Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, développer l’alternance et sécuriser les parcours professionnels : tels sont les objectifs, éminemment importants pour une partie de la jeunesse et des salariés de notre pays, de cette proposition de loi.
En effet, est-il acceptable de se résigner à un taux de chômage des jeunes de seize à vingt-cinq ans qui atteint 23, 3 % ? Un tel taux est en effet dramatique pour leur avenir !
Est-il davantage acceptable de tenir la dégradation de la stabilité de l’emploi et l’impuissance des salariés face aux changements économiques pour des situations acquises et sans remède ? Je ne le crois pas.
C’est pour répondre à ces problèmes qui mettent gravement en péril la cohésion sociale que la présente proposition de loi a vu le jour, sur l’initiative de notre collègue député Gérard Cherpion.
Cette proposition de loi vise à offrir des réponses simples et efficaces aux difficultés que peuvent rencontrer certains jeunes pour accéder à l’emploi et certains employeurs pour recruter de la main-d’œuvre. Elle n’a pas la prétention de constituer la réforme d’ensemble qui réglera le problème du taux d’emploi des populations les plus fragiles. Mais elle présente de nombreuses mesures pragmatiques, faciles à mettre en œuvre sans délai et susceptibles d’amorcer une dynamique de croissance de l’emploi.
C’est en effet en actionnant différents leviers encore sous-exploités des champs de la formation initiale, de l’accompagnement des mutations économiques et de la gestion de la main-d’œuvre que l’on pourra donner l’impulsion permettant de consolider la reprise de l’activité économique que la France, comme l’a souligné M. le ministre, connaît depuis le début de l’année 2010.
Depuis son dépôt à l’Assemblée nationale au mois d’avril dernier, la proposition de loi a connu plusieurs évolutions importantes.
Son article 6, qui instaurait un système de bonus-malus sur la contribution supplémentaire à l’apprentissage, a été intégré au projet de loi de finances rectificative pour 2011 actuellement en cours d’examen.
Son article 13, consacré au partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise, figure désormais dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative pour 2011 que nous examinerons prochainement.
Saisis en application du protocole de consultation sur les propositions de loi touchant au droit du travail, les partenaires sociaux ont conclu deux accords nationaux interprofessionnels qui sont encore venus enrichir le texte initial.
Enfin – surtout, dirai-je –, le dispositif d’ensemble a pris de l’ampleur, avec l’ajout de vingt-huit articles lors de l’examen de la proposition de loi à l’Assemblée nationale.
Les dispositions du texte s’organisent désormais autour de quatre grandes thématiques qui se révèlent complémentaires. Elles partagent un objectif commun : améliorer concrètement les conditions d’emploi et de formation des jeunes et de certains salariés ainsi que les possibilités de développement économique des entreprises.
La première thématique porte sur le développement de l’alternance. Elle constitue la traduction des engagements du Président de la République, dans son discours du 1er mars 2011, en faveur des jeunes suivant une formation en alternance. La proposition de loi contient donc un ensemble de mesures en faveur des 600 000 jeunes qui suivent aujourd’hui l’un de ces cursus et qui, espérons-le, seront demain encore plus nombreux à le faire.
Mes chers collègues, vous tous qui êtes élus locaux comme moi, vous avez sans doute été appelés à l’aide par des jeunes de votre département qui ne parvenaient pas à trouver de place en apprentissage. La proposition de loi leur apportera des solutions concrètes, comme de nouvelles possibilités de formation en CFA, pendant qu’ils continuent leur recherche. Grâce aux initiatives heureuses de notre collègue Jean-Claude Carle, la commission des affaires sociales a renforcé les passerelles destinées à ceux qui souhaiteraient changer de formation en cours de route et se réorienter, en passant de la préparation d’un baccalauréat professionnel à celle d’un certificat d’aptitude professionnelle.
Nous savons bien que l’alternance constitue une vraie réponse à la précarité grandissante qui touche certains jeunes, bien plus exposés aux effets des crises que nous ne l’étions à leur âge. Mais les mentalités sont longues à changer et il est malheureusement toujours nécessaire de rappeler que l’apprentissage est une voie d’excellence, comme l’a dit Mme la ministre. En effet, deux tiers des apprentis trouvent un emploi à la sortie de leur formation et 86 % d’entre eux ont un emploi trois ans après la fin du contrat d’apprentissage ; les chiffres parlent d’eux-mêmes ! L’apprentissage représente également le meilleur moyen de devenir chef d’entreprise : plus de la moitié des patrons d’entreprise artisanale sont eux-mêmes issus de l’apprentissage !
