Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce n'est ni fait ni à faire ! Cette expression populaire résume bien ce que l'on ressent à l'examen du projet de loi que nous examinons aujourd'hui.
Un peu plus de vingt ans après le vote de la loi fondatrice d'une fonction publique territoriale, il n'est pas surprenant qu'élus et syndicats sollicitent un rafraîchissement du texte, même si celui-ci avait déjà subi quelques profondes retouches, en 1987 avec la loi Galland et en 1994 avec la loi défendue par notre ancien collègue Daniel Hoeffel.
Les acteurs de l'époque se souviennent des débats qu'a suscités la loi du 26 janvier 1984. Véritable monument législatif, ce texte était le troisième volet de la décentralisation voulue par François Mitterrand, portée par Pierre Mauroy et Gaston Defferre.
Ce fut aussi une étape capitale pour la nouvelle fonction publique à trois versants : fonction publique d'État, fonction publique territoriale et fonction publique hospitalière. Pour les agents territoriaux, ce fut la reconnaissance de leur statut de fonctionnaire. Pour les collectivités, c'était la condition indispensable pour qu'elles puissent faire valoir pleinement leur autonomie.
La loi du 26 janvier 1984 a donc contribué à la réussite de la grande loi de décentralisation.
Après ce bref rappel, j'en viens au projet de loi dont le Sénat est saisi aujourd'hui, projet dont l'élaboration s'apparente à un véritable parcours du combattant, chaotique, hésitant, incertain, avant d'être adopté en conseil des ministres : trois ministres, douze versions, quatre ans de réflexion, de rapports et d'études diverses et variées...
Au sujet des études, monsieur le président, je ne peux m'empêcher de m'insurger de nouveau sur les méthodes de notre assemblée. Je veux parler d'un groupe de travail chargé de réfléchir aux voies et moyens d'une réforme de la fonction publique territoriale, présidé par notre collègue Jean-Jacques Hyest. Par deux fois, le 6 mai et le 9 octobre 2003, j'ai demandé pour quelles raisons l'opposition en avait été écartée.
Par deux fois, j'ai demandé des éclaircissements au président de notre assemblée : ou bien le groupe de travail était exclusivement réservé à l'UMP, et dans ce cas les moyens du Sénat n'avaient pas à être mis à sa disposition ; ou bien il s'agissait d'un groupe de travail sénatorial - comme Mme Gourault le laisse croire dans son rapport -, auquel cas il devrait être ouvert à tous les groupes politiques !
Je regrette que mes questions soient toujours en attente de réponses. Surtout, monsieur le président, je m'insurge contre le fait que ce rapport reçoive abusivement aujourd'hui le sceau du Sénat.
Nous avons lu ce projet de loi qui, en trente-six articles, apporte diverses dispositions concernant la formation et la gestion des agents territoriaux, les organes de la fonction publique territoriale, l'hygiène, la sécurité et la médecine du travail.
Monsieur le ministre, je n'ai trouvé dans ce texte ni fil conducteur, ni perspective, ni aucune ambition. Certes, tout n'est pas à jeter, loin de là, car votre projet de loi comporte des avancées qui répondent à de nombreuses attentes des élus et des agents.
« Ni fait, ni à faire », disais-je au début de mon propos : telle est sans aucun doute la raison du rejet quasi-unanime des acteurs de la fonction publique territoriale.
Or la préparation de ce projet de loi aurait pu être l'occasion d'approfondir certains sujets, par exemple les effets des avancements et des promotions. Il ne faut pas perdre de vue qu'en moyenne les agents atteignent le dernier échelon entre vingt-cinq et trente ans de carrière, ce qui engendre découragement et démotivation en fin de parcours professionnel.
Peut-être faudrait-il trouver un nouvel équilibre entre la formation tout au long de la vie et la formation initiale dispensée aux fonctionnaires nouvellement recrutés. D'autant que le contenu de ces formations est souvent, pour ces derniers, la répétition de formations qu'ils ont reçues quelques mois auparavant, lors de leur préparation au concours.
Peut-être faudrait-il également revoir la partition des lauréats entre les concours internes et les concours externes. La question est simple : faut-il accueillir plus de nouveaux fonctionnaires venant de l'extérieur afin d'apporter du sang neuf, ou bien faut-il donner plus de chance aux fonctionnaires en place, et ainsi les motiver pour aborder la deuxième partie de leur carrière ?
