La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.
La séance est reprise.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, mesdames, messieurs (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.), il est des disparitions dont la force symbolique marque une assemblée telle que la nôtre. Celle de René Monory, notre ancien président – je le dis devant son épouse et sa famille rassemblée –, est de celles-ci.
René Monory nous a quittés le 11 avril dernier. C’est avec une vive émotion et une grande tristesse que notre assemblée s’incline devant celui qui fut son président durant six années, de 1992 à 1998, et qui a tant apporté au Sénat, dont il fut l’un des membres pendant trois décennies.
Un hommage émouvant lui a été rendu à l’occasion de ses obsèques, le jeudi 16 avril, au milieu de ses concitoyens, dans sa chère ville de Loudun dont il a été le maire tant d’années durant. J’ai eu à cette occasion le douloureux privilège de prononcer, au nom du Sénat de la République auquel il a tant apporté, son éloge funèbre en présence de M. le Président de la République et des plus hautes personnalités de l’État.
J’ai aussi vu les habitants de sa ville se presser en foule dans l’église où avait lieu la cérémonie, ainsi qu’autour, regardant sur de grands écrans ce dernier hommage rendu à leur ancien maire.
En ces moments lourds d’émotion, la nation et la ville se sont unies dans un même recueillement et une même attitude de reconnaissance envers un homme hors du commun.
Il est vrai que la vie de René Monory fut un destin sans guère de précédent dans notre vie politique. Il fut à la fois un élu local visionnaire, un homme d’État remarquable et un président du Sénat qui a contribué à faire entrer la Haute Assemblée dans le XXIe siècle. Il nous laisse le souvenir d’une œuvre exemplaire.
René Monory aura toujours conservé de ses origines et de sa formation un goût inlassable du travail et de l’effort. Il y ajoutera, sa vie durant, une capacité d’initiative, une force d’imagination et un dynamisme hors du commun.
Après avoir développé l’entreprise familiale jusqu’à en faire l’une des plus prospères de la région, il fut conduit par son attention aux autres, sa générosité, son goût pour l’action, à se mettre très tôt au service de ses concitoyens de Loudun. Il entra en politique par la porte municipale. Il exerça ainsi sans discontinuer de 1959 à 1999, avec un enthousiasme toujours renouvelé, les fonctions de maire de Loudun, qui étaient les plus chères à son cœur.
Conseiller général de la Vienne dès 1961, il occupa ces fonctions jusqu’en 2004 au sein de l’assemblée départementale, dont il fut le président incontesté durant un quart de siècle. Il a laissé une empreinte profonde dans ce département de la Vienne : c’était un homme de territoire, un porteur de projets, un fondateur inspiré.
René Monory fut un élu local visionnaire. Il a été un bâtisseur déterminé à changer le cours des choses, comme l’illustre l’exceptionnelle réalisation du Futuroscope. Ce fut en effet une idée de génie que d’avoir osé et réalisé ce pari, envers et contre tous, quand personne ne croyait possible d’ériger cette cité du futur au milieu des champs de la Vienne. Ce site futuriste, associant au parc européen de l’image la formation de haut niveau et les nouvelles technologies, fut le fruit de l’imagination lumineuse et de la détermination à toute épreuve qui caractérisaient le « vulgarisateur d’idées nouvelles » qu’était René Monory.
Les plus hautes autorités de l’État n’avaient pas attendu le succès du Futuroscope pour distinguer les qualités exceptionnelles de René Monory. Si son engagement local l’avait conduit à être élu, dès 1968, sénateur de la Vienne, il vit son mandat de parlementaire interrompu à deux reprises pour lui permettre d’exercer, de 1977 à 1981, puis de 1986 à 1988, des responsabilités ministérielles au sein des gouvernements dirigés respectivement par Raymond Barre, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, et par Jacques Chirac, sous la présidence de François Mitterrand.
Ministre de l’industrie, du commerce et de l’artisanat en 1977, il fut dès l’année suivante appelé à occuper les éminentes responsabilités de ministre de l’économie et des finances, avant d’exercer, de 1986 à 1988, les lourdes fonctions de ministre de l’éducation nationale.
Dans ses fonctions gouvernementales successives, René Monory démontra sans cesse son pragmatisme et son efficacité, mis au service de sa personnalité atypique et de son inlassable dynamisme. Rappelons-nous qu’au ministère de l’économie et des finances, dans un contexte économique pourtant difficile, il conduisit avec détermination une politique de libération des prix tout en favorisant les investissements de l’épargne dans l’industrie et en imaginant un système d’épargne populaire auquel son nom reste encore attaché, les SICAV.
En 1988, après l’élection présidentielle, René Monory rejoignit le Palais du Luxembourg. Élu de la famille centriste, européen convaincu, acteur majeur, aussi, de la construction de l’Union pour un mouvement populaire, cet homme de fidélité, tourné vers le futur, fut un sénateur de premier plan. Nous connaissions et apprécions tous son indépendance d’esprit. Sa personnalité et son parcours politique pouvaient impressionner, mais il avait gardé une simplicité souriante et un intérêt pour les autres qui font qu’il a toujours été proche de ses collègues.
Il démontra, au sein de notre assemblée, toutes ses qualités en exerçant notamment les importantes fonctions de rapporteur général du budget. Toujours ouvert aux idées neuves et manifestant une attention scrupuleuse aux évolutions de la dépense publique, il fut aussi l’un des premiers à mesurer l’ampleur des bouleversements induits par la mondialisation, notamment par une prise de conscience aiguë de la nécessité de créer une monnaie unique pour l’Europe.
C’est en octobre 1992 que René Monory fut élu à la présidence du Sénat, succédant ainsi à Alain Poher, qui avait exercé sans discontinuer ces fonctions depuis 1968.
Durant les six années où il exerça les fonctions éminentes de président du Sénat, il n’eut de cesse de donner de notre assemblée l’image d’une institution moderne et ouverte sur le monde. Il développa ses moyens d’action sur le plan international. Il incita à une réflexion constante sur l’avenir.
Ce passionné des nouvelles technologies fit entrer très tôt l’informatique et internet au Sénat. Si le site du Sénat peut aujourd’hui afficher plus de vingt millions de visites par an, c’est en grande partie à l’initiative de précurseur de René Monory que nous le devons.
René Monory fut au Sénat, au début des années 1990 – sachons nous en souvenir –, l’un des grands acteurs de la relance des politiques d’aménagement du territoire. Permettez-moi, de manière personnelle, de dire aussi que ce fut pour moi un honneur et une expérience forte que d’être l’un de ses vice-présidents. Il était un grand politique qui a toujours su rester humain, et je garde en mémoire le souvenir d’échanges passionnants que nous avions eus notamment autour du texte portant sur l’aménagement du territoire.
René Monory a beaucoup apporté à la Haute Assemblée. Il a été, pour le Sénat, un modernisateur. Nous devons, mes chers collègues, une grande reconnaissance à l’homme pragmatique et généreux, avisé et compétent qu’il était.
Le président René Monory, homme de caractère, de décision et d’imagination, était un homme engagé au sens plein du terme. Je ne peux d’ailleurs pas évoquer son souvenir – et je crois que c’est le cas de tous ceux qui, dans cet hémicycle, l’ont connu – sans revoir sa haute et puissante silhouette légèrement courbée se déplacer dans nos travées, saluant les uns et les autres d’une poignée de main ou d’un hochement de tête complice, avec une lueur au fond des yeux.
Je renouvelle à cet instant à Mme Monory, son épouse, à sa fille, à sa famille et à ses proches, à ses anciens collaborateurs, aujourd’hui dans la douleur, les condoléances très sincères et émues de l’ensemble des sénatrices et des sénateurs de la République. Permettez-moi d’y ajouter ma peine personnelle et ma gratitude pour l’œuvre que René Monory a accomplie pour le Sénat de la République et pour la France.
Je demande la parole.
Le Gouvernement tient à s’associer à l’hommage que le Sénat, par votre voix, monsieur le président, rend aujourd’hui à René Monory, ancien président de la Haute Assemblée et ancien sénateur de la Vienne.
Celui qui nous a quittés le 11 avril dernier était en effet un véritable homme d’État qui aura fortement imprimé sa marque à la Haute Assemblée.
Monsieur le président, vous avez rappelé l’itinéraire et le parcours exceptionnels de René Monory, depuis sa ville de Loudun, passant par le conseil général de la Vienne et les gouvernements de Raymond Barre et de Jacques Chirac, jusqu’à son élection à la présidence du Sénat. Ce parcours est tout à fait emblématique de ce qu’est la République, la France dans ses meilleurs aspects.
Ce Sénat qu’il a présidé, modernisé – je peux en témoigner à titre personnel pour avoir, pendant un certain temps, siégé sous sa présidence parmi vous –, ouvert sur l’extérieur et sur les nouvelles technologies, il y a consacré la plus grande part de sa carrière nationale.
En effet, quelle plus belle incarnation de notre idéal républicain que l’ascension sociale et politique de René Monory, avançant de ce pas volontaire que vous avez décrit à l’instant vers son destin, qui le verra passer du jeune réfractaire au service du travail obligatoire, le STO, simplement titulaire d’un certificat d’études, jusqu’au rang de deuxième personnage de l’État ?
Et quel meilleur ambassadeur de la vocation du Sénat à représenter les collectivités de la République que cet éminent élu local, qui n’a cessé de s’impliquer, de s’engager, d’imaginer des projets d’avenir comme le Futuroscope, de travailler pour façonner les territoires dont ses concitoyens lui ont maintes fois confié les destinées ?
La grande compétence que lui reconnaissaient ses électeurs n’a pas échappé aux plus hauts responsables politiques de son temps, qui lui ont confié – vous l’avez rappelé, monsieur le président – l’économie, puis l’éducation nationale de notre pays.
Dans des contextes chaque fois difficiles, René Monory a toujours fait face avec volonté et intelligence. Avec l’ouverture d’esprit comme méthode et le bon sens pour boussole, il avait ainsi très souvent une grande longueur d’avance sur l’évolution du monde et sur les défis à venir.
Avec sa disparition, la République dit adieu à un serviteur de talent, et le Sénat à l’une des personnalités qui auront sans doute le plus marqué son histoire.
À sa famille, à son épouse et à sa fille, à tous ses anciens collègues et amis du Sénat, aux électeurs et aux citoyens de la Vienne, j’exprime au nom du Gouvernement nos condoléances très sincères et le témoignage de notre fidélité.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous invite à partager un moment de recueillement en mémoire du président René Monory. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)
Nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants en signe de deuil.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à quinze heures vingt, est reprise à quinze heures trente.
L’ordre du jour appelle un débat sur la politique agricole commune.
Mes chers collègues, je tiens à vous rappeler la nécessité du respect des temps de parole fixés par la conférence des présidents, afin de permettre non seulement aux orateurs inscrits de s’exprimer mais aussi à M. le ministre de nous apporter les éclairages nécessaires; j’y veillerai, et Roger Romani, qui me succédera au fauteuil de la présidence, fera de même.
La parole est à M. Henri de Raincourt, au nom du groupe UMP, auteur de la demande d’inscription à l’ordre du jour.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est dans le cadre de la semaine sénatoriale de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques que j’ai demandé, au nom du groupe UMP, l’inscription d’un débat sur les nouvelles orientations de la politique agricole commune, la PAC.
Après l’accord du 20 novembre 2008 sur le bilan de santé de la politique agricole commune, vous avez annoncé, le 23 février dernier, monsieur le ministre, plusieurs décisions, prises au nom du Gouvernement, relatives à un rééquilibrage des aides européennes qui seront versées à partir de 2010. Ces décisions doivent fixer un cap nouveau à la politique agricole commune et préparer l’après-2013.
Ne pas attendre davantage pour élaborer un nouveau cadre politique pour l’agriculture en Europe était l’un des objectifs que le Président de la République avait fixés lors de la présidence française de l’Union européenne. L’année 2009 pourrait donc entrer dans les annales comme l’année ayant bouleversé les grandes orientations économiques de notre agriculture.
L’agriculture mondiale se trouve à un tournant. Tandis que la demande explose, l’offre peine. La politique agricole doit donc reprendre la main dans le jeu communautaire et y trouver une nouvelle légitimité.
L’accroissement de la demande mondiale, notamment des pays émergents, a créé un déséquilibre face à une offre contrainte par les modifications climatiques, les impératifs environnementaux et les nouvelles exigences sanitaires.
La crise alimentaire aura néanmoins permis de restaurer l’agriculture en tant que secteur décisif dans l’activité économique, et donc dans l’alimentation des êtres humains. Elle aura par ailleurs permis de réhabiliter l’usage des outils de régulation publics que nombre d’experts et d’institutions internationales avaient eu tendance à négliger un peu rapidement. Enfin, c’est la souveraineté alimentaire qui retrouve une légitimité.
Le modèle de la révolution « verte », avec la mécanisation, les remembrements, les doses d’engrais, les subventions à la production, est un modèle épuisé. Une nouvelle révolution s’impose aujourd’hui, à la fois écologique et technologique. L’agriculteur a dû se transformer au fil du temps en chef d’entreprise, en comptable, et, enfin, en ingénieur biologiste.
À ces bouleversements s’ajoute une révolution culturelle. En effet, les exigences croissantes en matière de santé et d’environnement plaident en faveur de nouvelles normes et de nouveaux investissements, sans alourdir pour autant la note budgétaire.
Pour satisfaire les exigences d’un consommateur qui réclame des produits « zéro défaut », le Gouvernement a décidé de diminuer de moitié, d’ici à dix ans, le recours aux pesticides, et de tripler, par ailleurs, les surfaces d’agriculture biologique d’ici à 2012.
Après cinquante ans de productivisme, le Gouvernement a trois défis à relever : renégocier la politique agricole commune en réussissant à convaincre nos homologues européens de prolonger un modèle souvent en butte aux critiques ; cultiver autrement, car l’enjeu est de nourrir la planète tout en préservant l’environnement ; enfin, abandonner peu à peu les produits aujourd'hui considérés comme nocifs en trouvant des solutions alternatives.
Pour sauver un système qui a souvent fait l’objet de critiques de la part des autres pays européens – en raison de son coût, car la politique agricole commune représente environ 40 % des dépenses dans le budget européen, mais peut-être aussi parce que la France en est l’un des principaux bénéficiaires –, vous avez décidé, monsieur le ministre, de jouer la carte de l’aménagement du territoire et du développement durable. Les systèmes de production à base d’herbe seront donc très largement soutenus.
Les revenus des éleveurs sont bien bas, car ils subissent de plein fouet la hausse des prix de l’alimentation animale à base de céréales. C’est pourquoi ceux-ci réclament aujourd’hui plus d’aides.
Le secteur ovin, dont les difficultés sont anciennes – il a perdu, je le rappelle, un tiers de ses brebis en vingt ans –, …
…va ainsi être l’un des premiers bénéficiaires de ce rééquilibrage.
Les exploitations laitières de montagne, dont la production est plus faible et la collecte est plus difficile, donc plus chère, vont également être soutenues.
L’objectif du Gouvernement est de maintenir une activité économique créant des emplois et de la richesse et offrant à notre pays une diversité de produits, et ce dans le respect des critères environnementaux.
En subventionnant les grandes cultures, Bruxelles soutenait indirectement les éleveurs qui pouvaient acheter des céréales à bas prix pour nourrir leurs bêtes. Mais de nouvelles perspectives, comme le développement des biocarburants entre autres, ont rompu cet équilibre.
Sous la présidence française de l’Union européenne, le Président de la République a donc proposé de changer le cap et posé les jalons d’une nouvelle politique agricole commune pour la prochaine programmation budgétaire communautaire de l’après-2013. Les Vingt-Sept se sont entendus sur un compromis technique, celui du 20 novembre 2008, afin d’adapter la politique agricole commune au contexte actuel des marchés mondiaux. Ce premier accord à Vingt-Sept engageant l’agriculture européenne traduit la volonté des États membres d’adapter la politique agricole aux évolutions de son environnement.
L’heure est aujourd’hui à la construction d’une agriculture durable. Telle est l’ambition affichée du Président de la République, et partagée par tous, avec « Objectif Terres 2020, pour un nouveau modèle agricole français », plan annoncé le 19 février dernier dans le Maine-et-Loire. C’est dans ce contexte que vous avez fait état, monsieur le ministre, d’une réorientation des aides à hauteur de 1, 4 milliard d’euros, ce qui correspond à 18 % des aides directes, afin de procéder à un rééquilibrage au profit des productions et des zones les plus fragiles.
Cette réorientation doit participer à une meilleure légitimation de la politique agricole commune pour l’après-2013, en rééquilibrant les aides au regard des revenus et en accroissant le soutien aux systèmes de production durables. Chacun connaît les enjeux et les risques de cette échéance, et nous sommes bien conscients du fait que ces décisions s’imposent à nous pour préserver notre politique agricole après 2013.
Cette réorientation a pour objectif de consolider l’économie agricole et l’emploi sur l’ensemble de notre territoire, en soutenant les productions et les territoires fragiles. Elle vise également à mettre en place un nouveau mode de soutien pour l’élevage à l’herbe, à accompagner un mode de développement durable de l’agriculture, et enfin à instaurer des outils en matière de couverture des risques climatiques, sanitaires et économiques.
Monsieur le ministre, vous avez également manifesté votre volonté de développer la production de protéines végétales. Il y a là, en effet, un enjeu stratégique en matière d’indépendance, puisque la France importe aujourd’hui jusqu’à 75 % de ses besoins.
Dans le même temps, la France ne peut être en déphasage complet avec les autres pays de l’Union européenne. Il faut donc une plus grande équité pour ne pas être pris en défaut en 2013.
Nous souscrivons à ces objectifs et soutenons les choix courageux que vous avez opérés.
J’y viendrai ultérieurement !
Ces choix n’ont pas été faciles à prendre, mais ils étaient absolument essentiels à la préservation et à la légitimation de notre politique agricole. Nous le savons, et nous voulons vous assurer de notre soutien.
Néanmoins, …
Sourires
…si la profession sait qu’il est indispensable d’adapter la politique agricole commune dans la perspective de 2013, l’effort demandé aux céréaliers est très important. Sur les 700 millions d’euros réorientés vers la politique de l’herbe, les exploitations spécialisées en grande culture participeront pour moitié, le solde étant payé soit par des exploitations mixtes, soit par des élevages laitiers ou spécialisés dans la viande bovine.
Même si de nombreuses exploitations, quel que soit leur mode de culture, bénéficieront d’un retour de ces prélèvements, l’impact de ces décisions dans ce que l’on appelle les « zones intermédiaires » ne doit pas être sous-estimé.
On s’aperçoit, en effet, que les prélèvements de solidarité, en particulier sur les cultures végétales, risquent de créer des difficultés dans ces zones qui ont des rendements moyens sur des sols relativement médiocres et sur lesquelles sont le plus souvent implantées des exploitations elles-mêmes de taille moyenne. La situation de ces exploitations, aux revenus plus faibles que dans les zones à fort potentiel, doit impérativement être prise en compte dans le rééquilibrage des aides.
Ainsi, monsieur le ministre, comment faire évoluer le système pour qu’il tienne compte de la diversité de nos régions et assure à nos producteurs de végétaux, quelle que soit la région dans laquelle ils se trouvent, la juste rétribution de leur travail ?
Vous le savez, cette question me tient à cœur, notamment parce que le département de l’Yonne, dont je suis l’un des élus, fait partie des départements dits « intermédiaires », c’est-à-dire avec un potentiel céréalier moyen.
Aussi, je me réjouis aujourd’hui d’avoir été entendu, car vous avez bien voulu vous pencher sur la situation de ces territoires intermédiaires dans le grand rééquilibrage des aides européennes entre les filières.
Vous avez annoncé une enveloppe supplémentaire de 170 millions d’euros pour accompagner les exploitations spécialisées qui pourraient être fragilisées par la mise en œuvre des nouveaux dispositifs en 2010. Ce plan d’accompagnement permettra de soutenir les jeunes agriculteurs, dont le projet d’installation pourrait être fragilisé, et doit aussi encourager la diversification et la rotation des cultures.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué, le 1er avril dernier, lors du congrès de la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, que vous resterez très vigilant sur la situation des zones intermédiaires, sachant qu’elles ont des potentiels agronomiques, mais des niveaux d’aides et de revenus plus faibles que d’autres. Nous savons que vous tiendrez vos engagements.
Pour atténuer la chute prévisible des revenus des exploitants concernés, le Gouvernement pourrait-il étudier la possibilité que soit ouverte à tous les agriculteurs des zones intermédiaires l’aide à la diversité des assolements de 25 euros par hectare, et que cette aide soit attribuée non seulement en 2010, mais également en 2011 et 2012 ? Peut-être le choix pourrait-il également être laissé aux agriculteurs entre cette aide à la diversité des assolements et la mesure agro-environnementale « rotationnelle » ?
En tout état de cause, les mesures d’accompagnement que vous avez annoncées ont, de notre point de vue, de quoi rassurer nombre de ceux qui, parmi les producteurs de végétaux implantés dans ces fameuses zones au potentiel moyen, étaient inquiets. Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier d’avoir été sensible aux inquiétudes exprimées. C’est désormais dans un climat apaisé – je crois pouvoir le dire – que la France peut préparer l’avenir de son agriculture au sein de la politique agricole commune.
Monsieur le ministre, vous le savez, la France est un pays viscéralement attaché à la politique agricole commune. C’est pourquoi, avec l’ensemble de mes collègues du groupe UMP, je voudrais vous rendre un hommage tout particulier…
M. Henri de Raincourt. … pour avoir su ces dernières années, par vos convictions, votre travail, votre écoute, votre implication personnelle, votre engagement et votre détermination, dessiner un nouveau chemin pour notre agriculture, un nouvel avenir pour nos jeunes agriculteurs, pour avoir su redonner la légitimité nécessaire à notre politique agricole et remettre ainsi cette dernière au cœur des défis de notre société. Dans cette belle action, vous aurez été un acteur absolument déterminant !
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste. – M. Jean Milhau applaudit également.
J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 71 minutes ;
Groupe socialiste, 55 minutes ;
Groupe Union centriste, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, 16 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.
Mes chers collègues, j’insiste à nouveau sur le respect absolu de ces temps de parole. M. Roger Romani, qui me succédera au fauteuil de la présidence, préviendra d’ailleurs les orateurs une minute avant l’expiration du temps imparti à chacun.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Gérard Le Cam, pour seize minutes.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est légitime de s’interroger sur l’opportunité d’un débat sur la politique agricole commune, la PAC, à quelques encablures des élections européennes du 7 juin prochain.
Ce débat sur l’initiative de l’UMP vise-t-il à l’autosatisfaction ou, au contraire, à la promotion d’un florilège de correctifs à l’issue du bilan de santé de la PAC, afin de se donner bonne conscience ? S’agit-il d’un débat à 514 millions d’euros, somme à répartir au sein des filières d’ici au 1er août 2009 ? Ce débat prépare-t-il la loi de modernisation de l’agriculture prévue à l’automne ? Allons-nous nous inquiéter du poids de l’agriculture française au sein des décisions des Vingt-Sept et de l’avenir de l’agriculture européenne sur le plan mondial ? Enfin, que sera la PAC après 2013 et quels effets aura-t-elle sur notre agriculture ? Le débat est inquiétant à un moment où nos « experts » ont d’énormes difficultés à anticiper ce qui va se passer dans les six mois à venir.
L’intervention préliminaire de notre collègue Henri de Raincourt montre que mes interrogations ne sont pas éloignées de la vérité ; la suite du débat devrait le confirmer.
Pour le groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, je m’efforcerai de donner notre conception d’une politique agricole commune qui prendrait le contre-pied de celle de Mme Fischer Boel, des libéraux et des lobbies de Bruxelles.
Au moment où l’on parle beaucoup de bilan de santé, il nous semble indispensable de dresser un réel bilan de la PAC depuis 1962 et surtout depuis 1992, tournant libéral de la PAC.
Pour comprendre la PAC, il faut en connaître l’histoire et les grandes lignes directrices.
Pour contrer les pénuries alimentaires de l’après-guerre, l’Europe naissante a, en 1962, institué la politique agricole commune autour de trois principes fondamentaux.
Le premier principe est un marché unifié impliquant la libre circulation des produits agricoles sur le territoire des États membres. Ce principe a malheureusement trop souvent servi à mettre en concurrence, donc en péril, des productions régionales au profit des spéculateurs, des intermédiaires et de la grande distribution.
Le deuxième principe est la préférence communautaire. Ce principe de solidarité et de protection n’a jamais fonctionné correctement. Il est contraire aux orientations de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, qui, en abaissant les tarifs douaniers, favorise la pénétration des produits étrangers en Europe, le dumping et la concurrence déloyale.