Voila pourquoi la proposition de loi s’attache à rendre l’apprentissage plus attractif et à mieux le valoriser. Contrairement à ce qui a pu être dit ici ou là, elle ne prévoit pas d’ouvrir l’apprentissage à partir de quatorze ans. Nous avons déjà débattu de cette question dans le passé, mais j’insiste et j’insisterai encore sur ce point : les promoteurs de la proposition de loi n’envisagent aucunement de permettre aux jeunes d’entrer en apprentissage dès quatorze ans !
En revanche, elle propose la revalorisation du statut de l’apprenti, notamment en créant une carte d’étudiant des métiers qui accordera les mêmes avantages économiques, sociaux et culturels que la carte d’étudiant. Les travaux de la commission des affaires sociales ont permis de garantir que les CFA délivreront effectivement cette carte.
Cela étant, l’apprentissage ne se développera pas sans la coopération complète des entreprises. Pour y parvenir, la proposition de loi tend à permettre à deux nouveaux secteurs économiques, qui en ont fait activement la demande, de recourir à l’apprentissage : le secteur du travail temporaire et celui des activités saisonnières. Nous avons d’ailleurs accompagné ce mouvement en ouvrant aux particuliers employeurs, sur la proposition de notre présidente Muguette Dini, la possibilité de recourir aux contrats de professionnalisation afin de favoriser la formation des personnels et de mieux répondre aux besoins des familles.
L’apprentissage ne se développera pas non plus sans les personnes dévouées, passionnées et prêtes à transmettre leur savoir-faire que sont les maîtres d’apprentissage. La proposition de loi prévoit que les branches professionnelles devront négocier sur les moyens de valoriser leur engagement.
Nous avons également été sensibilisés à la question des ruptures de contrats d’apprentissage en « cours de route », qui constituent autant d’échecs navrants. La commission des affaires sociales a donc souhaité élargir temporairement les missions des médiateurs de l’apprentissage à la prévention de ces ruptures, en se fondant sur l’expérience particulièrement efficace de l’Alsace-Moselle ; dans ces trois départements, le taux de rupture des contrats d’apprentissage n’est que de 8 %, contre 24 % à l’échelle nationale.
La deuxième thématique porte sur l’encadrement des stages.
Les mesures que nous avions déjà adoptées dans le cadre de la loi pour l’égalité des chances, notamment sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Godefroy, sont ici renforcées. Ces améliorations reprennent les conclusions de l’accord national interprofessionnel du 7 juin 2011 sur l’accès des jeunes aux formations en alternance et aux stages en entreprise.
On sait que les stages restent, pour les jeunes, un excellent moyen de parfaire une formation et sont une étape clé pour leur insertion dans le monde du travail. Ils seront désormais mieux reconnus : les stagiaires accéderont, au même titre que les salariés, aux activités sociales et culturelles de l’entreprise et la durée du stage sera mieux prise en compte dans la période d’essai, en cas d’embauche.
La commission des affaires sociales a également tenu à réaffirmer les droits des jeunes qui souhaitent développer leur engagement citoyen. Sur proposition d’Isabelle Debré, elle a autorisé les jeunes de seize ans révolus à constituer une association et, avec l’accord de leur représentant légal, à l’administrer.
La troisième thématique est fondamentale, car elle concerne l’aide aux personnes victimes d’un licenciement économique.
La proposition de loi crée un nouveau contrat, à savoir le contrat de sécurisation professionnelle, destiné à encadrer leur parcours de retour à l’emploi et à leur permettre, par une formation longue et des périodes de travail, de se reconvertir professionnellement. Ce contrat réalise la fusion de deux dispositifs actuels : le contrat de transition professionnelle, le CTP, et la convention de reclassement personnalisé, la CRP, qui, jusqu’ici, coexistaient difficilement.
Du fait de querelles internes, les méthodes employées dans ces deux dispositifs et leur pilotage n’ont jamais pu être harmonisés. Les conseillers de Pôle emploi, chargés principalement de la mise en œuvre de la CRP, n’ont bénéficié ni de la formation nécessaire ni de l’incitation suffisante pour exploiter le potentiel qu’offre un accompagnement de long terme centré sur l’orientation et la formation.
