Intervention de Janine Rozier

Réunion du 28 avril 2009 à 21h30
Débat sur l'adoption

Photo de Janine RozierJanine Rozier :

Monsieur le président, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, mon temps étant compté, je ne me prononcerai que sur l’adoption française.

Selon l’exposé des motifs du projet relatif à l’adoption, « chaque adoption est la rencontre de deux histoires : celle d’un enfant déjà né, parfois déjà grand, qui n’a pas ou plus de famille susceptible de le prendre en charge, et celle de parents ou futurs parents qui souhaitent profondément accueillir pour toute leur vie un ou plusieurs enfants, en les entourant de toute l’affection nécessaire ».

Cette définition me convient, bien sûr ! Cependant, pour la compléter et pour exprimer mes propres sentiments, je dirai en préambule que l’adoption, ce n’est pas donner un enfant à des parents qui le désirent, c’est surtout donner des parents à un enfant pour qu’il soit aimé, entouré, élevé, pour qu’il ait l’amour et les soins nécessaires et même indispensables afin de devenir un adulte responsable, comme dans une vraie famille à laquelle tout enfant devrait avoir droit.

Dès le berceau, quand tous ses sens s’éveillent, un enfant a autant besoin d’amour que de nourriture !

Membre de la commission des affaires sociales d’un conseil général pendant dix-neuf ans, j’ai assidûment assisté aux réunions au cours desquelles les services de l’aide sociale à l’enfance, l’ASE, rendaient compte de leur travail sur le terrain concernant la santé et le suivi de chacun des pupilles.

Placé dès sa naissance dans une famille habituée à accueillir au pied levé un petit, tel pupille restera quinze jours dans cette famille, puis sera placé dans une autre famille d’accueil, où il séjournera peut-être plus longtemps et où ses vrais parents pourront venir le voir quand ils en auront envie, et s’ils en ont envie... S’ils envoient un courrier ou s’ils font une visite, même seulement deux fois par an, l’enfant n’est pas considéré comme abandonné ; il n’est donc pas adoptable et reste en famille d’accueil.

À chaque réunion organisée par l’ASE, l’avis des membres de la commission est sollicité. Il est fait appel à notre mémoire : nous devons nous souvenir, trois ou six mois après, du sentiment qu’avait fait naître en nous le petit Julien ou le petit David, qui sont, nous dit-on, dans leur famille d’accueil des enfants épanouis, quelquefois bagarreurs, quelquefois tristes… II nous faut donner un avis sur leur maintien ou non dans cette famille, dont nous ne connaissons rien. La vraie maman avait envoyé une carte postale trois mois auparavant ; l’enfant n’est donc pas abandonné ; il n’est pas adoptable, etc. Tout le monde est en attente !

À la sortie de cette réunion et pendant plusieurs jours, comment ne pas être obsédé par le cas de chacun de ces enfants, même si nous ne les avons jamais vus ?

Si pointilleuses et honnêtes que soient les enquêtes des assistants sociaux et les renseignements précis glanés auprès des pupilles et des référents de leur famille d’accueil, nous devons juger et décider du suivi de ces enfants et souvent de leur sort. C’est déchirant ! Qui dit que nous ne nous trompons pas ?

Voilà pourquoi il est impérieux d’améliorer rapidement la résolution des situations de délaissement parental, afin que les enfants puissent, dès leur plus jeune âge, avoir des repères affectifs durables et ne pas être considérés comme des objets que l’on a envie de revoir de temps en temps.

Les enfants qui, dès la naissance, ont déjà le handicap d’être des laissés-pour-compte devraient, si la législation permettait une adoption plus précoce, pouvoir trouver rapidement des parents adoptants très demandeurs, dont les dossiers sont en attente depuis des années dans les services de l’aide sociale à l’enfance.

Les parents adoptants demandeurs sont en souffrance ; les enfants abandonnés souffrent aussi. Pourtant, tout nous prouve que, dans la majorité des cas, les adoptions sont des réussites. Il nous faut donc améliorer la résolution des situations de délaissement parental et trouver les moyens de permettre l’adoption le plus tôt possible après la naissance. Nous le devons !

