Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai écouté avec beaucoup d’attention tous ceux qui se sont exprimés et je les remercie des nombreux témoignages de gratitude ou d’encouragement pour aujourd’hui et pour demain qu’ils m’ont adressés. Je ne les oublierai pas là où m’emmèneront les prochaines étapes de ma vie publique.
Pour l’instant, aujourd’hui, à cette tribune et pour les temps qui sont devant moi, je suis mobilisé à cent pour cent par cette tâche passionnante et exigeante de ministre de l’agriculture et de la pêche. Je suis heureux de pouvoir m’exprimer sur ce sujet que le président Henri de Raincourt a pris l’initiative d’inscrire à l’ordre du jour de la Haute Assemblée.
Je vais m’exprimer, comme j’en ai l’habitude, sans autosatisfaction et avec lucidité. Après les étapes que nous avons franchies, je vous recommande de regarder les yeux grand-ouverts les difficultés et les enjeux qui sont devant nous. Les temps qui viennent seront difficiles pour l’Union européenne et nous devons aborder cette période avec beaucoup de détermination.
L’accord sur le bilan de santé de la politique agricole commune donne à cette dernière du sens et un cap dans la perspective de 2013, à laquelle nous devons travailler et qui sera plus difficile qu’on ne le croit.
Comme l’a dit M. de Raincourt, c’était le premier accord conclu à 27 et il était urgent. Les décisions que j’ai annoncées le 23 février pour notre pays au nom du Gouvernement veulent accompagner – telle est en tout cas l’ambition que je veux réaffirmer devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs – un nouveau modèle de développement agricole, économiquement productif – je ne dis pas « productiviste » ! – et écologiquement responsable. C’est ce nouveau modèle que M. Henri de Raincourt a qualifié d’écologique et d’hyper-technologique.
Ces décisions ouvrent des voies pour l’après-2013. C’est la responsabilité et l’honneur d’un ministre que de ne pas faire de coups, d’esbroufe, mais d’inscrire son action dans la durée, ce que je me suis attaché à faire avec toutes les équipes qui ont contribué à cette réflexion et que je remercie.
À entendre certains, il aurait fallu ne rien faire. Je ne vise pas les membres de cette assemblée, mais il m’a souvent été conseillé de gérer l’échéance du bilan de santé sans heurts et d’attendre tranquillement la grande réforme de 2013, celle qui ouvrira de nouvelles perspectives financières et s’emploiera à réviser l’ensemble de nos politiques communes.
Telle n’est pas ma conception de l’action politique. Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois comme Pierre Mendès France, pour lequel j’ai toujours ressenti une profonde admiration, qu’il ne faut « jamais sacrifier l’avenir au présent ». En l’occurrence, l’avenir n’est pas très lointain ; il concerne les trois ou quatre années qui viennent. C’est la raison pour laquelle j’ai travaillé avec mes vingt-six collègues pour les convaincre et les entraîner.
Nous avons saisi l’opportunité de ce bilan de santé sous présidence française pour mettre sur la table des questions de fond que vous avez, les uns et les autres, rappelées : la régulation des marchés, le sens du soutien et la gestion des risques.
Nous nous sommes battus à l’échelon européen. Certains de nos partenaires nous ont rejoints – c’est le cas de l’Allemagne, comme l’a dit M.Haenel – pour préserver la dimension économique de cette activité qui soutient des emplois sur l’ensemble de nos territoires, pas dans les seules régions qui pratiquent la culture intensive ou sont les plus productives. Jamais je ne soutiendrai l’idée d’un modèle d’industrie agricole !
Voilà pour l’accord du 20 novembre dernier. Mesdames, messieurs les sénateurs, puisque nous parlons de politique agricole commune, je veux redire que ce n’est pas un hasard si le secteur agricole et agro-alimentaire, qui représente 1, 5 million d’emplois, tient le coup dans la crise actuelle.
Il tient le coup et il résiste parce que les gens qui y travaillent dur, tout en gagnant assez mal leur vie, ont su s’adapter, beaucoup plus que dans d’autres secteurs de la société. M. Chatillon pourrait en témoigner pour les pôles de compétitivité. Il tient le coup parce qu’il est accompagné par une politique publique avec des règles et un budget public.