Pour répondre aux critiques, je tiens à préciser que la fusion des deux dispositifs dans le CSP s’opère sur la base de mesures qui ont fait leurs preuves : l’accent est mis sur le pilotage territorial du futur dispositif, qui explique le succès du CTP lorsqu’il repose sur des acteurs locaux inventifs et compétents, comme j’ai pu en auditionner. Le lien avec le tissu économique local sera donc essentiel pour identifier les métiers vers lesquels il faut orienter la reconversion des bénéficiaires du CSP.
Dans un accord signé le 31 mai 2011, les partenaires sociaux ont défini les modalités de mise en œuvre du CSP. Si cet accord, en lui-même, n’est pas l’objet de notre texte, on peut néanmoins signaler que le CSP sera ouvert aux salariés à partir d’un an d’ancienneté, contre deux ans dans le cadre de la CRP, qu’il donnera droit au versement d’une allocation équivalente à 80 % du salaire brut et, surtout, qu’il sera expérimenté pour l’accompagnement des publics précaires, ceux qui ne bénéficient d’aucune sécurité sur le marché du travail, qu’ils soient en fin de contrat à durée déterminée ou en intérim.
Enfin, la quatrième thématique porte sur les groupements d’employeurs.
Créés en 1985, ces groupements, dont l’objet est de permettre aux entreprises adhérentes d’organiser entre elles la mise à disposition non lucrative de salariés travaillant à temps partagé, représentent aujourd’hui 23 000 emplois. Cette formule a pour intérêt d’offrir des emplois stables, tout en répondant à un besoin temporaire de main-d’œuvre des employeurs : les petites entreprises peuvent notamment partager de cette manière les services de techniciens qualifiés et les grandes entreprises peuvent également y trouver leur intérêt, en développant par ce biais une coopération avec les autres acteurs économiques locaux.
La proposition de loi simplifie les modalités d’adhésion et les règles de responsabilité financière applicables. Cet aménagement devrait encourager les entreprises à considérer le groupement comme le moyen de s’adapter aux variations de l’activité tout en protégeant leurs travailleurs et non pas, comme le craignent certains, être un facteur de précarisation des salariés.
La commission des affaires sociales a veillé à organiser les relations entre groupements d’employeurs et collectivités territoriales, car celles-ci ne sont pas des acteurs économiques comme les autres : elles peuvent être amenées à satisfaire leurs besoins temporaires de main-d’œuvre, pour des travaux d’entretien par exemple, en faisant appel à des entreprises d’insertion. Nous nous sommes aussi préoccupés des conséquences qui pourraient résulter de l’existence de ces groupements d’employeurs pour l’emploi des travailleurs handicapés ; je souhaiterais, madame la ministre, monsieur le ministre, que vous nous donniez l’assurance que cette formule ne conduira pas à exonérer certaines entreprises de l’obligation, qui leur est imposée par la loi, d’employer des travailleurs handicapés à hauteur de 6 % de leur effectif. Vous savez que je tiens au respect de cette obligation !
Pour finir sur les groupements d’employeurs, je rappelle que les partenaires sociaux ont ouvert, la semaine dernière, une négociation interprofessionnelle sur ce thème. C’est pour cette raison, et pour respecter les règles du dialogue social, que la commission des affaires sociales a proposé de reporter l’entrée en vigueur des dispositions de la présente proposition de loi relatives à ce sujet au 1er novembre 2011, pour laisser du temps à la négociation. Si les partenaires sociaux parviennent à un accord d’ici là, la loi en tiendra compte, mais il ne faudrait pas que l’intervention du législateur soit entravée par des négociations qui pourraient ne jamais aboutir. Depuis plus de deux ans déjà, la réforme des groupements d’employeurs est attendue : il est grand temps d’agir !
J’ajouterai un dernier mot sur le prêt de main-d’œuvre. Cette pratique a été plébiscitée durant la crise et la commission des affaires sociales a souhaité lui donner un cadre juridique protecteur des droits des salariés.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons considéré que la proposition de loi met en lumière certains obstacles au développement de l’emploi, liés aussi bien à la formation en alternance qu’au reclassement des licenciés économiques, et qu’elle y apporte de vraies réponses, en développant la flexibilité, au bénéfice des jeunes en formation, des salariés et des employeurs, et en garantissant une plus grande sécurité dans le déroulement des parcours professionnels.
Bien évidemment, je ne peux achever mon propos sans préciser que nous regrettons néanmoins que le recours à la procédure accélérée et le calendrier très contraint qui nous a été imposé nous conduisent à examiner ce texte dans des conditions peu satisfaisantes.