Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’opinion publique regarde la politique agricole commune sans indulgence. Elle la perçoit souvent comme un montage illisible et coûteux à une époque où l’agriculture est devenue une activité lointaine pour la très grande majorité de nos concitoyens et où la défiance à l’égard de la construction européenne reste forte.
Monsieur le ministre, l’un de vos objectifs, lorsque la France a pris la présidence du Conseil de l’Union européenne voilà bientôt un an, était de changer cette perception et de replacer l’agriculture et la PAC dans le contexte mondial de la crise alimentaire et de la volatilité des prix agricoles d’alors.
Pour cela, la conférence intitulée « Qui va nourrir le monde ? » était particulièrement bienvenue et augurait d’une prise de conscience au niveau européen en préalable au débat sur le bilan de santé de la PAC. Cela n’a malheureusement pas été complètement intégré par les vingt-sept États membres de l’Union européenne au vu de l’accord a minima qui est intervenu le 20 novembre dernier.
Parallèlement, l’impression laissée par l’annonce du Président de la République le 19 février dernier et les récents arbitrages du Gouvernement concernant la déclinaison nationale de l’accord européen relative au bilan de santé de la PAC comporte des ambiguïtés. Il y a eu, certes, une révision française de la répartition des aides en faveur des éleveurs et des soutiens à l’herbe. Je salue cette évolution qui était bien nécessaire au regard de l’inégalité scandaleuse de cette répartition et de la situation critique de l’élevage ovin en particulier. Mais ce rééquilibrage attendu et médiatisé a cependant été quelque peu atténué dans un deuxième temps au profit des céréaliers lorsque la rallonge de 170 millions d’euros a été accordée à ces derniers.
Les réactions dans le monde agricole ont été mitigées. Est-ce parce que les décisions annoncées exprimaient un compromis ? Ou est-ce parce que nous sommes face à des décisions à court terme prises dans un cadre national qui ne rassurent pas sur l’avenir de la PAC après 2013 ? Les questions essentielles de ce que peut et veut faire l’Europe sur les grands sujets que sont les équilibres au sein de l’offre et au sein de la demande de produits agricoles ont à mon avis été laissées de côté. Plus exactement, on leur a substitué une liste d’objectifs importants que vous avez énumérés et auxquels tout le monde ne peut que souscrire, notamment rendre la PAC plus légitime et aborder 2013 dans de meilleures conditions.
Mais si l’élue de Corrèze que je suis a quelques raisons d’être satisfaite des rééquilibrages effectués, l’élue nationale et l’ancienne députée européenne s’inquiète que ces rééquilibrages nationaux ne s’inscrivent pas dans un courant plus puissant en faveur de la régulation indispensable de l’économie agricole européenne et mondiale. Avant de développer la nécessité de cette régulation, je veux revenir sur les ambiguïtés de votre politique issue des ajustements du bilan de santé de la PAC.
Les souplesses introduites par la dernière réforme de la PAC pour la répartition des aides au niveau national ont été utilisées dans le bon sens, même si les références historiques des droits à paiement unique, les DPU, auraient dû également être revues.
Mais la réorientation de 18 % des aides vers l’élevage ovin et bovin, les zones à handicaps naturels et les secteurs en difficulté est positive. Ainsi, l’augmentation moyenne serait de 30 % pour les aides aux élevages ovins s’ils sont sur des systèmes herbagers et en montagne ; cela était vraiment indispensable. Les exploitations de grande culture vont être contributrices, comme l’a dit l’un de nos collègues, mais je tiens à rappeler que les éleveurs y contribuent eux aussi en acceptant un découplage de 25 % de la prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes, la PMTVA. Un retour vers ce secteur est d’ailleurs possible grâce aux aides aux légumes et aux fourrages ainsi qu’au dispositif d’assurance récolte, et je ne parle pas des 170 millions d’euros déjà cités.
Le soutien à l’agriculture biologique est également appréciable. Cette agriculture doit être à la fois développée, pour des raisons sanitaires, mais également protégée contre les importations lointaines et incertaines, dont l’intérêt en termes de « bilan carbone » disparaît en raison des transports. Par ailleurs, il y a un réel intérêt à développer les circuits courts qui rassurent à juste titre les consommateurs et recréent des liens avec les producteurs locaux.