Selon l’article 350 du code civil, lorsqu’ils constatent au bout d’un an un délaissement de la part de la famille biologique, les services sociaux peuvent le signaler au magistrat, qui constatera l’abandon, ce qui permettra de proposer l’enfant à l’adoption. Que de temps perdu ! Actuellement, une simple lettre ou quelques coups de téléphone au cours de l’année écoulée suffisent à prouver le maintien du lien au parent biologique.

Le rapport de M. Colombani, qui a étudié la situation d’enfants placés dans onze départements, démontre que de 9 % à 13 % des pupilles seraient de fait abandonnés et auraient donc pu prétendre à une adoption plus prompte s’ils avaient été signalés plus tôt.

Le problème réside surtout dans la longueur des procédures, qui peut atteindre six ans. Comme vous l’avez très bien dit à plusieurs reprises, madame Morano, « le temps administratif n’est pas le temps de l’enfant ».

Faut-il s’accrocher à une possible famille biologique bancale ou confier l’enfant à des adoptants impatients d’aimer un enfant ?

Quel bonheur de constater la joie de parents adoptants, qui attendent quelquefois depuis cinq ans, quand on leur annonce que leur enfant sera chez eux dans deux semaines et qu’ils peuvent venir immédiatement pour faire sa connaissance et l’apprivoiser ! Ils accourent !

L’INSEE a réalisé une étude qui révèle qu’un tiers des sans-abri ont été des mal-aimés longuement passés par l’aide sociale à l’enfance, sans vraie famille de référence.

Le projet de loi relatif à l’adoption permettra, je l’espère, de lever un certain nombre de blocages. Vous avez d’ores et déjà prévu, madame la secrétaire d’État chargée de la famille, de fournir aux travailleurs sociaux des critères précis pour caractériser le délaissement, assortis d’une évaluation dès la première année de placement, puis chaque année. Mais la question est de savoir combien d’années !

Dans son rapport, M. Colombani proposait de réunir sur ce sujet une conférence de consensus rassemblant le parquet, le juge des enfants, le juge des tutelles, les assistants sociaux, les responsables de l’aide sociale et les pédopsychiatres. Sur la base de cette plateforme de recommandations, il serait possible de mettre en place des expérimentations dans des départements volontaires, au profit de tout-petits placés précocement.

J’aimerais savoir, madame la secrétaire d’État, ce que vous pensez de cette proposition. Quelles sont les mesures que vous avez prévues dans ce domaine et quand comptez-vous les mettre en œuvre ?

Pourquoi ne pas opter pour une adoption simple, qui permettrait de ne pas couper les contacts avec les parents biologiques en attendant une adoption plénière ?

Par ailleurs, si une adoption réussie nécessite en amont un travail de préparation, un travail de suivi et d’accompagnement est également nécessaire. Une fois l’adoption prononcée se pose la question de l’accompagnement des parents mis en présence d’un enfant qui, s’il n’est pas un nourrisson, a déjà un passé et une histoire propres. La France est en retard par rapport à d’autres pays dans ce domaine. Que prévoyez-vous à ce sujet ?

À la suite d’un sondage réalisé par l’IFOP en novembre 2006, le porte-parole du collectif « Maires pour l’enfance », également maire de Sotteville-sous-le-Val, s’était exprimé en ces termes : « Au nom de la défense de l’intérêt de l’enfant, il faut maintenir le modèle parental avec un père et une mère. »

Je partage tout à fait l’analyse émanant de ce collectif, qui regroupait 12 594 maires en 2008, soit un tiers des maires de France !

Bien des choses sont dites à ce sujet et de nombreuses associations s’émeuvent du fait que cette précision relative au modèle parental ne figure pas dans votre projet de loi, madame la secrétaire d’État. Sur ce point également, nous sommes impatients d’avoir votre avis.

En tout état de cause, j’espère que ce projet de loi redonnera espoir à toutes les familles qui ont décidé d’accomplir ce magnifique geste d’amour qu’est l’adoption d’un enfant.

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