Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en complément des diverses interventions de mes collègues, je me bornerai à évoquer la question essentielle du développement rural.
En 2006, j’ai participé avec votre prédécesseur, monsieur le ministre, à une mission sur la ruralité en Europe. Nous avons ainsi pu constater à quel point les notions de ruralité et de développement rural pouvaient être vécues différemment d’un pays à l’autre. L’Écosse, l’Autriche, la Finlande, l’Allemagne, l’Espagne ont une appréhension qui leur est propre de l’espace rural.
On peut dire qu’il s’agit là, avant tout, d’un choix politique. Certains pays mènent une vraie politique du rural. Pour d’autres, seul le retour sur investissement a un sens. L’absence de couverture téléphonique, d’école ou de services en milieu rural constituerait un choix de vie de la part de certains citoyens, qui auraient décidé de vivre sur les territoires concernés en connaissance de cause. Aucune intervention publique ne serait en conséquence de mise.
Par exemple, la politique rurale est stratégique pour la Finlande. Elle a pour objectif d’assurer le maintien de la population sur les territoires. L’agriculture est donc conçue, dans ce pays, bien plus comme un outil d’aménagement du territoire que comme une activité purement productive.
L’Espagne affiche une volonté très claire de penser la ruralité dans sa globalité, et non uniquement dans sa composante agricole. On peut effectivement parler du rural sans parler d’agriculture, alors que l’inverse n’est pas vrai. Un partenariat fort entre l’État espagnol, les communautés autonomes et l’Europe permet donc d’assurer des financements dont nous ne bénéficions pas sur le territoire français.
En Écosse, il n’existe pas de politique particulière en faveur du rural isolé ni d’intervention sur le rural accessible. Le programme écossais de développement rural est centré sur l’environnement, qui représente 80 % des crédits.
En Autriche, le développement rural constitue une priorité, aussi marquée qu’en Espagne. Le pays lui consacre autant de financement qu’au premier pilier de la PAC. Il organise une conférence de l’aménagement du territoire chaque année et dispose d’un management régional, qui correspond à une sorte d’agence de développement.
En France, la ruralité compte ! Elle repose sur une association de forces : élus locaux, socioprofessionnels, représentants associatifs, etc. La ruralité, c’est aussi la mise en forme de projets et de programmes : les groupes d’action locale, les GAL, sont bien une réalité.
Toutefois, nous sommes obligés de constater, au vu de cette étude réalisée en 2006, que nous sommes les mauvais élèves de l’Europe en matière d’utilisation des financements du deuxième pilier. Or, celui-ci est tout de même un des principaux compléments du premier pilier, donc de l’agriculture.
Compte tenu de ces approches différentes, il est aisément concevable qu’il soit difficile de parvenir à une solution européenne qui satisfasse chacun des vingt-sept pays membres de l’Union européenne. J’en conviens pleinement, monsieur le ministre. Le 20 novembre 2008, vous avez abouti à un compromis et, je tiens à le souligner, vous nous avez associés à ce travail tout au long de la présidence française de l’Union européenne.
Soyons conscients de la difficulté de cette tâche, alors que la PAC demeure l’un des postes budgétaires les plus importants et est devenue un sujet presque tabou ! Jalonnant l’histoire de l’intégration européenne, elle a cristallisé une fracture entre les acteurs, certains la jugeant obsolète, d’autres la jugeant au contraire nécessaire.
Après quinze années de réforme, la PAC est toujours critiquée.
En 1992, le découplage des paiements et la réduction des interventions sur les marchés ont freiné l’intensification. Les programmes agro-environnementaux ont créé des formes de soutien favorables à une agriculture productive, mais plus vertueuse. La réforme de 2003 a découplé les paiements des marchés, mais les droits à paiement unique, les DPU, posent problème du fait de règles inégalitaires de répartition. Est-il envisagé, monsieur le ministre, de revoir ce système ?
En tout état de cause, au fur et à mesure des réformes, la PAC s’est orientée de plus en plus vers des paiements directs, en réduisant les fuites possibles dans le système et en transmettant une plus grande partie de l’argent public aux agriculteurs exploitants eux-mêmes. Cela ne signifie pas pour autant que les revenus agricoles sont bons. Mais on pourrait imaginer le pire si ces soutiens étaient supprimés, par exemple pour les éleveurs.
Ce constat vaut naturellement pour les aides du deuxième pilier, qui représentent une manne non négligeable et sur lesquelles, monsieur le ministre, nous avons beaucoup à faire au niveau national.
L’inégalité dans la répartition des aides, quant à elle, n’a pas été réglée et le phénomène de concentration demeure à travers les réformes.
Monsieur le ministre, il n’existe aucun consensus sur la notion de transferts équitables au sein de l’Union européenne !
Certains pays trouvent normal que les plus gros exploitants captent les transferts les plus importants ou admettent que les exploitations des zones défavorisées, jugées peu viables, bénéficient de plus faibles paiements. Certains ne sont pas convaincus par la notion de compensation des handicaps naturels. Comment trouver une ligne juste dans tout cela ?
Le bilan environnemental et rural de la PAC est nuancé.
Par exemple, le soutien aux prix, qui était en place avant la réforme de 1992, a eu un effet incitatif sur le recours aux pesticides et aux engrais. En dix ans, les prairies ont beaucoup diminué, en surface, au profit des terres arables. Quant aux incitations à de meilleures pratiques, qui ont permis jusqu’ici d’éviter l’application du principe pollueur-payeur, leur traduction concrète n’est pas évidente. Les critères d’éco-conditionnalité seront-ils, monsieur le ministre, suffisants ?
À l’avenir, il faudrait faire en sorte de développer de manière massive l’éco-agriculture, en rendant obsolète le clivage entre agriculture intensive et agriculture extensive. De toute manière, les pratiques devront changer car il sera bientôt inconcevable d’assumer tous les coûts de transport liés au fait que l’on consomme des produits en provenance de l’autre bout de la planète, alors qu’ils peuvent être produits localement.