Le troisième principe est la solidarité financière qui mettait à la charge du budget communautaire la totalité des dépenses de la PAC. Ce principe a connu un premier accroc avec la Grande-Bretagne, Mme Thatcher ayant réclamé son chèque.
Aujourd’hui, la renationalisation de la PAC est en route et les aides directes sont en déroute !
Les cinq objectifs initiaux de la PAC étaient les suivants : accroître la productivité, assurer un niveau de vie équitable aux producteurs, stabiliser les marchés, garantir la sécurité des approvisionnements et assurer des prix raisonnables.
S’agissant de la productivité, il faut reconnaître que l’objectif a été atteint, puisqu’elle a été multipliée environ par quatre depuis quarante ans.
La sécurité des approvisionnements est plutôt satisfaisante en Europe, d’un point de vue tant qualitatif que quantitatif. Toutefois, il faut souligner une forte dépendance protéique et une balance défavorable entre les exportations de produits agricoles pour 108, 86 milliards en 2007, contre 149, 46 milliards d’importations. Ce grand marché attise les convoitises de grands pays exportateurs, comme les États-Unis, le Brésil, le Canada, la Chine, l’Argentine et la Thaïlande, convoitises qui pèsent sur les négociations au sein de l’OMC.
Le bilan est beaucoup moins flatteur pour les trois autres objectifs.
En ce qui concerne le niveau de vie équitable, les revenus révèlent de très fortes disparités selon les secteurs d’activités et les exploitations.
Le revenu agricole moyen par actif se situe entre 12 000 euros et 40 000 euros, selon que l’on est éleveur ovin, grand céréalier ou producteur de vins d’appellation d’origine. Ces moyennes cachent malheureusement des revenus bien plus bas et des situations familiales dramatiques.
Le système des aides a contribué à accentuer les disparités au lieu de les gommer. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet en évoquant le bilan de santé de la PAC.
La stabilisation des marchés est un échec au regard des crises cycliques qui frappent la quasi-totalité des filières : le porc, le lait, le vin, les fruits et légumes, les ovins, la viande bovine... Chaque crise emporte les exploitations en difficulté et accroît la concentration.
Depuis plusieurs décennies, les mêmes recettes sont appliquées en temps de crise, et cela sans efficacité réelle sur les plans humain et social, qu’il s’agisse des restitutions à l’exportation, des aides au stockage, des prêts bonifiés, des reports de cotisations, des aides exceptionnelles et autres plans d’urgence.
Jusqu’à présent, aucun gouvernement n’est parvenu à assurer des prix garantis et rémunérateurs. Sans doute faut-il chercher dans les fondements même des traités européens l’origine de ces échecs, dans la mesure où la teneur libérale de ces textes interdit toute possibilité de réelle régulation.
Le dernier objectif – les prix raisonnables à la consommation – pose tout le débat sur les marges de la grande distribution et l’échec des différents textes de loi visant à moraliser les pratiques inqualifiables, les pressions sur les fournisseurs et les producteurs.
Oui, la PAC est souvent montrée comme étant parée de toutes les vertus. La réalité est beaucoup moins élogieuse au regard de ses objectifs initiaux.
Après le Livre vert de 1985, dans lequel il était proposé de rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande, ce fut l’époque des quotas laitiers.
C’est en 1992, année de la réforme de Mac Sharry, que la PAC a connu un véritable tournant avec la diminution des prix agricoles en vue d’une plus grande compétitivité aux échelons local et mondial, la diminution des prix devant théoriquement être compensée par des aides.
L’Agenda 2000 a prolongé la réforme de 1992 par l’amélioration de la compétitivité des produits agricoles, la promotion d’un niveau de vie équitable, toujours sans succès, l’élaboration d’une nouvelle politique de développement rural par le deuxième pilier de la PAC et l’intégration de notions nouvelles à caractère environnemental, de notions de qualité et de sécurité alimentaire, de bien-être animal et, enfin, de simplification de la législation.
On sent bien, à ce moment, le poids de l’opinion publique en matières environnementale et sanitaire à la suite des grandes crises de l’encéphalopathie spongiforme bovine, ou ESB, et de la listériose, et le souci des instances européennes de « verdir » ses politiques pour les rendre plus acceptables.
L’accord de Luxembourg, dont les négociations ont été menées par Franz Fischler, introduit la nouvelle PAC, avec le fameux découplage des aides et de la production, la diminution des restitutions à l’exportation et l’écoconditionnalité des aides. C’est alors que sont créées les conditions pour aller vers 2013, avec un bilan de santé de la PAC et la remise en cause de tout un système, certes très injuste. Mais le pire est à venir !
Venons-en au « bilan de santé » de la PAC, qui est d’ailleurs non pas un bilan, mais un projet d’adaptation n’apportant pas beaucoup d’espoir à la profession pour la santé à venir du monde agricole. Toutefois, il faut reconnaître qu’un certain nombre d’éléments vont dans le bon sens, monsieur le ministre.
Les syndicats agricoles, comme le MODEF et la Confédération paysanne, ont souligné la reconnaissance par « le bilan de santé » de l’élevage à l’herbe et un début d’équité en matière de répartition des aides. Selon votre ministère, en 2006, 56 % des aides étaient attribuées à 20 % des bénéficiaires. Le recul de 15 % des revenus en 2008 avait créé une situation explosive qu’il était urgent de contenir et de corriger. En 2010, 18 % des aides directes, soit 1, 4 milliard d’euros, vont être réorientées. Dès 2009, 2 % vont passer du premier au deuxième pilier, au titre de la modulation.
Monsieur le ministre, je ne peux m’empêcher de rappeler que, dès son arrivée, votre majorité s’était empressée de supprimer la modulation des aides et les contrats territoriaux d’exploitation, les CTE, deux éléments majeurs de la réforme Glavany qui auraient pu donner à l’agriculture un caractère plus juste et plus durable.
Nous ne saurons qu’au 1er août quelle sera l’exacte répartition des aides au regard des 514 millions d’euros – si ce chiffre est juste ! – qui restent à répartir entre les filières. Allez-vous donner raison à la bronca des céréaliers ou, au contraire, soutenir davantage les filières en difficulté ? Je pense, bien sûr, à la filière porcine et à la filière laitière qui sont en crise, en Bretagne tout particulièrement. De belles exploitations, apparemment solides, sont en règlement judiciaire en raison d’un endettement provoqué par les crises successives, la flambée des matières premières et la chute des cours.
Monsieur le ministre, j’entends souvent dire : « plutôt des prix que des primes ». Effectivement, la réduction des aides envisagée après 2013 ne sera supportable qu’avec la légalisation d’une politique de prix garantis et rémunérateurs. Dans ce cas, et seulement dans ce cas, les aides auront une plus grande relativité et devront servir avant tout les disparités de productivité de nos régions et les filières les plus fragiles.
Monsieur le ministre, vous avez emprunté la bonne direction en ce qui concerne le rééquilibrage des aides, l’élevage à l’herbe, le plan protéines et la gestion des risques. Mais tout cela restera très fragile, voire illusoire, si nous n’allons pas plus loin. Les faiblesses sont là : demain, en 2015, la fin des quotas laitiers et celle des exploitations laitières traditionnelles ; demain, le découplage total, ce qui est une aberration !
L’après-2013 laisse présager une baisse très sensible des aides et un affaiblissement du budget européen.
Les mêmes règles de partage pour les nouveaux entrants – c’est d’ailleurs un principe juste – vont pénaliser les autres pays, que ce soit à budget égal ou inférieur.
Nous pouvons raisonnablement craindre une accélération du caractère libéral de l’agriculture par le jeu de la concurrence libre et non faussée, et le poids accru de l’OMC sur les marges de manœuvre de l’Union européenne. En effet, l’après-2013 relève de certitudes inquiétantes et d’incertitudes non moins inquiétantes. Comment s’effectueront les compensations face à la réduction des aides ?
La France va-t-elle demander encore plus de latitude en matière de répartition et aller progressivement vers une renationalisation des aides ?
Envisagez-vous de plafonner les aides par actif et par exploitation, et de supprimer la proportionnalité à la surface et les références historiques qui sont injustes ?
Quel va être l’avenir de la régionalisation des aides au sein du deuxième pilier ?
Allez-vous enfin légiférer en faveur d’une politique de régulation des prix de vente des producteurs et des prix d’achat des consommateurs ?
Pour rassurer, certains misent sur des cours élevés à la production au regard de la croissance mondiale. Cela n’est souhaitable pour personne, à l’exception des spéculateurs. On vient de constater les effets désastreux de la flambée des cours des céréales. Ce qu’il faut, ce sont des prix stables et rémunérateurs.
La crise financière et monétaire mondiale a révélé des comportements spéculatifs assassins, auxquels les denrées agricoles n’ont pas échappé, comportements qui se poursuivent aujourd’hui.
Bien que ses responsabilités soient immenses, la politique agricole commune peut relever le défi alimentaire local et mondial. Chaque pays européen doit tendre vers la souveraineté alimentaire et tout faire pour conserver, voire pour développer, sa puissance humaine et productive en matière agricole. Cela ne se fera pas sans des agriculteurs capables de vivre du produit de leur travail. N’oublions jamais le rôle essentiel et structurant que jouent ces derniers dans le milieu rural, les emplois induits par leurs activités et leur contribution à l’aménagement du territoire.
La préférence communautaire doit être réactivée par la taxation d’importations abusives et la mise en place de calendriers d’importations intracommunautaires.
La mission prioritaire de l’agriculture doit être l’alimentation humaine. Il faut dissuader la spéculation sur les produits alimentaires par tous les moyens fiscaux et juridiques.
Le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de l’agroalimentaire prévu l’automne prochain va-t-il acter la mort programmée de la PAC et de la régulation ? Il y a fort à craindre qu’il ne s’agisse d’un texte d’adaptation à une agriculture de rendement, destinée à être compétitive au niveau mondial et confiée aux mains des banques et des spéculateurs. Nous préférons une agriculture diversifiée de production et d’aménagement du territoire, à dimension humaine.
Les semaines à venir seront l’occasion de confronter nos versions respectives de la PAC, à condition que les grands médias daignent y consacrer du temps. Jusqu’à présent, nous avons plutôt l’impression qu’il importe de ne pas parler des élections européennes, et encore moins du Front de Gauche, auquel nous participons et qui se veut un nouveau Front populaire en faveur de l’Europe des peuples et des solidarités.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC -SPG et du groupe socialiste. –M. Jean Milhau applaudit également.
Monsieur le ministre, c’est avec plaisir que nous vous accueillons aujourd’hui, presque deux ans après votre prise de fonctions, pour discuter d’un sujet auquel vous avez consacré beaucoup de passion et d’énergie, à savoir la politique agricole commune et son « bilan de santé ».
J’articulerai mon propos autour de trois points. Je rappellerai tout d’abord les progrès que votre ténacité a permis d’obtenir sur un dossier qui nous était, à l’origine, tout à fait défavorable. J’évoquerai ensuite la contribution de la Haute Assemblée au débat et l’issue favorable qui en a résulté. Je me lancerai enfin dans une réflexion prospective concernant les grandes discussions qui animeront l’avenir, à court et à moyen termes.
Premièrement, l’issue globalement favorable du bilan de santé de la politique agricole commune n’aurait sans doute pas été acquise sans votre intervention, monsieur le ministre, et je tiens à vous rendre hommage pour votre action à cet égard.
En juillet dernier, au début de la présidence française de l’Union européenne, en dépit de votre ambition pour l’agriculture européenne, vous avez dû composer avec une Commission européenne et de nombreux États membres favorables à un modèle agricole différent de celui que nous défendons. Dans le cadre des premières propositions de la Commission pour le bilan de santé, la PAC était menacée par la suppression des outils d’intervention sur les marchés, la généralisation du découplage des aides, l’augmentation des quotas laitiers sans lien avec le marché et le renforcement du développement rural au détriment du soutien à la production.
Or l’accord du 20 novembre 2008, que vous avez obtenu à la quasi-unanimité, monsieur le ministre, à force de concertation et de pédagogie – vous avez en effet rendu visite à l’ensemble des ministres de l’agriculture de l’Union européenne –, s’éloigne notablement du projet initial et paraît de nature à préparer l’avenir. Il permet notamment de préserver l’efficacité des mécanismes d’intervention sur les marchés des céréales et des produits laitiers, de maintenir les aides couplées à des productions spécifiques jusqu’en 2012, d’encadrer l’évolution des quotas laitiers en fixant deux étapes – 2010 et 2012 –, ou encore de disposer d’outils propres à faire évoluer la politique agricole commune dans un sens plus juste et plus durable.
Au-delà de ce bilan de santé satisfaisant, c’est la PAC de l’après-2013 que vous avez eu à cœur de préparer. Ainsi, vingt-quatre États membres se sont ralliés aux conclusions de la présidence française sur ce thème, lors du conseil des ministres de l’agriculture du 28 novembre dernier, à la suite des échanges ayant eu lieu lors de la réunion informelle d’Annecy, en septembre. Comme vous le souhaitiez avec raison, le débat sur le contenu même de la politique agricole commune a été lancé avant l’examen crucial du périmètre financier de cette dernière pour la période 2013-2020, qui sera abordé l’année prochaine, après les élections européennes et le renouvellement de la Commission.
Deuxièmement, dans toutes ces démarches, la Haute Assemblée, et plus particulièrement la commission des affaires économiques que je préside, vous a constamment soutenu.
Je rappellerai quelques éléments à ce sujet.
La proposition de résolution élaborée par le groupe de travail sur le bilan de santé de la PAC, composé d’une douzaine de sénateurs de la commission des affaires économiques et présidé par notre collègue Jean Bizet, a été adoptée par le Sénat en octobre 2008. Se prononçant contre les propositions de la Commission et en faveur d’un « modèle d’agriculture équilibré, économiquement viable et écologiquement responsable », la Haute Assemblée a appuyé vos positions et contribué – du moins avons-nous la faiblesse de le croire – à leur succès.
Un autre moment important dans la phase préparatoire au bilan de santé de la PAC fut la réunion interparlementaire des 3 et 4 novembre 2008 à Bruxelles, au Parlement européen, que j’ai eu l’honneur d’ouvrir et de conclure, et à laquelle vous avez eu l’amabilité de participer, monsieur le ministre. Plusieurs centaines de parlementaires, tant du Parlement européen que des vingt-sept États membres, y ont échangé deux jours durant sur l’avenir de la politique agricole commune et le rôle de cette dernière en matière de sécurité alimentaire. Cette réunion a été très riche en intervenants, si l’on songe qu’étaient également présents la commissaire européenne à l’agriculture et au développement rural, Mariann Fischer Boel, le président du Parlement européen, Hans-Gert Pöterring, le président de la commission parlementaire de l’agriculture, Neil Parish, ou encore le directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, Jacques Diouf. Au-delà de divergences sur certains points, la quasi-totalité des intervenants des différents pays s’est accordée sur la nécessité d’une agriculture européenne productive, durable et territorialement ancrée, ce qui passe par une politique agricole forte et régulatrice des marchés.
Troisièmement, tous ces efforts n’ont pas été vains, puisque la version finale du bilan de santé préserve les intérêts de la France et, au-delà, de l’Europe agricole. Cependant, alors que la mise en œuvre de ce bilan de santé est discutée dans chaque État membre, des questions surgissent. Je voudrais vous en livrer trois, monsieur le ministre.
La première concerne le contenu de cette mise en œuvre. L’accord européen du 20 novembre dernier donne aux vingt-sept États membres jusqu’au 31 juillet 2009 pour décider des mesures d’application au niveau national, qui concerneront uniquement – c’est important de le préciser – des aides attribuées à l’automne 2010. Le 23 février dernier, vous avez présenté les modalités de mise en œuvre retenues par la France, monsieur le ministre. Je ne reviendrai pas sur leur contenu, que nous connaissons tous et qui a fait l’objet de nombreux commentaires, pour beaucoup positifs, pour certains plus critiques. Pour ma part, je m’en tiendrai à vous apporter mon soutien dans les décisions difficiles, mais courageuses, que vous avez prises, qui visent à rééquilibrer les aides aux différentes filières en fonction de leurs évolutions économiques respectives, tout en continuant d’orienter notre agriculture vers l’impératif de la durabilité.
Les trois groupes de travail que vous avez lancés ont été mis en place au mois de mars et devront rendre leurs conclusions entre l’été et novembre. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer plus précisément les sujets principaux sur lesquels travailleront ces groupes et la marge de manœuvre dont ils disposeront ? Aborderont-ils, notamment, le problème des zones intermédiaires, évoquées par M. de Raincourt, qui sont fragilisées par les prélèvements prévus sur les aides directes au titre du premier pilier ?
Une étude de l’INRA parue au mois de mars dernier montre en effet que ce sont ces territoires qui souffriront le plus de la réforme. Certains producteurs pourraient voir leurs soutiens diminuer de près de 10 000 euros par an. Il existe de réelles inquiétudes sur ce point, et toutes les informations que vous pourrez nous donner à ce sujet seront les bienvenues.
Ma deuxième question, très liée au bilan de santé, concerne l’assurance récolte.
Dans un contexte de réduction des soutiens publics, la gestion des risques climatiques par des mécanismes assurantiels doit constituer une priorité. Monsieur le ministre, vous soutenez financièrement le développement de l’assurance récolte dans les secteurs les plus exposés, et la commission des affaires économiques n’a eu de cesse de vous encourager en ce sens, que ce soit lors du vote de la dernière loi d’orientation agricole ou des lois de finances adoptées au cours de ces dernières années.
Or les accords obtenus dans le cadre du bilan de santé de la PAC offrent de nouvelles opportunités en permettant l’utilisation de crédits communautaires pour cofinancer l’incitation nationale. À partir de 2010, par le biais d’un prélèvement sur les paiements directs, la prise en charge publique pourra atteindre jusqu’à 65 % de la prime et sera constituée à 75 % de crédits communautaires, ce dont je tiens à vous remercier, monsieur le ministre. Dans ce cadre, vous avez annoncé la mobilisation d’une enveloppe de 100 millions d’euros pour l’assurance récolte via l’article 68 du nouveau règlement PAC.
Le règlement d’application du bilan de santé sera essentiel à cet égard, notamment la définition des critères selon lesquels les phénomènes climatiques pourront donner lieu à indemnisation. À cette occasion, il conviendra d’obtenir que la situation française soit prise en compte. Pouvez-vous d’ores et déjà nous dire, monsieur le ministre, à quel emploi vous destinez plus précisément ces 100 millions d’euros ? Comment analysez-vous le basculement progressif du dispositif porté par le Fonds national de garantie des calamités agricoles vers le système assurantiel ?
Enfin, j’achèverai mon propos par des réflexions plus prospectives sur la PAC de l’après-2013. Vous avez très opportunément lancé cette discussion au niveau européen, et le moins que l’on puisse dire, c’est que tous nos partenaires au sein de l’Union européenne ne partagent pas notre vision des choses.
Souhaitons-nous conserver une véritable politique agricole intégrée, ou bien la fondre dans d’autres politiques, par exemple territoriale ou environnementale ? Cette seconde position est, nous le savons bien, celle des Britanniques qui ont depuis longtemps fusionné leurs ministères de l’agriculture et de l’environnement. Elle a été rappelée sans ambiguïté par nos voisins d’outre-Manche lors du conseil franco-britannique du 30 mars dernier. Selon eux, le libre commerce peut à lui seul pourvoir à l’alimentation de nos concitoyens, et les soutiens au monde agricole, diminués et découplés, doivent uniquement rémunérer la contribution de ce dernier à la préservation de l’environnement et à l’entretien des paysages.
Comment envisagez-vous, monsieur le ministre, l’évolution du rapport de forces entre une telle vision, qui dispose de relais dans les instances communautaires, et celle d’un modèle agricole équilibré, productif et durable que vous avez défendu avec constance durant votre mandat ministériel ?
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques réflexions et questions que m’a inspirées ce débat sur la PAC, le grand nombre d’orateurs inscrits prouvant une fois de plus l’importance que ce sujet revêt au sein de notre assemblée.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste. – M. Jean Milhau applaudit également.
M. Roger Romani remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les émeutes de la faim, déclenchées en 2008 par l’envolée des prix agricoles, ont frappé l’opinion et rappelé la fragilité de l’équilibre alimentaire mondial. Depuis, les prix sont repartis à la baisse. Mais ces événements démontrent l’extrême volatilité des marchés agricoles et, surtout, remettent en question une hypothèse que l’on croyait pourtant acquise, celle d’une situation d’abondance globale avec des prix accessibles et relativement stables.
Finalement, nous pouvons constater que l’exigence de régulation ne concerne pas seulement les marchés financiers, dont on parle beaucoup en ce moment. Le besoin de contrôle des marchés agricoles paraît plus que jamais nécessaire, contrairement à ce qu’aimeraient nous faire croire tous ceux qui prônent, à Bruxelles, et parfois à Paris, leur libéralisation.
Rappelons-le, l’agriculture fait vivre ! Je parle non seulement de sa fonction nourricière, mais aussi de sa forte dimension économique. En France, cette activité productive occupe encore près de 800 000 actifs, dont les revenus ne sont pas, hélas ! suffisamment garantis. C’est pourquoi les gouvernements ne doivent pas rester passifs face aux crises qui affectent régulièrement le monde agricole. Ils doivent au contraire prendre leurs responsabilités pour soutenir ceux qui travaillent et pour encourager les jeunes voulant s’installer.
Mes chers collègues, en Europe, une ferme disparaît toutes les trois minutes ! Dans ces conditions, quelle est la meilleure façon de réguler ? Comment protéger les agriculteurs des aléas des marchés, sans créer de distorsions de concurrence ? Comment soutenir leurs revenus sans créer des effets pervers sur le niveau ou le choix des productions ?
En 2003, des décisions malheureuses ont été prises dans le cadre de la PAC, l’accord de Luxembourg organisant le démantèlement progressif des outils d’intervention.
Pourtant, lors des négociations de novembre dernier, à l’occasion du bilan de santé de la PAC, vous sembliez satisfait, monsieur le ministre, et vous aviez alors rappelé que la France entendait défendre les outils de régulation des marchés tout en autorisant une plus grande flexibilité pour les États membres.
Qu’avons-nous obtenu ? Si certains outils de gestion ont été maintenus, beaucoup trop de concessions ont été faites, à commencer par le découplage des aides. Et que dire de la fin des quotas laitiers… L’élevage est en difficulté et il faudra anticiper un soutien à cette filière avant 2015, car, après, il sera trop tard !
Or nous savons bien que la Commission européenne souhaite supprimer beaucoup de ces outils et imposer le « tout DPU à l’hectare ».
Monsieur le ministre, tandis que vous avez affiché dans vos discours un volontarisme certain sur le dossier de la PAC, au final, la résignation semble l’avoir emporté dans les faits.
Certes, la pression est forte, et nous savons tous, mes chers collègues, d’où elle vient. En effet, la PAC, alors qu’elle devrait imposer son propre modèle, a trop tendance à s’aligner sur les préconisations de l’OMC, à l’intérieur de laquelle règne la plus grande hypocrisie : tandis que l’Union européenne a considérablement réduit ses subventions depuis vingt ans, beaucoup de pays membres de l’OMC – parmi lesquels figurent souvent les plus critiques à l’encontre de l’Europe – ont mis en place des soutiens à l’exportation et de nombreux outils d’intervention. Aux États-Unis, le Risk Protection Act de 2000 et le Farm Bill de 2003 n’ont finalement rien à envier à la PAC !
Dans la perspective de 2013, il faudrait donc s’en tenir à quelques principes fondamentaux.
Dans toutes les négociations commerciales, au sein de l’OMC comme dans un cadre bilatéral, l’Europe doit rappeler que les exigences sanitaires, environnementales et sociales de son modèle agricole justifient une protection tarifaire.
Dans tous les cas, l’Europe doit conserver un budget à la hauteur des missions que porte notre agriculture. La PAC a redéfini ses objectifs pour en ajouter de nouveaux, très ambitieux. On demande en particulier au monde agricole de préserver les équilibres des territoires ruraux et de participer à la lutte contre le changement climatique ainsi qu’à l’amélioration de l’environnement.
C’est bien, mais l’agriculture est d’abord une activité productive que nous devons maintenir comme telle. Pour qu’elle fasse davantage, il faut lui donner des moyens. Or le budget de la PAC est de plus en plus contraint.
On a demandé aux agriculteurs de produire davantage : ils l’ont fait ! On leur a ensuite demandé de produire mieux : ils l’ont fait ! Aujourd’hui, on leur demande d’équilibrer le territoire : ils le comprennent ! Finalement, on leur demande beaucoup…
En retour, et c’est bien la moindre des choses, les agriculteurs comptent sur une solidarité leur permettant tout simplement de vivre de leur travail. Ce n’est pas un luxe pour la plupart d’entre eux !