Le président Hubert Haenel a rappelé avec beaucoup de pertinence une question que j’ai soumise à une expertise : combien coûterait l’absence de politique agricole commune ? Si ce budget, qui représente 100 euros par an et par habitant, était supprimé, quel serait le prix à payer en termes de désertification, de manque de productivité et d’importations ? Je pense que cette expertise sera utile pour préparer le budget de l’après-2013.
La pierre angulaire de cette politique, c’est la régulation des marchés agricoles, comme M. Baylet, Mme Herviaux notamment l’ont souligné.
De ce débat difficile, je me contenterai de rappeler les données factuelles. Les vingt-sept ministres de l’agriculture n’ont pas suivi la Commission qui proposait, une fois encore, une nouvelle étape de démantèlement des outils d’intervention et la transformation progressive de la politique agricole commune en une simple politique de développement rural.
Nous parlons d’une politique économique, qui ne saurait se réduire à une politique de développement rural. Je veux rapidement rappeler les avancées de cet accord pour tracer la voie d’une nouvelle politique agricole commune.
Tout d’abord, – mesdames, messieurs les sénateurs, je vous demande de m’en donner acte, ne prenez pas les craintes que nous éprouvions avant l’accord pour des résultats ! – nous avons sauvegardé l’existence et l’efficacité des outils de gestion des marchés pour les céréales et les produits laitiers. C’est tellement vrai qu’on les utilise actuellement pour le lait et pour la poudre. Ce n’était pas gagné. J’en avais fait une priorité dans la perspective de 2013.
À ceux d’entre vous qui ont évoqué les quotas laitiers, je veux rappeler que la décision de supprimer les quotas laitiers en 2014 a été prise par une majorité qualifiée du Conseil des ministres, une première fois en 1993 et une deuxième fois en 2007. Nous en resterons là tant qu’une autre majorité qualifiée ne reviendra pas sur cette décision. Ce sujet ne pouvait pas être abordé lors la discussion sur le bilan de santé. Il n’y a pas eu de recul.
Nous avons obtenu – ce n’était pas l’idée de la Commission ! – deux rendez-vous de pilotage politique de la production laitière en 2010, assez tôt dans l’année, je l’espère, et en 2012, grâce notamment au soutien de l’Allemagne. Je pense que ces rendez-vous seront utiles pour poser toutes les questions.
Faut-il continuer d’augmenter la production de 1 ou de 2 % par an ? Pour ne pas risquer de surproduction, j’ai pris la décision de geler cette année le quota supplémentaire de 1 % dont la France pouvait bénéficier.
Lors de ces deux rendez-vous de 2010 et de 2012, nous pourrons poser la question, qui n’est pas taboue, de revenir sur la suppression des quotas laitiers. Peut-être parviendrons-nous à inventer un nouveau système qui, sans maintenir forcément les quotas tels qu’ils sont aujourd’hui, saura, en tout cas, garder des outils de maîtrise de la production laitière, très volatile et très fragile. Ces outils, je les crois nécessaires.
Je continuerai à dire ce que je pense, mesdames, messieurs les sénateurs ; je le dis notamment à M. Muller qui a évoqué cette question ! Or ce que je pense et que je n’ai jamais cessé de penser, c’est que l’agriculture destinée à l’alimentation ne saurait être gouvernée par la seule loi du marché ! La loi du marché, c’est le moins-disant sanitaire, le moins-disant écologique et le moins-disant économique !
Ensuite, nous avons, contre l’avis de ceux qui nous disaient que c’était impossible, mis une clé dans la porte et inscrit des outils de couverture des risques climatiques et sanitaires au sein de la politique agricole commune. Nous ouvrirons en 2013 la discussion sur les risques et les aléas économiques.
Puis, nous avons obtenu les moyens de faire évoluer les aides à l’agriculture.
Enfin, nous avons dégagé des marges pour le second pilier afin de préserver certaines mesures. Je pense à la prime herbagère agri-environnementale, la PHAE, dont le financement n’était pas forcément assuré.