Quant à l’élevage bovin, j’assistais vendredi dernier à l’assemblée générale de l’Association des éleveurs de Corrèze, l’ADECO, et je suis en mesure de témoigner sur la situation des exploitations de viande bovine : elles ont perdu 50 % de revenus par actif en 2008 du fait de l’augmentation des charges et des conséquences de la fièvre catarrhale ovine.
À ce propos, les éleveurs ont souligné les pertes financières considérables résultant des errements relatifs à la vaccination et de la fermeture du marché italien, engendrant le maintien de broutards sur les exploitations pendant des mois. Le « plan Barnier » d’aides s’avère très insuffisant pour compenser ces pertes.
Par ailleurs, si la fièvre catarrhale ovine n’a pas causé une surmortalité d’animaux très notable, ses effets sur l’avortement ou l’infécondité se révèlent très importants depuis deux ou trois mois et entraîneraient un déficit de 22 % des vêlages au niveau national, soit 260 000 veaux en moins. Ces pertes ne seront pas sans conséquences sur les productions de broutards en 2009, et donc sur l’économie des départements « naisseurs » du bassin allaitant tout entier.
S’y ajoutent d’ores et déjà un afflux de vaches laitières de réforme et une baisse de la consommation de viande bovine qui tendent à une saturation du marché, donc à une baisse des prix à la production, que le consommateur ne vérifie, hélas ! ni à l’étal du boucher ni dans les grandes surfaces commerciales.
L’inquiétude est forte chez les éleveurs à l’orée de la saison estivale, face à la reprise possible de la fièvre catarrhale ovine, voire d’un nouveau sérotype, autre que le 1 ou le 8 que nous connaissons déjà, d’autant que les simulations des aides européennes à l’horizon 2012 ne sont guère enthousiasmantes.
En effet, le rééquilibrage prévu permet, selon l’ADECO, « de limiter la casse sans certitude pour l’avenir ». Seuls les éleveurs de veaux de lait élevés sous la mère peuvent espérer une hausse modeste des aides à l’horizon 2012, du fait de la prime au veau labellisable. Mais les éleveurs de broutards verront leurs aides stagner, et les naisseurs-engraisseurs perdraient même une partie des montants d’aides du fait de la suppression des primes à l’abattage et aux céréales. Il faudra donc être très volontariste sur la répartition des aides vers les zones intermédiaires si l’on veut y conserver une polyculture diversifiée, sans oublier le renforcement stratégique des compensations des handicaps naturels, notamment en montagne.
Or je constate que la politique qui nous est proposée manque déjà de cohérence à l’échelle locale, en particulier sur la question du lait. En montagne, les éleveurs vont bénéficier d’une meilleure répartition des aides. Mais d’un autre côté, s’ils continuent à produire du lait, les revenus qu’ils vont en tirer risquent de diminuer, compte tenu du relèvement progressif des quotas laitiers et de la suppression définitive de ces derniers après 2015. À l’occasion du dernier conseil des ministres dont vous nous avez rendu compte récemment, vous avez soutenu « vos collègues hollandais et allemands sur les réponses à apporter à la dégradation des marchés laitiers » et appelé à une « mobilisation résolue et accrue des outils destinés à soutenir les cours ». Vous avez raison. Mais quelles réponses vous a-t-on apportées en ce sens ?
La question du lait illustre à mon avis parfaitement l’ambiguïté de la politique conduite par la Commission, qui consiste à promouvoir la libéralisation dans le domaine de l’économie agricole. Et le bilan de santé de la PAC se situe dans la continuité des réformes poursuivies depuis 1992 qui démantèlent les uns après les autres les outils de gestion publique et de régulation de l’agriculture : la disparition des quotas en fait partie, de même que le gel des outils d’intervention, la politique de découplage et la disparition des jachères.
C’est pourquoi ce « bilan de santé » ne me rassure guère sur l’avenir de la PAC en 2013. En effet, malgré les efforts que vous avez déployés, aucun accord n’est intervenu. J’ajoute que les déclarations du secrétaire d’État tchèque, en juillet dernier, sur une PAC qu’il veut « plus libérale, plus ouverte, plus flexible et moins coûteuse » augurent mal des négociations futures et, d’abord, de la place réservée à la PAC dans les prochaines perspectives financières de l’Union européenne. À ce propos, monsieur le ministre, la position du Gouvernement tchèque a-t-elle récemment évolué depuis que ce dernier a acquis une meilleure connaissance des réalités ?