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans une période propice à l’évocation des politiques européennes, ce débat a au moins le mérite de montrer à ceux qui auraient pu l’oublier combien les problèmes agricoles et alimentaires sont de nouveau au cœur de toutes les préoccupations : celles de nos concitoyens, tout d’abord ; celles du monde politique, ensuite ; celles du microcosme gouvernemental, enfin, puisque votre portefeuille semble faire l’objet de nombreuses convoitises, monsieur le ministre…
Si je me réjouis très sincèrement de cette importance nouvelle accordée à un secteur cher à nombre de membres de cette assemblée, je dois avouer, monsieur le ministre, que je souhaite beaucoup de courage à votre successeur, la situation n’étant vraiment pas facile, notamment dans l’élevage, où tous les indicateurs sont au rouge.
Bien que je ne partage pas tous vos choix – j’aurai l’occasion de détailler mon argumentation tout à l’heure –, je tenais à vous dire, monsieur le ministre, que mes collègues et moi-même avons apprécié votre volonté d’écoute ainsi que la réactivité des réponses et des informations que vous nous avez communiquées. Cette démarche nous a permis de suivre, presque en temps réel, les négociations auxquelles vous avez participé, notamment sur la PAC.
Revenons à notre débat : quarante-cinq ans après sa création, et alors qu’elle reste l’un des succès majeurs de l’Union européenne, la PAC doit encore justifier sa raison d’être, malgré les nombreuses réformes dont elle a fait l’objet et qui ont été diversement appréciées, à juste titre d’ailleurs.
Cette politique agricole commune – chacun de ces trois mots a son importance –, tant décriée, a pourtant permis à l’Europe, et plus particulièrement à la France, de devenir l’une des grandes puissances agricoles et alimentaires du monde. Certains ont alors cru à tort que le but poursuivi à l’origine – l’indépendance et la sécurité alimentaire – était devenu obsolète et ne justifiait plus une intervention publique forte. Les fluctuations des marchés l’année dernière et la crise actuelle battent en brèche ces certitudes et redonnent au contraire à cet objectif toute son importance.
Face à l’incertitude de ces marchés comme aux importantes variations quantitatives et qualitatives liées aux aléas environnementaux, climatiques, sanitaires, voire politiques, seule l’intervention de la puissance publique pourra atténuer ces variations à la hausse, pour protéger producteurs et consommateurs, mais surtout à la baisse, pour sauver nos producteurs.
Nous refusons toujours les objectifs affichés par la commissaire, Mme Fischer Boel, qui souhaitait « permettre avant tout à nos agriculteurs de s’adapter rapidement aux signaux du marché ». Voilà quelques jours, elle a elle-même reconnu que l’État où le revenu des agriculteurs avait connu la plus forte baisse, de l’ordre de 25 %, était le Danemark. Même si je ne suis pas certaine que Mme la commissaire ait sciemment déduit de ce constat une démonstration éclatante de l’échec de cette orientation politique, je crois que le modèle agricole prôné par les pays anglo-saxons et du nord de l’Europe ne saurait être ni le meilleur ni encore moins le seul vers lequel nous devons tendre.
Bien au contraire, il est de plus en plus pertinent de maintenir tant la diversité des structures et des produits que la régulation des productions agricoles, qui ne peuvent en aucun cas être assimilées à des marchandises comme les autres.
C’est ce que disent aussi les organisations agricoles européennes et nationales, qui ont regretté que l’accord obtenu dans le cadre du bilan de santé de la PAC « détricote méthodiquement tous les outils de régulation ». Certains de ces outils ont été conservés, mais cet accord se traduit surtout par le découplage quasi total des aides, la suppression programmée des prix d’intervention et l’abandon des quotas laitiers.
Quelles en seront les conséquences sur la survie des petites productions, les volumes produits, les modes de production et, finalement, l’emploi ?
Il semble en effet plus que contestable, par exemple, d’accepter la fin des quotas laitiers alors que le marché du lait s’est effondré et que certains pays, dont la France, n’arrivent même pas à produire autant que les quotas le leur permettent.
Rires.
Dans les zones géographiques difficiles, notamment en montagne, une telle mesure risque également d’être extrêmement pénalisante. À cet égard, tant les mesures que vous proposez pour accompagner ce secteur laitier par le mécanisme de l’article 68 que les fonds impartis pour la modulation pourraient bien s’avérer insuffisants. À quoi serviront les aides lorsque, malheureusement, une grande partie de ce secteur aura disparu de certaines régions ?
Décidément, la PAC ne peut pas se limiter à accompagner de façon marginale quelques secteurs et à abandonner les autres aux forces instables du marché.
En effet, l’Europe a plus que jamais besoin d’une politique publique forte pour l’ensemble de ses productions agricoles et pour sa filière agro-alimentaire. Telle était déjà, monsieur le ministre, la conclusion du rapport que je vous avais transmis au nom de la région Bretagne au début de l’année 2008, comme contribution à cette réflexion sur le bilan de santé de la PAC et, surtout, sur l’avenir de la PAC après 2013.
Élue de cette région, je sais ce que notre dynamisme économique global doit au développement de ce secteur, qui a permis de nourrir la population française, mais aussi plus largement celle de l’Europe et d’autres pays, sans risque de pénurie, tout en maintenant des hommes sur nos territoires.
Toutefois, je reconnais aussi les effets néfastes qui ont pu accompagner les orientations de cette politique agricole commune : productivité trop intensive, pollution des sols et des nappes phréatiques, perte de la biodiversité, assèchement des réserves en eau, lessivage des sols, abus des produits phytosanitaires... Autant de maux environnementaux qui se sont accompagnés de la disparition d’un très grand nombre de petites et moyennes exploitations qui assuraient la vitalité de nos territoires ruraux, entraînant ainsi, dans certaines zones nationales, une véritable désertification.
Il apparaît de plus en plus essentiel que les aides soient conditionnées au respect des normes environnementales, sanitaires et de certains modes de production. Toutefois, au-delà du soutien à la production, celles-ci devraient également avoir pour objet la rémunération des services non marchands rendus à l’ensemble de la société par l’activité agricole. Nous pourrions ainsi maintenir une agriculture forte, préserver les emplois d’un maximum d’agriculteurs et de salariés agricoles et favoriser la transmission des exploitations dans les meilleures conditions.
L’autre reproche essentiel que l’on a adressé à la PAC concerne son opacité et surtout l’iniquité des aides versées. C’est ce qui reste le plus difficile à comprendre pour nos concitoyens. Il est de notoriété publique qu’un quart du budget bénéficie seulement à 5 % des exploitations, alors que 40 % des exploitations se partagent 5 % des crédits.
Cette inégalité se retrouve aussi au niveau des filières : par exemple, 50 % des fonds vont aux céréales, contre à peine 3 % aux fruits et légumes.
Ces inégalités touchent également les États membres. De fortes disparités existent dans les modes d’application des dernières réformes entre les pays de l’Union, et l’on ne peut pas dire que les décisions politiques françaises aient toujours été très pertinentes ces dernières années : le choix du critère historique – fondé sur la période comprise entre 2000 et 2002 – pour le calcul des droits à paiement unique, les DPU, a ainsi eu des conséquences que, pour ma part, je considère comme dramatiques.
Ainsi, dans mon département, un certain nombre d’éleveurs, peut-être mieux informés ou plus malins que les autres, ont anticipé cette approche en transformant des prairies en champs de maïs, dès 2000, pour « gonfler » les « rentes » à venir en 2003. C’est difficile à comprendre dans une région qui se bat pour reconquérir la qualité de ses eaux de surface…
Le refus systématique de recourir à l’article 69 pour favoriser l’agriculture plus durable, notamment le « bio », a également constitué un choix regrettable qui nous contraint aujourd’hui à tenter de combler notre retard dans le cadre du Grenelle.
Que penser de cette mise en œuvre nationale du bilan de santé de la PAC ? Sans refaire tout l’historique – certains de mes collègues s’en sont déjà chargés –, je voudrais tout d’abord revenir sur ce nouvel article 68, qui permet de prélever jusqu’à 10 % des aides directes pour les orienter vers des territoires et des filières en difficulté. Le Parlement européen avait même proposé de porter ce taux à 15 % des plafonds nationaux des États membres. Vous avez décidé, monsieur le ministre, de le limiter à 5 % : s’agit-il d’une première étape, qui vous conduira, dans un second temps, à instaurer un taux plus élevé pour 2011 ou allez-vous, au contraire, laisser ce taux inchangé jusqu’en 2013 ?
Vous avez plusieurs fois affirmé, monsieur le ministre, vouloir une PAC « plus légitime, plus transparente, plus juste ». Nous sommes donc amenés, nous aussi, à nous poser un certain nombre de questions.
Peut-on parler d’une PAC plus légitime ? Le découplage des aides est-il vraiment compatible avec la poursuite des réformes de 2003 et le versement d’aides sans lien avec l’acte de production et sans obligation de continuer à produire ? Comment justifier ces aides auprès de nos concitoyens ?
Peut-on parler d’une PAC plus transparente, alors que l’on inclut des mesures de gestion de crise dans le deuxième pilier et des mesures de développement rural et d’aménagement du territoire dans le premier pilier, via l’article 68 ?
La cohérence de la structure de la PAC en deux piliers existe-t-elle encore vraiment ? Est-elle viable à long terme, surtout si l’on vide de sa substance, par une volonté de réduire globalement le budget de la PAC, un premier pilier qui devrait plus que jamais permettre la régulation des marchés et des filières ?
Quant au deuxième pilier, qui reste beaucoup plus faible, pourra-t-il à lui tout seul résoudre les nombreux problèmes liés à la lutte contre le changement climatique, à l’assurance récolte, au développement rural, lequel mériterait à lui seul une véritable politique commune ?
Je n’évoquerai pas ici la production d’énergie grâce aux productions agricoles, alors même que le problème numéro un que nous devons affronter est le défi alimentaire pour les années à venir.
Il vaudrait peut-être mieux chercher à valoriser au maximum les déchets sous toutes leurs formes, notamment les sous-produits du bois, surtout compte tenu des dégâts causés par la tempête Klaus, dont les conséquences sont catastrophiques pour toute la filière, même en dehors des zones touchées.
Enfin, peut-on parler d’une PAC plus juste ? Monsieur le ministre, vous n’abordez même pas la question du plafonnement des aides dans votre présentation des options nationales ! Les institutions européennes se sont pourtant mises d’accord sur une mesure a minima de plafonnement via un taux de modulation plus élevé de quatre points sur les montants dépassant 300 000 euros. Le Parlement européen, quant à lui, avait introduit une pondération de ce plafonnement en fonction du nombre d’actifs afin de ne pas pénaliser les exploitations des nouveaux pays entrants, dont certains emploient beaucoup de main-d’œuvre.
Peut-être cela est-il fondu dans le cadre de l’augmentation globale de la modulation ? Si tel est le cas, monsieur le ministre, quels montants sont concernés, surtout quand on sait que les prélèvements pour modulation se font au premier euro ? N’aurait-on pas pu prévoir aussi un plancher lié aux plus petits revenus ou aux plus petites surfaces ?
Enfin, et ce n’est pas le point le moins important, que dire de la décision d’attribuer une enveloppe supplémentaire aux grandes cultures ? Ce n’était pas votre décision originelle, monsieur le ministre, mais force est de reconnaître que quelques centaines de producteurs de céréales sont mieux entendus par M. le Président de la République que des centaines de milliers de salariés manifestant pour leur emploi et leurs droits sociaux !
Reprenons la chronologie des événements.
L’application d’un découplage total des aides aux grandes cultures et la réorientation partielle de ces dernières vers les surfaces en herbe, en application de l’article 68, ont permis de dégager un reliquat important de 11 %, soit environ 460 millions d’euros. Les professionnels devaient définir les critères de répartition et, monsieur le ministre, vous aviez annoncé le 23 février que ce solde pouvait servir au rééquilibrage au sein des filières, par exemple dans les zones intermédiaires dont les rendements sont moins élevés.
Après quelques manifestations de céréaliers, et juste avant le congrès de ce syndicat qui, selon la presse, s’annonçait explosif, le Gouvernement a annoncé sa décision de mobiliser 170 millions d’euros supplémentaires pour les exploitations spécialisées en grandes cultures.
Ces aides seraient d’origine communautaire, mais sur quelle enveloppe seront-elles ponctionnées et au détriment de quoi ? Que permettront-elles de financer ?
Telles sont, monsieur le ministre, les observations et les questions que nous souhaitions vous soumettre. Nous tenons également à vous redire combien les régions, à travers l’Association des régions de France, sont attachées à une réflexion sérieuse et approfondie sur les avantages et les inconvénients que représenterait une véritable régionalisation des aides.
Avant de conclure, je souhaiterais évoquer les craintes que nous avons quant à l’avenir de la PAC après 2013, et peut-être même avant.
Il faut tout d’abord souligner le problème du financement de la PAC. Nous constatons avec regret que plus on en demande à nos agriculteurs – environnement, qualité, traçabilité, sécurité, abondance, bien-être animal, lutte contre le réchauffement climatique –, plus on rechigne à y mettre le prix !
Ce n’est pas en insistant sur un plafonnement du budget de l’Union européenne à 1 % du revenu national brut que l’on pourra sauver une véritable politique agricole commune, prête à affronter les futures négociations au sein de l’Organisation mondiale du commerce. En effet, il s’agit bien là du prochain défi de la PAC : faire accepter de nouveaux facteurs légitimes de régulation du commerce international des denrées alimentaires. Mais c’est un autre débat, monsieur le ministre.
Cependant, il faudra bien un véritable consensus des vingt-sept États membres sur des valeurs sociétales pour faire aboutir ce projet. Pour cela, nous comptons très fortement sur la volonté et l’efficacité du futur Parlement européen et sur l’application du principe de codécision.
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. –M. François Fortassin applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis près de cinquante ans désormais, la PAC est la principale politique européenne. Elle a notamment permis de faire de l’Europe une grande puissance agricole. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, elle a prouvé sa capacité à se réformer en profondeur pour mieux répondre aux attentes de la société.
Désormais, la PAC n’a plus pour unique objectif d’encourager la production ; elle vise à garantir une agriculture européenne compétitive, capable de maintenir la vitalité du monde rural et de répondre aux exigences des consommateurs, aux exigences de qualité et de sécurité des denrées alimentaires, tout en respectant l’environnement et le bien-être animal.
La PAC a connu un processus de réforme quasi permanent qui a conduit peu à peu à l’émergence d’une double logique sous-tendant désormais l’ensemble des aides : un découplage, qui va de pair avec une modulation de plus en plus marquée.
Le bilan de santé, tel qu’il a été conclu, marque en quelque sorte l’achèvement de cette logique. Nous allons au bout du découplage, puisque seules quelques rares productions resteront couplées dans les années à venir. Parallèlement, la modulation des aides est accrue, même si vous avez réussi, monsieur le ministre, à minimiser le niveau du transfert du premier vers le deuxième pilier tel que l’avait initialement prévu la Commission.
Avant de revenir plus en détail sur le contenu de cet accord et, surtout, sur la façon dont la France va l’appliquer, je tenais à rappeler que les décisions prises par les ministres de l’agriculture, aussi douloureuses soient-elles pour tous les agriculteurs, n’en sont pas moins indispensables.
En effet, le cadre financier de la PAC, qui a été fixé en 2002 pour les dix années suivantes, sera automatiquement remis en cause après 2013, les nouveaux pays entrants, caractérisés par un fort secteur agricole, devant bénéficier d’une part beaucoup plus large des aides de la PAC, qui, rappelons-le, restent stables, malgré l’entrée de tous ces pays.
À l’heure actuelle, la France demeure la première bénéficiaire de cette politique : les aides de la PAC se montent au total, pour notre pays, à 10, 5 milliards d’euros par an environ.
Dans cette perspective, et sans que soit remise en cause cette politique qui a fait ses preuves, un ajustement de la PAC était indispensable. C’est là tout l’enjeu du bilan de santé.
La Commission européenne avait publié, à la fin du mois de novembre 2007, un premier état des lieux, assorti de grandes lignes d’orientation. Puis, au mois de mai 2008, elle a formulé une série plus précise de propositions tendant à moderniser et à simplifier la PAC.
L’adoption de ce bilan de santé était l’une des priorités de la présidence française. Monsieur le ministre, vous avez réussi à mener à bien ces négociations et accompli un difficile travail de conciliation, malgré la situation que vous avez trouvée. Soyez-en remercié.
L’accord obtenu, comme je l’ai déjà souligné, est loin d’être satisfaisant. Vous avez dû faire face à une proposition initiale de la Commission à laquelle la France, à juste raison, n’était pas favorable. Le résultat obtenu, s’il a permis d’améliorer très sensiblement la proposition de la Commission, est loin de faire l’unanimité parmi les agriculteurs et leurs représentants. Il consacre un pas supplémentaire vers une dérégulation de la politique agricole commune européenne.
Les outils de régulation voient leur portée réduite– c’est le cas pour les dépenses d’intervention – ou menacée à terme – c’est le cas pour les quotas laitiers –, tandis que le découplage de la quasi-totalité des aides est décidé. C’est donc bien la fin d’une certaine PAC.
Si je ne remets nullement en cause la nécessité d’adapter cette politique dans la perspective de l’après-2013, je regrette cependant la disparition d’outils de régulation économique, qui ont prouvé par le passé leur utilité et leur efficacité en matière de régulation des cours.
Alors que nous traversons une période d’extrême volatilité des cours des matières premières agricoles, notamment des céréales, je trouve dommage de se priver de ces outils.
J’en viens maintenant aux modalités que vous avez définies de mise en œuvre de ce bilan de santé.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 18 % des aides, soit 1, 4 milliard d’euros, seront réattribuées dès 2010 sur d’autres bases que des références historiques individuelles. Il s’agit là d’une refonte complète des aides de la PAC.
Monsieur le ministre, vous avez déjà eu l’occasion de vous expliquer longuement sur ces modalités de mise en œuvre. Chaque fois, vous avez répété votre conviction que si nous voulions préserver l’essentiel, à savoir une politique agricole commune, il était nécessaire d’accepter ces mesures, dont vous n’avez pas nié le caractère douloureux. Je partage tout à fait votre sentiment. Nous n’avons pas encore mesuré à quel point 2013 risque d’être une année de fracture profonde pour l’agriculture française. Il est donc indispensable de s’y préparer dès à présent.
Le plan que vous nous proposez met l’accent essentiellement sur l’élevage à herbe et les cultures herbagères, ainsi que sur d’autres activités défavorisées, comme l’élevage caprin et ovin. Cette évolution nécessaire a le grand mérite de rétablir une plus grande justice dans la distribution des aides de la PAC.
En effet, à l’heure actuelle, les grandes cultures représentent, en volume, près de 69 % de ces aides, alors qu’elles ne correspondent qu’à 23 % des exploitations.
La mise en œuvre du bilan de santé, telle que vous l’avez décidée, devrait ainsi permettre de garantir une plus grande homogénéité du revenu des agriculteurs. Cela est indispensable, car leur revenu moyen varie énormément selon les secteurs d’activité et les modes de production.
Ce rééquilibrage des aides de la PAC va également se traduire par une réorganisation de leur répartition géographique. En effet, d’après une étude de l’INRA, la redistribution induit un transfert des régions localisées au nord d’une ligne Bordeaux-Metz vers celles qui sont situées au sud de cette ligne, où se trouvent la quasi-totalité des zones défavorisées simples et des zones de montagne. Au total, la redistribution des aides pénaliserait, selon l’INRA, 159 000 exploitations professionnelles sur les 322 000 qui ont été recensées en 2007.
L’impact du bilan de santé est donc considérable. Plus de la moitié des exploitations seront pénalisées. Dans ces conditions, peut-être aurait-on pu envisager d’échelonner sur plusieurs années les transferts d’aides. Certes, il y a urgence à faire évoluer les aides de la PAC, mais peut être aurait-il fallu mieux prendre en compte la conjoncture actuelle.
En effet, l’année 2008 a été marquée par la hausse générale des prix des moyens de production, à savoir l’énergie et les engrais. Par ailleurs, le prix des céréales a marqué un net repli, après la très forte hausse de 2007.
Ainsi, après avoir très fortement progressé au cours des deux années précédentes, le revenu net par actif de l’ensemble de la branche agriculture a enregistré une baisse de 15 % en 2008.
Vous me répondrez, monsieur le ministre, que le Gouvernement a prévu une aide ciblée de 170 millions d’euros pour accompagner les exploitations fragilisées par la réorientation des aides. Cette dotation sera-t-elle pérenne jusqu’en 2013 ?
Je souhaitais également attirer votre attention sur la situation des régions intermédiaires, comme le Lot-et-Garonne. Ces zones sont caractérisées par des potentiels agronomiques, des niveaux d’aides et de revenus plus faibles. Or, d’après l’étude de l’INRA précitée, les agriculteurs des zones intermédiaires pourraient perdre jusqu’à 30 % de leur revenu.
Une étude de la chambre régionale d’agriculture d’Aquitaine confirme également ces données : pour mon département du Lot-et-Garonne, ce sont 15 millions d’euros, sur 83 millions d’euros, qui seraient supprimés. Heureusement pour nos agriculteurs, l’aide à la prune est préservée, ce dont je vous remercie, monsieur le ministre, sachant la part que vous avez prise dans cette décision.
Vous avez déjà suggéré à plusieurs reprises la possibilité d’une aide « rotationnelle » pour limiter le poids des prélèvements programmés dans les zones intermédiaires. Pourriez-vous nous préciser ce que vous entendez par là ?
Cette aide, pour être vraiment efficace, doit être allouée en fonction de critères simples, correspondant à la réalité concrète des exploitations. L’irrigation des parcelles ne doit pas être un obstacle et, surtout, il ne faut pas multiplier les contraintes administratives, contrairement à ce qui prévalait précédemment.
Quant aux aides à l’herbe, le détail des mesures est très important. Si la subvention était limitée aux cinquante premiers hectares, cela ne pénaliserait que peu d’élevages dans mon département ; en revanche, si on appliquait des critères de spécialisation en matière d’élevage, ainsi que cela a été évoqué, cela exclurait la quasi-totalité de mon département.
Enfin, vous connaissez mon engagement de longue date pour la mise en place d’une véritable assurance agricole. Je me félicite donc que la couverture des risques climatiques et sanitaires fasse explicitement partie des quatre objectifs prévalant dans la mise en œuvre du bilan de santé. Toutefois, je souhaiterais obtenir des précisions sur le dispositif envisagé. En effet, vous avez annoncé que 140 millions d’euros seront consacrés à cet objectif, soit 100 millions d’euros pour la généralisation de l’assurance récolte et 40 millions d’euros pour la création d’un fonds sanitaire destiné à indemniser les conséquences des incidents sanitaires sur les productions animales et végétales.
Ces dotations, mêmes si elles ne permettront pas de tout faire, sont déjà importantes. Nous savons tous que la mise en place d’une assurance récolte à grande échelle, même si elle n’est pas obligatoire, aura un impact financier très important pour l’État. Ainsi, l’Espagne dépensera cette année 280 millions d’euros au titre de l’assurance récolte, alors que seulement 50 % de ses exploitations sont assurées.
Surtout, monsieur le ministre, je souhaite savoir si le dispositif prévoit la prise en compte par l’État de la garantie de réassurance. Il s’agit là d’une condition indispensable à un engagement massif des assureurs, et donc à la généralisation de l’assurance récolte à une majorité d’exploitations.
II en est de même pour le fonds sanitaire. Si l’on compare les 40 millions d’euros de dotation de ce fonds au coût global de la seule fièvre catarrhale ovine, ou FCO, on peut douter de l’efficacité de cet outil.
Depuis 2008, ce sont plus de 82 millions d’euros pour les aides à la vaccination, 130 millions d’euros pour les aides économiques en soutien aux filières d’élevage et 19 millions d’euros pour les autres mesures vétérinaires qui ont été mobilisés pour faire face à la crise que connaissent les éleveurs français.
On peut toujours discuter du montant des crédits proposés. Je considère pour ma part qu’il s’agit de sommes très importantes qui permettront la mise en place d’outils indispensables à notre agriculture. Je me réjouis de l’orientation choisie par le Gouvernement, qui marque une rupture dans la gestion des crises agricoles.
Monsieur le ministre, il me reste à vous féliciter pour ces deux ans passés à la tête de ce beau ministère, que vous avez su réformer et moderniser. De la FCO aux OGM, en passant par les blocages de ports ces dernières semaines, vous avez été confronté à de nombreuses difficultés. Vous y avez fait face en ayant toujours la volonté de sauvegarder les intérêts de l’agriculture et des agriculteurs français : soyez-en remercié. Je vous remercie également très sincèrement pour votre disponibilité et votre écoute.
Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à rendre un hommage sincère et appuyé à notre ministre de l’agriculture et de la pêche, M. Michel Barnier, que nous voyons sans doute pour l’une des dernières fois à ce titre dans notre hémicycle qu’il a tant fréquenté en qualité de ministre et de sénateur.
Monsieur le ministre, vous avez su, pendant deux années, mettre à profit votre grande expérience des hautes instances européennes, votre finesse et votre habileté. Vous avez fait preuve d’une grande capacité de persuasion, animé par la volonté de sauvegarder le modèle agricole auquel nous sommes tous attachés.
Le bilan de santé dont nous discutons aujourd’hui n’aurait sans doute pas le même contenu si vous n’aviez eu de cesse d’œuvrer pour la préservation de nos intérêts agricoles.
J’en viens à mon propos, dans lequel je traiterai deux sujets directement liés à la PAC : l’organisation commune du marché, ou OCM, du vin, d’une part, l’assurance récolte, d’autre part.
En ce qui concerne l’organisation commune du marché vitivinicole, tout d’abord, vous vous souvenez sans doute, monsieur le ministre, que nous avions discuté et adopté ici même, voilà un an et demi, deux résolutions pour vous soutenir dans les négociations s’agissant d’une réforme européenne dont nous ne partagions alors pas les principes, et c’est le moins que l’on puisse dire !
Votre détermination face à la commissaire européenne et à vos homologues nous a permis d’hériter d’une réforme de l’OCM nous donnant satisfaction sur les points les plus importants, tels que l’arrachage, la distillation, la chaptalisation ou les pratiques vitivinicoles.
Le règlement portant cette nouvelle OCM est entré en vigueur le 1er août 2008. Quelles en ont été les modalités de mise en œuvre pour la France ? Quel premier bilan peut-on en tirer alors que la filière vitivinicole connaît à nouveau une conjoncture très difficile ? Pensez-vous qu’il y aura encore une pression des instances européennes pour intégrer cette OCM dans l’OCM unique que nous avions combattue à l’époque ?
Par ailleurs, comment pourrais-je ne pas vous interroger sur un sujet d’actualité : le vin rosé ?
Mes collègues de la commission des affaires économiques m’ont chargé de rapporter la proposition de résolution, que j’ai déposée avec mon collègue Simon Sutour, qui s’oppose au règlement européen levant l’interdiction du coupage des vins blancs et rouges.
Monsieur le ministre, comme vous l’avez souligné à plusieurs reprises, il est difficile de faire prévaloir notre position, car nous sommes isolés. Il nous faudra cependant rester fermes. Tolérerons-nous que l’Europe, une fois de plus en matière agricole, procède à un nivellement par le bas ? Accepterons-nous une mesure qui induira une concurrence faussée, nuira à la qualité et à l’image des indications géographiques protégées, les IGP, aux appellations d’origine contrôlée, et trompera finalement le consommateur ?
Monsieur le ministre, sur votre initiative, l’adoption de ce texte a été reportée, par la Commission européenne, au 19 juin prochain, pour laisser le temps à l’OMC de se prononcer. Vous ne serez sans doute plus, alors, à votre poste ministériel, et nous le regrettons. Néanmoins, disposez-vous d’éléments sur l’évolution de ce dossier ?
Je présenterai un rapport en commission des affaires économiques la semaine prochaine. Pensez-vous qu’une proposition de résolution adoptée par la Haute Assemblée serait de nature à vous aider à débloquer la situation et à redonner confiance aux producteurs et aux consommateurs ?
J’en viens à l’assurance récolte. Le président de la commission des affaires économiques, M. Jean-Paul Emorine, en a parfaitement rappelé le contexte sur le plan européen ; je n’y reviendrai donc pas. Je concentrerai mon propos sur l’application du dispositif assurantiel au secteur de la forêt, qui a beaucoup souffert en ce début d’année.
En effet, la tempête Klaus a provoqué des dégâts considérables dans la forêt du sud-ouest, notamment en Gironde et dans les Landes, dégâts sans doute plus importants que ceux de la tempête de 1999. Leur estimation est en cours. Toutefois, il est d’ores et déjà acquis que 300 000 hectares ont été touchés, dont certaines zones à 90 %. Trente-huit millions de mètres cubes de bois sont au sol, et l’industrie n’a pas la capacité de les traiter d’un seul coup. Il faut donc recourir au stockage sous aspersion pour protéger le bois des insectes et du bleuissement.
J’ajoute que l’Office national des forêts a évoqué une perte équivalente à quatre ans de récolte.
Monsieur le ministre, face à cette situation catastrophique pour les sylviculteurs de la région, vous n’êtes pas resté sans réaction. Vous avez mobilisé une enveloppe de 415 millions d’euros pour l’aide au nettoyage et au reboisement sur la période 2009-2017. Mais, vous le savez, cette aide est considérée comme insuffisante par les sylviculteurs, lesquels estiment qu’une somme de 630 millions d’euros serait nécessaire pour répondre aux besoins.
Par ailleurs, il nous faut aujourd’hui aller plus loin en mettant en place des dispositifs de prévention des risques économiques liés à ce type de catastrophe. Nous avons subi deux tempêtes en dix ans : en 1999 et en 2009. Or, il y a peu d’assurances en matière forestière. Les sylviculteurs sont exclus du régime de catastrophes naturelles et ne bénéficient pas des mêmes indemnisations que les sinistrés particuliers.
Monsieur le ministre, il doit à mon avis être possible de profiter des aides accordées par Bruxelles dans le cadre du bilan de santé de la PAC pour développer des produits assurantiels dans le secteur forestier. La bonification des primes d’assurance contribuerait au devenir de notre forêt en favorisant les nouvelles plantations et replantations.
Par ailleurs, les professionnels demandent la création d’un fonds spécifique d’indemnisation et d’aide au reboisement pour satisfaire à l’obligation légale de reboiser. Monsieur le ministre, quelle est votre position sur ce sujet ? Où en est la parution du décret permettant un appel d’offres pour les prêts bonifiés ?
Telles sont les principales questions que m’inspire ce débat.
Monsieur le ministre, je vous remercie une nouvelle fois de votre action pour la défense de notre modèle agricole. Je vous souhaite bonne chance dans vos futures fonctions. Je ne doute pas que vous continuerez à porter un regard attentif sur le monde agricole et la ruralité, ainsi que sur la politique européenne les concernant.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plus de quarante ans, la politique agricole commune façonne l’environnement quotidien de millions d’agriculteurs et de consommateurs européens.
En dépit des crises et des critiques, elle a permis à l’agriculture européenne de se maintenir, y compris dans les régions difficiles, de se développer, de produire dans la durée et de mettre à disposition de tous des produits de qualité.
Au fil des ans, la PAC s’est profondément réformée pour s’adapter aux marchés, au contexte international et aux attentes des consommateurs. On a assisté à un alignement progressif des prix de soutien sur les prix mondiaux, compensé par des aides directes de la production finalement découplées.
La réforme de 2003 a sans doute apporté les inflexions les plus marquantes, en contrepartie d’une stabilité budgétaire jusqu’en 2013. Elle avait prévu un bilan de santé à mi-parcours, qui s’est conclu par un accord en novembre dernier, lors de la présidence française de l’Union européenne.
Monsieur le ministre, nous connaissons votre volonté de préserver les fondamentaux de la PAC et vos efforts pour aboutir à un accord. Ce dernier est moins libéral que l’option initialement proposée par la Commission et prend davantage en compte les composantes sociales et l’aménagement du territoire.
Certes, il s’agit d’un compromis. Bien que deux rendez-vous soient prévus, en 2010 et en 2012, pour ajuster les quotas laitiers à l’évolution des marchés, la suppression programmée de ces quotas suscite des inquiétudes. L’imposition d’un découplage quasi total des aides peut également avoir des conséquences potentiellement destructrices dans certaines régions où les possibilités de diversification sont rares.
Toutefois, reconnaissons que le bilan de santé comporte beaucoup d’éléments positifs. Il préserve d’abord les mécanismes d’intervention pour les céréales et les produits laitiers. Il permet ensuite de participer au financement par la PAC des outils de couverture des risques climatiques et sanitaires. C’est un enjeu majeur pour garantir les revenus : les agriculteurs du Gers en savent quelque chose après la fièvre catarrhale ovine et la tempête de janvier dernier qui les ont durement touchés. Enfin, il dégage un potentiel d’intervention dans des secteurs rencontrant des problèmes spécifiques. Pour la France, il s’agit de réorienter environ 1, 4 milliard d’euros.
Monsieur le ministre, vous nous avez présenté les décisions qui ont été prises, et que j’approuve, notamment le rééquilibrage des aides au profit de certaines filières : il en est ainsi de la filière ovine et plus généralement de l’élevage à l’herbe, secteurs auparavant délaissés.
Cependant, cela ne doit pas se faire au détriment des zones intermédiaires. Ainsi, dans le Gers, certaines exploitations devraient bénéficier de la réorientation des aides ; d’autres, de petite ou moyenne dimension, pourraient se trouver confrontées à des transformations auxquelles elles ne pourraient faire face. Quelles mesures d’accompagnement entendez-vous mettre en œuvre en faveur des zones intermédiaires ?
Au-delà de ce bilan de santé, c’est déjà la PAC de l’après-2013 qui nous préoccupe aujourd’hui. Les réformes successives n’ont été trop souvent que le fruit d’arbitrages budgétaires ou ont été guidées par les seules contraintes internationales. Il faut aujourd’hui se poser les vraies questions. Quelle PAC voulons-nous ? Comment préserver notre agriculture, à la fois compétitive, multifonctionnelle, durable et répartie sur tout le territoire européen ? Comment répondre à l’impératif alimentaire européen et international ?
Il serait peu cohérent d’entamer les discussions sur les perspectives budgétaires de l’Union avant d’évoquer les questions de fond. C’est l’ambition politique qui doit orienter le débat budgétaire, et non l’inverse !
Monsieur le ministre, vous avez tenté d’ouvrir le débat politique sur l’avenir de la PAC en septembre dernier, à Annecy, mais votre initiative a malheureusement été limitée par les réticences de certains de nos partenaires. La France doit néanmoins continuer de porter ce débat, d’autant qu’elle ne peut plus être accusée d’avoir une position intéressée puisqu’elle sera, en 2013, contributrice nette.
La PAC doit retrouver une nouvelle légitimité reposant sur des objectifs cohérents et sur des moyens d’action renouvelés. Les égoïsmes nationaux doivent passer après les grands projets européens. L’agriculture est un projet majeur, structurel, social et économique.
L’impératif de sécurité alimentaire est stratégique. En effet, la demande mondiale doit doubler d’ici à vingt ans, et l’ONU évalue à 1, 2 milliard le nombre d’êtres humains qui auraient chroniquement faim en 2025.
L’agriculture peut aussi répondre au défi de la performance énergétique avec les biocarburants. Elle assume enfin une fonction primordiale de vitalisation rurale et d’entretien de l’espace.
D’aucuns s’interrogent sur le bien-fondé du maintien d’une politique agricole européenne ambitieuse. Pour moi, la réponse relève de l’évidence.
Certains pays plaident pour une renationalisation partielle de la PAC. Il n’est pas concevable que l’Europe tourne le dos à son agriculture alors que les États-Unis, par le biais du farm bill, soutiennent massivement leurs producteurs.
Il n’est pas concevable non plus, alors que l’Europe a déjà fait de nombreuses concessions, que l’Organisation mondiale du commerce continue de militer en faveur d’un dumping général en matière agricole.
La loi du marché ne peut seule gouverner l’agriculture. Il faut maintenir des outils de régulation et de gestion de l’offre, seuls à même de répondre à la volatilité des prix.
Ces outils peuvent se révéler des amortisseurs plus efficaces et surtout moins coûteux que les compensations en cas de crise.
Monsieur le ministre, nous vous faisons confiance pour continuer de défendre au Parlement européen les principes fondateurs de la PAC que sont la solidarité financière et la préférence communautaire, qui n’est autre que l’exigence de réciprocité sur le plan international.
La PAC a joué un rôle fondamental dans la construction européenne. Aujourd’hui, elle doit renouer avec l’Europe des projets partagés, mais elle s’est découvert de nouvelles ambitions au-delà du fait de nourrir les hommes.
M. Joël Bourdin applaudit.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’opinion publique regarde la politique agricole commune sans indulgence. Elle la perçoit souvent comme un montage illisible et coûteux à une époque où l’agriculture est devenue une activité lointaine pour la très grande majorité de nos concitoyens et où la défiance à l’égard de la construction européenne reste forte.
Monsieur le ministre, l’un de vos objectifs, lorsque la France a pris la présidence du Conseil de l’Union européenne voilà bientôt un an, était de changer cette perception et de replacer l’agriculture et la PAC dans le contexte mondial de la crise alimentaire et de la volatilité des prix agricoles d’alors.
Pour cela, la conférence intitulée « Qui va nourrir le monde ? » était particulièrement bienvenue et augurait d’une prise de conscience au niveau européen en préalable au débat sur le bilan de santé de la PAC. Cela n’a malheureusement pas été complètement intégré par les vingt-sept États membres de l’Union européenne au vu de l’accord a minima qui est intervenu le 20 novembre dernier.
Parallèlement, l’impression laissée par l’annonce du Président de la République le 19 février dernier et les récents arbitrages du Gouvernement concernant la déclinaison nationale de l’accord européen relative au bilan de santé de la PAC comporte des ambiguïtés. Il y a eu, certes, une révision française de la répartition des aides en faveur des éleveurs et des soutiens à l’herbe. Je salue cette évolution qui était bien nécessaire au regard de l’inégalité scandaleuse de cette répartition et de la situation critique de l’élevage ovin en particulier. Mais ce rééquilibrage attendu et médiatisé a cependant été quelque peu atténué dans un deuxième temps au profit des céréaliers lorsque la rallonge de 170 millions d’euros a été accordée à ces derniers.
Les réactions dans le monde agricole ont été mitigées. Est-ce parce que les décisions annoncées exprimaient un compromis ? Ou est-ce parce que nous sommes face à des décisions à court terme prises dans un cadre national qui ne rassurent pas sur l’avenir de la PAC après 2013 ? Les questions essentielles de ce que peut et veut faire l’Europe sur les grands sujets que sont les équilibres au sein de l’offre et au sein de la demande de produits agricoles ont à mon avis été laissées de côté. Plus exactement, on leur a substitué une liste d’objectifs importants que vous avez énumérés et auxquels tout le monde ne peut que souscrire, notamment rendre la PAC plus légitime et aborder 2013 dans de meilleures conditions.
Mais si l’élue de Corrèze que je suis a quelques raisons d’être satisfaite des rééquilibrages effectués, l’élue nationale et l’ancienne députée européenne s’inquiète que ces rééquilibrages nationaux ne s’inscrivent pas dans un courant plus puissant en faveur de la régulation indispensable de l’économie agricole européenne et mondiale. Avant de développer la nécessité de cette régulation, je veux revenir sur les ambiguïtés de votre politique issue des ajustements du bilan de santé de la PAC.
Les souplesses introduites par la dernière réforme de la PAC pour la répartition des aides au niveau national ont été utilisées dans le bon sens, même si les références historiques des droits à paiement unique, les DPU, auraient dû également être revues.
Mais la réorientation de 18 % des aides vers l’élevage ovin et bovin, les zones à handicaps naturels et les secteurs en difficulté est positive. Ainsi, l’augmentation moyenne serait de 30 % pour les aides aux élevages ovins s’ils sont sur des systèmes herbagers et en montagne ; cela était vraiment indispensable. Les exploitations de grande culture vont être contributrices, comme l’a dit l’un de nos collègues, mais je tiens à rappeler que les éleveurs y contribuent eux aussi en acceptant un découplage de 25 % de la prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes, la PMTVA. Un retour vers ce secteur est d’ailleurs possible grâce aux aides aux légumes et aux fourrages ainsi qu’au dispositif d’assurance récolte, et je ne parle pas des 170 millions d’euros déjà cités.
Le soutien à l’agriculture biologique est également appréciable. Cette agriculture doit être à la fois développée, pour des raisons sanitaires, mais également protégée contre les importations lointaines et incertaines, dont l’intérêt en termes de « bilan carbone » disparaît en raison des transports. Par ailleurs, il y a un réel intérêt à développer les circuits courts qui rassurent à juste titre les consommateurs et recréent des liens avec les producteurs locaux.
Quant à l’élevage bovin, j’assistais vendredi dernier à l’assemblée générale de l’Association des éleveurs de Corrèze, l’ADECO, et je suis en mesure de témoigner sur la situation des exploitations de viande bovine : elles ont perdu 50 % de revenus par actif en 2008 du fait de l’augmentation des charges et des conséquences de la fièvre catarrhale ovine.
À ce propos, les éleveurs ont souligné les pertes financières considérables résultant des errements relatifs à la vaccination et de la fermeture du marché italien, engendrant le maintien de broutards sur les exploitations pendant des mois. Le « plan Barnier » d’aides s’avère très insuffisant pour compenser ces pertes.
Par ailleurs, si la fièvre catarrhale ovine n’a pas causé une surmortalité d’animaux très notable, ses effets sur l’avortement ou l’infécondité se révèlent très importants depuis deux ou trois mois et entraîneraient un déficit de 22 % des vêlages au niveau national, soit 260 000 veaux en moins. Ces pertes ne seront pas sans conséquences sur les productions de broutards en 2009, et donc sur l’économie des départements « naisseurs » du bassin allaitant tout entier.
S’y ajoutent d’ores et déjà un afflux de vaches laitières de réforme et une baisse de la consommation de viande bovine qui tendent à une saturation du marché, donc à une baisse des prix à la production, que le consommateur ne vérifie, hélas ! ni à l’étal du boucher ni dans les grandes surfaces commerciales.
L’inquiétude est forte chez les éleveurs à l’orée de la saison estivale, face à la reprise possible de la fièvre catarrhale ovine, voire d’un nouveau sérotype, autre que le 1 ou le 8 que nous connaissons déjà, d’autant que les simulations des aides européennes à l’horizon 2012 ne sont guère enthousiasmantes.
En effet, le rééquilibrage prévu permet, selon l’ADECO, « de limiter la casse sans certitude pour l’avenir ». Seuls les éleveurs de veaux de lait élevés sous la mère peuvent espérer une hausse modeste des aides à l’horizon 2012, du fait de la prime au veau labellisable. Mais les éleveurs de broutards verront leurs aides stagner, et les naisseurs-engraisseurs perdraient même une partie des montants d’aides du fait de la suppression des primes à l’abattage et aux céréales. Il faudra donc être très volontariste sur la répartition des aides vers les zones intermédiaires si l’on veut y conserver une polyculture diversifiée, sans oublier le renforcement stratégique des compensations des handicaps naturels, notamment en montagne.
Or je constate que la politique qui nous est proposée manque déjà de cohérence à l’échelle locale, en particulier sur la question du lait. En montagne, les éleveurs vont bénéficier d’une meilleure répartition des aides. Mais d’un autre côté, s’ils continuent à produire du lait, les revenus qu’ils vont en tirer risquent de diminuer, compte tenu du relèvement progressif des quotas laitiers et de la suppression définitive de ces derniers après 2015. À l’occasion du dernier conseil des ministres dont vous nous avez rendu compte récemment, vous avez soutenu « vos collègues hollandais et allemands sur les réponses à apporter à la dégradation des marchés laitiers » et appelé à une « mobilisation résolue et accrue des outils destinés à soutenir les cours ». Vous avez raison. Mais quelles réponses vous a-t-on apportées en ce sens ?
La question du lait illustre à mon avis parfaitement l’ambiguïté de la politique conduite par la Commission, qui consiste à promouvoir la libéralisation dans le domaine de l’économie agricole. Et le bilan de santé de la PAC se situe dans la continuité des réformes poursuivies depuis 1992 qui démantèlent les uns après les autres les outils de gestion publique et de régulation de l’agriculture : la disparition des quotas en fait partie, de même que le gel des outils d’intervention, la politique de découplage et la disparition des jachères.
C’est pourquoi ce « bilan de santé » ne me rassure guère sur l’avenir de la PAC en 2013. En effet, malgré les efforts que vous avez déployés, aucun accord n’est intervenu. J’ajoute que les déclarations du secrétaire d’État tchèque, en juillet dernier, sur une PAC qu’il veut « plus libérale, plus ouverte, plus flexible et moins coûteuse » augurent mal des négociations futures et, d’abord, de la place réservée à la PAC dans les prochaines perspectives financières de l’Union européenne. À ce propos, monsieur le ministre, la position du Gouvernement tchèque a-t-elle récemment évolué depuis que ce dernier a acquis une meilleure connaissance des réalités ?
Il faut donc, de mon point de vue, inscrire la PAC dans le contexte de la mondialisation et de la sécurité alimentaire, et non pas dans celui d’une libéralisation accrue des marchés.
Le rapport de Mme Mac Guiness, adopté par le Parlement européen, est très fort en ce sens. Nous ne pouvons oublier les émeutes de la faim de l’hiver 2007-2008. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, nous a confirmé l’augmentation considérable du nombre de personnes sous-alimentées dans le monde.
Dans ce contexte de crise alimentaire, de changements climatiques, il nous faut revenir à des fondamentaux, pour éviter les phénomènes de spéculation, et développer des moyens de stockage et d’intervention. En effet, s’il faut renforcer l’Union européenne – chacun en est convaincu, me semble-t-il –, cela passe par la construction d’autres politiques intégrées à l’image de la PAC et non pas par la réduction ou la destruction de celle-ci.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, élu d’un département fortement agricole, je me devais d’être présent aujourd’hui pour ce débat important.
L’agriculture est un secteur économique majeur, qui constitue un enjeu stratégique dans notre monde en crise.
Les décisions retenues pour la mise en œuvre de l’accord du 20 novembre 2008 sur le bilan de santé de la politique agricole commune ont été annoncées lors du Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire du 23 février 2009. Il a été préféré une réorientation des aides vers les productions les plus fragiles.
Or l’avenir de la PAC ne se réduit pas à la seule question de la répartition des aides en agriculture, et ce bilan de santé devrait permettre d’en poser les bases autour de la gestion des risques, par la mise en place de vraies alternatives pour une véritable organisation des marchés, et afin de maintenir les filières et les hommes sur tous les territoires.
Les agriculteurs de l’Aisne, plus largement ceux de la région Nord, et parmi ceux-ci les jeunes agriculteurs sont inquiets, très inquiets. La contribution de la région nord-parisienne à la valeur de la production agricole française est de 13 milliards d’euros. Au niveau de l’emploi, un actif sur quinze travaille dans le secteur agricole.
Si les nouvelles mesures annoncées sont maintenues en l’état, elles représenteraient un prélèvement d’environ 30 millions d’euros rien que sur l’agriculture de l’Aisne.
En effet, le mythe des grandes cultures associées à un revenu confortable a depuis de nombreuses années vécu, et les soutiens directs constituent une large part du revenu brut des exploitations, compte tenu des grandes volatilités des prix de marchés. L’impact d’un tel prélèvement serait extrêmement brutal et fragiliserait donc l’économie de toutes nos régions. Nous constatons que les prix, après leur chute au cours du second semestre 2008, poursuivent leur baisse continue.
Les informations que nous pouvons avoir sur le déroulement de la campagne 2009-2010 ne laissent pas, pour l’instant, la possibilité d’envisager un retournement de tendance, accompagné d’une hausse des prix. L’impact d’un tel prélèvement serait extrêmement brutal et fragiliserait l’économie de plusieurs de nos régions.
Monsieur le ministre, vous avez fondé ces décisions sur le fait que les prix allaient être durablement élevés. Ce n’est pas le cas. J’aimerais donc savoir dans quelle mesure l’application française du bilan de santé prépare l’avenir.
Les professionnels demandent donc l’application de la progressivité pour ce prélèvement, le retour aux producteurs historiques du solde de l’aide couplée SCOP – surface céréales, oléagineux et protéagineux –, et, enfin, une plus grande lisibilité des politiques en place au delà de 2013.
Monsieur le ministre, je vous remercie par avance de vos réponses.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous menons aujourd’hui sur la PAC est décidément dans l’air du temps : si la crise économique et sociale fait toujours la une de l’actualité, au risque d’occulter la crise écologique, force est de reconnaître que la PAC est, elle aussi, en crise, et ce depuis de nombreuses années ! En témoigne ce paradoxe : les agriculteurs, qui exercent l’un des plus beaux métiers du monde car leur fonction première est de nourrir les autres, sont aujourd’hui regardés avec suspicion. La crise de confiance est là, l’image stéréotypée de « l’agriculteur-pollueur » a, hélas ! fini par s’imposer !
Deux présupposés devraient faire consensus entre nous, quels que soient nos points de vue légitimement différents sur la situation.