Cette politique agricole commune, nous l’avons également consolidée en lançant, sous présidence française, le débat pour 2013 et les années suivantes. Ce n’était pas trop tôt, même si c’était très tôt.
Fort de mon expérience au sein des instances européennes, je sais que le débat politique doit toujours précéder le débat budgétaire. C’est au nom du respect de cette règle du jeu démocratique que nous avons lancé très tôt le débat politique ; la présidence tchèque, puis celles qui lui succéderont le poursuivront.
Ce débat, qui ne fait que commencer, sera difficile et nous impose trois obligations.
Cette politique agricole commune se doit d’être légitime pour tous les agriculteurs. On ne peut pas dire que ce soit toujours le cas puisque la moitié des paysans estiment que cette politique n’est pas équitable ! Dans ce cas, il y a peu de chance que la politique agricole commune dure !
La PAC se doit aussi d’être légitime vis-à-vis de l’opinion publique et vis-à-vis de nos partenaires.
Monsieur de Raincourt, je pense que toutes ces décisions s’imposaient à nous. Pouvions-nous continuer de défendre la politique de 1992, avec ses références historiques, ses sédimentations successives, ses écarts d’aide, voire ses injustices, entre les soutiens, entre les exploitations ?
Avec le soutien de nombre d’entre vous, j’ai voulu, lucidement, sincèrement, en conscience, redonner du sens à notre politique agricole commune et reconstruire une triple légitimité, à l’intérieur du monde agricole, vis-à-vis du reste de la société et vis-à-vis de nos partenaires.
Ce sens retrouvé est la meilleure défense ; c’est aussi l’intérêt de ceux qui, aujourd'hui, critiquent les décisions prises, car mon intention est de faire sorte que, sur la base de cette triple légitimité reconstruite, la politique agricole commune permette de continuer à accompagner tous les secteurs agricoles, y compris, monsieur Vasselle, celui des grandes cultures, qui aurait beaucoup à perdre si la PAC n’était pas plus juste et plus légitime.
Ces décisions seront notifiées dans les prochains jours auprès de la Commission européenne. Elles conduisent à réorienter 1, 4 milliard d’euros en 2010, et je parle là des aides qui seront allouées à la fin de l’année 2010, et pas avant.
Nous avons beaucoup consulté et écouté les organisations syndicales, que je dois remercier, car elles ont chacune été dans leur rôle, sans complaisance, ainsi que les représentants des chambres d’agriculture et les élus. Plusieurs collectivités ont aussi participé au débat, comme la région Bretagne évoquée par Mme Herviaux.
Nous avons étudié toutes les propositions sans aucun tabou. Je n’ai rien exclu a priori. Nous avons analysé et expertisé tous les scénarios possibles, et les décisions prises l’ont été dans l’intérêt général des agriculteurs.
Puisque vous connaissez ces décisions, je me contenterai de dire qu’elles servent quatre objectifs.
En premier lieu, elles visent à consolider l’économie agricole et l’emploi sur l’ensemble du territoire.
En second lieu, il s’agit d’instaurer, comme l’ont notamment rappelé MM. Soulage et Bailly, un nouveau mode de soutien économique pour l’élevage à l’herbe, en traçant une voie nouvelle.
Je m’adresse là en particulier à ceux qui ont exprimé des reproches ou, tout au moins, des regrets quant au fait que nous ayons accepté tous les découplages. Le soutien à l’herbe que nous avons créé est couplé ! Ce soutien différencié aux productions animales à l’herbe est, monsieur Chatillon, une nouvelle forme de couplage qui pourra connaître dans les années à venir, notamment après 2013, une montée en puissance.
En troisième lieu, il faut accompagner un mode de développement durable de l’agriculture. MM. Bizet, Muller et Pastor ont évoqué le nouveau modèle agricole durable. J’attire votre attention sur le document qui rassemble en quelques pages, pédagogiques et stratégiques, tous les engagements que nous avons pris dans le cadre du Grenelle de l’environnement.
Il ne s’agit donc ni de marketing, ni d’un coup, mais bien d’un travail qui s’est étalé sur deux ans pour assurer la mise en œuvre de ces engagements, qu’ils portent sur la réduction de moitié des phytosanitaires, sur l’eau, l’agronomie, l’énergie, le bio ou d’autres enjeux.