Certes, la loi aborde certains sujets intéressants, mais elle ne tient pas assez compte de l'inadaptation de la législation en vigueur pour les communes rurales, tant en matière de recrutement qu'en termes de progression de carrière.
Dans mon département, je partage quotidiennement les difficultés que rencontrent les maires des petites communes lorsqu'ils doivent recruter un secrétaire de mairie, par exemple. La polyvalence et parfois le sentiment d'isolement sont des freins pour susciter des candidatures.
En ce qui concerne la progression de carrière de leurs agents, les maires acceptent également mal les effets des quotas.
Je reviendrai sur ces deux points lors de la discussion des articles.
Voilà quelques sujets, parmi d'autres, qui auraient mérité une expertise plus poussée. Néanmoins le temps m'oblige à laisser ces considérations générales pour en revenir au projet de loi lui-même.
Après le passage devant le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, patatras ! Vous appuyant sur l'avis du Conseil d'État, abusivement à mes yeux, vous avez introduit des modifications substantielles. Croyez-vous sincèrement, monsieur le ministre, qu'aujourd'hui le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale approuverait cette nouvelle version du texte, profondément remaniée ? J'en doute fort !
Pour respecter l'ordre des chapitres, j'aborderai alternativement la formation et les organes de la fonction publique territoriale, avec un fil conducteur : tenter de déterminer la bonne frontière entre les tâches de formation et celles de gestion.
Certes, en matière de formation, ce texte comporte de judicieuses propositions. Ce volet formation prendra d'autant plus d'importance que, du fait du grand nombre de départs en retraite, nous devons nous attendre à davantage de recrutements, donc à un plus grand besoin en matière de formation.
Cependant, qui dit formation dit également examens et concours, ce qui me conduit à prononcer quelques mots sur l'Observatoire de l'emploi, des métiers et des compétences de la fonction publique territoriale. Comment conduire des politiques de formation sans maîtriser un certain nombre d'informations concernant les métiers exercés, l'évolution des politiques publiques territoriales et les flux des agents ?
C'est pourquoi nous considérons que l'Observatoire de la fonction publique territoriale, parce qu'il est l'élément pivot du dispositif de formation, doit demeurer de la compétence du Centre national de la fonction publique territoriale. Cela doit s'accompagner, c'est l'évidence même, d'un partage des informations avec tous les autres partenaires concernés : Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, centres de gestion et services de l'État.
À ce propos, l'absence de coordination nationale en matière de concours, notamment pour les catégories A, présente un risque réel d'éclatement du statut
Ce projet, qui relève du « bidouillage », ne répond au fond ni à la situation des centres de gestion ni à celle du Centre national de la fonction publique territoriale.
Sans remettre en cause les capacités des centres de gestion, se pose néanmoins la question particulière des concours des cadres d'emplois supérieurs de la fonction publique territoriale.
Depuis plusieurs années, le CNFPT s'est engagé dans une profonde réforme de son dispositif de formation des cadres supérieurs, en se rapprochant notamment des grandes écoles de l'État. Ce mouvement de réforme doit être poursuivi en plaçant le CNFPT sur un pied d'égalité avec ses homologues de l'État pour réaffirmer le principe de comparabilité, principe fondamental inscrit dans la loi de 1984.
Enfin, toujours en ce qui concerne le volet concours, rien n'est prévu pour tenter de régler la délicate question des « reçus-collés », qui, soit dit en passant, n'existaient pas dans la loi du 26 janvier 1984 d'origine !
On a beaucoup parlé, ici ou là, de clarification des missions des organes de la fonction publique territoriale. Nous y souscrivons totalement, mais il faut être prudent dans ce domaine. D'autant que, bon an, mal an, les élus, les fonctionnaires et les personnes extérieures à la fonction publique se sont finalement bien adaptés au dispositif, malgré sa complexité.
Il faut dire que, dans de nombreux départements - et c'est une bonne chose -, se créent des maisons de la fonction publique qui regroupent en un même lieu le centre de gestion et le Centre national de la fonction publique territoriale. Alors, ne bouleversons pas tout à chaque changement de majorité !
C'est ainsi que l'idée de créer une nouvelle structure à l'échelon national, le Centre national de coordination des centres de gestion, est a priori séduisante : au CNFPT serait attribuée la formation, au Centre national de coordination des centres de gestion reviendrait la gestion. Mais apporte-t-elle réellement un plus en termes de clarification ?
Au passage, je veux souligner qu'il s'agissait non pas d'une proposition de M. Claudy Lebreton, mais d'une des propositions de M. Claudy Lebreton.