Le premier est que les agriculteurs sont des acteurs économiques comme les autres, ni meilleurs ni pires : ils exercent leur activité dans le cadre économique qui leur a été tracé, tout en cherchant légitimement à optimiser leurs revenus. Nous dénonçons donc toute stigmatisation d’une profession dont les pratiques ne font que s’inscrire dans les orientations de la politique agricole !
Le second est que l’agriculture est une activité particulière, radicalement différente des autres activités économiques.
Plusieurs raisons militent en ce sens.
Tout d’abord, la production de la nourriture revêt une dimension stratégique indiscutable, historiquement vérifiée : si, comme l’a théorisé Clausewitz, « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », le concept d’« arme alimentaire » relève de la même logique, parfaitement détestable.
Ensuite, la production agricole et les revenus des agriculteurs ne peuvent rester fonction des seules lois du marché : la formation des prix en agriculture est soumise à de multiples aléas, notamment climatiques ; il en résulte des fluctuations considérables des prix agricoles, qui sont souvent erratiques et perturbent la production et les revenus des agriculteurs.
Au regard de ces considérations, la production agricole a impérativement besoin de régulation, c’est-à-dire de politique, et ne saurait, par conséquent, se voir abandonnée à la seule « main invisible » du marché.
Toutefois, dès lors que l’on défend la nécessité d’une politique agricole, il faut bien définir les enjeux de celle-ci, avant d’évoquer les outils à mettre en œuvre pour espérer obtenir des résultats.
Or, manifestement, les enjeux d’aujourd’hui ne sont plus ceux de la PAC des années 1960, dont la priorité de premier rang était de produire plus afin de résorber le déficit alimentaire structurel de l’Europe, un objectif dépassé dès le milieu des années 1980 ! Il en résultait logiquement la mise en place d’un système de soutien des prix, faisant baisser le coût relatif des intrants, dont l’usage se trouvait ainsi stimulé, par rapport à celui des produits agricoles, afin de pousser les rendements au maximum.
Mes chers collègues, nous sommes en 2009, le monde a changé en profondeur et nous nous trouvons confrontés à quatre enjeux, qui sont stratégiques.
Tout d'abord, il faut impérativement inscrire la nouvelle PAC dans la problématique agricole et alimentaire mondiale, comme le soulignait Edgard Pisani lors du colloque sur l’agriculture que j’ai eu l’honneur de présider le 9 avril dernier au Sénat.
En effet, pour l’ancien ministre de l’agriculture et père de la PAC de 1962, le problème alimentaire sera la question numéro°1 des prochaines décennies : hausse de la population mondiale, diminution des surfaces cultivées, concurrence inacceptable des agrocarburants, accumulation des excédents agricoles des pays industrialisés, déversés à coups de subventions, qui viennent ruiner les agricultures vivrières et paysannes des tiers-mondes, tels sont les défis majeurs à relever.
Pour l’Europe, cela signifie concrètement qu’il faut résister à la tentation de continuer à accroître notre production agricole, notamment céréalière, sous le mauvais prétexte de nourrir le monde, plus particulièrement les pays sous-développés au sein desquels sous-alimentation et famines sévissent. Deux arguments vont dans ce sens.
Tout d’abord, la souveraineté alimentaire reste un principe intangible et le concept d’« arme alimentaire » ne fait pas partie de la culture européenne !
Ensuite, l’agriculture vivrière demeure la base du développement : ce qui a été vrai autrefois dans nos pays industrialisés reste d’actualité dans les pays sous-développés ! L’Europe ne peut plus être la complice du désastre actuel, qui voit les villes de ces pays nourrir les campagnes à travers des importations et d’autres excédents agricoles bradés à coups de subventions. Il n’y a pas pire pour bloquer le développement, pourtant vital, de « l’agriculture vivrière et paysanne » dans les pays concernés !
En outre, l’Europe doit cesser de fonctionner comme un « aspirateur mondial à protéines », en raison de l’abandon massif de l’herbe au profit du couple maïs-soja dans nos élevages. La reconquête de notre souveraineté alimentaire passe par une remise à plat de nos systèmes de production, en valorisant d'abord la production à l’herbe et en développant les cultures d’oléoprotéagineux.
Un deuxième enjeu porte sur la réduction massive de la pression insoutenable exercée par l’agriculture productiviste sur l’environnement, comme le Grenelle l’a officiellement reconnu. Il s'agit de la pollution diffuse en nitrates et pesticides et de l’épuisement des nappes phréatiques, qui rendent nécessaire l’intervention des collectivités territoriales, aux frais des contribuables ; des atteintes à la biodiversité, à travers l’artificialisation des milieux et l’emploi massif de pesticides dont l’efficacité marginale ne cesse de décroître ; de la dégradation des sols, asphyxiés et appauvris en humus ; de la pollution de l’air par les pesticides ; du bilan énergétique global de l’agriculture, toujours plus négatif en raison de la substitution permanente capital-travail, qui se traduit par une mécanisation croissante et un usage massif des intrants de synthèse, gros consommateurs de pétrole. Nombre d’indicateurs ont ainsi viré au rouge !
C’est pourquoi la PAC nouvelle se doit impérativement d’enclencher le basculement vers une agriculture nouvelle : nous proposons que 30 % des cultures soient « bio » d’ici à 2020, le reste de la production étant réalisé en HVE, c'est-à-dire en haute valeur environnementale.
À cet égard, il ne s’agit surtout pas de créer un énième label, qui brouillerait inévitablement la perception, déjà bien confuse, des produits par le consommateur, mais d’évaluer la durabilité des exploitations agricoles sur la base d’instruments précis, validés scientifiquement.
Des outils existent déjà dans notre pays. Je fais référence aux IDEA, les indicateurs de durabilité des exploitations agricoles, qui sont développés par votre administration, monsieur le ministre.
Toutefois, le versement d’argent public au titre de la PAC devra enfin intégrer prioritairement des critères de durabilité : d’expérience, on sait que récompenser contractuellement la vertu est le seul moyen crédible – hormis la contrainte réglementaire normative, mais celle-ci manque par définition de progressivité – de faire évoluer en profondeur les systèmes de production agricole.
Le troisième enjeu porte sur la qualité des produits. La liste des crises alimentaires qui relèvent de la santé publique et sont provoquées par le développement des élevages hors-sol concentrationnaires continue de s’allonger : veaux aux hormones, poulets à la dioxine, bovins affectés par l’ESB, l’encéphalopathie spongiforme bovine, et, aujourd’hui, menace d’une pandémie de grippe porcine...
Il en résulte une véritable érosion de la confiance des consommateurs dans la qualité des produits, que les teneurs en pesticides mesurées dans certains vins et dans les fruits et les légumes tendent à renforcer. Pour rétablir cette confiance, il ne suffit pas de réglementer : il faut favoriser, à travers la politique agricole, une « désintensification » globale des systèmes de production, au profit de la qualité !
Le quatrième et dernier enjeu concerne l’emploi et l’aménagement du territoire.
Le mouvement structurel de concentration des exploitations a historiquement vidé nos campagnes. Depuis des décennies, l’agriculture conventionnelle n’est plus un secteur porteur d’emplois et ne constitue plus le point de fixation d’autres activités artisanales et de services. Les déséquilibres naturels entre les régions agricoles, paradoxalement accentués par la PAC, n’ont cessé de se creuser !
C’est pourquoi la nouvelle politique agricole doit mieux valoriser, contractuellement, les externalités positives d’une agriculture paysanne riche en emplois, productrice de paysages et génératrice d’autres activités de proximité non délocalisables.
Au regard de ces quatre enjeux stratégiques, force est de reconnaître que la PAC actuelle est hors sujet : les subventions déversées sur l’agriculture sont devenues globalement illégitimes.
En témoigne un premier pilier de la PAC qui mobilise l’essentiel des aides publiques et qui est totalement « découplé » des quatre enjeux précités ! Sa déclinaison à la française à travers les DPU, les droits de paiement unique, octroyés sur la base des références 2000-2002, est emblématique d’une situation ubuesque, dans laquelle l’octroi de ce qu’il faut bien appeler des rentes de situation a remplacé la politique agricole, pourtant si nécessaire !
La non-dégressivité et le non-plafonnement des aides par exploitation, ou par UTA, c'est-à-dire par unité de travail annuel, accentuent, s’il en était encore besoin, la concentration des exploitations. L’agriculture est le seul secteur économique où les pouvoirs publics subventionnent le capital au détriment du travail. Vous avez dit « emploi », monsieur le ministre ?
« La réforme de la PAC a été une affaire de boutiquiers, elle n’a pas été une affaire qui a conduit à repenser l’agriculture et sa place dans la société, à présenter l’agriculture sous un autre jour à la société » déclarait l’un des pères fondateurs de la PAC, Edgard Pisani, en conclusion du colloque mentionné précédemment, tout en soulignant : « Vous ne progresserez pas en ayant de petites idées. Vous avez à mobiliser des rêves, des espoirs, en vue de dessiner un schéma qui a un sens » !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le moment est venu de nous projeter dans l’avenir et de proposer aux agriculteurs d’Europe un contrat profondément renouvelé avec la société : arrêter la fuite en avant vers une agriculture industrielle, « chimisée » et déterritorialisée, promouvoir une agriculture paysanne, fondée sur l’agronomie et l’agroécologie, qui valorise nos terroirs, si riches de leur diversité, et refuser le leurre de la compétitivité mondiale pour choisir l’autonomie alimentaire, l’emploi, l’environnement et la qualité des produits.
Toutefois, à l'échelle nationale, nous devrons avoir le courage politique de nous affranchir enfin de ces lobbies que nous ne connaissons que trop bien et qui n’ont cessé, au nom de la « défense de la profession », de manœuvrer à tous les niveaux pour défendre leurs privilèges !
À l'échelon européen, il sera nécessaire d’oser aller au conflit au sein des instances mondiales pour sortir, enfin, l’agriculture de l’OMC. Il s’agit non pas seulement d’accroître nos possibilités de réorienter notre agriculture européenne en fonction de nos priorités sociétales internes, mais aussi de permettre aux peuples du tiers-monde de reconquérir leur souveraineté alimentaire.
M. Jacques Muller. Je laisse le mot de la fin à Guy Paillotin, qui s’exprimait ainsi lors du colloque sur l’agriculture précité : « Le nombre de personnes qui meurent de faim augmente. Or on nous avait dit que le libre-échange des marchandises ferait que ce nombre diminuerait. Ce n’est pas vrai ! »
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me permettrez de commencer mon intervention par un souvenir personnel.
L’année dernière, nous avions rencontré Jacques Barrot, alors commissaire européen aux transports. À la fin de notre entretien, il aborda quelques sujets qui sortaient de son champ de compétences, notamment la PAC. Il eut alors cette formule qui me reste en mémoire : « Ou bien la France initie la réforme de la PAC, ou bien celle-ci lui sera imposée ». On ne peut être plus clair !
Il ne s’agit pas de savoir s’il y aura une nouvelle réforme, car chacun voit bien qu’elle se dessine, les derniers instruments d’intervention étant éliminés peu à peu. Il ne s’agit pas non plus de savoir quand cette réforme aura lieu, car, on le sait, la préparation du prochain cadre financier 2014-2020 sera aussi et surtout le grand rendez-vous de la PAC. La seule question qui demeure est la suivante : la France sera-t-elle copilote de la réforme, ou la subira-t-elle ?
Je souhaite aborder cette question en restant dans une logique communautaire et en examinant trois volets.
Le premier porte sur les principes. Monsieur le ministre, ces derniers temps, l’analyse européenne s’est enrichie d’un nouveau concept : celui de « valeur ajoutée européenne ». Une action ou, plus encore, un financement n’est acceptable et légitime que si la mesure envisagée a une véritable valeur ajoutée européenne.
Or quelques commentateurs qui appliquent ce concept à l’agriculture considèrent que, justement, la PAC n’a pas de valeur ajoutée européenne ! Ainsi, la contestation de cette politique porte non plus seulement sur son budget, ses modalités, sa répartition ou son principe : la PAC, finalement, ne servirait à rien, car elle n’aurait aucune valeur ajoutée européenne !
Je dois avouer que je suis navré de cette analyse. Je puis comprendre que l’on conteste le budget de la PAC, la part que la France prend dans cette politique – certains ne s’en privent pas – ou ses modalités, mais nier l’intérêt de la PAC, c’est contester l’essence même du processus communautaire !
Tout d'abord, la PAC constitue en réalité la seule politique commune pleine et entière, l’unique domaine où il y ait à la fois une stratégie, une politique, une réglementation et des moyens. Mes chers collègues, si l’on regarde bien, il n’y en a pas d’autre ! Il peut y avoir des affichages politiques sans moyens, des réglementations sans budget, des crédits sans véritable politique, mais aucune autre politique européenne n’est aussi complète que la PAC.
Ensuite, l’agriculture constitue l’un des rares domaines où les États ont accepté un abandon ou un transfert de leur souveraineté au profit d’un échelon supranational. Et ce qu’il était possible de décider à six ne le sera pas à vingt-sept. Si la PAC disparaît, on peut douter qu’une autre politique aussi complète prenne le relais.
La PAC constitue une expérience historique et politique sans précédent. Critiquer son absence de valeur ajoutée est un contresens et même une insulte pour les partisans de la construction européenne.
Monsieur le ministre, je me souviens que, bien conscient de cette dérive, vous avez annoncé une riposte sous la forme d’une question : combien coûterait l’absence de PAC ?
Je dois avouer que j’étais un peu réservé sur la méthode, car la seule analyse financière me semble quelque peu partielle pour apprécier une politique ou une action. Toutefois, force est de constater que la critique de la PAC prend de l’ampleur et qu’il faut y répondre, l’analyse du coût de la non-PAC prenant alors tout son intérêt.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire où en est ce projet ? Pensez-vous rendre public un document avant le lancement de la grande négociation budgétaire ?
Ma deuxième question porte sur les objectifs de la PAC, en particulier la sécurité alimentaire. Pour un Français, cette notion paraît élémentaire. Le traité ne reprend pas explicitement ce concept, mais dispose que la PAC a pour but de « garantir la sécurité des approvisionnements ». Ce n’est pas tout à fait la même chose, car certains considèrent que l’Europe ne risque pas la pénurie et peut garantir ses approvisionnements autrement qu’en développant sa propre production !
La France a développé une autre conception et ne se résigne pas à faire reposer l’alimentation des Européens sur des importations dont ni la qualité ni la pérennité ne sont garanties.
Heureusement, nous ne sommes pas les seuls à raisonner ainsi. Un responsable roumain, que nous avons reçu, me disait récemment que la sécurité alimentaire était de toute évidence un besoin vital, avant même la religion, ajoutait-il.
Le Président de la République a fait de cette question, sur laquelle il estimait que la France pouvait rassembler une majorité d’États membres, y compris des états non agricoles, une des priorités de la présidence française de l’Union européenne. Il faut bien admettre que nous n’avons pas été tout à fait suivis…
La France voulait que le concept de sécurité alimentaire figure dans les conclusions du Conseil européen de fin de présidence. Cela n’a pas été le cas. Ces conclusions ne font que souligner « l’importance de l’accord intervenu au Conseil sur le bilan de santé de la politique agricole commune ». On ne pouvait faire moins !
Pensez-vous, monsieur le ministre, que ce combat sur la sécurité alimentaire est perdu ? Peut-on encore rallier une majorité d’États membres sur ce concept ? Ou bien encore – ce serait un comble – faudra-t-il attendre qu’une crise alimentaire éclate en Europe pour s’apercevoir que la PAC avait tout de même un sens ?
La troisième question que je souhaite aborder concerne les alliances.
La France doit s’engager dans cette nouvelle négociation avec une véritable stratégie d’alliances. Elle ne réussira pas contre les autres, mais avec les autres. L’initiative solitaire et la position du bastion sont condamnées.
Il faut aborder cette question avec lucidité. Le camp des anti-PAC est clairement identifié. En revanche – c’est là tout le problème ! – le camp des partisans de la PAC est beaucoup plus diffus. La France doit donc rester à l’écoute et tenter de rassembler autour d’elle un maximum de pays.
Enfin, quelle sera la position de l’Allemagne ? Les quelques points d’accord ponctuels ne masquent-ils pas un vrai désaccord de fond sur la PAC et son budget ?
De même qu’il existe en Europe la « banane bleue » qui, comme son nom ne l’indique pas, désigne une grande bande industrielle et urbaine allant du Royaume-Uni à l’Italie du Nord, pourquoi ne pas imaginer une sorte d’ « œillet vert » qui partirait de l’Irlande, descendrait vers la France et les pays méditerranéens et remonterait par la Pologne et la Roumanie ? Il ne s’agit pas d’exclure, mais de fédérer autour d’une force vive.
J’ai débuté mon intervention par un souvenir personnel. Je la terminerai également par une note personnelle.
Je suis certain, monsieur le ministre, qu’en acceptant ce grand ministère, vous n’imaginiez pas ce que serait votre vie. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’action n’a pas manqué ! Il faut beaucoup de cran et de travail pour mener à bien cette mission, mais ce poste nécessite avant tout un talent de conciliateur.
Pendant ces quelques années, vous ne vous êtes pas ménagé, assurant une présence systématique sur le terrain, plusieurs fois par semaine et sans oublier aucun secteur ni aucune région. Vous terminez votre action en appelant à une PAC plus juste. Il y a beaucoup de sous-entendus dans cette affirmation, mais je crois, monsieur le ministre, que c’est le plus beau message que l’on puisse entendre.
Pour tout cela, bravo et merci !
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et sur certaines travées de l ’ Union centriste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en complément des diverses interventions de mes collègues, je me bornerai à évoquer la question essentielle du développement rural.
En 2006, j’ai participé avec votre prédécesseur, monsieur le ministre, à une mission sur la ruralité en Europe. Nous avons ainsi pu constater à quel point les notions de ruralité et de développement rural pouvaient être vécues différemment d’un pays à l’autre. L’Écosse, l’Autriche, la Finlande, l’Allemagne, l’Espagne ont une appréhension qui leur est propre de l’espace rural.
On peut dire qu’il s’agit là, avant tout, d’un choix politique. Certains pays mènent une vraie politique du rural. Pour d’autres, seul le retour sur investissement a un sens. L’absence de couverture téléphonique, d’école ou de services en milieu rural constituerait un choix de vie de la part de certains citoyens, qui auraient décidé de vivre sur les territoires concernés en connaissance de cause. Aucune intervention publique ne serait en conséquence de mise.
Par exemple, la politique rurale est stratégique pour la Finlande. Elle a pour objectif d’assurer le maintien de la population sur les territoires. L’agriculture est donc conçue, dans ce pays, bien plus comme un outil d’aménagement du territoire que comme une activité purement productive.
L’Espagne affiche une volonté très claire de penser la ruralité dans sa globalité, et non uniquement dans sa composante agricole. On peut effectivement parler du rural sans parler d’agriculture, alors que l’inverse n’est pas vrai. Un partenariat fort entre l’État espagnol, les communautés autonomes et l’Europe permet donc d’assurer des financements dont nous ne bénéficions pas sur le territoire français.
En Écosse, il n’existe pas de politique particulière en faveur du rural isolé ni d’intervention sur le rural accessible. Le programme écossais de développement rural est centré sur l’environnement, qui représente 80 % des crédits.
En Autriche, le développement rural constitue une priorité, aussi marquée qu’en Espagne. Le pays lui consacre autant de financement qu’au premier pilier de la PAC. Il organise une conférence de l’aménagement du territoire chaque année et dispose d’un management régional, qui correspond à une sorte d’agence de développement.
En France, la ruralité compte ! Elle repose sur une association de forces : élus locaux, socioprofessionnels, représentants associatifs, etc. La ruralité, c’est aussi la mise en forme de projets et de programmes : les groupes d’action locale, les GAL, sont bien une réalité.
Toutefois, nous sommes obligés de constater, au vu de cette étude réalisée en 2006, que nous sommes les mauvais élèves de l’Europe en matière d’utilisation des financements du deuxième pilier. Or, celui-ci est tout de même un des principaux compléments du premier pilier, donc de l’agriculture.
Compte tenu de ces approches différentes, il est aisément concevable qu’il soit difficile de parvenir à une solution européenne qui satisfasse chacun des vingt-sept pays membres de l’Union européenne. J’en conviens pleinement, monsieur le ministre. Le 20 novembre 2008, vous avez abouti à un compromis et, je tiens à le souligner, vous nous avez associés à ce travail tout au long de la présidence française de l’Union européenne.
Soyons conscients de la difficulté de cette tâche, alors que la PAC demeure l’un des postes budgétaires les plus importants et est devenue un sujet presque tabou ! Jalonnant l’histoire de l’intégration européenne, elle a cristallisé une fracture entre les acteurs, certains la jugeant obsolète, d’autres la jugeant au contraire nécessaire.
Après quinze années de réforme, la PAC est toujours critiquée.
En 1992, le découplage des paiements et la réduction des interventions sur les marchés ont freiné l’intensification. Les programmes agro-environnementaux ont créé des formes de soutien favorables à une agriculture productive, mais plus vertueuse. La réforme de 2003 a découplé les paiements des marchés, mais les droits à paiement unique, les DPU, posent problème du fait de règles inégalitaires de répartition. Est-il envisagé, monsieur le ministre, de revoir ce système ?
En tout état de cause, au fur et à mesure des réformes, la PAC s’est orientée de plus en plus vers des paiements directs, en réduisant les fuites possibles dans le système et en transmettant une plus grande partie de l’argent public aux agriculteurs exploitants eux-mêmes. Cela ne signifie pas pour autant que les revenus agricoles sont bons. Mais on pourrait imaginer le pire si ces soutiens étaient supprimés, par exemple pour les éleveurs.
Ce constat vaut naturellement pour les aides du deuxième pilier, qui représentent une manne non négligeable et sur lesquelles, monsieur le ministre, nous avons beaucoup à faire au niveau national.
L’inégalité dans la répartition des aides, quant à elle, n’a pas été réglée et le phénomène de concentration demeure à travers les réformes.
Monsieur le ministre, il n’existe aucun consensus sur la notion de transferts équitables au sein de l’Union européenne !
Certains pays trouvent normal que les plus gros exploitants captent les transferts les plus importants ou admettent que les exploitations des zones défavorisées, jugées peu viables, bénéficient de plus faibles paiements. Certains ne sont pas convaincus par la notion de compensation des handicaps naturels. Comment trouver une ligne juste dans tout cela ?
Le bilan environnemental et rural de la PAC est nuancé.
Par exemple, le soutien aux prix, qui était en place avant la réforme de 1992, a eu un effet incitatif sur le recours aux pesticides et aux engrais. En dix ans, les prairies ont beaucoup diminué, en surface, au profit des terres arables. Quant aux incitations à de meilleures pratiques, qui ont permis jusqu’ici d’éviter l’application du principe pollueur-payeur, leur traduction concrète n’est pas évidente. Les critères d’éco-conditionnalité seront-ils, monsieur le ministre, suffisants ?
À l’avenir, il faudrait faire en sorte de développer de manière massive l’éco-agriculture, en rendant obsolète le clivage entre agriculture intensive et agriculture extensive. De toute manière, les pratiques devront changer car il sera bientôt inconcevable d’assumer tous les coûts de transport liés au fait que l’on consomme des produits en provenance de l’autre bout de la planète, alors qu’ils peuvent être produits localement.
Monsieur le ministre, je dois dire que nous avons tous été surpris de l’utilisation de l’expression « bilan de santé », même si nous savons que la Commission européenne voulait éviter d’appeler « révision à mi-parcours » ce qui s’avère être un exercice de modernisation de la PAC.
La PAC est-elle en forme ? Si elle essaye de mieux intégrer certaines préoccupations sociétales relatives au changement climatique, à la gestion de l’eau et aux bioénergies, ses perspectives de vie sont inconnues au delà de 2013.
Que deviendra le deuxième pilier, monsieur le ministre ? Sera-t-il encore une variable d’ajustement de la politique agricole ? Il ne faut pas oublier que le développement rural tente de préserver des communautés viables dans les régions rurales. Pour cela, les habitants doivent avoir accès aux services et pouvoir bénéficier d’une vie sociale normale.
L’agriculture continue bien sûr d’occuper une place importante dans cet espace. Or, dans le cas de l’élevage extensif, on voit apparaître un hiatus : la taille des exploitations ne va pas de pair avec le souhait d’accroître la densité de population. En même temps, la fragilité de l’élevage en montagne reste avérée. Les revenus, les difficultés du secteur laitier bovin et ovin, ainsi que de la filière viande, le renouvellement générationnel, etc. sont autant de points de précarité que la fièvre catarrhale a aggravés.
