce contrôle a priori est, j'y reviendrai, parfaitement utopique. La France n'a pas pouvoir sur tous les pays du monde en matière de mariage.
Il sera également possible de remettre en cause la validité des mariages a posteriori, comme dans le cadre du décret de 2005, soit après sa célébration, soit avant la transcription de l'acte étranger. En outre, le parquet aura à tout moment la faculté - s'il en a le temps et les moyens - d'attaquer la validité du mariage en cas d'« élément nouveau ». Cet « élément nouveau » est la porte ouverte à tous les abus.
La loi multiplie donc les obstacles à la transcription du mariage et allonge tous les délais qui séparent le couple du moment où il pourra y avoir communauté de vie effective. Multiplication des obstacles, allongement de tous les délais, on retrouve la méthode qui a prévalu dans la loi dite « CESEDA », relative à l'immigration et à l'intégration, et on sent la patte du même auteur.
En poussant l'analyse plus au fond, nous constaterons que cette loi vise à renverser les procédures judiciaires et, de ce fait, induit une inégalité entre les citoyens et entre les justiciables.
Dans le cadre du décret de 2005, le parquet est toujours demandeur. C'est lui qui doit assigner et prouver au tribunal que son assignation repose sur des faits objectifs. Si le projet de loi que nous examinons est adopté, ce sera dorénavant le consulat qui refusera de transcrire le mariage, et le parquet de Nantes sera en situation de défense face à des époux qui l'attaqueront pour refus de transcription.
Le fait de renverser la charge de l'attaque introduit une discrimination entre les justiciables, entre ceux qui pourront faire face aux dépenses de la procédure, qui auront les moyens de prendre un avocat à Nantes, et ceux qui ne le pourront pas.
Par ailleurs, les couples devront faire la preuve de la sincérité de leurs intentions. Mais comment prouver son innocence en un domaine aussi intime ?
Comme nous le verrons dans le cours du débat, le cumul de l'engagement des consulats, du parquet et du TGI de Nantes, la difficulté de délivrer les assignations à l'étranger et de signifier les jugements feront que, en dépit de l'importance du travail accompli, des fonds publics investis et de l'énergie dépensée, le dispositif sera encore moins opérationnel que le précédent, ne permettant guère d'annuler les mariages réellement entachés de fraude qui sont célébrés à l'étranger. La réponse judiciaire aux mariages migratoires, abusivement confondus avec tous les mariages binationaux, c'est-à-dire le recours à une procédure écrite contradictoire, est inadaptée à ces situations liées à la vie intime.
Ce texte porte une atteinte disproportionnée aux droits des personnes par rapport aux objectifs poursuivis et aux résultats prévisibles. Nous ne le voterons donc pas.