Ces engagements tracent la feuille de route du nouveau modèle agricole à l’horizon de 2020 pour l’ensemble des acteurs de l’agriculture.
Ces deux ans de travail ont été menés avec des techniciens, des experts, des consommateurs, des dirigeants agricoles professionnels et des associations de protection de l’environnement.
Enfin, quatrième orientation, il est nécessaire d’instaurer des outils de couverture de risques climatiques et sanitaires, qui figurent bien, madame Herviaux, dans le premier pilier et non pas dans le second.
Pour atteindre ces objectifs, nous n’avons pas choisi un système d’aide unique à l’hectare. J’ai bien entendu les avocats de la régionalisation de la convergence, mais je n’ai pas voulu encourager la concentration des exploitations agricoles.
Instituer une aide unique à l’hectare, c’était encourager la concentration. Or, nous voulons préserver un modèle familial de petites et moyennes exploitations, modernes, compétitives.
Enfin, nous allons accompagner la réorientation des exploitations céréalières. Le Président de la République a annoncé un accompagnement à hauteur de 170 millions d’euros afin qu’en 2010, pour les exploitations de grandes cultures, la marche ne soit pas trop haute.
Vous m’avez interrogé sur plusieurs points.
M. Jacques Blanc a évoqué l’impact de l’application du seuil de 0, 5 UGB par hectare dans certains de nos territoires que je connais bien. Nous veillerons à ce que ce seuil ne s’applique pas comme un couperet, sujet à propos duquel des propositions ont été faites. Les groupes de travail n’ont pas achevé leur réflexion.
Je rappelle que le nouveau soutien à l’herbe est complémentaire du soutien existant dans le second pilier au titre de la PHAE ou de la compensation des handicaps naturels, et que nous allons revaloriser l’ICHN, l’indemnité compensatoire de handicaps naturels, en 2010.
M. Bizet a défendu, j’y ai été sensible, le couplage agriculture-environnement et, au-delà du second pilier, il faut regarder la réorientation des aides du premier pilier, qui correspond à un changement stratégique de fond. Elle se fait au profit des systèmes de production durables : l’herbe, les protéines végétales, l’agriculture biologique et la biodiversité.
Vous avez raison, dans la perspective de 2013, nous devrons être force de proposition ; c’est ainsi que nous gagnerons.
L’avenir de la PAC ne passe pas exclusivement par le renforcement du second pilier ; il passe également par l’adaptation des mécanismes du premier pilier, des outils de régulation et des modalités du soutien.
M. Emorine a évoqué le basculement du fonds national de garantie des calamités agricoles sur un dispositif assurantiel. Vous le savez, nous avons engagé cette démarche dès 2009, avec la sortie des grandes cultures du fonds de calamité. Nous la poursuivrons en vue du développement des surfaces assurées pour les autres productions.
L’enjeu, grâce aux moyens que nous avons dégagés à partir du bilan de santé de la PAC, est d’inciter à la souscription de contrats d’assurance en viticulture ou fruits et légumes, secteurs particulièrement exposés.
Par ailleurs, nous travaillons à une expérimentation d’assurance sur les fourrages.
Sur l’assurance récolte « forêts », monsieur César, le travail de réflexion a été engagé avec mes collègues Éric Woerth et Christine Lagarde. C’est un sujet complexe, potentiellement coûteux et qui exige une expertise approfondie. Ma dernière visite dans la région du sud-ouest m’a convaincu qu’il fallait l’étudier après cette nouvelle catastrophe écologique. Toutefois, la forêt n’est pas éligible à la couverture des risques introduite dans le bilan de santé.
Quant à la sortie des prêts bonifiés pour les sylviculteurs, les derniers « calages » sont en cours avec la Commission européenne, car il s’agit d’aides notifiées.
J’ai obtenu un accord sur les principes que nous avons défendus, notamment s’agissant du taux, et je serai donc en mesure, monsieur César, de signer ces décrets prêts bonifiés à 1, 5 % dès ce soir ou demain.