Monsieur le ministre, vous allez bientôt être élu député européen. On peut considérer que votre bilan est intéressant et, surtout, que votre action personnelle a été très adroite. Je dis « adroite » en un seul mot, mais on pourrait aussi certainement le dire en deux.
Sourires
Il n’en reste pas moins que des zones d’ombre subsistent et l’augmentation de la prime à l’herbe ne parviendra pas à les dissiper, comme l’illustrent le plan d’urgence de la fièvre catarrhale ou l’éventualité d’une sortie des quotas laitiers avec, à l’heure actuelle, des problèmes de prix et de répartition des marges. Mais, par-dessus tout, c’est l’absence de perspectives au sein de l’Europe des vingt-sept qui préoccupe le monde rural.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, je souhaite que vous nous précisiez la nature du projet que vous comptez mener demain, en qualité de député européen, par rapport à cette question du développement rural et du deuxième pilier de la politique agricole commune.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Monsieur le président, monsieur le ministre, le 3 décembre dernier, lors de l’examen des crédits affectés à l’agriculture dans le cadre du projet de loi de finances pour 2009, j’ai déjà exprimé des interrogations quant à la future politique agricole commune, qui sera mise en place dès 2013.
Les questions que je me posais alors, et que je continue à me poser, prennent toute leur dimension au regard de la part qu’occupe l’agriculture dans le budget européen, c’est-à-dire environ 40 % de ce budget. Cela fait de l’agriculture la seule politique devenue totalement européenne, les budgets nationaux étant en réalité subsidiaires ou complémentaires.
Quel soutien pourrait être apporté, dès 2013, à nos filières ovines et bovines qui, comme l’ont indiqué mes collègues, sont particulièrement sinistrées par la fièvre catarrhale et les prix de marché ?
Devrons-nous nous résoudre, dans quelques années, à acheter notre bétail au Commonwealth ? La compensation que la Grande-Bretagne a obtenue il y a quelques années – vous vous en souvenez – ne sert-elle pas pour partie à subventionner les cheptels australiens et néo-zélandais et à venir casser les prix des produits de nos éleveurs ?
Faudra-t-il pour entretenir nos zones d’élevage embaucher des jardiniers de l’espace ? À quel prix ? Que deviendront nos éleveurs qui sont attachés à leur cheptel et qui méritent notre respect et notre appui ?
Aujourd’hui, l’organisation d’un débat sur la PAC me donne l’occasion d’évoquer plus particulièrement les inquiétudes qu’ont suscitées en Haute-Garonne les décisions présentées le 23 février dernier et mettant en œuvre le bilan de santé de la PAC depuis la conclusion de l’accord du 20 novembre 2008.
En Midi-Pyrénées, où l’activité agricole agroalimentaire reste le premier secteur économique avec environ 100 000 emplois, soit le double du tourisme ou de l’aéronautique, les aides de la PAC représentent un apport extrêmement important.
Des nouvelles règles édictées par Bruxelles, il résulte une réorientation, en 2010, de 1, 4 milliard d’euros – soit 18 % des aides directes reçues par les agriculteurs – afin de mettre en place un soutien à l’herbe, de consolider celui qui est accordé à certaines productions fragiles, comme les productions ovines, et d’accompagner les systèmes de production durable, notamment la performance énergétique des exploitations agricoles, le développement de l’agriculture biologique et la production des protéines végétales.
À ce sujet, je souhaiterais, monsieur le ministre, attirer votre attention sur l’intérêt que présente le soja, protéine noble dont il faudra pérenniser l’essor.
En effet, il s’agit d’une culture bonne pour l’environnement – on ne le répétera jamais assez –, qui est désormais bien ancrée dans le Sud-Ouest : ainsi, au cœur du Lauragais, pays dans lequel je vis, la valorisation de cette culture permet de fournir aujourd’hui environ 3 500 tonnes de soja non génétiquement modifié dans un rayon de quatre-vingts kilomètres.
Monsieur le ministre, cette culture doit être poursuivie et encouragée.
J’en reviens aux nouvelles mesures prises par Bruxelles : elles suscitent des inquiétudes en Haute-Garonne, où il apparaît, après simulation, qu’une perte d’environ 20 millions d’euros est à envisager, en raison, notamment, du traitement des aides allouées aux exploitations en grande culture et aux exploitations mixtes de polyculture-élevage.
Il faut savoir que les conditions pédologiques et climatiques de la Haute-Garonne ne permettent qu’un rendement moyen, en grande culture, de 5, 2 tonnes par hectare, alors que la moyenne nationale est d’environ 6 tonnes à l’hectare. Jusqu’à présent, les aides, s’agissant des grandes cultures, assuraient aux exploitants un minimum de revenus, même si la Haute-Garonne ne se situe qu’au quatre-vingt-troisième rang national.
Il me semble nécessaire, monsieur le ministre, de prendre un certain nombre de mesures : tout d’abord, le classement de notre département défavorisé en zone intermédiaire, ensuite, la redistribution du solde des aides aux grandes cultures à destination des zones intermédiaires, compte tenu de la contribution de la Haute-Garonne à la réorientation des aides prévues, puis, la mise en place des mesures agro-environnementales spécifiques, d’application souple et simple, qui conforteront le revenu des agriculteurs tout en ayant un effet positif sur les territoires, enfin, l’application du supplément de vingt euros par tonne de lait sur l’intégralité du massif pyrénéen tel que défini par la loi de 1985, c’est-à-dire au-delà de la zone montagne.
J’aborderai un ultime point en matière de politique agricole européenne : la politique du flux tendu a conduit à l’effacement des stocks agricoles, pourtant indispensables pour mieux réguler les prix des denrées alimentaires. L’Europe doit de nouveau assurer le financement de ces stocks, ce qu’elle ne fait plus, malheureusement – c’est bien regrettable ! – depuis un certain nombre d’années.
Je rappellerai également que, 58 000 hectares de terres agricoles disparaissant chaque année, il serait peut-être bon, nous inspirant de l’exemple de l’Allemagne, de nous demander s’il ne conviendrait pas, par une loi, de modérer l’avancée des grandes métropoles, qui dévorent petit à petit ces terres.
Ainsi, l’agglomération toulousaine consomme chaque année 1 350 hectares de terres agricoles.
Je tiens à saluer l’engagement que vous avez pris, s’agissant du développement des pôles de compétitivité. Les dix orientations qui ont été retenues permettront – j’en suis sûr – de donner un nouveau dynamisme à nos entreprises agroalimentaires et de favoriser ainsi ce travail en filières indispensable entre l’agriculture, le monde de la transformation et, bien sûr, celui de la distribution, et de faire en sorte que nos éleveurs et nos agriculteurs puissent être directement intéressés au prix final du produit.
Je ne saurais conclure sans vous rendre hommage, monsieur le ministre : votre action a été déterminante, notamment au sein du conseil des ministres européens de l’agriculture. Vous avez œuvré en faveur des intérêts de la France : nous ne pouvons que vous en remercier et vous inciter à continuer dans cette voie, au poste que vous occuperez désormais.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, la viticulture européenne est en crise. En France, hélas ! elle n’y échappe pas.
Or, certains des outils que la Commission européenne a placés au cœur de sa proposition de réforme de l’organisation commune de marché vitivinicole et qui ont été validés par les États membres ne nous permettront sans doute pas de sortir plus rapidement des graves difficultés que connaît cette filière et qui perdurent depuis 2004 au moins.
Mes collègues MM. Marcel Rainaud, Didier Guillaume, Jean-Marc Pastor, élus de régions viticoles, Bernard Piras, Jean Besson, Robert Tropeano, Marc Daunis ou encore Daniel Raoul – pour ne citer qu’eux – ne me démentiront pas, non plus que vous, monsieur le ministre.
J’imagine que vous témoignerez de nos difficultés languedociennes, mon cher collègue !
À l’heure actuelle, dans certaines de nos régions, les vignerons perdent jusqu’à 1 000 euros par hectare. Ce n’est pas tenable. M. Rainaud ne vous dira pas le contraire. D’ailleurs, des pans entiers de notre économie sont en train de disparaître ; des secteurs entiers sont en train de mourir.
Les mots peuvent être plus durs encore, monsieur le ministre. Ainsi, les viticulteurs concernés vous diraient : « Nous sommes en train de crever dans l’indifférence générale ! »
Savez-vous à combien s’élevait, en 1982, la recette correspondant à la vente d’un hectolitre de vin de pays, tous frais de vinification déduits ? À 208 francs, c’est-à-dire à 31, 70 euros nets. Savez-vous à combien s’est élevée cette recette pour un même hectolitre, tous frais de vinification déduits, en 2007, soit vingt-cinq ans plus tard ? À 30 euros !
Concernant le prévisionnel 2008, tout porte à penser que la recette se situera autour de 27 euros, une fois déduits les frais de vinification, plus importants encore en raison de la suppression des contrats de stockage et autres prestations, et de la hausse des coûts divers de productions.
Tout est dit : la très grande majorité des viticulteurs est dans le rouge… c’est-à-dire en déficit.
La seule issue, pour de nombreux vignerons, faute de soutien, c’est parfois le RMI, très souvent l’arrachage, parfois même l’abandon définitif. Certains arrachent sans prime, monsieur le ministre ! C’est à un véritable sacrifice que se livrent d’innombrables vignerons : pour pouvoir simplement vivre, ils sacrifient leur propre potentiel de production.
La crise est en train de faire le « sale travail », c’est-à-dire de rayer des secteurs entiers de la carte viticole de certaines régions.
La désespérance des vignerons est telle que les représentants de la profession vous demandent, monsieur le ministre – c’est tout dire ! –, de prendre toutes initiatives auprès des instances européennes afin qu’une rallonge financière soit accordée pour satisfaire des demandes d’arrachage définitif de plus en plus nombreuses. Ils sollicitent également une année supplémentaire d’application de cette mesure d’arrachage, un véritable crève-cœur pour eux et, en même temps, une nécessité impérieuse. C’est ainsi. Ils n’ont plus d’autre choix.
En l’absence de véritables soutiens financiers et à cause d’une crise qui les enfonce chaque jour davantage dans la précarité, la seule alternative dont ils disposent pour sauver leurs exploitations, c’est d’arracher certaines parcelles pour obtenir un peu de trésorerie.
Quelle suite, monsieur le ministre, comptez-vous donner à cette demande ?
Je veux également revenir sur la décision de supprimer, d’ici à quelques années, les restrictions de plantation via le régime des droits de plantations. Cette mesure, contre laquelle nous nous étions élevés lors de notre rencontre avec Mme Fischer-Bohl, à Bruxelles, risque de faire la part belle à de grands groupes financiers et d’aboutir à une concentration des exploitations viticoles au détriment des petits producteurs indépendants et des coopératives.
J’évoquerai à présent une autre demande, un autre point de préoccupation : les droits à paiement unique, les DPU. Il s’agit là d’une demande forte dans certains de nos départements, il s’agit là d’un indispensable complément de revenus.
Or, si la France est en train de procéder à la mise en œuvre du paiement de 250 euros à l’hectare pour les surfaces arrachées définitivement et dans certaines conditions, elle n’a en revanche pas souhaité généraliser les DPU.
« Pas possible ! », avez-vous déclaré, monsieur le ministre, avant d’ajouter que la filière n’avait pas alors souhaité retenir cette option. Il est vrai qu’à cette époque-là la crise viticole n’avait pas l’ampleur qu’elle a aujourd’hui.
Cependant, selon moi, cette question de l’attribution des droits à paiement unique aurait aussi pu se poser de nouveau lors de la discussion sur la réorientation de la politique agricole commune en France, lors du « bilan de santé », en même temps que celle des redistributions auxquelles il a été procédé. C’est, en tout cas, ce qu’avait cru comprendre une délégation syndicale des vignerons du Midi lors d’une rencontre avec vos proches collaborateurs, mais cela n’a pas été le cas.
Pour certaines régions viticoles, notamment la mienne, c’est-à-dire le Languedoc-Roussillon, qui ont déjà beaucoup restructuré leur vignoble et beaucoup arraché, cette mesure aurait permis d’assurer un revenu minimum de base aux viticulteurs qui risquent, sans elle, d’abandonner leur activité.
Monsieur le ministre, peut-être allez-vous me dire que la question des DPU, pour les viticulteurs, pourrait être revue en 2013. Or – j’insiste une fois encore –, un grand nombre de viticulteurs aura disparu d’ici là si l’on ne trouve pas de solution alternative de soutien.
Il faudrait, selon moi, commencer par inscrire ces DPU dans le plan national et examiner dès maintenant, et sans attendre, les différents moyens de soutien franco-français à cette viticulture. Dans certaines de nos régions, c’est ni plus ni moins l’avenir de la ruralité qui est en jeu.
Qu’en est-il, monsieur le ministre, des mesures de dégrèvement de l’impôt sur le foncier non bâti ? Il s’agit là d’une mesure très attendue, nécessaire, indispensable, dans le contexte que nous connaissons. En 2006, tous les dégrèvements ont été acceptés. Depuis 2007, l’enveloppe a été ramenée de 6 millions d’euros à 2, 5 millions d’euros ; les bailleurs sont exclus systématiquement et vont être contraints d’arracher, car eux aussi perdent de l’argent avec la crise. Il conviendrait donc que l’enveloppe soit plus importante et que son attribution soit soumise à des critères moins restrictifs.
Sur cette question, je tiens tout particulièrement à obtenir une réponse précise, monsieur le ministre, puisque la décision est franco-française.
J’aborderai maintenant une autre affaire, celle du vin rosé. §
Le 27 janvier 2009, le comité de réglementation du vin, présidé par un représentant de la Commission européenne mais composé des représentants des différents États membres, a procédé à un vote indicatif sur la possibilité d’autoriser la production de vin rosé en couplant du vin rouge et du vin blanc. Le vote a été positif…
… et il est notable de constater que le représentant de la France s’est prononcé en faveur de cette autorisation.
Ce fut d’ailleurs plus qu’une erreur, ce fut une faute.
Certes, depuis, devant la colère des producteurs, vous vous êtes élevé, monsieur le ministre, contre cette pratique, mais n’est-ce pas déjà trop tard ? La faute est commise.
Le représentant de la France aurait dû manifester son opposition dès le 27 janvier. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? La France tiendrait-elle un langage à Paris et un autre à Bruxelles ?
Cette mesure va brouiller l’image de tous les rosés de qualité européens, mais, de surcroît, nous allons assister à un nivellement qualitatif par le bas. Est-ce là la véritable orientation de l’Europe ?
Le rosé ne peut se réduire à n’être qu’une variable d’ajustement de certains stocks des industriels.
Cette affaire n’est pas mineure, car autoriser un libéralisme effréné en matière d’élaboration du vin va pénaliser incontestablement les viticulteurs français, qui, grâce à des efforts constants, ont réussi à faire du vin rosé une valeur en hausse depuis quinze ans.
Quant aux propositions d’étiquetage « rosé traditionnel » et « rosé par coupage », elles ne résolvent en rien le problème. Nombre de consommateurs ne vont-ils pas se diriger vers les prix les plus bas, …
… c’est-à-dire vers des mixtures médiocres, tels les coupages vins blancs, vins rouges ?
Il est des erreurs susceptibles d’avoir des conséquences désastreuses. Celle-ci fait suite à une autre mesure communautaire tout aussi malheureuse qui permet à des vins sans indication géographique, donc sans origine, de revendiquer le cépage, sans toutefois être soumis au même cahier des charges.
Il faut convenir que la viticulture, face à une crise sans précédent, n’avait nul besoin de tels handicaps supplémentaires, d’autant que le vin vient de souffrir, une fois de plus, de récentes attaques aussi injustes qu’infondées, pour des motifs d’ordre sanitaire.
Avant de conclure, je me permettrai de vous faire quelques suggestions, monsieur le ministre.
Je tiens, tout d’abord, à vous faire part de cette demande de la profession de voir proroger certains délais, notamment sur les mesures de soutien, y compris sur les conditions relatives à l’utilisation du FEAGA, le Fonds européen agricole de garantie.
La période des dépenses est circonscrite du 15 octobre n au 15 octobre n+1. Il conviendrait, pour les investissements matériels, d’obtenir un report possible des dotations financières d’une année supplémentaire. Il serait regrettable et dommageable que la totalité des financements européens prévus ne puisse être utilisée. Il serait gravissime que nous en laissions repartir une partie.
S’il est vrai que la situation du secteur vitivinicole européen est aujourd’hui difficile et la concurrence des vins du nouveau monde rude, il faut aussi avoir à l’esprit que l’Union européenne a beaucoup d’atouts. Les vins européens s’imposeront plus facilement si l’Europe favorise les investissements commerciaux et fait une meilleure promotion de ses produits, plutôt que d’aligner ses pratiques œnologiques sur celles des autres continents.
Personnellement, je considère que la Commission européenne dispose de bien trop de pouvoirs, notamment sur les pratiques œnologiques.
Pour valoriser ses produits, l’Union européenne doit valoriser sa tradition viticole, la qualité et l’authenticité de ses vins et leur lien fort avec les terroirs.
M. Roland Courteau. Voilà le vrai message que doit porter l’Union européenne. C’est aussi celui que devrait porter la France !
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Gérard César applaudit également.
Monsieur le ministre, je ne dispose que de six minutes pour parler d’un sujet aussi important, ce qui est bien court ! J’irai donc droit au but : mon propos sera direct et exempt de toute fioriture.
Pour ma part, je partage totalement les objectifs du Gouvernement. Dans la mesure où ils ont été rappelés au début du débat par Henri de Raincourt, je me contenterai d’en citer quelques-uns.
Ainsi, qui pourrait s’opposer, dans le cadre de la protection de notre environnement, à une utilisation limitée des pesticides ?
Pour autant, il est parfois difficile de concilier de tels objectifs avec la satisfaction des besoins alimentaires de l’ensemble de la planète.
On développe les biocarburants ? C’est une excellente initiative. On affiche la volonté d’aider les filières ovines et les exploitations laitières de montagne ? C’est un souhait que je partage tout à fait, n’y voyant aucun inconvénient. On veut adapter la PAC aux marchés mondiaux ? Bien sûr ! On entend soutenir le développement durable ? Qui peut s’y opposer ? On prétend assurer la couverture du risque climatique et aider les zones intermédiaires chères à notre collègue Henri de Raincourt ? Bien entendu, la solidarité de la profession ne peut jouer qu’en faveur de ces zones fragilisées.
Monsieur le ministre, je ne trouve donc rien à redire aux objectifs affichés. Cela étant, j’ai quelques divergences avec vous, et je souhaite les exprimer. Mais je sais que vous ne m’en tiendrez pas rigueur, tant nos différents échanges sur la politique agricole ont toujours été directs et tout à fait cordiaux. Je n’ai d’ailleurs eu de cesse d’apporter mon soutien à votre action. Je dois le reconnaître, vous avez su, chaque fois que la possibilité vous en était offerte, défendre les intérêts de la France dans les négociations menées à Bruxelles au niveau européen, tout en sachant que votre marge de manœuvre était très étroite et vos moyens d’action en faveur de la profession extrêmement limités sur le plan national.
Permettez-moi donc, en tant que représentant d’un département de grandes cultures, notamment céréalières et betteravières, d’exprimer quelque émoi devant la méthode et les mesures que vous avez retenues.
Ainsi, la réorientation des aides directes à hauteur de 1, 4 milliard d’euros consiste tout simplement à déshabiller Pierre pour habiller Paul ou, devrais-je dire, pour habiller Michel
sourires
Faire appel au premier pilier dans la conjoncture que traversent les régions de grandes cultures ne me paraît pas la bonne solution. J’aurais très bien compris, monsieur le ministre, que cette mesure soit prise au moment de la flambée des cours des céréales et des oléagineux.
En 2008, lorsque le prix du blé a atteint des sommets, oscillant entre 250 euros et 300 euros la tonne, si vous aviez pris des mesures immédiates de redéploiement au profit des éleveurs ovins et des exploitations laitières de montagne, personne dans la profession agricole, me semble-t-il, n’aurait trouvé à redire à une telle initiative. Il aurait été normal que l’ensemble des aides publiques soit dirigé vers ceux qui étaient les premières victimes de la flambée des cours. En effet, un niveau très élevé du prix des céréales a pour corollaire une augmentation des coûts de production pour les éleveurs. Étant moi-même producteur céréalier et éleveur, j’ai bien senti les effets négatifs de cette flambée des cours.
Mais le fait de prendre une telle décision aujourd'hui, au moment où les cours sont en train de retrouver le niveau que nous avons connu en 2006, c’est véritablement agir à contre-courant : c’est du plus mauvais effet et ne correspond à rien dans la conjoncture actuelle.
Lors d’une annonce faite en votre présence, le Président de la République a souhaité que la politique conduite en matière de redéploiement des aides s’appuie notamment sur l’évolution des cours et des marchés. Or, lorsque M. Sarkozy a reçu un groupe de représentants de la profession agricole, après la manifestation qui s’est tenue voilà quelques semaines, j’avais cru comprendre qu’une mesure serait prise en ce sens. Personnellement, je reste sur ma faim !
Certes, un certain nombre de mesures ont été prises, notamment le plan d’accompagnement de 170 millions d’euros avec l’aide à la diversité des assolements de 25 euros par hectare, qu’a évoquée Henri de Raincourt. Cette aide retournera donc aux producteurs de céréales, quels que soient d’ailleurs leurs départements d’origine, c’est-à-dire aussi bien les zones intermédiaires que les autres. Par conséquent, mon département en bénéficiera également.
Monsieur le ministre, si cette mesure va dans le bon sens et permettra de rééquilibrer l’ensemble du dispositif, elle est très nettement insuffisante. Voici donc l’une des questions auxquelles il m’importe d’avoir une réponse : quid de la mesure annoncée par le Président de la République tendant à moduler le concours des aides publiques en fonction de l’évolution des marchés et des cours ?
Au moment où le prix des céréales « se casse la figure », au moment où les agriculteurs se retrouvent dans une situation fortement préjudiciable à leur pouvoir d’achat et à leur trésorerie, il paraîtrait tout à fait naturel de procéder au rétablissement d’au moins une bonne partie des aides, afin de leur permettre de passer ce cap ô combien difficile. Aussitôt que les cours remonteront, il serait tout aussi légitime de donner un coup de balancier en faveur de celles et de ceux qui souffrent d’une telle remontée.
Monsieur le ministre, les mesures prises vont donc plutôt dans le bon sens, et je vous remercie de ne pas avoir été sourd à l’appel de la profession dont je me fais l’écho aujourd’hui.
Je terminerai mon propos en vous posant une question complémentaire sur l’aide annoncée d’un montant de 25 euros, dans la mesure où celle-ci est notamment soumise à un double effet de seuil : d’une part, la culture majoritaire devra ainsi couvrir au moins 45 % de la sole cultivée, ce qui pose problème dans nos départements ; d’autre part, les trois cultures les plus représentatives ne devront pas couvrir plus de 90 % de la surface totale. Envisagez-vous des assouplissements à cet égard ?
Si vous étiez en mesure de me répondre, vous me rendriez service, car je pourrais alors apaiser les inquiétudes de la profession dans le département que je représente.
Monsieur le président, mes chers collègues, ce que je viens d’exprimer est non pas tant une critique de l’action du Gouvernement qu’un souhait, celui de contribuer à faire évoluer les actions menées afin d’aboutir à une politique équilibrée pour l’ensemble de la profession agricole. Monsieur le ministre, je vous remercie par avance des mesures que vous voudrez bien prendre à cette fin.
Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, disposant, moi aussi, de six minutes pour m’exprimer, je m’efforcerai d’être le plus synthétique possible.
Je tiens, tout d’abord, à remercier le président Henri de Raincourt, qui a demandé l’inscription de ce débat, fort utile, à l’ordre du jour.
Monsieur le ministre, je voudrais également vous remercier, à la fois pour la méthode que vous avez su mettre en œuvre, puisque vous êtes à l’origine de ce bilan de santé de la politique agricole commune, et pour vos résultats. Diverses interprétations ont pu être faites, peu importe ! L’essentiel, c’est que vous ayez réussi à obtenir un accord des vingt-sept ministres européens de l’agriculture, ce qui, il faut tout de même le rappeler, était loin d’être évident.
Cet accord nous permet de définir des perspectives de développement de notre agriculture dans un cadre budgétaire fixé jusqu’en 2013 et de préparer l’avenir, au travers d’un certain nombre de mesures : la mise en œuvre d’outils efficaces de gestion des marchés ; une réorientation des aides, certes difficile à réaliser, vers des zones de productions fragiles ; la sortie progressive et, donc, sans dégâts, des quotas laitiers ; le renforcement des mesures de développement rural ; la mise en place d’outils de gestion des risques climatiques et sanitaires pour les États membres. Voilà tout de même un vaste programme !
