Intervention de Yves Daudigny

Réunion du 28 avril 2009 à 21h30
Débat sur l'adoption

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny :

Monsieur le président, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, j’ai plaisir à m’exprimer ici devant vous, tant je crois que l’adoption d’un enfant constitue un thème du plus grand intérêt pour nos concitoyens.

Je le dis sans ambages, nous sommes face à un sujet de société qui renvoie chacune et chacun de nous à une question existentielle : la filiation.

« Choisir quelqu’un pour fils ou pour fille et lui en donner les droits civils en remplissant certaines conditions prescrites par la loi » : voilà comment le dictionnaire de l’Académie française définit l’adoption. Il donne ensuite l’exemple suivant : « Auguste adopta Tibère. Chez les Romains, ceux qu’on avait adoptés passaient dans la famille et sous la puissance de celui qui les avait adoptés. »

Une recherche étymologique est également précieuse pour mieux circonscrire ce terme. Les latinistes seront ravis : adopter tire son origine du latin ad, qui veut dire « à », et de optare, qui signifie « choisir », « souhaiter ».

Ce rapide détour étymologique nous renseigne : adopter revient en quelque sorte à « choisir quelqu’un pour fils ou pour fille ».

L’adoptant est donc placé en quelque sorte dans une position dominante puisqu’il lui appartient de choisir. Ce choix est de l’ordre de l’ « option » pour un enfant qui devient fils ou fille.

C’est d’ailleurs cette opération qui détermine intrinsèquement le parent. Autrement dit, c’est l’option qui contribue à l’avènement du statut parental. La parentalité est donc consubstantielle au choix.

Cela nous éclairera beaucoup, me semble-t-il, quand il s’agira d’aborder de nouveau le sujet compliqué de l’agrément que les départements accordent – ou non – aux « candidats » à l’adoption. En l’occurrence, le tiers – légal – que représente l’administration est parfois perçu comme censeur.

Le désir du candidat à l’adoption est parfaitement respectable. Mais il doit être interrogé. Car, au fond, nous sommes face au droit « de » l’enfant et non au droit « à » l’enfant.

Si l’on poursuit un instant nos recherches, on retrouve les acceptions classiques du terme « adoption » qui, par extension, reviennent à prendre soin d’un enfant – sans formes légales – comme si c’était son fils ou sa fille : « il m’adopta et me servit de père ».

Les termes « prendre soin » renvoient ici à l’indispensable protection à laquelle un enfant doit prétendre. Dans cette définition, l’expression « comme si c’était son fils ou sa fille » est également capitale selon moi, au sens où les mots « servant de père » – ou de mère – ouvrent le champ de la substitution parentale.

Dès lors qu’il y a substitution, il y a reconnaissance, en creux, d’une parentalité qui ne suffit pas à la préservation de l’enfant. Pour autant, cette parentalité première existe, elle est reconnue. Mais on en pallie l’insuffisance afin de protéger l’enfant, en le plaçant dans une position centrale. C’est alors le besoin de protection de l’enfant qui détermine le processus de substitution et de suppléance parentale. Je me placerai résolument dans cette seconde voie.

Je considère en effet que l’on a trop tendance, dans nos sociétés contemporaines, à faire du désir des adultes une priorité, sous l’influence d’une logique de marché qui gouverne nos existences.

L’enfant n’est pas une marchandise, pas plus qu’un objet monnayable. L’hypermédiatisation de célébrités entourées de leurs progénitures ravies masque, sous le papier glacé, la délicate question de la protection des enfants de notre monde. Disons-le : l’argent ne peut pas tout. La surexposition de ces enfants et de leurs parents, fussent-ils célèbres et riches, ne résout d’ailleurs aucunement la difficile équation de la parentalité.

Dès lors, mes chers collègues, allons-nous adopter un nouveau texte sur l’adoption ? Car, dans ce pays, face à une question subtile de société, que fait-on ? On légifère, puis on décrète !

Avons-nous le choix ? Oui, à tout le moins quant au débat préalable.

Sortons d’abord de l’agitation permanente, qui est devenue une mode ! Cessons d’assimiler réflexion à immobilisme ! Nos sujets de société, nos sujets humains méritent réflexion, de sorte que nos décisions soient sages et méditées.

Je prétends que la réforme au pas de charge est un succédané de réforme. La précipitation interdit la pensée. Non que la pensée soit absente : au contraire, tout est parfaitement organisé ! Elle n’est pas non plus unique. Le risque est plutôt, selon moi, qu’elle soit univoque et confisquée.

La question n’étant pas posée, je la formule : faut-il de nouveau légiférer aujourd’hui sur l’adoption ?

D’abord, soyons clairs, la réforme de 2005 n’a pas atteint ses objectifs initiaux en matière d’adoption internationale. Le nombre d’enfants adoptés chute, alors que le désir d’être parent redouble, y compris sous des formes familiales nouvelles, que certains revendiquent avec détermination.

La logique du chiffre aiguise les appétits.

Mais comment un texte de loi peut-il modifier, par quelque tour de passe-passe, le nombre d’enfants adoptables à l’étranger ?

Nos trois collègues Auguste Cazalet, Albéric de Montgolfier et Paul Blanc le signifient d’ailleurs très explicitement dans leur rapport d’information : la réforme de 2005 est plutôt inachevée. D’autres diront plutôt « manquée ».

