Monsieur le président, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, la loi du 4 juillet 2005 portant réforme de l’adoption, à l’évidence, ne mérite guère son nom.
En effet, non seulement elle n’a opéré aucune « réforme » de l’adoption, mais surtout elle n’a pas atteint l’objectif qui lui était assigné, celui de développer l’adoption. Il ne pouvait en être autrement !
L’adoption est une institution dont la nécessaire refonte ne peut s’accommoder d’approximations. Or la loi précitée n’a pas fait l’objet de débats parlementaires fructueux. Faut-il rappeler que la proposition de loi adoptée par les députés avait, à la demande de M. Philippe Bas, à l’époque ministre délégué chargé de ce dossier, reçu un vote conforme du Sénat !
Que de temps perdu sur un sujet d’une telle importance !
En effet, plusieurs améliorations que j’avais souhaité apporter à ce texte, et qui ont été toutes rejetées, sont reprises, aussi bien dans le rapport de Jean-Marie Colombani que dans le plan que vous avez présenté vous-même, madame la secrétaire d’État chargée de la famille, le 27 août dernier, au conseil des ministres.
Cette loi n’avait en réalité pour seul objectif que de faciliter l’adoption internationale. On en voit aujourd’hui le résultat : une diminution du nombre des adoptions internationales, plutôt qu’une augmentation !
J’avais insisté, lors de la discussion de cette proposition de loi, sur l’intérêt qu’on devait porter à l’adoption nationale.
Je rappelle que, en Grande-Bretagne, avec un nombre d’habitants identiques, les enfants adoptables sont trois fois plus nombreux qu’en France : 2 300 enfants contre 775.
Dans les remèdes à apporter à ce déficit, l’instruction, dans des délais plus brefs et dans des proportions plus importantes, des déclarations judiciaires d’abandon me paraît essentielle ; je centrerai d’ailleurs mon présent propos sur ce point.
Si l’on compare le nombre annuel de personnes ou de couples titulaires d’un agrément en cours de validité – environ 29 000 au 31 décembre 2007 – à celui des enfants effectivement adoptés – environ 3 260 en 2008, dont 775 seulement étaient nés en France –, les mineurs adoptables apparaissent comme un « vivier » pour les adoptions nationales.
Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le nombre d’enfants adoptables par rapport au nombre de personnes prêtes à les accueillir, c’est le nombre d’enfants adoptables par rapport à ceux qui pourraient ou devraient l’être en raison de leur situation familiale.
Les pupilles de l’État n’ont cessé de voir leur nombre décroître ces quarante dernières années, pour atteindre le chiffre de 2 504 au 31 décembre 2005. Or ils étaient 63 000 en 1949, 46 000 en 1959, 24 000 en 1977 et 10 400 en 1985.
On ne peut que se réjouir de cette baisse constante, due en grande partie à la maîtrise de la procréation, les enfants qui arrivent au monde étant, pour la plupart, désirés ou du moins acceptés. Pourtant, de nombreux enfants demeurent, pendant toute leur minorité, ballottés de famille d’accueil en famille d’accueil ou de foyer en foyer, dans le cadre d’une délégation de l’autorité parentale ou d’une tutelle départementale, qui ne leur assure ni un présent convenable ni un avenir prometteur.
En effet, il est avéré que, si les pupilles de l’État, par hypothèse adoptables, sont de moins en moins nombreux, les mineurs sous tutelle départementale, non adoptables, sont, en revanche, en nombre croissant.
Selon les statistiques publiées, 98 000 enfants naviguent, à des titres très divers, au sein des services de l’aide sociale à l’enfance. Un certain nombre d’entre eux y sont placés à la suite d’une décision administrative ou judiciaire, mais les parents de certains d’entre eux n’exercent même pas leur droit de visite. Toutefois, on le sait, la question de leur adoption ne sera, la plupart du temps, même pas envisagée.
Le manque de réactivité de notre système rend difficilement adoptables des enfants pourtant durablement délaissés par leurs parents. À cet égard, l’application de la déclaration judiciaire d’abandon, prévue à l’article 350 du code civil, est instructive.
Depuis sa création par la loi du 11 juillet 1966, ce texte a été modifié à cinq reprises. Chaque fois, l’intervention du législateur a eu pour objectif de faciliter la déclaration judiciaire d’abandon. Néanmoins, le nombre de jugements déclarant des enfants abandonnés n’a cessé de diminuer. Cela montre combien il est difficile aux travailleurs sociaux et aux magistrats de prendre le problème à bras-le-corps. Très concrètement, il s’agit, pour eux, à la fois d’évaluer l’intérêt qu’il y a à maintenir ou non un lien de filiation avec la famille biologique et la capacité de l’enfant à se projeter dans une nouvelle famille.
Depuis 1994, les personnes ou services chargés d’enfants susceptibles d’être déclarés abandonnés ont l’obligation de saisir le tribunal de grande instance dès lors qu’ils ont constaté que les parents de ceux-ci s’en sont manifestement désintéressés depuis un an. Toutefois, cette rigueur n’est qu’apparente. En effet, la notion de désintérêt manifeste est de celles qui ne sont pas aisément saisissables, même si le deuxième alinéa de l’article 350 du code civil en précise quelque peu les contours.
Par ailleurs, le point de départ du délai d’un an est imprécis en cas de manifestations épisodiques des parents et, une fois le désintérêt d’une année constaté, aucun délai n’est fixé pour saisir le tribunal. On laisse aux seuls travailleurs sociaux le soin d’apprécier l’opportunité de cette saisine, mais il faut savoir que leur formation les conduit à privilégier à tout prix les liens du sang. Il n’est guère acceptable que la société s’en remette à ces seuls professionnels pour exercer une telle responsabilité.
Une simplification de tous les recours juridictionnels et une uniformisation de leurs délais paraissent indispensables. De même, il conviendrait de clarifier la dualité des compétences juridictionnelles entre les juridictions administratives et celles de l’ordre judiciaire.
Mais, à ce jour, notre droit ne paraît pas totalement dépourvu pour répondre aux situations variées de ces enfants sous tutelle départementale.
En effet, l’adoption simple constitue une voie possible, qui mériterait d’être davantage considérée, d’autant que l’insertion harmonieuse de l’enfant dans sa famille adoptive peut s’effectuer sans l’effacement complet de ses liens d’origine. L’adoption simple consacre précisément un lien de filiation entre l’adopté et sa famille adoptive, mais l’adopté conserve des liens juridiques avec sa famille d’origine. Elle constitue donc une filiation additive, et non une filiation substitutive, tout en transférant aux adoptants les droits de l’autorité parentale.
L’adoption simple se présente donc comme étant la plus appropriée en cas de présence de liens familiaux réels ou symboliques, mais significatifs pour l’enfant.
L’adoption simple doit, dès lors, être réhabilitée et revitalisée.
Sur ce seul point de la procédure de « délaissement parental », il y aurait encore beaucoup à dire, et surtout beaucoup à faire.
Le projet de loi qui vient d’être déposé sur le bureau du Sénat sera, je l’espère, à la hauteur de l’attente des couples et surtout des enfants. Le groupe de l’Union centriste et moi-même serons très attentifs à la portée de ce texte et nous n’hésiterons pas à proposer des améliorations si nous les jugeons nécessaires.