Je n’hésite pas à le dire, je me retrouve davantage dans les propos de M. Courteau que dans ceux de mon prédécesseur à cette tribune ! Il importe en effet de défendre la viticulture. Au demeurant, mon collègue socialiste s’est, me semble-t-il, trompé dans ses affirmations, car, à ma connaissance, le représentant de la France n’a pas voté cette proposition folle de faire du rosé à partir de vin rouge et de vin blanc.
Monsieur le ministre, le rosé est et doit rester un produit authentique. Vous avez réussi à obtenir le report de cette décision, et je vous en félicite. Il nous revient désormais de tous nous mobiliser, quelles que soient nos sensibilités politiques, pour obtenir, comme je l’espère, les quatre-vingt-onze voix correspondant à la minorité de blocage et faire ainsi échouer cette idée qui ne correspond à rien et qui remet en cause l’attachement fondamental de notre pays à l’authenticité des produits agricoles.
J’interviendrai maintenant en tant que président du groupe d’études sénatorial sur le développement économique de la montagne. Là encore, monsieur le ministre, je veux vous remercier des mesures prises. Certes, les céréaliers souffrent un peu, mais, chacun le sait, un effort était véritablement nécessaire pour soutenir notre élevage et pour sauvegarder les capacités agricoles dans les zones fragiles, notamment en montagne.
Vous avez eu le courage de prendre des mesures de compensation, que mon collègue Alain Vasselle vient de rappeler et qui reçoivent, bien sûr, notre approbation. Les éleveurs ont pâti de l'augmentation des prix des céréales. Il était donc indispensable de procéder à un rééquilibrage en leur faveur.
De telles mesures, mes chers collègues, permettent en outre de légitimer notre demande de maintenir une politique agricole commune. À cet égard, n’ayons aucun complexe, ne tombons pas dans les travers de la pensée unique, nous intimant de choisir entre la politique agricole et le développement technologique !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique agricole est la seule vraie politique commune européenne !
Nous pouvons toujours comparer les sommes dépensées pour la PAC à celles que l'Europe peut consacrer à d’autres domaines, notamment à la recherche et à la mise en œuvre du traité de Lisbonne. Mais ne l’oublions jamais, c’est grâce à la politique agricole commune que l'Europe a pu assurer sa sécurité alimentaire et s’ouvrir des possibilités à l’exportation. Hier, on nous disait que les produits agricoles étaient surabondants ; aujourd'hui, on va en manquer ! La meilleure preuve, c’est la polémique sur les biocarburants : certains les considèrent comme une dérive, estimant que les surfaces ainsi utilisées devraient être consacrées à la satisfaction des besoins alimentaires de la planète.
Par conséquent, je le répète, n’ayons aucun complexe par rapport à la politique agricole commune, qui a été une chance pour l'Europe. Certes, il faut la faire évoluer, mais elle doit subsister, car elle est indispensable au maintien de la réalité européenne. D’ailleurs, le traité de Lisbonne prévoit – enfin ! – une exigence de cohésion territoriale. Sa ratification permettra de donner une chance supplémentaire à la PAC, puisqu’il ne pourra y avoir de cohésion territoriale et d’aménagement du territoire sans maintien d’une politique agricole commune. Voilà encore un argument pour nous inciter à préparer sa nécessaire évolution !
Le 2 décembre dernier, à Aumont-Aubrac, en Lozère, j’ai réuni en séminaire la commission du développement durable du Comité des régions d’Europe. Les représentants des régions et collectivités territoriales européennes se sont tous accordés sur la nécessité de mettre en place une véritable politique de la montagne, dotée d’un volet agricole et d’un volet développement durable. Un livre vert doit ainsi lui être dédié. Certes, il en existe un sur la cohésion globale, qui comporte une dimension « montagne », mais ce n’est pas suffisant.
Monsieur le ministre, tout en vous félicitant encore une fois pour votre action, je terminerai mon propos en abordant un sujet majeur. Si vous maintenez, ainsi que cela est prévu, comme critère pour le bénéfice de la prime à l’herbe le seuil de 0, 5 UGB, ou unités de gros bétail, à l’hectare, au-dessous duquel celle-ci serait donc supprimée, ce sera une catastrophe pour les espaces ruraux comme les nôtres.
À cet égard, deux possibilités méritent d’être étudiées : soit partir des UGB pour déterminer les hectares éligibles en prenant le nombre d’UGB sur exploitation avec un seuil minimum théorique de 0, 5 ; soit, à la limite, retirer certaines surfaces de pâtures ou de parcours du calcul du chargement à l’hectare. Cela permettrait à des exploitations qui ont à la fois une valeur économique et une valeur environnementale de ne pas être privées de ce soutien indispensable qu’est la prime à l’herbe.
Dans nombre de zones méditerranéennes ou de montagne, cette annonce de modification des critères d’éligibilité provoque une très grande inquiétude et de nombreuses interrogations. J’espère, monsieur le ministre, que vous irez au bout de la logique que vous avez su mettre en œuvre. Je n’aurai de cesse de le répéter, nous vous félicitons pour les actions que vous avez développées. Nous comptons donc sur vous, pour que, demain, vous nous apportiez une réponse permettant aux exploitations agricoles se situant au-dessous de ce seuil de 0, 5 UGB de sortir de ce système qui les pénalise.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et sur plusieurs travées de l ’ Union centriste.
Monsieur le ministre, permettez-moi de revenir sur un point qui a été largement abordé par mes collègues, et sur lequel j’ai déjà attiré votre attention.
En tant qu’élue des Bouches-du-Rhône, un département particulièrement concerné et consterné par la menace qui plane actuellement sur notre vin rosé, ...
... je ne puis rester silencieuse.
Contrairement à certaines idées reçues, le vin rosé, fleuron de notre Provence, est un vin de fabrication très ancienne, que les Grecs connaissaient déjà. À cette époque, le vin rouge était appelé « vin noir », et le vin rosé « vin de saignée » ou « vin rouge ». Il constituait le jus de première pression et était soumis à une fermentation beaucoup moins étendue dans le temps que celle du vin noir.
Aujourd’hui, le vin rosé répond à des normes très précises et spécifiques. Des vignobles entiers lui sont consacrés, et sa vinification est extrêmement particulière. Précieux, son raisin est parfois vendangé la nuit. Les cépages spécifiques qui lui sont réservés sont ceux du vin rouge et ne peuvent en aucun cas être confondus avec ceux qui sont utilisés pour le vin blanc.
Est-il besoin de rappeler ici que le vin de coupage qui prétend usurper le titre de vin rosé est constitué à 90 % de vin blanc ?
Agir ainsi, c’est dénaturer le vin rosé !
Les élus vignerons de mon département ne se laisseront pas faire et ont d’ailleurs décidé d’ester en justice contre ce qu’ils qualifient de contrefaçon.
Ce vin aux racines antiques est emblématique de la Provence et il est inconcevable que son appellation puisse être utilisée pour qualifier une boisson frelatée dont l’utilité est avant tout – il faut bien l’avouer ! – d’écouler les stocks d’invendus.
Nous avons besoin d’une Europe à l’agriculture forte, d’une Europe politique et solidaire, au sein de laquelle chaque État est respecté et accueilli dans sa spécificité agricole et viticole.
Je ne répéterai pas les propos de mon collègue, qui siège avec moi au sein du groupe d’études de la vigne et du vin du Sénat. J’insisterai simplement sur le fait que les efforts qualitatifs fournis par nos vignerons sont couronnés de succès : la consommation de rosé a doublé en dix ans. Ces efforts ont, me semble-t-il largement dépassé les attentes de la Commission européenne au moment de la réforme de l’Organisation commune de marché du vin, l’OMC « vin » !
Monsieur le ministre, pourquoi ce retournement de situation, pour ne pas dire de position, de la part de la Commission européenne ?
Si l’on autorise que le coupage de vin rouge et de vin blanc porte l’appellation de « vin rosé », le véritable vin rosé n’existera plus. Il faut donner à cette nouvelle boisson, à ce nouveau vin, une appellation qui ne trompe pas le consommateur et qui, sans risque d’ambiguïté, lui appartienne en propre.
L’Europe se doit d’être protectrice et garante de notre diversité. Il s’agit là des bases de l’Europe politique que nous nous devons de construire. C’est un argument auquel nos électeurs ne pourront manquer d’être sensibles lors des prochaines élections.
Bravo ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et du RDSE.
Je tiens à vous dire, monsieur le ministre, comme l’ont fait un certain nombre de mes collègues, tout le bien que je pense de votre action et de votre détermination sans faille pour assurer le devenir de notre agriculture dans ce monde si mouvant et si difficile, et de la large concertation que vous vous êtes toujours efforcé de mener avec les acteurs concernés tout au long de l’exercice de vos fonctions ministérielles.
Étant moi-même un ancien éleveur, je connais toutes les difficultés de ce métier ; par ailleurs, je préside actuellement le groupe d’études de l’élevage du Sénat : vous comprendrez donc que mon intervention porte sur ce domaine d’activité.
Je ne peux que vous féliciter et vous remercier, monsieur le ministre, pour le geste fort que vous avez accompli en opérant ce rééquilibrage ô combien justifié, à mon avis, compte tenu des chutes de revenus subies par les éleveurs au cours des dernières années. Ce geste que toute la filière attendait, certains de vos prédécesseurs auraient voulu le faire ; mais c’est vous qui en avez eu l’initiative.
C’est vous qui avez décidé de réduire les écarts entre les montants d’aides attribués aux exploitants agricoles, et ce au terme de nombreuses concertations.
Les quatre objectifs que vous avez définis pour le redéploiement de cette somme de 1, 4 milliard d’euros répondent à la nécessité d’orienter notre agriculture vers un nouveau modèle agricole durable et sont, à ce titre, tout à fait pertinents.
Je ne m’attarderai pas sur le bien-fondé de l’amélioration des outils de couverture des risques climatiques ou sanitaires, comme le développement de l’assurance récolte ou l’encouragement de l’agriculture biologique. Il ne faut pas oublier non plus de procéder à l’organisation des filières et au développement de nouveaux débouchés, et de mieux prendre en compte les risques économiques.
Je veux surtout exprimer mon approbation s’agissant des mesures de soutien à l’élevage à l’herbe, qui représenteront près de 1 milliard d’euros par an dès 2010 : 700 millions d’euros pour les prairies consacrées à l’élevage et 240 millions d’euros pour préserver la prime herbagère agro-environnementale, la PHAE. Les surfaces herbagères représentent plus de 45 % de la surface agricole nationale. Comme vous le savez, monsieur le ministre, l’élevage permet de maintenir de l’activité et des emplois dans des zones, surtout en montagne, qui n’ont souvent pas d’autre alternative agricole. Il contribue aussi, et vous le savez bien, mes chers collègues, à la qualité des paysages et à la biodiversité.
Après l’effondrement du revenu des éleveurs ces dernières années, le secteur méritait bien un coup de pouce, surtout les productions les plus fragiles comme l’élevage ovin ou caprin et la production laitière en montagne.
François Fortassin et moi-même, alors que nous préparions un rapport sur l’élevage ovin, avons parcouru quelques régions françaises pratiquant cet élevage. Nous avons pu mesurer la détresse de ces éleveurs face aux innombrables difficultés auxquelles ils étaient confrontés. Nous sommes contents, monsieur le ministre, d’avoir été entendus. Au nom de ces éleveurs, nous vous disons merci pour les 135 millions d’euros consacrés à la production ovine ! Leurs difficultés ne vont pas disparaître du jour au lendemain, car la fièvre catarrhale ovine, la FCO, et les prédateurs continuent de sévir. Mais leur horizon s’éclaircit largement, et les producteurs ovins sont bien décidés à lancer un plan de reconquête ovine.
En outre, comme l’a dit notre collègue Jacques Blanc, nous devons être attentifs au seuil de chargement afin que certains élevages situés en zone de montagne ne soient pas évincés.
Malheureusement, nous savons que ce ne sera pas vous, monsieur le ministre, qui mènerez les discussions de fin d’année sur les perspectives financières qui vont s’entamer au niveau communautaire. Nous souhaitons bonne chance à votre successeur et nous lui donnons rendez-vous lors de l’examen de la loi de modernisation annoncé pour la fin de 2009.
Je vous redis toute ma satisfaction d’avoir pu travailler avec vous sur le bilan de santé de la PAC. Je suis heureux que cet accord ait pu être conclu pendant la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Je ne doute pas que vous jouerez, dans quelques semaines, un rôle important dans les instances communautaires, et je m’en réjouis.
Nous devrons, tous ensemble, être très vigilants à l’égard des instances de Bruxelles, principalement dans deux domaines. Il est impensable, dans le domaine agricole, de ne pas accepter les systèmes de régulation et de stockage mis en place par les interprofessions. La hausse du prix des céréales et de la poudre de lait en 2007, suivie douze mois plus tard d’une baisse encore plus importante, est inacceptable. Vous savez quelles en sont les conséquences pour les pays pauvres !
C’est inacceptable, car l’agriculture dépend en grande part des aléas climatiques. Nous ne pouvons gérer une production, donc un marché, avec des productions particulières.
Je prendrai l’exemple d’une appellation fromagère que je connais bien, le comté, qui représente une production de 50 000 tonnes. Il y a deux ans, il y en avait trop. Actuellement, on en manque cruellement. Pourquoi ? Parce que les vaches ont décidé, cette année, de produire deux litres de lait de moins par jour
sourires
Une exploitation agricole ne fonctionne pas comme une usine de plastique.
Nouveaux sourires
Ce n’est pas l’agriculteur qui décide de produire sur sa parcelle 80 quintaux à l’hectare ! Ce n’est pas l’éleveur qui décide si sa vache donnera 21 kilos de lait par jour ou seulement 19 !
Marques d’approbation sur les travées de l ’ UMP.
Je suis persuadé, monsieur le ministre, que vous assumerez d’importantes responsabilités dans les instances européennes. Je souhaite qu’à ce titre vous soyez attentif au problème du rosé.
Je vous demande également de vous opposer fermement aux nouvelles propositions qui tendraient à fixer les seuils de nutriments à un niveau inadapté pour certaines denrées ou à promouvoir la consommation des seuls produits standardisés issus de l’agroalimentaire. Nous devons suivre les propositions émises par notre commission des affaires économiques, qui veut préserver le modèle alimentaire français pour des raisons sanitaires, culturelles, mais aussi gastronomiques, dans chacune de nos régions.
Croyez bien, monsieur le ministre, que nous souhaitons tous ici qu’un bon compromis soit trouvé pour la PAC de l’après 2013, afin que cette politique qui a fait ses preuves réponde aux défis si importants de la sécurité alimentaire, de la sécurité sanitaire, de l’équilibre territorial, de notre développement rural et, par là même, de la protection de notre environnement.
Ces objectifs, favorables aux consommateurs et aux habitants de la Communauté européenne, ne méritent-ils pas, monsieur le ministre, mes chers collègues, ...
M. Gérard Bailly. ... un budget agricole européen qui soit à la hauteur de ces espérances, y compris au-delà de 2013 ?
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 2009 est une année blanche entre deux grands rendez-vous : le bilan de santé de 2008 et le début de la grande négociation budgétaire du prochain cadre financier pluriannuel en 2010.
Ayons le courage et la lucidité de dire que, ni sur le plan politique ni sur le plan budgétaire, les perspectives ne sont particulièrement optimistes.
Sur un plan politique, quelle est la vision de la PAC actuellement en cours à Bruxelles ? Il y a aujourd’hui deux orientations. Le schéma qui se dessine est une PAC à deux vitesses, ou plutôt à deux segments, avec, d’un côté, un secteur compétitif sur le plan mondial qui vivrait pratiquement sans aide et, de l’autre, un secteur agricole fragile qui subsisterait grâce aux aides européennes, une agriculture sous perfusion que l’on garderait pour l’ambiance et pour les paysages ! Est-ce cela que nous voulons ?
L’autre proposition en cours est le développement du cofinancement. Peut-on mener une politique communautaire avec des cofinancements ? Sans doute ! Mais il faut alors anticiper les difficultés qui se poseront entre États membres bénéficiant inévitablement de soutiens différenciés. Cette évolution probable, ou en tout cas possible, oblige à une révision assez radicale de notre conception de la PAC.
Sur le plan budgétaire, il faut convenir que la négociation ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. Lors de la négociation précédente, le budget de la PAC avait été préservé, car il avait été fixé quelques années auparavant par l’accord d’octobre 2002. Ce ne sera pas le cas cette fois-ci et le budget agricole risque fort d’être le point central de discussions entre États membres. Selon une hypothèse crédible, on peut penser que les crédits globaux seront maintenus avec une répartition différente : plus d’argent devrait être alloué au deuxième pilier et moins au premier pilier, plus aux nouveaux États membres et moins aux anciens.
Ce sera surtout le cas pour la France. Le mouvement s’annonce déjà dans l’actuel cadre financier. Notre pays, qui reçoit encore près de 20 % des dépenses agricoles européennes, en recevra moins de 15 % en 2013. Nous savons d’ores et déjà que, autour de 2011, notre taux de retour sur les dépenses agricoles sera inférieur à notre taux de contribution au budget. Certaines pressions pourraient se manifester pour prendre de la distance par rapport à cette politique devenue budgétairement moins rentable. Un tel comportement serait irresponsable. Ce n’est pas au moment où nous allons devenir contributeur net qu’il nous faut renoncer à la PAC !
Mais 2009 est une année tampon, propice aux réflexions. Je souhaite aborder trois aspects : le premier pilier, le deuxième pilier et l’organisation du secteur.
Ma première inquiétude porte sur le premier pilier, menacé dans son principe même et dans ses modalités. La France est favorable au maintien des mécanismes de régulation qui subsistent. Mais quelles sont nos chances, et qui sont nos alliés sur ce point ?
S’agissant des DPU, la France est soumise à de fortes pressions externes et internes pour réduire, voire renoncer au recouplage, pour abandonner les références historiques, pour répartir les paiements de façon plus équitable et pour les lier à des considérations environnementales. Le système actuel ne paraît plus tenable.
Plusieurs États se sont engagés dans la redistribution et la simplification. Pensez-vous que ce modèle de DPU unique, mais modulé, puisse être transposable en France ? Je suis conscient des difficultés quand il s’agit de modifier les répartitions, mais je pense que le statu quo serait la pire des solutions !
Nos partenaires n’accepteront pas de payer pour notre incapacité à nous réformer. Comment envisagez-vous cette évolution ?
La question du deuxième pilier se pose en des termes radicalement différents. Il s’agit, non plus de savoir comment garder un système décrié par certains de nos partenaires, mais de trouver tout simplement le moyen de mieux en bénéficier.
Pour des raisons historiques et économiques, la France a toujours privilégié le premier pilier, héritier de la PAC à l’ancienne. La France n’a vu dans ce deuxième pilier qu’une concession aux idées nouvelles et aux pressions environnementales.
Mais il faut accepter cette évolution et la considérer comme une donnée incontournable. Il est très probable que ce deuxième pilier sera préservé, voire encouragé. Les Britanniques y sont très favorables et feront tout pour l’imposer. Au lieu de freiner cette évolution, il conviendrait plutôt d’en tirer le meilleur parti : la France, qui reçoit encore 20 % du premier pilier, ne reçoit que 7 à 8 % à peine du deuxième pilier.
La France, l’œil fixé sur l’héritage de la PAC à l’ancienne, n’a pas voulu voir l’émergence d’une nouvelle PAC. Elle doit mieux se positionner.
Parmi ces actions, il y a une évidence : les préoccupations environnementales seront déterminantes dans la PAC du futur. Là encore, il faut reconnaître que le monde agricole est entré à reculons dans cette voie conduisant à une dégradation d’image qui cause un tort considérable à l’agriculture et à la PAC.
Il faut renverser ce courant en agissant d’abord au niveau des principes, car il y a, dans ce domaine, beaucoup d’hypocrisie. L’Europe ne peut à la fois réclamer l’alignement sur la concurrence mondiale et se plaindre de l’agriculture productiviste. Elle ne peut pas en même temps prôner le soutien à un monde rural et supprimer les quotas laitiers, clamer les vertus du modèle bio et chercher à nourrir la terre entière.
Chaque fois, ce doit être l’un ou l’autre, et non pas l’un et l’autre. La future PAC devra sortir de ses contradictions et proposer un modèle crédible et durable. Le couplage agriculture et environnement s’impose comme un moyen de sauver la politique agricole commune.
Enfin, le troisième point que je voulais aborder et qui me paraît crucial, est l’organisation globale du secteur. Beaucoup d’agriculteurs n’arrivent pas à vivre parce que les prix de vente sont trop bas. C’est le choix de la logique du marché, mais cette logique est dévastatrice lorsque le marché est en situation d’oligopole renversé. La concurrence mondiale n’est pas toujours en cause.
On est en présence d’un abus de position dominante de la part des distributeurs. La question des prix payés aux producteurs ne se règlera pas sans une remise en ordre afin que la négociation soit toujours décente. Car il y a, je le dis très clairement, de l’indécence à humilier ainsi nos producteurs ! Les pouvoirs publics doivent s’impliquer davantage dans ce marchandage sordide et dans l’alimentation de nos concitoyens.
Je fais donc le vœu d’une PAC préservée, solide, assise sur ses deux jambes, qui sont ses deux piliers, mais une PAC recomposée qui fera face aux défis du futur. Quand je parle du futur, monsieur le ministre, vous comprendrez que je ne puis passer sous silence le dossier des biotechnologies, que nous n’avons jamais su aborder tout simplement sous l’angle de l’évolution normale de la sélection variétale de ce XXIe siècle.
La France et l’Europe ne pourront rester à l’écart des progrès scientifiques qui, chaque année, s’imposent un peu plus dans le reste du monde et qui ne sont nullement en opposition avec la biodiversité, loin s’en faut, et peuvent s’appréhender au travers de tous les modèles de production agricole.
Tels sont, monsieur le ministre, les messages que je voulais vous transmettre avant votre départ. Vos prochaines responsabilités sont une chance pour la France. Les élus se souviendront de votre poids décisif dans la négociation des fonds structurels en France, alors qu’ils se sentaient pratiquement abandonnés. Le monde agricole aura encore besoin de votre soutien, et je crois pouvoir dire, sans trop me tromper, qu’il l’aura.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Je tenais à féliciter et à remercier tous les orateurs qui ont participé à ce débat intéressant. Grâce à leur concision, nous avons gagné quinze minutes, ce qui laisse au Gouvernement le temps de répondre avant la suspension de séance.
M. Guy Fischer remplace M. Roger Romani au fauteuil de la présidence.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai écouté avec beaucoup d’attention tous ceux qui se sont exprimés et je les remercie des nombreux témoignages de gratitude ou d’encouragement pour aujourd’hui et pour demain qu’ils m’ont adressés. Je ne les oublierai pas là où m’emmèneront les prochaines étapes de ma vie publique.
Pour l’instant, aujourd’hui, à cette tribune et pour les temps qui sont devant moi, je suis mobilisé à cent pour cent par cette tâche passionnante et exigeante de ministre de l’agriculture et de la pêche. Je suis heureux de pouvoir m’exprimer sur ce sujet que le président Henri de Raincourt a pris l’initiative d’inscrire à l’ordre du jour de la Haute Assemblée.
Je vais m’exprimer, comme j’en ai l’habitude, sans autosatisfaction et avec lucidité. Après les étapes que nous avons franchies, je vous recommande de regarder les yeux grand-ouverts les difficultés et les enjeux qui sont devant nous. Les temps qui viennent seront difficiles pour l’Union européenne et nous devons aborder cette période avec beaucoup de détermination.
L’accord sur le bilan de santé de la politique agricole commune donne à cette dernière du sens et un cap dans la perspective de 2013, à laquelle nous devons travailler et qui sera plus difficile qu’on ne le croit.
Comme l’a dit M. de Raincourt, c’était le premier accord conclu à 27 et il était urgent. Les décisions que j’ai annoncées le 23 février pour notre pays au nom du Gouvernement veulent accompagner – telle est en tout cas l’ambition que je veux réaffirmer devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs – un nouveau modèle de développement agricole, économiquement productif – je ne dis pas « productiviste » ! – et écologiquement responsable. C’est ce nouveau modèle que M. Henri de Raincourt a qualifié d’écologique et d’hyper-technologique.
Ces décisions ouvrent des voies pour l’après-2013. C’est la responsabilité et l’honneur d’un ministre que de ne pas faire de coups, d’esbroufe, mais d’inscrire son action dans la durée, ce que je me suis attaché à faire avec toutes les équipes qui ont contribué à cette réflexion et que je remercie.
À entendre certains, il aurait fallu ne rien faire. Je ne vise pas les membres de cette assemblée, mais il m’a souvent été conseillé de gérer l’échéance du bilan de santé sans heurts et d’attendre tranquillement la grande réforme de 2013, celle qui ouvrira de nouvelles perspectives financières et s’emploiera à réviser l’ensemble de nos politiques communes.
