Intervention de Hubert Haenel

Réunion du 28 avril 2009 à 15h00
Débat sur la politique agricole commune

Photo de Hubert HaenelHubert Haenel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me permettrez de commencer mon intervention par un souvenir personnel.

L’année dernière, nous avions rencontré Jacques Barrot, alors commissaire européen aux transports. À la fin de notre entretien, il aborda quelques sujets qui sortaient de son champ de compétences, notamment la PAC. Il eut alors cette formule qui me reste en mémoire : « Ou bien la France initie la réforme de la PAC, ou bien celle-ci lui sera imposée ». On ne peut être plus clair !

Il ne s’agit pas de savoir s’il y aura une nouvelle réforme, car chacun voit bien qu’elle se dessine, les derniers instruments d’intervention étant éliminés peu à peu. Il ne s’agit pas non plus de savoir quand cette réforme aura lieu, car, on le sait, la préparation du prochain cadre financier 2014-2020 sera aussi et surtout le grand rendez-vous de la PAC. La seule question qui demeure est la suivante : la France sera-t-elle copilote de la réforme, ou la subira-t-elle ?

Je souhaite aborder cette question en restant dans une logique communautaire et en examinant trois volets.

Le premier porte sur les principes. Monsieur le ministre, ces derniers temps, l’analyse européenne s’est enrichie d’un nouveau concept : celui de « valeur ajoutée européenne ». Une action ou, plus encore, un financement n’est acceptable et légitime que si la mesure envisagée a une véritable valeur ajoutée européenne.

Or quelques commentateurs qui appliquent ce concept à l’agriculture considèrent que, justement, la PAC n’a pas de valeur ajoutée européenne ! Ainsi, la contestation de cette politique porte non plus seulement sur son budget, ses modalités, sa répartition ou son principe : la PAC, finalement, ne servirait à rien, car elle n’aurait aucune valeur ajoutée européenne !

Je dois avouer que je suis navré de cette analyse. Je puis comprendre que l’on conteste le budget de la PAC, la part que la France prend dans cette politique – certains ne s’en privent pas – ou ses modalités, mais nier l’intérêt de la PAC, c’est contester l’essence même du processus communautaire !

Tout d'abord, la PAC constitue en réalité la seule politique commune pleine et entière, l’unique domaine où il y ait à la fois une stratégie, une politique, une réglementation et des moyens. Mes chers collègues, si l’on regarde bien, il n’y en a pas d’autre ! Il peut y avoir des affichages politiques sans moyens, des réglementations sans budget, des crédits sans véritable politique, mais aucune autre politique européenne n’est aussi complète que la PAC.

Ensuite, l’agriculture constitue l’un des rares domaines où les États ont accepté un abandon ou un transfert de leur souveraineté au profit d’un échelon supranational. Et ce qu’il était possible de décider à six ne le sera pas à vingt-sept. Si la PAC disparaît, on peut douter qu’une autre politique aussi complète prenne le relais.

La PAC constitue une expérience historique et politique sans précédent. Critiquer son absence de valeur ajoutée est un contresens et même une insulte pour les partisans de la construction européenne.

Monsieur le ministre, je me souviens que, bien conscient de cette dérive, vous avez annoncé une riposte sous la forme d’une question : combien coûterait l’absence de PAC ?

Je dois avouer que j’étais un peu réservé sur la méthode, car la seule analyse financière me semble quelque peu partielle pour apprécier une politique ou une action. Toutefois, force est de constater que la critique de la PAC prend de l’ampleur et qu’il faut y répondre, l’analyse du coût de la non-PAC prenant alors tout son intérêt.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire où en est ce projet ? Pensez-vous rendre public un document avant le lancement de la grande négociation budgétaire ?

Ma deuxième question porte sur les objectifs de la PAC, en particulier la sécurité alimentaire. Pour un Français, cette notion paraît élémentaire. Le traité ne reprend pas explicitement ce concept, mais dispose que la PAC a pour but de « garantir la sécurité des approvisionnements ». Ce n’est pas tout à fait la même chose, car certains considèrent que l’Europe ne risque pas la pénurie et peut garantir ses approvisionnements autrement qu’en développant sa propre production !

La France a développé une autre conception et ne se résigne pas à faire reposer l’alimentation des Européens sur des importations dont ni la qualité ni la pérennité ne sont garanties.

Heureusement, nous ne sommes pas les seuls à raisonner ainsi. Un responsable roumain, que nous avons reçu, me disait récemment que la sécurité alimentaire était de toute évidence un besoin vital, avant même la religion, ajoutait-il.

Le Président de la République a fait de cette question, sur laquelle il estimait que la France pouvait rassembler une majorité d’États membres, y compris des états non agricoles, une des priorités de la présidence française de l’Union européenne. Il faut bien admettre que nous n’avons pas été tout à fait suivis…

La France voulait que le concept de sécurité alimentaire figure dans les conclusions du Conseil européen de fin de présidence. Cela n’a pas été le cas. Ces conclusions ne font que souligner « l’importance de l’accord intervenu au Conseil sur le bilan de santé de la politique agricole commune ». On ne pouvait faire moins !

Pensez-vous, monsieur le ministre, que ce combat sur la sécurité alimentaire est perdu ? Peut-on encore rallier une majorité d’États membres sur ce concept ? Ou bien encore – ce serait un comble – faudra-t-il attendre qu’une crise alimentaire éclate en Europe pour s’apercevoir que la PAC avait tout de même un sens ?

La troisième question que je souhaite aborder concerne les alliances.

La France doit s’engager dans cette nouvelle négociation avec une véritable stratégie d’alliances. Elle ne réussira pas contre les autres, mais avec les autres. L’initiative solitaire et la position du bastion sont condamnées.

Il faut aborder cette question avec lucidité. Le camp des anti-PAC est clairement identifié. En revanche – c’est là tout le problème ! – le camp des partisans de la PAC est beaucoup plus diffus. La France doit donc rester à l’écoute et tenter de rassembler autour d’elle un maximum de pays.

Enfin, quelle sera la position de l’Allemagne ? Les quelques points d’accord ponctuels ne masquent-ils pas un vrai désaccord de fond sur la PAC et son budget ?

De même qu’il existe en Europe la « banane bleue » qui, comme son nom ne l’indique pas, désigne une grande bande industrielle et urbaine allant du Royaume-Uni à l’Italie du Nord, pourquoi ne pas imaginer une sorte d’ « œillet vert » qui partirait de l’Irlande, descendrait vers la France et les pays méditerranéens et remonterait par la Pologne et la Roumanie ? Il ne s’agit pas d’exclure, mais de fédérer autour d’une force vive.

J’ai débuté mon intervention par un souvenir personnel. Je la terminerai également par une note personnelle.

Je suis certain, monsieur le ministre, qu’en acceptant ce grand ministère, vous n’imaginiez pas ce que serait votre vie. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’action n’a pas manqué ! Il faut beaucoup de cran et de travail pour mener à bien cette mission, mais ce poste nécessite avant tout un talent de conciliateur.

Pendant ces quelques années, vous ne vous êtes pas ménagé, assurant une présence systématique sur le terrain, plusieurs fois par semaine et sans oublier aucun secteur ni aucune région. Vous terminez votre action en appelant à une PAC plus juste. Il y a beaucoup de sous-entendus dans cette affirmation, mais je crois, monsieur le ministre, que c’est le plus beau message que l’on puisse entendre.

Pour tout cela, bravo et merci !

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