Intervention de Sophie Joissains

Réunion du 28 avril 2009 à 21h30
Débat sur l'adoption

Photo de Sophie JoissainsSophie Joissains :

Monsieur le président, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, je souhaite souligner ici plusieurs points qui me semblent essentiels. Vous me permettrez également de formuler quelques questions, ainsi qu’une proposition que je soumettrai à votre appréciation.

Le thème de l’adoption implique une double approche, afin de répondre le plus utilement possible à ceux pour qui la concrétisation de leur espoir de fonder une famille est d’une cruelle lenteur. Et que dire de l’attente et de l’angoisse qui sont celles des enfants victimes d’abandon ?

Le premier prisme qui doit nous guider dans cette discussion est l’intérêt de ces enfants.

La supériorité de l’intérêt de l’enfant doit, ainsi que nous l’avons attesté en ratifiant la convention de La Haye, être encore et toujours réaffirmée comme l’objet principal de chacune des évolutions législatives qui nous sont et nous seront proposées.

Ce rappel, mesdames les secrétaires d’État, me permet de saluer, avec un peu d’avance, le travail que vous avez effectué sur le projet de loi qui sera prochainement soumis à la Haute Assemblée.

Cela vaut particulièrement pour l’adoption nationale puisque, en cherchant à accélérer la résolution des situations de délaissement parental, vous confortez la primauté du droit de l’enfant, qui est le fondement même de notre conception de l’adoption.

On le sait, les trois quarts des adoptions effectuées par les Français sont réalisées à l’étranger. Or, dans plus de 40 % des cas, elles sont réalisées de manière individuelle, soit en dehors de tout schéma institutionnel : en dehors de l’Agence française de l’adoption, en dehors des quarante-deux organismes agréés.

Nous avons aujourd’hui le devoir, d’une part, de faciliter et d’accélérer la procédure de l’adoption sur le territoire français et, d’autre part, face à l’ampleur du défi, de provoquer l’établissement d’une stratégie globale de l’adoption internationale, seul moyen de parvenir à la rationalisation des actions menées par les acteurs de l’adoption internationale ; de plus, cela ne manquera pas de faciliter le contrôle scrupuleux devant s’exercer en la matière.

Je déplore d’ailleurs la défaillance de l’autorité centrale en la matière ; car l’AFA ne peut être tenue pour seule responsable de certaines déceptions.

Il serait important que ce débat sur l’évolution de l’adoption internationale, qui se déroule dans le cadre des quarante-neuf pays ayant ratifié la convention de La Haye, s’élargisse aux soixante-douze pays signataires, et même au-delà.

Ne devrait-on pas envisager également d’approfondir la réflexion sur la nature et l’encadrement des liens entre adoption internationale et action humanitaire ? Nous y reviendrons.

La seconde approche de notre débat concerne évidemment l’adoptant qui revendique le droit à un enfant. Les chiffres, sur ce point, sont sans appel : selon la Cour des comptes, 23 000 adultes, sur les 28 000 possédant un agrément, attendent aujourd’hui l’enfant qui, demain, deviendra le leur. Chacun de vous a dans son entourage l’un d’entre eux et connaît la souffrance qui accompagne son attente.

Face à cette réalité, que pouvons-nous faire ?

L’information et l’accompagnement des familles sont et doivent rester des points essentiels dans l’amélioration de notre dispositif. J’évoquerai notamment l’organisation, avant toute délivrance d’agrément, de réunions collectives obligatoires, à l’intention des familles, puis le nécessaire suivi psychologique de l’adaptation des petits enfants étrangers adoptés à une culture différente de la leur.

Il faut également noter que la question des demandes multiples formulées par les familles pose certaines difficultés au regard de la consolidation de notre politique.

Par ailleurs, face à une adoption nationale trop peu développée, je souscris aux propositions des auteurs du rapport d’information concernant l’extension de l’adoption simple, qui pourrait, à mon sens, trouver toute sa place dans le cas d’enfants victimes de délaissement parental avéré.

Sur ces différents points, Mme la secrétaire d’État chargée de la famille pourra nous apporter des précisions, notamment en ce qui concerne les mesures relevant du domaine réglementaire et le calendrier envisagé.

Tout naturellement, l’adoption internationale, grâce à laquelle 3 200 enfants ont pu être adoptés en 2008, constitue le pendant de l’accompagnement des familles. Il est certain qu’elle suscite beaucoup d’espoir, et la mise en œuvre tardive des réformes dans ce domaine était un peu surprenante.

Sans aborder toutes les facettes de ce vaste sujet, je souhaite revenir sur un point qui a retenu toute mon attention. Il s’agit d’une pratique à laquelle recourent certains pays étrangers, qui subordonnent l’agrément donné à l’AFA pour réaliser des adoptions à la conduite d’actions dites « humanitaires ». Cette pratique suscite certaines interrogations que je souhaite formuler ici.

Nous avons tous été témoins d’une affaire bien triste, concernant l’association l’Arche de Zoé ; même s’il s’agissait d’une association, la défaillance de l’autorité centrale s’est trouvée fort malheureusement illustrée par ce regrettable épisode.

Nous connaissons tous les dérives et les effets pervers de certaines bonnes intentions. Les actions humanitaires, nous y sommes bien sûr favorables ! Mais il ne saurait en aucun cas s’agir d’opérations de don contre don. En d’autres termes, l’enfant ne peut avoir un prix.

Chacun comprendra qu’il s’agit non pas de juger du « mieux-fondé » d’un droit par rapport à un autre, mais de mettre en exergue les difficultés que ces situations nouvelles peuvent poser au regard de notre conception de l’adoption et de la personne humaine.

C’est pourquoi, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, j’en appelle à votre vigilance républicaine et à votre sens de l’éthique pour garder la porte du débat ouverte sur ce sujet précis.

En effet, j’ai bien noté que le projet de loi viserait à ce que l’Agence française de l’adoption puisse, pour des microprojets et après accord de l’autorité centrale, financer des projets humanitaires. Certains sont favorables à cet agrément entre l’AFA et certains pays, au nom de la souveraineté des États. D’autres y sont opposés, au nom de l’éthique. Beaucoup, en fait, ne se sont pas encore prononcés.

Il me semble qu’un travail de découplage entre, d’une part, le codéveloppement consacré aux enfants et aux orphelins et, d’autre part, l’adoption internationale pourrait constituer une base de réflexion pour essayer de répondre à cette question.

Au-delà des précisions que pourra nous apporter Mme la secrétaire d’État chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme, la création d’un groupe de réflexion, associant les compétences de la commission des affaires sociales et celles de la commission des affaires étrangères, voire en liaison avec la Commission nationale consultative des droits de l’homme, l’Agence française de l’adoption et les autorités politiques concernées, permettrait peut-être de creuser intelligemment cette problématique.

Mesdames les secrétaires d’État, je vous remercie par avance des réponses que vous voudrez bien apporter à mes interrogations.

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