Telle n’est pas ma conception de l’action politique. Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois comme Pierre Mendès France, pour lequel j’ai toujours ressenti une profonde admiration, qu’il ne faut « jamais sacrifier l’avenir au présent ». En l’occurrence, l’avenir n’est pas très lointain ; il concerne les trois ou quatre années qui viennent. C’est la raison pour laquelle j’ai travaillé avec mes vingt-six collègues pour les convaincre et les entraîner.
Nous avons saisi l’opportunité de ce bilan de santé sous présidence française pour mettre sur la table des questions de fond que vous avez, les uns et les autres, rappelées : la régulation des marchés, le sens du soutien et la gestion des risques.
Nous nous sommes battus à l’échelon européen. Certains de nos partenaires nous ont rejoints – c’est le cas de l’Allemagne, comme l’a dit M.Haenel – pour préserver la dimension économique de cette activité qui soutient des emplois sur l’ensemble de nos territoires, pas dans les seules régions qui pratiquent la culture intensive ou sont les plus productives. Jamais je ne soutiendrai l’idée d’un modèle d’industrie agricole !
Voilà pour l’accord du 20 novembre dernier. Mesdames, messieurs les sénateurs, puisque nous parlons de politique agricole commune, je veux redire que ce n’est pas un hasard si le secteur agricole et agro-alimentaire, qui représente 1, 5 million d’emplois, tient le coup dans la crise actuelle.
Il tient le coup et il résiste parce que les gens qui y travaillent dur, tout en gagnant assez mal leur vie, ont su s’adapter, beaucoup plus que dans d’autres secteurs de la société. M. Chatillon pourrait en témoigner pour les pôles de compétitivité. Il tient le coup parce qu’il est accompagné par une politique publique avec des règles et un budget public.
Le président Hubert Haenel a rappelé avec beaucoup de pertinence une question que j’ai soumise à une expertise : combien coûterait l’absence de politique agricole commune ? Si ce budget, qui représente 100 euros par an et par habitant, était supprimé, quel serait le prix à payer en termes de désertification, de manque de productivité et d’importations ? Je pense que cette expertise sera utile pour préparer le budget de l’après-2013.
La pierre angulaire de cette politique, c’est la régulation des marchés agricoles, comme M. Baylet, Mme Herviaux notamment l’ont souligné.
De ce débat difficile, je me contenterai de rappeler les données factuelles. Les vingt-sept ministres de l’agriculture n’ont pas suivi la Commission qui proposait, une fois encore, une nouvelle étape de démantèlement des outils d’intervention et la transformation progressive de la politique agricole commune en une simple politique de développement rural.
Nous parlons d’une politique économique, qui ne saurait se réduire à une politique de développement rural. Je veux rapidement rappeler les avancées de cet accord pour tracer la voie d’une nouvelle politique agricole commune.
Tout d’abord, – mesdames, messieurs les sénateurs, je vous demande de m’en donner acte, ne prenez pas les craintes que nous éprouvions avant l’accord pour des résultats ! – nous avons sauvegardé l’existence et l’efficacité des outils de gestion des marchés pour les céréales et les produits laitiers. C’est tellement vrai qu’on les utilise actuellement pour le lait et pour la poudre. Ce n’était pas gagné. J’en avais fait une priorité dans la perspective de 2013.
À ceux d’entre vous qui ont évoqué les quotas laitiers, je veux rappeler que la décision de supprimer les quotas laitiers en 2014 a été prise par une majorité qualifiée du Conseil des ministres, une première fois en 1993 et une deuxième fois en 2007. Nous en resterons là tant qu’une autre majorité qualifiée ne reviendra pas sur cette décision. Ce sujet ne pouvait pas être abordé lors la discussion sur le bilan de santé. Il n’y a pas eu de recul.
Nous avons obtenu – ce n’était pas l’idée de la Commission ! – deux rendez-vous de pilotage politique de la production laitière en 2010, assez tôt dans l’année, je l’espère, et en 2012, grâce notamment au soutien de l’Allemagne. Je pense que ces rendez-vous seront utiles pour poser toutes les questions.
Faut-il continuer d’augmenter la production de 1 ou de 2 % par an ? Pour ne pas risquer de surproduction, j’ai pris la décision de geler cette année le quota supplémentaire de 1 % dont la France pouvait bénéficier.
Lors de ces deux rendez-vous de 2010 et de 2012, nous pourrons poser la question, qui n’est pas taboue, de revenir sur la suppression des quotas laitiers. Peut-être parviendrons-nous à inventer un nouveau système qui, sans maintenir forcément les quotas tels qu’ils sont aujourd’hui, saura, en tout cas, garder des outils de maîtrise de la production laitière, très volatile et très fragile. Ces outils, je les crois nécessaires.
Je continuerai à dire ce que je pense, mesdames, messieurs les sénateurs ; je le dis notamment à M. Muller qui a évoqué cette question ! Or ce que je pense et que je n’ai jamais cessé de penser, c’est que l’agriculture destinée à l’alimentation ne saurait être gouvernée par la seule loi du marché ! La loi du marché, c’est le moins-disant sanitaire, le moins-disant écologique et le moins-disant économique !
Ensuite, nous avons, contre l’avis de ceux qui nous disaient que c’était impossible, mis une clé dans la porte et inscrit des outils de couverture des risques climatiques et sanitaires au sein de la politique agricole commune. Nous ouvrirons en 2013 la discussion sur les risques et les aléas économiques.
Puis, nous avons obtenu les moyens de faire évoluer les aides à l’agriculture.
Enfin, nous avons dégagé des marges pour le second pilier afin de préserver certaines mesures. Je pense à la prime herbagère agri-environnementale, la PHAE, dont le financement n’était pas forcément assuré.
Cette politique agricole commune, nous l’avons également consolidée en lançant, sous présidence française, le débat pour 2013 et les années suivantes. Ce n’était pas trop tôt, même si c’était très tôt.
Fort de mon expérience au sein des instances européennes, je sais que le débat politique doit toujours précéder le débat budgétaire. C’est au nom du respect de cette règle du jeu démocratique que nous avons lancé très tôt le débat politique ; la présidence tchèque, puis celles qui lui succéderont le poursuivront.
Ce débat, qui ne fait que commencer, sera difficile et nous impose trois obligations.
Cette politique agricole commune se doit d’être légitime pour tous les agriculteurs. On ne peut pas dire que ce soit toujours le cas puisque la moitié des paysans estiment que cette politique n’est pas équitable ! Dans ce cas, il y a peu de chance que la politique agricole commune dure !
La PAC se doit aussi d’être légitime vis-à-vis de l’opinion publique et vis-à-vis de nos partenaires.
Monsieur de Raincourt, je pense que toutes ces décisions s’imposaient à nous. Pouvions-nous continuer de défendre la politique de 1992, avec ses références historiques, ses sédimentations successives, ses écarts d’aide, voire ses injustices, entre les soutiens, entre les exploitations ?
Avec le soutien de nombre d’entre vous, j’ai voulu, lucidement, sincèrement, en conscience, redonner du sens à notre politique agricole commune et reconstruire une triple légitimité, à l’intérieur du monde agricole, vis-à-vis du reste de la société et vis-à-vis de nos partenaires.
Ce sens retrouvé est la meilleure défense ; c’est aussi l’intérêt de ceux qui, aujourd'hui, critiquent les décisions prises, car mon intention est de faire sorte que, sur la base de cette triple légitimité reconstruite, la politique agricole commune permette de continuer à accompagner tous les secteurs agricoles, y compris, monsieur Vasselle, celui des grandes cultures, qui aurait beaucoup à perdre si la PAC n’était pas plus juste et plus légitime.
Ces décisions seront notifiées dans les prochains jours auprès de la Commission européenne. Elles conduisent à réorienter 1, 4 milliard d’euros en 2010, et je parle là des aides qui seront allouées à la fin de l’année 2010, et pas avant.
Nous avons beaucoup consulté et écouté les organisations syndicales, que je dois remercier, car elles ont chacune été dans leur rôle, sans complaisance, ainsi que les représentants des chambres d’agriculture et les élus. Plusieurs collectivités ont aussi participé au débat, comme la région Bretagne évoquée par Mme Herviaux.
Nous avons étudié toutes les propositions sans aucun tabou. Je n’ai rien exclu a priori. Nous avons analysé et expertisé tous les scénarios possibles, et les décisions prises l’ont été dans l’intérêt général des agriculteurs.
Puisque vous connaissez ces décisions, je me contenterai de dire qu’elles servent quatre objectifs.
En premier lieu, elles visent à consolider l’économie agricole et l’emploi sur l’ensemble du territoire.
En second lieu, il s’agit d’instaurer, comme l’ont notamment rappelé MM. Soulage et Bailly, un nouveau mode de soutien économique pour l’élevage à l’herbe, en traçant une voie nouvelle.
Je m’adresse là en particulier à ceux qui ont exprimé des reproches ou, tout au moins, des regrets quant au fait que nous ayons accepté tous les découplages. Le soutien à l’herbe que nous avons créé est couplé ! Ce soutien différencié aux productions animales à l’herbe est, monsieur Chatillon, une nouvelle forme de couplage qui pourra connaître dans les années à venir, notamment après 2013, une montée en puissance.
En troisième lieu, il faut accompagner un mode de développement durable de l’agriculture. MM. Bizet, Muller et Pastor ont évoqué le nouveau modèle agricole durable. J’attire votre attention sur le document qui rassemble en quelques pages, pédagogiques et stratégiques, tous les engagements que nous avons pris dans le cadre du Grenelle de l’environnement.
Il ne s’agit donc ni de marketing, ni d’un coup, mais bien d’un travail qui s’est étalé sur deux ans pour assurer la mise en œuvre de ces engagements, qu’ils portent sur la réduction de moitié des phytosanitaires, sur l’eau, l’agronomie, l’énergie, le bio ou d’autres enjeux.
Ces engagements tracent la feuille de route du nouveau modèle agricole à l’horizon de 2020 pour l’ensemble des acteurs de l’agriculture.
Ces deux ans de travail ont été menés avec des techniciens, des experts, des consommateurs, des dirigeants agricoles professionnels et des associations de protection de l’environnement.
Enfin, quatrième orientation, il est nécessaire d’instaurer des outils de couverture de risques climatiques et sanitaires, qui figurent bien, madame Herviaux, dans le premier pilier et non pas dans le second.
Pour atteindre ces objectifs, nous n’avons pas choisi un système d’aide unique à l’hectare. J’ai bien entendu les avocats de la régionalisation de la convergence, mais je n’ai pas voulu encourager la concentration des exploitations agricoles.
Instituer une aide unique à l’hectare, c’était encourager la concentration. Or, nous voulons préserver un modèle familial de petites et moyennes exploitations, modernes, compétitives.
Enfin, nous allons accompagner la réorientation des exploitations céréalières. Le Président de la République a annoncé un accompagnement à hauteur de 170 millions d’euros afin qu’en 2010, pour les exploitations de grandes cultures, la marche ne soit pas trop haute.
Vous m’avez interrogé sur plusieurs points.
M. Jacques Blanc a évoqué l’impact de l’application du seuil de 0, 5 UGB par hectare dans certains de nos territoires que je connais bien. Nous veillerons à ce que ce seuil ne s’applique pas comme un couperet, sujet à propos duquel des propositions ont été faites. Les groupes de travail n’ont pas achevé leur réflexion.
Je rappelle que le nouveau soutien à l’herbe est complémentaire du soutien existant dans le second pilier au titre de la PHAE ou de la compensation des handicaps naturels, et que nous allons revaloriser l’ICHN, l’indemnité compensatoire de handicaps naturels, en 2010.
M. Bizet a défendu, j’y ai été sensible, le couplage agriculture-environnement et, au-delà du second pilier, il faut regarder la réorientation des aides du premier pilier, qui correspond à un changement stratégique de fond. Elle se fait au profit des systèmes de production durables : l’herbe, les protéines végétales, l’agriculture biologique et la biodiversité.
Vous avez raison, dans la perspective de 2013, nous devrons être force de proposition ; c’est ainsi que nous gagnerons.
L’avenir de la PAC ne passe pas exclusivement par le renforcement du second pilier ; il passe également par l’adaptation des mécanismes du premier pilier, des outils de régulation et des modalités du soutien.
M. Emorine a évoqué le basculement du fonds national de garantie des calamités agricoles sur un dispositif assurantiel. Vous le savez, nous avons engagé cette démarche dès 2009, avec la sortie des grandes cultures du fonds de calamité. Nous la poursuivrons en vue du développement des surfaces assurées pour les autres productions.
L’enjeu, grâce aux moyens que nous avons dégagés à partir du bilan de santé de la PAC, est d’inciter à la souscription de contrats d’assurance en viticulture ou fruits et légumes, secteurs particulièrement exposés.
Par ailleurs, nous travaillons à une expérimentation d’assurance sur les fourrages.
Sur l’assurance récolte « forêts », monsieur César, le travail de réflexion a été engagé avec mes collègues Éric Woerth et Christine Lagarde. C’est un sujet complexe, potentiellement coûteux et qui exige une expertise approfondie. Ma dernière visite dans la région du sud-ouest m’a convaincu qu’il fallait l’étudier après cette nouvelle catastrophe écologique. Toutefois, la forêt n’est pas éligible à la couverture des risques introduite dans le bilan de santé.
Quant à la sortie des prêts bonifiés pour les sylviculteurs, les derniers « calages » sont en cours avec la Commission européenne, car il s’agit d’aides notifiées.
J’ai obtenu un accord sur les principes que nous avons défendus, notamment s’agissant du taux, et je serai donc en mesure, monsieur César, de signer ces décrets prêts bonifiés à 1, 5 % dès ce soir ou demain.
MM. Soulage, Emorine et de Raincourt ont souligné la fragilité des zones intermédiaires. Je partage cette analyse et j’avais d’ailleurs indiqué que nous avions commencé à travailler à un plan d’accompagnement pour ces zones intermédiaires dès le 23 février.
Nous étudions avec la profession agricole les modalités concrètes, le cahier des charges des deux mesures sur l’assolement et les rotations.
Je l’indique à M. Vasselle, qui a fait une remarque sur les seuils.
J’ai entendu la demande de M. de Raincourt sur le maintien en 2011 et 2012 de l’aide à la diversité des assolements.
Le Président de la République, en annonçant cette mesure en 2010, a signalé également la mise en place d’un comité de suivi.
Pour les exploitations céréalières, évoquées par MM. Vasselle et Lefèvre, la progressivité se fera grâce aux 170 millions d’euros que nous avons mobilisés.
Quant au solde des aides aux grandes cultures, je confirme qu’il sera redistribué en fonction des références historiques.
À Mme Herviaux, qui m’a interrogé sur les 170 millions d’euros, j’indique qu’il s’agira, pour environ 120 millions d’euros, de crédits communautaires non utilisés qui seront mobilisés en faveur du soutien et de l’accompagnement et, pour le reste, de crédits nouveaux.
MM. César, Courteau et Mlle Joissains ont évoqué la réforme de l’OCM viticole, à propos de laquelle nous avons beaucoup travaillé ensemble et fait bouger la position de la Commission.
La mise en œuvre de cette réforme est en cours et s’effectue au fur et à mesure de la parution des règlements d’application pris par la Commission.
Les règlements relatifs aux mesures de marché, l’arrachage et le programme d’aide à la filière ont été adoptés à la fin de 2008. Au titre de l’arrachage, 10 400 hectares, sur les 22 000 hectares demandés, ont été acceptés. Les arrachages provenant des viticulteurs de plus de cinquante-cinq ans ont été honorés ; j’espère que les autres demandes pourront être prises en compte lors des prochaines campagnes.
Le programme national pour 2009, doté de 172 millions d’euros et approuvé par la Commission en décembre, a été arrêté.
Un important volet sera mis en place au 1er août, avec la nouvelle segmentation en trois niveaux, AOP, IGP et vins sans indication géographique.
Enfin, l’OCM vin sera intégrée dans l’OCM unique au 1er août et les spécificités de l’OCM vin seront préservées.
Quant aux règles d’étiquetage et aux règles sur les pratiques œnologiques, elles sont toujours en discussion.
C’est précisément à propos du règlement sur les pratiques œnologiques qu’il y a débat, car il comprend beaucoup de mesures. Je rétorquerai à M. Courteau, qui m’a quelque peu attaqué sur ce point, que ce paquet comporte les règles relatives aux copeaux et surtout cette fameuse mesure du coupage des vins, souhaitée par la Commission, mais aussi par une grande majorité des États membres, pour s’aligner sur des pratiques, que personnellement je trouve insensées, de pays plus lointains, comme l’Australie.
Permettez-moi de dire, sans faire de polémique, que nous n’avons jamais accepté cette mesure.
Il est vrai que, dans le paquet global des mesures œnologiques, nous avons laissé passer ce point. Si nous l’avions bloqué, c’est tout le paquet qui aurait été bloqué. Nous avons donc demandé et obtenu l’assurance de pouvoir continuer à discuter avec la Commission sur la question du vin coupé parce que, à côté de cette mesure que nous contestons – et que pour ma part j’ai contestée dès le début –, il y avait de nombreuses autres mesures qui nous intéressaient.
Monsieur Courteau, je n’ai pas attendu que l’on proteste ici ou là pour exprimer mon désaccord à la Commission et je tiens d’ailleurs à votre disposition deux courriers, l’un du 11 février, l’autre du 13 mars, que je lui ai adressés.
La Commission nous a répondu qu’elle continuerait de discuter avec nous et je viens d’obtenir de Mme Fischer Boel le report d’un vote au 19 juin.
Je continue, comme je l’ai fait vendredi au Conseil des ministres à Luxembourg, à essayer de convaincre nos partenaires qu’il s’agit d’une mesure mettant en cause une certaine idée de notre modèle alimentaire.
Nous ne voulons pas qu’il devienne un modèle aseptisé, car nous voulons garder des goûts, des couleurs, des saveurs et des pratiques traditionnelles, et je ne suis pas décidé à laisser compromettre le travail de qualité accompli par de nombreux vignobles français qui produisent du vin rosé traditionnel. C’est pourquoi nous continuerons, avec les professionnels – que je recevrai d’ailleurs le 15 mai prochain – à nous battre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons voulu que toutes ces mesures, que nous évoquons trop rapidement – je compléterai d’ailleurs ma réponse orale par des réponses écrites sur plusieurs points précis –, dessinent une PAC plus juste avec des aides mieux équilibrées, notamment au profit de l’élevage.
Elles conduisent, et vous avez bien voulu, les uns et les autres, m’en donner acte, à une convergence des niveaux des aides entre les exploitations. La réduction des écarts était indispensable. Nous avons franchi une première étape, tout en gardant des soutiens différenciés pour répondre à la diversité de nos agricultures.
Je répondrai à MM. Bizet et Pastor que nous avons engagé une évolution dans l’attribution de nos aides. Nous avons réduit les écarts et tracé pour l’avenir, en préservant la diversité de notre agriculture, de nouveaux modes de soutien.
Mme Bourzai a évoqué la situation des éleveurs et la réorientation des aides.
La mise en place d’un fonds sanitaire apporte des réponses structurelles à ce secteur. Je ne sous-estime pas les conséquences de la fièvre catarrhale ovine, contre laquelle nous allons mobiliser plus de 130 millions d’euros, sans compter le plan d’urgence qui permet d’alléger les charges financières et sociales des éleveurs.
En outre, pour préparer l’avenir, nous avons installé trois groupes de travail pour que la prochaine campagne se déroule dans de meilleures conditions. Ils rendront leurs conclusions à la fin du mois de juin.
Avant de terminer, je voudrais vous dire que rien ne justifie que nous nous endormions ni que nous fassions montre d’autosatisfaction.
Nous répondrons, pour la crise viticole comme pour les autres crises, qui sont nombreuses, en utilisant tous les outils du plan de soutien à l’agriculture auxquels les entreprises viticoles ont droit.
Nous devons être vigilants et préparer sans attendre les prochaines échéances. C’est le calendrier fixé par le Président de la République, qui a raison de nous inviter, c'est-à-dire de vous inviter, mesdames, messieurs les sénateurs, à arrêter la position française sur le futur projet pour l’agriculture européenne de l’après-2013.
N’attendons pas, je le répète, que le budget commande : 2010 sera l’année pendant laquelle nous commencerons à parler des perspectives budgétaires. Je préférerais que nous commencions à parler des perspectives politiques et des raisons de construire ou de consolider tout en l’améliorant une grande politique agricole européenne.
Cette politique sera bien entendu orientée vers plus de justice et d’équité.
Il convient de sortir progressivement des références historiques. Il faut également développer de nouveaux modes de soutien pour les productions animales, à travers le soutien à l’herbe couplé à un seuil de chargement. Il s’agit encore d’introduire de la flexibilité avec de nouveaux outils de couverture des risques climatiques et sanitaires et de réfléchir à des moyens susceptibles de limiter les effets des aléas économiques. Il importe enfin de prendre en compte la diversité de nos agricultures et de lier l’attribution des soutiens à une contractualisation des débouchés.
Pour cela, nous devons aussi promouvoir les enjeux pour demain, qu’il s’agisse de la préférence communautaire, de l’organisation économique des filières ou de la gestion des marchés.
MM. de Montesquiou, Baylet, Mme Bourzai notamment ont évoqué la crise alimentaire mondiale. Nous ne pouvons pas vivre retranchés derrière nos frontières européennes, sans regarder ce qui se passe dans le monde.
Voilà pourquoi, lors du dernier G8 agricole, qui s’est tenu à Trévise dimanche dernier, je me suis réjouis que, pour la première fois, la question agricole sorte du cadre de l’OMC. Il est impossible de parler d’agriculture et d’alimentation uniquement d’un point de vue commercial : si les échanges et le commerce suffisaient à nourrir l’Afrique, cela se saurait ! Bien sûr, les échanges et le commerce sont nécessaires, mais il faut surtout développer dans ces pays – qu’il s’agisse de Haïti, des pays d’Afrique ou de ceux d’autres régions du monde – une économie agricole leur permettant d’acquérir une certaine souveraineté alimentaire.
Tous ces enjeux devront faire l’objet d’un examen attentif dans le cadre du projet de loi de modernisation de l’agriculture française. Le Président de la République nous a demandé de déployer d’importants efforts dans les semaines à venir, afin que ce texte puisse vous être présenté au plus tard au début de l’année prochaine.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre attention et de votre soutien. J’ai été touché par les nombreux témoignages que vous m’avez apportés dans ce moment important pour moi, puisqu’il s’agit d’un moment de transition, pendant lequel, soyez-en assurés, j’assumerai totalement mes fonctions.
Loin de constituer deux enjeux distincts, l’agriculture et l’Europe forment un débat unique, puisque la politique agricole commune constitue la première politique économique européenne depuis 1957.
Ma conviction est la suivante : derrière la question agricole, il n’y a pas que l’agriculture. J’ai dit un jour que la question agricole n’était pas seulement la question des agricultrices et des agriculteurs, mais qu’elle était également une question de société, puisqu’elle touche à l’alimentation, à l’emploi, aux territoires, à la recherche, au développement durable.
De la même manière, derrière la politique agricole européenne, il n’y a pas que la politique des agriculteurs ou de la production agricole. Il se joue une certaine idée de l’Europe, laquelle ne se résume pas à une zone de libre-échange et à un supermarché. Si l’Europe est une zone d’économie sociale de marché, elle développe aussi des politiques de solidarité, au rang desquelles il faut mettre la politique agricole commune, et des politiques de régulation, pour ne pas laisser la loi du marché l’emporter, le profit contre le travail l’emporter. Enfin, même s’il s’agit d’un autre sujet, j’espère que l’Europe aura aussi la volonté d’être une puissance politique, développant une politique étrangère et une politique de défense.
Mesdames, messieurs les sénateurs, si elle doit encore évoluer – ce débat a permis d’œuvrer en ce sens –, la politique agricole commune est symbolique d’une certaine idée de l’Europe, celle des pères fondateurs. C’est cette conception qui reste la mienne.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Le débat est clos.
Monsieur le ministre, nous nous connaissons depuis longtemps. Le Rhône-alpin que je suis remercie le Rhône-alpin que vous êtes.
Au nom de mes collègues, je tiens à saluer la manière dont vous avez participé à ce débat et la clarté de vos réponses aux différents orateurs. Il s’agit d’un débat essentiel, compte tenu des échéances prochaines, notamment européennes, et tous les agriculteurs – tous les paysans, comme certains, dont je suis, se plaisent à dire – y seront confrontés.
Merci, monsieur le ministre ; merci, Michel Barnier !
Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt-et-une heures trente.