Intervention de Jean Bizet

Réunion du 28 avril 2009 à 15h00
Débat sur la politique agricole commune

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 2009 est une année blanche entre deux grands rendez-vous : le bilan de santé de 2008 et le début de la grande négociation budgétaire du prochain cadre financier pluriannuel en 2010.

Ayons le courage et la lucidité de dire que, ni sur le plan politique ni sur le plan budgétaire, les perspectives ne sont particulièrement optimistes.

Sur un plan politique, quelle est la vision de la PAC actuellement en cours à Bruxelles ? Il y a aujourd’hui deux orientations. Le schéma qui se dessine est une PAC à deux vitesses, ou plutôt à deux segments, avec, d’un côté, un secteur compétitif sur le plan mondial qui vivrait pratiquement sans aide et, de l’autre, un secteur agricole fragile qui subsisterait grâce aux aides européennes, une agriculture sous perfusion que l’on garderait pour l’ambiance et pour les paysages ! Est-ce cela que nous voulons ?

L’autre proposition en cours est le développement du cofinancement. Peut-on mener une politique communautaire avec des cofinancements ? Sans doute ! Mais il faut alors anticiper les difficultés qui se poseront entre États membres bénéficiant inévitablement de soutiens différenciés. Cette évolution probable, ou en tout cas possible, oblige à une révision assez radicale de notre conception de la PAC.

Sur le plan budgétaire, il faut convenir que la négociation ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. Lors de la négociation précédente, le budget de la PAC avait été préservé, car il avait été fixé quelques années auparavant par l’accord d’octobre 2002. Ce ne sera pas le cas cette fois-ci et le budget agricole risque fort d’être le point central de discussions entre États membres. Selon une hypothèse crédible, on peut penser que les crédits globaux seront maintenus avec une répartition différente : plus d’argent devrait être alloué au deuxième pilier et moins au premier pilier, plus aux nouveaux États membres et moins aux anciens.

Ce sera surtout le cas pour la France. Le mouvement s’annonce déjà dans l’actuel cadre financier. Notre pays, qui reçoit encore près de 20 % des dépenses agricoles européennes, en recevra moins de 15 % en 2013. Nous savons d’ores et déjà que, autour de 2011, notre taux de retour sur les dépenses agricoles sera inférieur à notre taux de contribution au budget. Certaines pressions pourraient se manifester pour prendre de la distance par rapport à cette politique devenue budgétairement moins rentable. Un tel comportement serait irresponsable. Ce n’est pas au moment où nous allons devenir contributeur net qu’il nous faut renoncer à la PAC !

Mais 2009 est une année tampon, propice aux réflexions. Je souhaite aborder trois aspects : le premier pilier, le deuxième pilier et l’organisation du secteur.

Ma première inquiétude porte sur le premier pilier, menacé dans son principe même et dans ses modalités. La France est favorable au maintien des mécanismes de régulation qui subsistent. Mais quelles sont nos chances, et qui sont nos alliés sur ce point ?

S’agissant des DPU, la France est soumise à de fortes pressions externes et internes pour réduire, voire renoncer au recouplage, pour abandonner les références historiques, pour répartir les paiements de façon plus équitable et pour les lier à des considérations environnementales. Le système actuel ne paraît plus tenable.

Plusieurs États se sont engagés dans la redistribution et la simplification. Pensez-vous que ce modèle de DPU unique, mais modulé, puisse être transposable en France ? Je suis conscient des difficultés quand il s’agit de modifier les répartitions, mais je pense que le statu quo serait la pire des solutions !

Nos partenaires n’accepteront pas de payer pour notre incapacité à nous réformer. Comment envisagez-vous cette évolution ?

La question du deuxième pilier se pose en des termes radicalement différents. Il s’agit, non plus de savoir comment garder un système décrié par certains de nos partenaires, mais de trouver tout simplement le moyen de mieux en bénéficier.

Pour des raisons historiques et économiques, la France a toujours privilégié le premier pilier, héritier de la PAC à l’ancienne. La France n’a vu dans ce deuxième pilier qu’une concession aux idées nouvelles et aux pressions environnementales.

Mais il faut accepter cette évolution et la considérer comme une donnée incontournable. Il est très probable que ce deuxième pilier sera préservé, voire encouragé. Les Britanniques y sont très favorables et feront tout pour l’imposer. Au lieu de freiner cette évolution, il conviendrait plutôt d’en tirer le meilleur parti : la France, qui reçoit encore 20 % du premier pilier, ne reçoit que 7 à 8 % à peine du deuxième pilier.

La France, l’œil fixé sur l’héritage de la PAC à l’ancienne, n’a pas voulu voir l’émergence d’une nouvelle PAC. Elle doit mieux se positionner.

Parmi ces actions, il y a une évidence : les préoccupations environnementales seront déterminantes dans la PAC du futur. Là encore, il faut reconnaître que le monde agricole est entré à reculons dans cette voie conduisant à une dégradation d’image qui cause un tort considérable à l’agriculture et à la PAC.

Il faut renverser ce courant en agissant d’abord au niveau des principes, car il y a, dans ce domaine, beaucoup d’hypocrisie. L’Europe ne peut à la fois réclamer l’alignement sur la concurrence mondiale et se plaindre de l’agriculture productiviste. Elle ne peut pas en même temps prôner le soutien à un monde rural et supprimer les quotas laitiers, clamer les vertus du modèle bio et chercher à nourrir la terre entière.

Chaque fois, ce doit être l’un ou l’autre, et non pas l’un et l’autre. La future PAC devra sortir de ses contradictions et proposer un modèle crédible et durable. Le couplage agriculture et environnement s’impose comme un moyen de sauver la politique agricole commune.

Enfin, le troisième point que je voulais aborder et qui me paraît crucial, est l’organisation globale du secteur. Beaucoup d’agriculteurs n’arrivent pas à vivre parce que les prix de vente sont trop bas. C’est le choix de la logique du marché, mais cette logique est dévastatrice lorsque le marché est en situation d’oligopole renversé. La concurrence mondiale n’est pas toujours en cause.

On est en présence d’un abus de position dominante de la part des distributeurs. La question des prix payés aux producteurs ne se règlera pas sans une remise en ordre afin que la négociation soit toujours décente. Car il y a, je le dis très clairement, de l’indécence à humilier ainsi nos producteurs ! Les pouvoirs publics doivent s’impliquer davantage dans ce marchandage sordide et dans l’alimentation de nos concitoyens.

Je fais donc le vœu d’une PAC préservée, solide, assise sur ses deux jambes, qui sont ses deux piliers, mais une PAC recomposée qui fera face aux défis du futur. Quand je parle du futur, monsieur le ministre, vous comprendrez que je ne puis passer sous silence le dossier des biotechnologies, que nous n’avons jamais su aborder tout simplement sous l’angle de l’évolution normale de la sélection variétale de ce XXIe siècle.

La France et l’Europe ne pourront rester à l’écart des progrès scientifiques qui, chaque année, s’imposent un peu plus dans le reste du monde et qui ne sont nullement en opposition avec la biodiversité, loin s’en faut, et peuvent s’appréhender au travers de tous les modèles de production agricole.

Tels sont, monsieur le ministre, les messages que je voulais vous transmettre avant votre départ. Vos prochaines responsabilités sont une chance pour la France. Les élus se souviendront de votre poids décisif dans la négociation des fonds structurels en France, alors qu’ils se sentaient pratiquement abandonnés. Le monde agricole aura encore besoin de votre soutien, et je crois pouvoir dire, sans trop me tromper, qu’il l’aura.

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