Même si je ne suis pas en total accord avec certaines pages du rapport de Jean-Marie Colombani, écrites parfois d’une plume acerbe où l’on sent poindre la passion, je m’y réfère, car il présente des propositions intéressantes, qui ne seront apparemment pas reprises. Dommage !

Le sujet de l’adoption est passionnel. Il l’est du côté des adultes et donc du côté des organisations.

En ce qui me concerne, je prends le parti de l’enfant. Je plaide pour que son intérêt supérieur guide nos réflexions et nos décisions. Ayons la passion de l’enfance et, j’en suis véritablement convaincu, tout s’apaisera !

Rappelons encore que l’on tablait, avec la réforme de 2005, sur le doublement du nombre d’enfants adoptés à l’étranger. On avait alors pensé qu’une nouvelle agence française – l’État n’a, il est vrai, de cesse de créer à tout va des agences nationales – pourrait prendre une part plus importante dans les adoptions internationales. On a donc assigné à l’AFA, un objectif de résultat irréaliste et, par conséquent, inatteignable. On sait où cela nous a conduits !

Au fond, la réalité de l’adoption internationale est très complexe et évolutive.

La convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale a été étendue à de nombreux pays d’accueil et d’origine, ce qui a entraîné une diminution temporaire du nombre des adoptions internationales.

De plus, la situation des pays d’accueil évolue en permanence et de manière parfois imprévisible.

Aujourd’hui, si l’on veut de nouveau jouer sur les chiffres, on peut toujours tenter d’élargir les possibilités d’adoption nationale. Toutefois, je crains que l’exercice ne soit très hasardeux.

Objectivement, nous constatons un nombre faible de déclarations d’abandon à la suite d’un délaissement manifeste des parents naturels. Une nouvelle modification de l’article 350 du code civil serait donc tentante.

Mais s’il convient de se pencher régulièrement sur la situation des enfants confiés au président du conseil général par décision judiciaire, de grâce, n’opposons pas protection de l’enfance et préservation du lien avec la famille d’origine ! Car les équilibres sont fragiles et les raccourcis peuvent se révéler dangereux. Agir plus précocement sur la situation d’enfants en souffrance, telle doit être notre priorité permanente. C’est d’ailleurs l’esprit de la réforme récente de la protection de l’enfance.

Cependant, veillons à ne pas assimiler situation de dénuement à désintérêt manifeste. Car cette notion est, par essence, subjective : elle est l’affaire des départements et des professionnels qui maîtrisent fort bien ces sujets. Je plaide donc pour que l’expertise acquise depuis les premières lois de décentralisation soit respectée.

La conférence de consensus proposée dans le rapport Colombani pour interroger tous les professionnels va du reste dans le bon sens. Toutefois, là encore, gardons-nous de vouloir inventer de nouvelles normes, tentation parfois forte. Je le dis solennellement : attention aux tentations normatives dans le domaine de l’humain !

En revanche, ouvrons très largement le débat sur l’adoption simple, sans tabou et sans présupposé. Il s’agit de préserver, dans les cas où cela se révèle nécessaire, un juste équilibre entre protection de l’enfant et respect du lien de filiation d’origine.

Osons ouvrir le débat sur les liens de filiation !

Vous l’avez compris, mes chers collègues, je suis personnellement ouvert à une évolution de notre législation. Ma conception de la réforme est simple : débat de fond, adaptation régulière de nos cadres législatifs et réglementaires, évolution des pratiques professionnelles.

Face à des sujets humains aussi délicats que celui de l’adoption, je propose que nous nous intéressions non pas au chiffre pour le chiffre, mais d’abord et avant tout à la situation de l’enfant : son histoire, ses besoins, son évolution.

N’y opposons pas le désir d’être parent, certes infiniment respectable en tant que tel, car la démarche d’adoption correspond à un acte extrêmement personnel, singulier, intime. Mais faut-il pour autant placer le désir d’adopter, c'est-à-dire de choisir un enfant pour fils ou pour fille, au rang de priorité impérieuse ? Faut-il légiférer à partir de ce seul désir ? Je ne le pense pas.

L’adoption est d’abord une rencontre, qui peut être magnifique, comme toute naissance. Pour l’enfant, ce peut être une véritable renaissance. C’est pourquoi j’estime que la prise en considération de l’intime de l’adopté, de son parcours d’enfant, de son devenir d’adulte, est une impérieuse priorité.

Vous l’aurez compris, je suis résolument favorable à un texte centré sur l’intérêt supérieur de l’enfant. J’en appelle finalement à une position nouvelle et pourtant évidente : faire de l’adoption une question au service de l’enfance. La famille en sortira grandie, je puis vous l’assurer, quelles qu’en soient les formes contemporaines. J’irai même plus loin : ce changement de paradigme transcende le seul sujet de l’adoption. C’est une source de progrès au sens où le fait de déclarer que l’enfant est une personne et un être social dès le premier jour modifie la vision de notre monde et de son devenir.

La Haute Assemblée vient donc de rouvrir aujourd’hui un débat capital. Je reconnais personnellement attendre beaucoup de ce nouveau texte, d’autant qu’il ne nous sera présenté que quatre ans après une réforme manquée ! Nous autres, législateurs, devons pouvoir en reconnaître ensuite, humblement, la paternité...

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